jeudi 30 avril 2020

Edward Hopper, peintre de la solitude et de la distanciation sociale


Edward Hopper (1882- 1967) est le plus célèbre des peintres américains. Ses paysages urbains ou naturels, sa mise en scène de la vie quotidienne dans les années cinquante, l’ont imposé comme un maître du réalisme et de la couleur. Mais pas seulement : il se dégage de ses toiles une ambiance mystérieuse, voire angoissante. Quelques personnages mélancoliques sont figés dans un univers froid. Routes et voies ferrées vides traversent ses toiles, illustrant le gigantisme des paysages américains, granges et stations-service abandonnées suggèrent l’absence de l’homme.
Hopper est un cinéphile averti, ses toiles ressemblent à des scènes de vie saisies au vol. Mais des scènes désertées comme le sont nos villes en pleine pandémie. Son œuvre a souvent influencé le cinéma et la littérature : Alfred Hitchcock s’en est inspiré pour les décors de ses films d’épouvante. Cette année, Wim Wenders a réalisé, spécialement pour l’exposition Hopper qui se tient à Bâle en Suisse, un court-métrage dans lequel les tableaux de Hopper s’animent et deviennent de petits films.


Après des études à la New-York school of arts, puis des voyages en Europe pour parfaire sa formation en étudiant les grands courants de peinture, Hopper s’installe en 1908 comme illustrateur à New-York. Il se dégage rapidement de l’impressionnisme pour affirmer son trait et ses aplats de couleurs tranchées. Passionné d’architecture et de navigation, il représente les maisons de la côte Est, les phares, les voiliers, avec une grande précision. Explore la relation entre l’homme et la nature. Entre les deux guerres, Hopper expose avec un succès croissant aux USA. Pourtant, en Europe, où règne l’abstraction, il n’est ni reconnu ni exposé. Il faudra attendre les années 2000, bien après sa mort, pour que le Vieux continent s’intéresse à lui. La consécration internationale est alors immédiate, comme en 2012 au Grand-Palais à Paris.

La Fondation Beyeler de Bâle a réuni une soixantaine d’œuvres issues de collections particulières pour son exposition de printemps. Aquarelles, dessins, huiles, dans un jeu d’ombre et de lumière, mettent en évidence l’influence de l’environnement sur l’homme, et son immense solitude. Hopper est vraiment le peintre de la vie moderne, jusque dans la représentation involontaire de la vie figée que nous vivons actuellement.

L’exposition est évidemment fermée au public, mais on peut consulter le site : https://www.fondationbeyeler.ch/fr/edwardhopper

Article publié dans le JTT du jeudi 30 avril 2020.

lundi 27 avril 2020

Chronique littéraire : Au grand lavoir, de Sophie Daull


Sophie Daull est une femme qui a terriblement souffert, mais qui s’est relevée par l’écriture. Après avoir raconté la mort de sa fille de seize ans, dans un lumineux livre de deuil (Camille, mon envolée), puis retracé le portrait de sa mère, assassinée lorsqu’elle-même avait 19 ans (La suture), elle termine cette trilogie dramatique en se penchant du côté du meurtrier de sa mère. Etrangement, ni pathos, ni règlement de compte, dans une écriture à fleur de peau mais maitrisée, elle imagine une confrontation imaginaire entre elle, l’écrivaine, et lui, l’assassin, sorti de prison.

Le personnage fictif que crée Sophie a purgé sa peine, puis vécu une autre vie, il est maintenant en réinsertion, jardinier municipal dans une petite ville. Mais il suffit d’un élément étranger pour qu’il se retrouve confronté au passé qu’il voulait oublier : une émission de télévision où il reconnaît l’auteure, venue présenter son livre. A deux voix, le roman raconte les pensées qui traversent les deux personnages, en route vers une rencontre improbable. Une belle et pudique réflexion sur la punition, le pardon, le repentir.

