dimanche 25 novembre 2018

Festival Entrevues et réalité virtuelle

Le Festival Entrevues de Belfort se termine aujourd'hui.

Parmi les films d'auteur en compétition, le public a choisi de récompenser un court métrage expérimental : L'île des morts", de Benjamin Nuel. Un film à visionner avec un casque spécial, une expérience incroyable de réalité virtuelle.
C'est le dernier jour pour la tenter !

Qu'est-ce ? C'est une technologie informatique qui simule la présence physique du spectateur dans un environnement artificiellement généré par des logiciels. Après avoir enfilé le casque, on est totalement plongé dans un monde virtuel, qui pourtant semble si réel, qu'on a envie de toucher l'espace autour de soi pour vérifier.

Benjamin Nuel, né en 1981, est un créateur de films et de jeux vidéos. Il a choisi d'immerger le spectateur dans un mythique tableau d'Arnold Böklin : L'île des Morts. Immersion n'est pas un vain mot, on est plongé dans l'eau, puis entraîné dans la barque avec Charon, on se rapproche de l'île, on accoste. Involontairement nos mains essaient de toucher l'eau, la barque, l'ile, virtuelles qui semblent si réelles, c'est déstabilisant, une impression fantastique. Supérieur à la 3D, voilà le cinéma de demain.


dimanche 18 novembre 2018

Chronique littéraire : Un loup pour l'homme, de Brigitte Giraud


1960 : La guerre d’Algérie, vue du côté d’un appelé. Antoine, tout juste marié, a été déclaré apte, il doit partir, désolé de laisser à Lyon sa femme enceinte. Il demande à ne pas porter les armes et est affecté comme infirmier à l’hôpital de Sidi-Bel-Abbès. S’il n’est pas au cœur des opérations militaires, il en affronte les conséquences dramatiques. La violence, la peur, sapent le moral des troupes, les soldats sont traumatisés. Oscar, jeune caporal amputé, est le symbole d’une jeunesse détruite. Antoine essaie de l’apprivoiser, de le réconforter.
L’arrivée imprévue de sa femme Lila, courageuse et insouciante, venue accoucher en Algérie, lui donne un statut particulier, mais n’arrive pas à le distraire de l’horreur qu’il vit au quotidien. Antoine est le témoin de la sauvagerie des hommes, et la bulle conjugale ne peut le combler. La fille de Antoine et Lila naît, c’est Brigitte Giraud elle-même, qui rend ici un hommage particulier à ses parents, à leur humanité. Elle brosse avec des mots simples et retenus un portrait sensible des traumatismes engendrés par cette guerre.
Brigitte Giraud est une écrivaine française, auteure de nombreux romans et nouvelles. Elle vit à Lyon. Son dernier roman vient de paraître en poche chez J’ai Lu.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 22 novembre .

samedi 10 novembre 2018

Le porte-bonheur de la Grande Guerre : Nénette et Rintintin

Le dessinateur Francisque Poulbot est connu pour ses illustrations des « titis » parisiens. On a oublié que, patriote convaincu, agacé de la mainmise allemande sur le secteur du jouet en France, il fut le créateur de deux petites poupées, nommées Nénette et Rintintin, surnoms que sa femme et lui se donnaient dans l'intimité. Commercialisées d’abord sous forme de poupées à tête de porcelaine, les « poupées Poulbot », Nénette et Rintintin devinrent très vite deux petits pantins fabriqués et reliés en fils de laine. Très populaires en 1918, ils étaient offerts au fiancé, à l'être aimé, qui partait au front et les gardait autour du cou comme porte-bonheur.

Après ce début romantique et français, l'histoire s'échappe pour connaître un retentissement mondial. Le 15 septembre 1918, le caporal américain Lee Duncan découvre une femelle berger allemand et ses cinq chiots de quelques jours, seuls survivants du chenil d'un camp de l'armée impériale bombardé. Les soldats se partagent les six chiens. Le caporal Duncan adopte deux chiens qu'il nomme Nénette et Rintintin en référence aux poupées fétiches que les enfants lorrains offrent aux soldats pour leur porter chance.

