dimanche 27 mars 2016

Chronique littéraire : Les villes de la plaine, de Diane Meur

Un conte oriental envoûtant, et une réflexion tout-à-fait pertinente sur les textes sacrés et leur interprétation.
Dans une ville antique imaginaire, Sir, le berger Ordjou débarque un jour, sans connaître les usages, particulièrement ignorant du culte d’Anouher auquel obéissent les habitants. Il en fait les frais, avant de s’intégrer peu à peu, grâce à Djili, une femme tolérante. Engagé comme garde par le scribe Asral, il se distingue par son regard neuf, ses questions, son bon sens et sa gentillesse. Jusqu’à induire chez Asral une remise en cause des textes sacrés totalement sclérosés qu’il doit recopier.
Le doute chez le lettré se répand en ville et perturbe les certitudes de ses habitants. C’est la porte ouverte à des bouleversements sociaux, que l’ordre rigide permettait d’endiguer jusque-là. Une révolte éclate, puis la guerre avec la ville ennemie, Hénab.

Diane Meur réussit avec beaucoup de maestria à mêler satire politique et religieuse, roman d’aventure et d’amour. Elle s’amuse même à imaginer les archéologues  futurs, perplexes devant les ruines de Sir. Sous forme de fable, une belle leçon de tolérance, de refus de se soumettre à l’oppression, dans un style à la fois léger et consistant.

Née à Bruxelles en 1970, Diane Meur est femme de lettres, romancière, sociologue, traductrice.
Ce roman est disponible en Livre de Poche.

Chronique publiée dans le JTT.

dimanche 20 mars 2016

Les murs en galets de la Drôme

Soutenant les vignes, limitant les propriétés, les murs de galets ponctuent de leur charme les paysages emblématiques de la Drôme des Collines. Un  bâti traditionnel qui se dégrade, certains murs s’éboulent, disparaissent derrière le crépi, ou sont purement et simplement remplacés par des murs en agglos, bien plus faciles à monter. Ou pire : par des gabions !

L’utilisation des galets remonte à l’antiquité. C’est un matériau local d’origine à la fois proche et lointaine. En effet, on le trouve dans le lit des affluents du Rhône, en Galaure, Valloire, Isère, mais il provient de l’érosion des hautes montagnes par les glaciers du quaternaire. Ces pierres qui roulent jusqu’aux vallées, et se renouvellent en permanence, constituent un matériau accessible à tous. Alors, pourquoi dresse-t-on si peu de murs en galets traditionnels ?
La difficulté vient du nombre de manipulations nécessaires et du temps de construction. Seuls quelques artisans passionnés acceptent encore le challenge. Tout commence par le ramassage des galets dans la rivière, puis le transport sur le chantier, et le tri suivant le calibre. Ensuite, une part de technologie moderne simplifie le travail : un premier mur est monté en agglos, il servira de support, d’appui.  On peut alors commencer à aligner les galets contre le mur, en les fixant avec du mortier. Il faut de la patience, car chaque rangée de galets doit sécher avant d’empiler la suivante. Et un sens de l’esthétique, pour choisir les galets selon leur forme, leur couleur. La disposition en épis ou arêtes de poisson améliore leur tenue.

 On peut encore voir dans quelques villages de la Drôme des Collines de grandes maisons, des granges et même des églises, entièrement en galets, bien entretenues. Parfois le mur en galets se pare de piliers en molasse, témoignant d’un art vernaculaire parfaitement maîtrisé par les anciens. Alors, comme le Facteur Cheval, n’hésitez plus : à vos galets !

Article publié dans le JTT.

jeudi 10 mars 2016

Une stature internationale pour le nouveau musée de Colmar

Le célèbre musée Unterlinden de Colmar a fait peau neuve, grâce au talent des architectes suisses Herzog et De Meuron. Une aile moderne a été construite en face du cloître du XIIIème siècle, la prouesse étant d’unifier les deux bâtiments, situés au centre ville, par un passage souterrain, dissimulé sous une esplanade piétonne traversée par un canal. Inauguré par François Hollande en janvier 2016, le double espace assure la mise en valeur de 7000 ans d’histoire, de la Préhistoire à l’art contemporain.

Dans le couvent médiéval sont exposés les œuvres du Moyen-âge et de la Renaissance, Holbein, Cranach, Schongauer, avec en vedette le fameux retable d’Issenheim, de Mathias Grünewald. Ce trésor de l’art religieux a été créé pour le couvent des Antonins situé dans le village voisin d’Issenheim, entre 1512 et 1516. Une œuvre magistrale, peinte et sculptée sur plusieurs panneaux de tilleul, consacrée à la vie du Christ et à l'oeuvre de Saint Antoine, mêlant les références religieuses, fantastiques, médicinales, source d’inspiration de nombreux artistes contemporains. Le retable, exposé en plusieurs parties, occupe maintenant toute la chapelle, dans une mise en scène qui facilite son accès aux visiteurs.


Au XVIème siècle déjà, les visiteurs se pressaient pour prier devant lui, au couvent des Antonins d’Issenheim. Mais ce n’était pas par amour de l’art : pèlerins et malades espéraient ainsi  guérir du mal des ardents, ou feu de Saint Antoine. Une terrible et mortelle intoxication due à l’absorption de seigle fermenté. Les soins apportés par les Antonins étaient de 3 ordres : l'hygiène et la nourriture de bonne qualité ; la chirurgie des membres atteints et appareillage des infirmes. Enfin, le saint vinage : une infusion des reliques de Saint Antoine dans du vin…
 
Après l'initiation aux rites médiévaux, la déambulation dans le nouveau bâtiment, entre arts décoratifs alsaciens, toiles modernes, installations contemporaines, invite à goûter d'autres charmes de Colmar. Dans les ruelles animées de la ville ancienne, aux pittoresques maisons à colombage, on cultive la bonne chère : Tarte flambée et choucroute, munster et vins d’Alsace, forêt noire et kougelhof…, une cuisine héritée elle aussi du Moyen-âge. 

Article publié dans le JTT.

mercredi 2 mars 2016

Chronique littéraire : Les évaporés, de Thomas B. Reverdy

C’est ainsi qu’on appelle au Japon les personnes qui disparaissent un jour, sans laisser d’adresse. Pourquoi quittent-elles leur maison, leur famille ? Pour éviter la honte, les dettes, le chômage, des menaces, pour vivre une autre vie ?  Là-bas, c’est une opportunité envisageable, car personne ne les recherche.

Le roman de Thomas Reverdy est à la fois un roman policier, puisqu’il y a une enquête menée par un détective, une histoire d’amour difficile entre Yukiko et Richard, et une fresque sociale sur le Japon de l’après Fukushima. Quand les fonctionnaires sont incompétents et que les politiques s’inclinent devant le pouvoir économique, qui fait régner l’ordre ? Les yakusas, des hommes de main au service de l’argent de la mafia.
Des belles demeures de Kyoto au quartier des sans abris de Tokyo, puis au gigantesque chantier du Nord, où des intérimaires sans espoir déblaient les séquelles du tsunami, ce roman est une immersion dans un Japon actuel, entre rituels et modernité, politesse et corruption. Thomas Reverdy, romancier français né en 1974, a vécu dans ce pays paradoxal,  et sa prose délicate et poétique, émaillée de vocabulaire idiomatique, mêle parfaitement les attraits du Japon et sa complexité sociale.  

"Les évaporés" est disponible en poche chez J’ai lu.

Chronique publiée dans le JTT.