« Au grand lavoir », on nettoie, on frotte, on gratte pour enlever les taches du passé. Pour l’auteure, c’est une façon de laver sa rage, sa douleur, d’être maîtresse du jeu. Grâce à la littérature, compagne de renaissance.

Sophie Daull, née à Belfort en 1965, est comédienne et écrivaine.
« Au grand lavoir », ainsi que ses deux autres romans, sont disponibles en Livre de poche.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 23 avril.

samedi 25 avril 2020

Journal de confinement : le téléphone

Plusieurs fois par jour, les échanges par téléphone avec les gens qu’on aime aident à supporter le confinement. On évite de parler projets ou sorties, la communication est un précieux moment d’intimité, d’amitié, de présence. On n’a pas forcément grand-chose à se raconter, mais l’important c’est d’être en connexion avec l’autre.
Quelle chance nous avons : pas besoin de s’inquiéter du prix de la communication !

Car il fut un temps « que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître » … où le téléphone était payant, en fonction de la distance du correspondant et de la durée de la communication. Une sacrée galère ! Tout le monde n’avait pas de téléphone fixe, quant aux portables, ils n’existaient pas. Pour donner des signes de vie à des parents lointains, dans les années 70, on pouvait aller dans les offices postaux demander une cabine, échanger quelques mots rassurants ou des événements précis, puis on raccrochait, avant d’aller payer au guichet une somme non négligeable. On pouvait aussi acheter une carte téléphonique dans les bureaux de tabac pour appeler depuis une cabine pendant un temps déterminé. Pas question de s’étendre sur les états d’âme … le porte-monnaie rappelait à l’ordre !

Heureusement, le smartphone est arrivé bien avant le coronavirus… En plus des conversations gratuites et illimitées, il permet d’échanger messages, photos, vidéos, et même de se voir en direct, si l’on en a envie. Quelle fabuleuse invention ! Et quelle créativité dans les messages en cette période de confinement : chacun essaie de partager du rire, de l’amitié, de la gymnastique ou de la culture. C’est bon pour le moral.
Imaginez un peu le confinement sans smartphone … Applaudissons aussi les opérateurs !

Pas belle la vie ?

Article publié dans le JTT du jeudi 23 avril.

jeudi 23 avril 2020

Une tradition arménienne : la bataille des oeufs de Pâques

Pâques est la fête la plus importante de l’Église Arménienne. Une Église qui fut longtemps l'institution principale du peuple arménien, soumis aux vicissitudes de l’histoire. Il y a donc une quasi-identité entre ce peuple et son église. En France, on compte plus de 600 000 Arméniens de souche ou d’ascendance, qui perpétuent les traditions, notamment dans la région de Valence.
Le jour de Pâques, familles et amis se réunissent autour d’un dîner constitué de mets à base d’œufs, de poissons et de légumes accompagnés de riz pilaf aux fruits secs, sans oublier les desserts au miel et aux amandes et le délicieux tcheurek (pain brioché tressé et sucré). En général, tous ces plats sont disposés ensemble sur la table pour que chacun profite de la convivialité.

Quelques jours avant, on prépare les œufs durs, qui sont traditionnellement colorés en rouge, selon une méthode naturelle : cuisson dans un bouillon de pelures d'oignons. L’œuf symbolise les quatre éléments, sa coquille serait le ciel, sa membrane : l’air, le blanc : l’eau et le jaune : la terre. La couleur rouge incarne joie et beauté, mais aussi le sang versé par le Christ rédempteur. Il est de tradition d'échanger des œufs durs rouges avec ses proches le jour de Pâques, en se saluant par l'invocation « Christ est ressuscité ! »
Le moment très attendu, juste avant le repas, c’est la bataille d'œufs. Chaque invité, après avoir choisi un œuf décoré dans la corbeille, le tient bien droit, pointe contre pointe de l’œuf du voisin. D'un coup sec, chacun essaie de casser l’extrémité de l'œuf de l’autre. Celui dont l’œuf ne se brise pas est gagnant (il gagne l'œuf de l'autre), et continue le jeu. Ensuite, le repas pascal peut commencer avec la dégustation des oeufs.