Quelques mois plus tard, Duncan rentre aux Etats-Unis avec ses chiens. Mais Nénette meurt durant la traversée de l'Atlantique. Rintintin, exceptionnellement doué, se produit dans divers spectacles. Le producteur et réalisateur de cinéma Darryl Zanuck le voit sauter à plus de quatre mètres pour franchir une palissade. Il demande à filmer le chien, et c'est le début d'une immense carrière d'acteur : Rintintin jouera dans une trentaine de westerns produits par la Warner Brothers, à partir de 1923. Rintintin y interprète le rôle d'un chien de la cavalerie US, prodigieusement intelligent, qui assure souvent le succès des missions avec son petit maître Rusty.

Rintintin meurt le 10 août 1932, à l'âge de treize ans. Lee Duncan le fait rapatrier en France et enterrer au Cimetière des Chiens à Asnières-sur-Seine, en banlieue parisienne.Mais Rintintin reste une star, il a son étoile sur Hollywood Boulevard !

Article publié dans le JTT du jeudi 8 novembre.

samedi 3 novembre 2018

Le cimetière, miroir de la société

L'association Tain, Terre et Culture a proposé mercredi dernier au public une conférence de André Chabot, photographe natif de Tain et spécialiste mondial de l'art funéraire. Si le thème, le passage du cimetière chrétien au cimetière laïc, était austère, la présentation, images à l'appui, a passionné le public. Une approche « vivante » de la sociologie des cimetières et de l'évolution artistique qui l'accompagne.

Jusqu'au 19ème siècle, la mort était prise en charge par la religion. Les grands thèmes religieux, Christ, Vierge, anges, pleureuses, colonnes brisées, ornaient alors les tombes les plus riches, celles des ecclésiastiques et des aristocrates. En 1860 les cimetières sont municipalisés. L'Eglise officie alors aux obsèques, mais l'enfouissement est désormais confié aux laïcs. La statuaire funéraire se modifie avec l'émergence d'une bourgeoisie industrielle et matérialiste. On passe de l'espoir de la résurrection à une symbolique centrée sur la vie sur terre, à travers le métier, la philosophie, les sciences.
Le 20ème siècle avec les grands massacres collectifs marque la disparition progressive des rituels. Après la multiplication de tombes guerrières, la société civile prend le pas, anarchistes, libre-penseurs, poètes, affichent leurs convictions. La faucille et le marteau, les symboles francs-maçons, les citations parfois humoristiques ou impertinentes, remplacent les signes religieux sur les tombes. Le matérialisme et l'individualisme contemporains s'expriment librement, on personnalise le défunt à travers ses loisirs, son travail : pompier, footballeur, motard ou clown...

André Chabot est un spécialiste mondial de l'image funéraire. Installé depuis longtemps à Paris, il parcourt tous les grands cimetières de la planète, rapportant des séries de clichés étonnants, dont plusieurs font l'objet de livres d'art. Sa dernière parution rend hommage aux tombes des soldats de la Grande Guerre. Les photos présentées lors de la conférence, prises en Russie, en Argentine, en Europe, sont révélatrices de l'identité des peuples : en Argentine, les musiciens ont leur carré, ils sont représentés grandeur nature avec leurs instruments. En Russie, les militaires bardés de décorations, les cosmonautes avec leur fusée, voisinent avec les oligarques affichant une réussite de mauvais goût, assis sur des fauteuils présomptueux, leurs clés de Mercedes à la main.

Actuellement, tout est possible pour personnaliser une tombe, tant dans les matières, marbre, granit, bronze, que dans les décors, sculptés, forgés, photogravés ... Les créations florales, les assemblages de cailloux, de cœurs, les offrandes, les messages complètent et entretiennent une ambiance autour du corps du défunt. 
Après avoir photographié et analysé des milliers de tombes, André Chabot ne pouvait pas rester indifférent à la sienne; qu'il souhaite emblématique du 21ème siècle. Au Père-Lachaise, dans une chapelle restaurée, son caveau est prêt : sur un mur de
pierre vertical, un énorme appareil photo regarde le visiteur. Pas de nom, pas d'épitaphe, mais un QR Code qui renvoie au site internet de l'association créée par André et sa femme Anne : « La mémoire nécropolitaine ».

Article publié dans le JTT du jeudi 1 novembre.