mercredi 28 septembre 2022

Saint-Vallier, sur les traces de Diane de Poitiers

Quand on traverse Saint-Vallier par la N7, le village semble assoupi. Pourtant, dans le centre ancien, mille et une richesses patrimoniales classées ne demandent qu’à être admirées… C’est l’objectif de l’association locale « Histoire et patrimoine » qui, en plus d’un travail de recherches, de quête de fonds, d’autorisations, de rénovations, d’information, a créé un circuit de découverte passionnant à travers les ruelles médiévales. Des QR codes explicatifs apposés aux endroits remarquables pour une visite libre, et des visites commentées toute l’année, le mercredi, permettent aux visiteurs d’en savoir plus sur le riche passé de la ville.

Saint-Vallier, au confluent du Rhône et de la Galaure, fut d’abord une cité romaine, sur la via Agrippa. On raconte même que c’est par ici que Ponce-Pilate aurait fini ses jours en se jetant dans le fleuve en l’an 37 (d’où les toponymes voisins Ponsas, Pilat). Vers l’an 900, un certain Valère, nommé évêque de la cité, lui a donné son nom. Cité franche au moyen-âge, le fief a appartenu au dauphin puis aux comtes de Valentinois. C’est en 1499 que naît à Saint-Vallier la belle Diane de Poitiers, comtesse d’Albon, duchesse de Valentinois et de Diois. Héritière d’immenses domaines, proche de la famille royale, elle fut la maîtresse officielle du roi Henri II pendant une vingtaine d’années. Son influence était alors supérieure à celle de la reine Catherine de Médicis. Diane n’a pourtant pas oublié Saint-Vallier, accordant des terres aux paysans, ordonnant la création de canaux d’irrigation toujours en activité. Son château, en haut du bourg, actuellement propriété privée, ne se visite pas. Dommage car les jardins ont été redessinés par Le Nôtre au 17e siècle !

La ville médiévale présente de nombreux vestiges, en particulier l’église, un musée à elle seule, avec sa juxtaposition de styles, roman, gothique, néoclassique et sa collection de tableaux de la Renaissance, dont deux attribués à l’école du Caravage et aux frères Carracci. Plus contemporain, le théâtre Art déco, érigé en 1932, en partie bombardé pendant la deuxième guerre, recèle un incroyable plancher inclinable, dont le mécanisme en sous-sol est de type Eiffel. Unique en France, il permet en un clin d’œil de transformer la salle de spectacle au plan incliné en une salle d’exposition au sol plat. Si on ajoute que Napoléon a dormi à Saint-Vallier, que Marc Seguin y a construit un pont, on se demande comment Saint-Vallier a pu rester écarté des circuits touristiques !

Mais cette injustice est réparée : L’association du patrimoine a maintenant ouvert un espace muséal, où l’on peut découvrir toute l’histoire de Saint-Vallier. Plus encore :  y sont exposés les vestiges trouvés lors des fouilles paléontologiques. Des vertébrés datant de plus de 2 millions d’années !  A Saint-Vallier, au bord du Rhône, on n’a pas seulement rendez-vous avec l’histoire du village, mais avec celle de la France !



Visites commentées par Histoire et patrimoine : 04 75 23 20 97

Article publié dans le JTT du jeudi 29 septembre 2022.

jeudi 15 septembre 2022

Le Chambon-sur-Lignon, lieu de mémoire et de culture

Le Chambon et les villages voisins du Plateau, Saint-Agrève, Tence, Mazet, … ont été une terre d’accueil pour les réfugiés pendant la deuxième guerre mondiale. Ainsi 5 000 personnes auraient sauvé de l’extermination 5 000 juifs ! Une quarantaine de titres individuels de Justes parmi les nations, ainsi qu’un diplôme collectif, ont été attribués au village par l’institut Yad Vashem de Jérusalem. Mais cette solidarité n’a pas concerné que les Juifs, les habitants ont d’abord accueilli les réfugiés espagnols fuyant la guerre civile dès 1936, puis les Allemands et Autrichiens antinazis, les Français des régions du nord bombardées … Une tradition d’accueil et de résistance des habitants du Plateau qui n’est pas le fruit du hasard.

D’abord, il y a l’empreinte des persécutions huguenotes. Le protestantisme, religion d’une minorité opprimée, s’est développé sur le Plateau Vivarais-Lignon du XVIe au XVIIe siècles. Déjà, il fallait cacher ses opinions, et les conditions de vie sur le Plateau s’y prêtaient : habitat dispersé, peu de contacts, vastes espaces sauvages de forêts et montagnes, climat rigoureux en hiver. Puis il y a eu l’émergence d’un christianisme social, au début du XXe siècle, avec des associations internationales comme la Croix- Bleue, l’Armée du Salut, et d’autres encore domiciliées en Suisse… qui ont organisé au Chambon l’accueil en vacances de centaines d’enfants défavorisés issus des villes. D’où la construction de lieux d’hébergement collectif, ajoutés aux hôtels et pensions qui accueillaient les vacanciers venus profiter du bon air. Car le Plateau était devenu, grâce à l’arrivée du train, une destination touristique populaire. Troisième facteur : La présence de personnalités exceptionnelles, pasteurs, enseignants, philosophes, curés, … venus de Suisse ou d’ailleurs, qui ont prêché dès le début de la guerre le refus des valeurs nazies, a incité à la résistance.