L’histoire de l’Arménie est aussi complexe que celle de son église. Ainsi, les Arméniens célèbrent Pâques le même jour que les chrétiens, contrairement aux orthodoxes qui le fêtent une semaine plus tard, ce qui rappelle les liens passés avec l’église catholique. Mais le Noël arménien est, lui, fêté le 6 janvier, selon le calendrier orthodoxe, religion à laquelle l’église arménienne a aussi été liée par le passé ! Maintenant, elle est indépendante de Rome comme de Constantinople, sous la responsabilité d’un Patriarche.

Ce qu’il faut retenir, c’est que le royaume d'Arménie fut le premier État à adopter le christianisme comme religion officielle, grâce à saint Grégoire, probablement vers l’an 301. Quant aux origines de l'Église arménienne, elle remonte aux apôtres Jude et Barthélemy, au Ier siècle. Et plus loin encore, c’est sur le Mont Ararat (5165 m), symbole de l’Arménie historique, que se serait posée l’Arche de Noé.


Article publié dans le JTT du jeudi 23 avril.

lundi 20 avril 2020

Chronique littéraire : La vengeance des mères, de Jim Fergus

16 ans après le succès planétaire de « Mille Femmes Blanches », Jim Fergus donne enfin une suite à sa passionnante histoire. Mille Femmes Blanches racontait un incroyable traité : le gouvernement américain, dans le but d’intégrer les Indiens, avait échangé 1000 femmes blanches contre 1000 chevaux. Ces femmes, pour la plupart recrutées dans les prisons, les asiles, ou sur le trottoir, valaient bien mieux que leur réputation : elles se sont adaptées avec force, appréciant la façon de vivre des Indiens, leur absence de préjugés, puis ont refusé de rejoindre leurs tortionnaires blancs, lorsque l’opération fut annulée.

Dans « La vengeance des mères » on retrouve nos héroïnes en 1876, un an plus tard. Elles sont devenues mères de bébés cheyennes, dont la plupart ont été tués lors de l’attaque sanglante de leur village par les troupes américaines. Car l’heure n’est plus à l’intégration, mais à l’extermination, et les sauvages ne sont pas ceux qu’on croit. Jim Fergus raconte la suite de la guerre contre les Native Indians à travers les journaux de deux femmes, Margaret, une Irlandaise qui n’a pas sa langue dans sa poche, et Molly, nouvelle venue dans la tribu, à la personnalité bien trempée. Son roman est non seulement un hommage aux Indiens, à leur civilisation, mais aussi un hommage aux femmes, qui savent s’adapter, supporter et défendre par-dessus-tout la vie qu’elles donnent.

Réfugiées dans le camp du chef Crazy Horse, où se rassemblent toutes les tribus indiennes, elles participeront à la fameuse bataille de Little Big Horn, qui se soldera par une écrasante défaite de l’armée. Et pourront vivre quelques années de répit, avant l’écrasement final.

Ce deuxième tome est actuellement disponible en poche chez Pocket.
Et Jim Fergus vient de publier le troisième et dernier tome de sa saga : Les Amazones.


Chronique publiée dans le JTT du jeudi 16 avril.

samedi 18 avril 2020

Journal de confinement : Le rêve de Greta

 Une ville sans voitures. Des usines à l’arrêt. L’impact immédiat sur la pollution : le ciel est clair, l’air pur.  Des nuées d’oiseaux, d’insectes, reprennent possession de notre environnement, s’installent sur nos balcons, dans nos jardins, s’enhardissent même auprès de nous les hommes, les prédateurs, les destructeurs de l’équilibre naturel.

