vendredi 28 novembre 2014

Chronique littéraire : Primo, de Maryline Desbiolles

Quand sa grand-mère décède, Maryline Desbiolles ressent la nécessité d’éclaircir le mystère de ses origines. Tant de non-dits, d’ombres, de drames, entourent ce personnage d’émigrée italienne, arrivée en Savoie dans les années 1920. La partie émergée, une vie rude et laborieuse, la transplantation en terre étrangère, puis la lente intégration, ont déjà été explorées. Ce sont l’atmosphère tragique autour de la grand-mère taiseuse, les morts et les destructions étouffées, qui préoccupent l’auteur.

Une grande part du mystère est liée aux naissances des enfants. Primo, c’est le nom du premier bébé de la grand-mère, un patronyme exigé par Mussolini. Un enfant choyé, costaud, adulé par sa mère. Mais Primo meurt mystérieusement pendant l’accouchement du second bébé, dans les années 1930. Ce deuxième fils ne survivra pas non plus au-delà de 1944. Devant l’acharnement du sort, la grand-mère fera face. D’autres enfants naîtront, et, entre guerres mondiales et déchirements familiaux, elle camouflera sa douleur.

Mélange de souvenirs, de recherches personnelles dans la région de Turin, d’éléments historiques,  ce texte au style haletant, écrit presque sans ponctuation, sans respiration, exprime parfaitement l’oppression, la souffrance retenue. Un récit émouvant et fort.

Maryline Desbiolles est née à Ugine en 1959. Auteur de nombreux romans, Prix Femina en 1999 pour Anchise, elle vit actuellement dans l’arrière pays niçois.

Primo est disponible en Points poche, au prix de  5.70€.
Chronique publiée dans le JTT du jeudi 27 novembre 2014.

lundi 24 novembre 2014

La Saison Courbet en Suisse

La Fondation Beyeler à Riehen, près de Bâle, consacre une magnifique exposition au peintre Gustave Courbet (Ornans, 1819-La Tour-de-Peilz, 1877). Des œuvres clés, pour la plupart issues de collections privées, donc rarement montrées, illustrent les différentes périodes de création de l’artiste. Dont celle qui a fait couler beaucoup d’encre en brisant un tabou : la sulfureuse Origine du monde.

Autoportraits, paysages du Jura, ruisseaux, forêts, grottes, sources et baigneuses, dans une gamme de  couleurs naturelles, ocres et verts lumineux ou sombres, précèdent des salles éclairées par les reflets de la mer, comme la Vague, ou la neige, dans des scènes de chasse hivernales réalistes. En tout une soixantaine de toiles, datées de 1844 à 1870, juste avant la Commune de Paris, où Courbet joua un rôle actif et controversé qui lui valut la prison, puis l’exil en Suisse, en 1873. Les tableaux exécutés par Courbet pendant ses années suisses font d’ailleurs l’objet d’une exposition concomitante, au Musée Rath de Genève.

Deux films complètent la visite, l’un sur l’Origine du monde et son influence dans l’art, et l’autre plus général sur les origines du monde de Courbet. La projection est présentée dans une salle vitrée ouverte sur la campagne environnante, magnifiée par les couleurs de l’automne. Le peintre aurait apprécié cette juxtaposition entre réel et virtuel,  entre paysages peints et paysages naturels.

Exposition visible tous les jours, de 10h à 18h.
www.fondationbeyeler.ch

jeudi 20 novembre 2014

Le Musée Olympique de Lausanne

Dominant le lac Léman dans un superbe parc ponctué d'érables pourpre et or, le Musée Olympique plonge ses visiteurs dans l’histoire des J.O. depuis leur création, en Grèce antique, puis leur re-création en 1896, par Pierre de Coubertin. Ludique, interactive, la scénographie des lieux ravive les souvenirs de sportifs émérites, de merveilleuses cérémonies, et de spectaculaires exploits. Mais pas seulement.