Le Plateau est resté en zone libre jusqu’en 1942, et les paysans ont naturellement accueilli les premiers réfugiés dans les lieux appropriés. Pratiquant polyculture et élevage, l’autonomie alimentaire était assurée. Lorsque la zone a été occupée par les Nazis, il a fallu dissimuler, disperser, cacher les Juifs, les opposants, et les exfiltrer vers la Suisse grâce aux réseaux mis au point par les organismes présents. Ensuite, les réfractaires au STO, les Résistants se sont eux aussi réfugiés sur le Plateau. La logistique est devenue de plus en plus difficile à assurer, mais toujours soutenue par la volonté de solidarité et de justice, prônée par les pasteurs locaux malgré les risques d’emprisonnement.C’est ainsi que ce rude plateau du Vivarais-Lignon a été un îlot de résistance et une porte vers la liberté pour des milliers de réfugiés, entre 1936 et 1945. De nombreuses années plus tard, d’anciens réfugiés ont voulu rendre hommage au Chambon et aux communes avoisinantes en créant un Lieu de Mémoire qui raconte l’aide exceptionnelle de cette région à la dignité humaine.  Le bâtiment fut inauguré en 2013. Il accueille cet été une superbe exposition Chagall, jusqu’au 2 octobre. Le Chambon est par ailleurs un vivier culturel, dont les « Lectures sous l’arbre » fin août attirent depuis trente ans un public international. Un bienfait n’est jamais perdu, dit-on : en 2021, un ancien réfugié échappé au nazisme, Erich Schwamm, a fait don de toute sa fortune au village, en souvenir des jours heureux passés au Chambon et en particulier à l’Ecole cévenole. Une exposition raconte son histoire. Une belle histoire, qui rend un juste hommage à ce village de résistants.

Article publié dans le JTT du jeudi 15 septembre.














mercredi 7 septembre 2022

Chronique littéraire : Les impatientes, de Djaïli Amadou Amal

Quelle chance pour une femme de vivre en France en 2022 ! Le récit réaliste de la soumission totale des femmes dans les riches familles peules du Cameroun semble se dérouler sur une autre planète, et pourtant…

Soumission, acceptation, patience, sont les règles de base de cette société musulmane. Le père est un être supérieur, qui a toute autorité sur ses filles, c’est lui qui décide un jour de leur mariage avec le prétendant de son choix. Pas question d’y échapper, et chacune à leur tour les filles doivent se résigner à un mariage arrangé, où leur mari aura tous les droits.

Ramla voulait faire des études, la voilà mariée à un éminent personnage politique, qui peut la couvrir de bijoux si elle est docile, ou la fouetter sinon. Hindou est mariée de force à un cousin alcoolique et drogué, qui la viole et la bat. Tout se passe au vu et au su des membres de la famille, mais l’omerta règne dans les riches propriétés où cohabitent plusieurs épouses et des dizaines d’enfants. Les manœuvres de séduction, les jalousies entre clans, la menace de répudiation, exacerbent les complots, les sournoiseries, dans un monde soumis à la tradition, à la religion, à une hiérarchie rigide. Safira, la co-épouse de Ramla est responsable du bon fonctionnement de la maisonnée, mais elle a aussi le pouvoir de détruire sa jeune rivale, pour conserver sa place de première… Il ne reste aux femmes que ces objectifs pervers : lutter pour rester la préférée, lutter pour bénéficier des largesses du maître.

Un statut duquel Djaïli Amadou Amal s’est échappée, après avoir connu le mariage forcé et ses violences.  Née en 1975 au Nord Cameroun, cette écrivaine de langue française utilise sa plume pour dénoncer le sort fait aux femmes de son pays au nom de la tradition et de la religion. « Quand tu entres dans une famille polygamique, tu dois être aveugle et sourde. Que tes yeux ne voient rien, tes oreilles n'entendent rien, ta bouche ne dise rien ». Militante pour Femmes du Sahel, défenseure de l’identité peule, ses romans mondialement connus sont couronnés de succès. Un espoir de libération pour ses compatriotes.

« Les impatientes » est maintenant disponible en poche chez J’ai lu.

Chronique publiée dans le Jtt du jeudi 8 septembre.