Greta Thunberg, cette jeune militante suédoise qui dénonce le réchauffement climatique, n’aurait pu rêver mieux : elle trouve aujourd’hui un imparable argument en faveur de son combat. La couche d’ozone, qui absorbe une partie du rayonnement solaire dangereux pour notre peau, se reconstitue. Les immenses nuages de particules fines qui obstruent d’ordinaire les ciels de Pékin, de Delhi …, se résorbent, leurs habitants voient enfin le soleil. L’eau n’a jamais été aussi limpide à Venise. Les dirigeants politiques prendront-ils en compte cette preuve éclatante qu’un changement dans la stratégie consumériste est nécessaire et possible ?


Les péniches passent à nouveau sur le Rhône, c’est le moyen de transport le plus écolo (une péniche peut charger autant de tonnes que 125 camions). Les vagues ne perturbent pas la femelle cygne qui couve ses œufs sur la berge, comme chaque année. Le fleuve, comme la faune et la flore, continue à vivre sa vie, sans s’inquiéter de la suite. Belle leçon de patience, d’immanence.

Nous aussi, puisons du réconfort en contemplant les superbes levers et couchers de soleil. Et abandonnons-nous au rêve, après avoir admiré la voûte céleste et la super lune rose, dans la nuit étoilée : un autre monde va-t-il advenir après ?

Pas belle la vie ?

Article publié dans le JTT du jeudi 16 avril.

jeudi 16 avril 2020

Les canaux de Valence


Patrimoine original de la ville, les canaux traversent et agrémentent différents quartiers de Valence, particulièrement le quartier Châteauvert. Savez-vous qu’il y en a plus de 40 km répartis en 17 canaux, dont une dizaine en libre accès au public ? Canal des Malcontents, des Moulins, de la petite et de la grande Marquise… Un itinéraire touristique bien fléché permet de les découvrir.

A l’origine, les eaux échappées du Vercors stagnaient en marécage au pied des terrasses argileuses du bord du Rhône Ce sont les Romains, soucieux d’hygiène, habitués aux thermes, qui les premiers les canalisèrent. Les moines au Moyen-âge agrandirent ensuite les installations, utilisant l’eau pour irriguer les jardins et activer les moulins, grâce à la force motrice, ce qui leur rapportait un bon revenu. Au XIXème siècle on y ajouta des lavoirs industriels, et on aménagea d’importantes cressonnières. C’est au XXème siècle qu’on a recouvert de nombreux canaux pour faire passer les voies de chemin de fer, les routes. L’urbanisation des quartiers témoigne de cette évolution.

Le problème cyclique avec les canaux, c’est leur entretien. Après des années de curage malencontreux, on s’est aperçu qu’ainsi on faisait disparaître leur riche biodiversité. A l’heure actuelle, c’est le faucardage, l’arrachage raisonné, qui prévalent. Afin de conserver une eau claire, où prolifèrent céleris d’eau, rubaniers, callitriches, végétaux propices à la reproduction d’insectes et invertébrés, dont l’agrion de mercure, une libellule mangeuse de moustiques. La municipalité de Valence et les associations habilitées sont maintenant chargées de l’entretien raisonné de ce patrimoine naturel.

L’usage de ces canaux, s’il fait toujours le bonheur particulier des riverains et de leurs jardins, a évolué au cours du temps pour devenir un lieu de promenade très apprécié des Valentinois. Le service patrimoine de Valence-Romans-Agglo propose régulièrement des visites guidées des canaux, mais on peut aussi s’y promener individuellement pour profiter de leur fraîcheur en été.

A noter : la fête des canaux en juin, avec petites embarcations et pêche à la truite.

Renseignements :  Service patrimoine de Valence : 04 75 79 20 86.

Article publié dans le JTT du jeudi 16 avril 2020.

lundi 13 avril 2020

Chronique littéraire : Devenir, de Michelle Obama

Un livre passionnant et revigorant. Sous prétexte d'écrire ses mémoires, l'ex-première dame des Etats-Unis propose un livre plein d'humanité et une analyse sociologique pertinente de la vie américaine depuis les années soixante. Avec en prime une leçon d’espoir et de volonté.