Devant le vaste bâtiment blanc, la statue de Pierre de Coubertin couve du regard la flamme olympique, dans ses quartiers d’hiver. Elle invite chacun à participer. Car dans les jardins, des installations athlétiques permettent  de s’essayer à lancer le poids, sauter en hauteur, ou courir le cent mètres, face aux performances des champions. Dur, dur !
A l’intérieur, trois étages entièrement rénovés rendent hommage, dans une scénographie inventive, aux exploits sportifs, mais aussi aux hommes et aux pays d’accueil, à travers un flot d’images mythiques. Magie des cérémonies d’ouverture, angoisse et concentration des athlètes, performances ou ratés spectaculaires, joie des vainqueurs, pleurs des vaincus, tous les moments forts des Jeux Olympiques se télescopent en une gigantesque farandole de films d’archives, projetés sur une centaine d’écrans.

En contrepoint, une riche exposition d’objets liés à la pratique du sport de haut niveau et à la vie pendant les Jeux. Les chaussures techniques, tenues de ski, patins, kayaks, crosses, chronomètres … permettent d’apprécier l’évolution du matériel de compétition. Les superbes costumes de scène font revivre la splendeur des spectacles. Les torches et médailles, ainsi que les affiches, symboles d’une époque et d’un pays, sont de véritables œuvres d’art. Les plans des différents stades olympiques constituent une gigantesque fresque de l’évolution de l’architecture contemporaine. Et les mascottes ont toujours du succès auprès des enfants.
Nostalgie, émotion, rêve ou sujets de réflexion, le Musée Olympique  satisfait tous les publics.

Musée Olympique, Quai d'Ouchy , Lausanne

dimanche 16 novembre 2014

Jean-François Haas, de la Gruyère à la Comté

Ce n’est pas une tournée fromagère, mais une rencontre littéraire !

Dans le cadre des Petites Fugues, la Bibliothèque de Grandvillars reçoit cet enseignant et écrivain suisse, de la région de Fribourg, qui a publié aux éditions du Seuil quatre romans. Des récits puissants, dans une langue riche et innovante, qui interrogent le Bien et le Mal.

Le chemin sauvage traite du sort réservé aux orphelins misés, c’est-à-dire placés dans des fermes où ils étaient souvent exploités. Quand Myriam est retrouvée morte, son copain enquête. A la fois thriller et document sociologique sur la Suisse rurale des années 1950, repliée sur elle-même, sans pitié pour les étrangers, les homosexuels, les gitans ou ceux qui parlent. Mais Le chemin sauvage offre aussi de belles pages tendres sur l’enfance, l'imaginaire, et la vie en pleine nature.

Dans Panthère noire dans un jardin, trois personnages : Paul, écrivain militant, son frère Jacques, assez lent d’esprit, et Favre, commissaire de police, ami d’enfance. Paul et Jacques ont perdu leur père jeune, victime de l’amiante. Ils en ont gardé une blessure ouverte. Quand Paul apprend à son tour qu’il est condamné, leur équilibre est bouleversé. Le meurtre mystérieux, violent, d’un chef d’entreprise indifférent au sort de ses ouvriers peut-il être l’œuvre ultime de Paul ? Un roman sur l’amitié, l’injustice, le doute, la mort.

Mercredi 19 novembre à 18h30, venez découvrir l’auteur et son œuvre, et échanger en toute convivialité. Entrée libre.



mardi 11 novembre 2014

Ecrire comme en 14

L’échange de courrier a constitué un soutien moral déterminant pour les soldats engagés dans la Grande Guerre, et pour leurs proches. Des milliers de lettres, de cartes postales, de pages de carnets ont été rédigées, envoyées, lues, et relues. Le besoin était tel que les Marraines de guerre ont été instituées officiellement pour correspondre avec les Poilus qui n’avaient pas de famille.
L’instruction publique était devenue obligatoire en 1882, par le décret de Jules Ferry. Qui aurait imaginé alors que les petits campagnards nés dans les années suivantes, obligés pour la première fois d’aller à l’école, bénéficieraient, grâce à la maîtrise de la lecture et l’écriture, d’un réconfort quotidien, d’une aide psychologique précieuse ?