La vie de Michelle Robinson commence en 1964 dans une banlieue de Chicago. Une enfance dans un milieu modeste mais aimant et protecteur. Ses parents, son frère, ont développé chez elle l'autonomie, la détermination, le sens des valeurs. Ses dons exceptionnels l'ont conduite malgré la discrimination raciale jusqu'aux prestigieuses universités de Princeton puis Harvard. D'où elle sort avocate, avec un poste dans un cabinet réputé. Et un jour débarque un stagiaire charismatique au nom improbable, Barack Obama.


Pour Michelle, réussir ses études était une nécessité. Son intelligence lui a permis de concrétiser son défi, mais son premier métier de juriste d’affaires l'a vite déçue. Son sens du contact, du concret, le besoin d’être utile n’étaient pas satisfaits, et après son mariage, en 1992, elle a lâché le milieu des affaires pour des postes moins bien payés mais utiles à la société : planifier l'enseignement et l'intégration des quartiers noirs, gérer l'ouverture des hôpitaux aux défavorisés. Pendant ce temps, Barak écrivait, enseignait, militait.

Le grand bouleversement de sa vie, ce fut 15 ans plus tard la décision de Barack de se lancer dans la politique. Michelle et lui avaient alors deux fillettes, et ce n'était déjà pas simple pour elle de conjuguer vie professionnelle et vie de famille. Elle a quand même donné son assentiment, sans savoir dans quelle folle galaxie elle allait se retrouver. Emportée dans un tourbillon d'espoirs, d'efforts, de défaites, de mensonges, de dénigrements, jusqu'à la victoire, elle n’a plus jamais été tranquille. Obligée de renoncer à son métier, à son franc-parler, luttant bec et ongles pour protéger ses enfants, elle a essayé de faire de son passage à la Maison Blanche quelque chose d'utile. Son projet Let's move, de lutte contre les problèmes de santé des enfants, l'obésité notamment, n'a pas été facile à mettre en place.

Michelle Obama est une personne de chair et de sang, qui ne se prend pas la tête. La partie consacrée à son enfance et son adolescence est émouvante, et apprend beaucoup sur l’enseignement et la vie des Américains, notamment la part importante consacrée au sport, à l’autonomie et à l’esprit de groupe. Elle promène ensuite un regard étonné sur tous les faux-semblants du pouvoir, sans critiquer. On découvre la gestion de la ségrégation raciale, du système électoral. Quelques anecdotes discrètes sur la Maison-Blanche et la tyrannie de la sécurité, pendant huit ans. Et maintenant s’est ouverte une autre vie.

« Devenir » mérite bien l'accueil délirant qui lui a été réservé. Toutes les femmes peuvent se reconnaître dans ce parcours de combattante, qui engendre espoir et optimisme !

Ce récit est maintenant disponible en Livre de poche.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 9 avril.

samedi 11 avril 2020

Journal de confinement : la pasta italiana

Mon grand-père est venu d’Italie après la première guerre mondiale, et j’ai toujours ressenti un attachement viscéral pour le pays de mes racines. Depuis longtemps j’avais envie d’essayer une activité mythique de l’autre côté des Alpes : préparer des pâtes fraiches à la main. Toutes les mamma italiennes savent faire la vraie pasta fresca della casa. Le confinement est l’occasion idéale pour tenter cette expérience. Et puis, ça luttera contre la mise à sac du rayon pâtes du supermarché…

Des recettes sur Internet, il y en a une multitude. Un laminoir semble nécessaire, mais comme je n’en ai pas, je choisis la formule la plus simple, qui demande juste un rouleau à pâtisserie. La préparation est basique : pour 2 rations, il faut 200 g de farine tamisée et 2 œufs, le reste c’est de l’huile de coude.

Verser la farine dans une jatte, former un creux au milieu, y casser les œufs, et mélanger peu à peu à la farine, d’abord à la fourchette, puis à la main, pour obtenir au bout d’un quart d’heure une boule de pâte élastique. Un très bon exercice pour lutter contre l’arthrose !

Laisser ensuite la boule emballée dans du film alimentaire reposer une demi-heure au frais.  Ensuite, écraser la pâte au rouleau, le plus finement possible, en plusieurs fois, ça c’est bon pour les biceps ! Enfin tailler au couteau des pâtes au format désiré, et les disposer sur un plateau fariné. Ici, c’est votre créativité qui s’exprime… Et le tour est joué ! On peut consommer les pâtes fraîches ou les laisser sécher, leur temps de cuisson sera alors plus long.

Jusque-là, ça va. Je suis fière du résultat. Je m’imagine déjà épater mes petits-enfants quand je les reverrai… Hélas le verdict gustatif n’est pas à la hauteur de mes espérances. Mes pâtes ont une belle allure, mais s’avèrent trop épaisses et donc pas très digestes. Déception. Eh oui, le tour de main est une question de pratique... Je recommencerai la semaine prochaine. Et quand je retournerai en Italie, sûr, j’achèterai un laminoir !

Pas belle la vie ?

Article publié dans le JTT du jeudi 9 avril.

jeudi 9 avril 2020

La Cartoucherie de Bourg-lès-Valence


L’histoire de la Cartoucherie est intimément liée à celle de la région. Construit en 1850, par un industriel visionnaire, Noël Sanial, ce « palais industriel » fut d’abord une manufacture textile, produisant des Indiennes par impression sur coton, et filant la soie pour les canuts lyonnais. En 1859, 750 employés, dont 300 enfants de 8 à 15 ans, 350 hommes et 100 femmes y travaillaient du lever au coucher du soleil. De nombreux problèmes (pénurie de coton américain à cause de la guerre de Sécession, maladie du ver à soie, incendies accidentels) conduisirent l’entreprise à la faillite en 1866. Après diverses spéculations, l’état racheta les locaux pour en faire une cartoucherie nationale. Le désastre de la guerre de 1870 demandait réparation, les militaires furent chargés de gérer l’entreprise, qui perdura de 1874 à 1964.


La condition ouvrière s’organisait : le droit de syndicat fut instauré en 1884, le repos dominical en 1906, la semaine de 49h en 1914. Mais le statut des femmes restait très différent de celui des hommes, elles gagnaient la moitié moins. En 1912, elles avaient constitué un groupe féministe qui manifestait déjà pour la paix. La guerre de 1914 fit abandonner tous les acquis sociaux, il fallait travailler jour et nuit, les fours ne s’arrêtaient pas. 2500 femmes ont été embauchées, qu’on a évidemment licenciées une fois la paix revenue. Puis la seconde guerre a vu les machines plombées pour ne pas être livrées à l’ennemi. La Résistance, pour qui la poudre était détournée, s’organisait, souvent par le biais des femmes. Puis après les guerres coloniales, le besoin en cartouches s’épuisa et la Cartoucherie s’arrêta.
Les cartouchières, comme toutes les ouvrières de la révolution industrielle en France, sont les grandes oubliées de l’histoire. A Valence, c’est d’autant plus vrai que la préfecture ayant été bombardée en 1944, toutes les archives de l’époque ont disparu. Pourtant, ce sont elles qui ont maintenu la production pendant les guerres, les crises, dans des conditions extrêmement dures, tout en élevant leurs enfants.