La bibliothèque de Grandvillars a proposé aux visiteurs de l’exposition sur la Grande Guerre de prendre la plume, au sens propre, dans un atelier « écritoire » reconstitué à la mode de 1914. Il s’agissait d’écrire à des Poilus imaginaires, père, mari, frère ou fils... Vieux pupitres, plumes et porte-plumes, encre et buvards, jolies reproductions de cartes postales d’époque étaient à disposition. Les participants de tous âges se sont pris au jeu. Pour les plus jeunes, écrire à la plume était une expérience nouvelle, sans effaceur, il faut s’appliquer ! Pour les anciens, ce fut l’occasion d’un retour nostalgique sur les bancs de l’école, doigts tachés en prime.

samedi 8 novembre 2014

Saint-Bonnet-le-Froid, royaume des champignons et de la gastronomie

Place aux Champignons, gîte Les Russules, Maison du Champignon, restaurant La Coulemelle, salon de thé La Chanterelle ... dès l'arrivée dans ce village aux confins de l'Ardèche et de la Haute-Loire, toutes les pancartes signalent qu'ici le champignon est roi. Des ribambelles de champignons décorent les rues, les numéros des maisons sont en forme de champignon. Impossible d'ignorer ce trésor de l'automne dont forêts et pâturages voisins regorgent.

Chocolat aux cèpes, girolles en aigre-doux, tagliatelles aux morilles, huile de truffe, les produits dérivés proposés dans les épiceries locales excitent les papilles. Surtout quand ils s'accompagnent d'autres gourmandises du terroir, salaisons du Velay, fromages du Vivarais, marrons d'Ardèche et vins de la Vallée du Rhône.

C'est que Saint-Bonnet-le-Froid est devenu, depuis l'installation de Régis Marcon, grand maître de la cuisine française, un haut-lieu de la gastronomie. Le Clos des Cimes est un établissement luxueux, mais d'autres restaurateurs inventifs ont investi le village, proposant des repas raffinés, aux saveurs de saison, ou des chambres d'hôte, à des prix abordables.

On peut préférer tout simplement la promenade et le pique-nique, car les couleurs d'automne de la forêt, et le panorama depuis le plateau, à 1130 m d'altitude, face aux Alpes enneigées, valent à eux seuls le voyage.

mardi 4 novembre 2014

Chronique littéraire : L'amour sans le faire, de Serge Joncour

Sous un titre qui ressemble à une boutade, un livre profond et émouvant, empreint d'humanité, d'humilité. Où il question d'amour, bien sûr, mais surtout des blessures d'amour que la vie inflige, relations familiales bloquées, vies de couples défaites, carrières professionnelles précaires. Peut-on malgré tout garder espoir ?

Serge Joncour décrit, dans une alternance de chapitres courts mais fouillés, le parcours cabossé de deux personnages qui ne se connaissent pas. Franck a fui la rigidité de la ferme familiale pour un métier de cameraman nomade. Louise bosse dans une usine en liquidation, mais éprouve le besoin de campagne, d'ancrage. Ni l'un ni l'autre ne savent plus, ne veulent plus aimer. Ni même entrer en contact, se dévoiler.
Leur rencontre improbable se fait par l'intermédiaire d'un enfant exubérant, Alexandre. Réminiscences du passé pour l'un, acceptation du présent pour l'autre, ils redécouvrent à travers lui les plaisirs simples de la vie, un petit déjeuner au soleil,  l'effort physique salutaire, un fou rire partagé. Il faut s'aimer soi-même, avant d'aimer ailleurs.

Serge Joncour est un écrivain français à succès, né en 1961. Il est aussi scénariste et homme de radio.
L'amour sans le faire est disponible en poche, chez J'ai Lu au prix de 7,30€.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 30 octobre 2014.