Un atelier d’écriture destiné aux anciens ouvriers de la Cartoucherie a été organisé par le centre social de Bourg-lès-Valence et les archivistes en 1995, alors que le site était complètement désaffecté. Dix-huit ouvriers et ouvrières ont ainsi rédigé leurs témoignages, expliquant le travail au quotidien, entre difficultés, danger, précarité et solidarité avec les collègues. La friche industrielle promise à la démolition a alors pris sa place dans la mémoire collective de Bourg-lès-Valence. De ce fait, la municipalité a voté la conservation d’une partie des lieux, puis sa réhabilitation par l’architecte Philippe Prost, expert en bâtiments industriels et militaires. La Cartoucherie a donc pu renaître sous la forme d’une pépinière d’entreprises spécialisées dans le cinéma d’animation, dont le célèbre studio Folimage en 2009.

Un grand projet d’aménagement du parc de la Cartoucherie est en cours : il s’agit de transformer les vastes espaces encore en friche pour offrir un véritable poumon vert à la population. Le canal Flavie, la grande plaine qui borde le bassin et la gare de la Cartoucherie seront réaménagés en un parc urbain de plus de 2.5 hectares offrant jeux, promenades, espace pour événements. Un programme beaucoup plus réjouissant que la production de munitions !

Article publié dans le JTT du jeudi 9 avril.

dimanche 5 avril 2020

Chronique littéraire : Un bonheur que je ne souhaite à personne, de Samuel le Bihan

Samuel Le Bihan, né en 1965 à Avranches, en plus d’être un acteur sympathique, est un père de famille dévoué à ses enfants, dont une petite fille autiste. Sous couvert d’une fiction, il raconte dans ce récit toutes les difficultés rencontrées lorsqu’on veut intégrer un tel enfant dans la société.

La France est particulièrement en retard dans le domaine de l’accompagnement de l’autisme, les lois de la République (chaque enfant a le droit d'être scolarisé) ne sont pas toujours respectées, faute de moyens, de volonté. Il faut se battre à chaque étape de la vie de l’enfant pour lui assurer une sociabilisation et un avenir.

Laura est l’archétype de la mère galvanisée par l’amour de son fils César, autiste, elle mène au quotidien un combat pour le voir épanoui. Elle doit aussi gérer son fils aîné, un ado en crise.  Son mari l’a quittée, c’était trop dur à assumer pour lui. Bref, Laura est sur tous les fronts, c’est une battante qui essaie toutes les pistes, s’investit dans la création d’une association d’accueil, organise des actions avec les parents, multiplie les démarches pour que l’Education nationale fournisse une solution … jusqu’au burn-out. Mais au fil de son combat, Laura se fait des amis, des vrais. Avec patience et détermination, malgré les inévitables défaites, elle connaîtra le bonheur de voir César trouver sa place.

Un livre poignant et militant, qui révèle la situation des autistes en France et le combat de leurs parents, en mots simples et avec un grand souffle d’espérance.
En poche chez J'ai lu.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 2 avril.

jeudi 2 avril 2020

Journal de confinement : La floraison d’un iris

Petit-déjeuner en face de ma terrasse. Grand ciel bleu, gage de beau temps. Dans une jardinière, je remarque le premier iris, prêt à éclore. Une couleur violette est déjà bien visible sur ses pétales soigneusement enroulés. Il s’ouvrira aujourd’hui, c’est sûr.

Je traînasse à table, j’ai tout mon temps, il faut occuper la journée… Le soleil pointe au-dessus du muret, il inonde peu à peu le balcon. Soudain, il atteint l’iris. Magie de la vie : les pétales frémissent, et commencent à se déployer. Comme dans un documentaire botanique, en une demi-heure, le déploiement des pétales se fait sous mes yeux, au ralenti. La fleur se déplie, s’épanouit totalement dans une symphonie bleue et pourpre.

A côté de lui, d’autres iris ont grandi d’une dizaine de centimètres pendant la nuit. Leurs fleurs sont fermées, les couleurs ne sont pas encore visibles. Bientôt, elles aussi se déploieront sous la caresse du soleil. J’essaierai d’être au rendez-vous pour assister à leur naissance en direct.
La contemplation de la nature est une vraie source de joie et de paix.

Pas belle la vie ?

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 2 avril.