vendredi 29 janvier 2021

Les Roches qui dansent

A une dizaine de kilomètres de Tain, en Drôme des Collines, un lieu étonnant, atypique, attire les promeneurs.  Dans un petit bois de châtaigniers et de chênes, à environ un kilomètre de Saint-Barthélémy-de-Vals, une cinquantaine d’énormes blocs de grès gardent encore tout leur mystère. Ces curiosités géologiques naturelles, organisées en une étrange géométrie, évoquent, par leurs formes bizarres, les symboles gravés, un lieu de culte druidique. Classées au patrimoine national sous le nom de Cromlech-de-la-roche-qui-danse, on les appelle ici simplement Les roches qui dansent.

Les légendes s’y rapportant sont nombreuses : La plus répandue : des fées y invoquaient les esprits, faisant vibrer les roches qui se mettaient à bouger et à danser, une fois par an, la nuit de Noël. Une autre légende raconte que les druides y officiaient aux solstices de Noël et de la Saint-Jean. Toujours est-il que ce lieu magique continue d’intriguer les scientifiques mais reste une énigme. Ce qui lui confère une auréole de mystère.

L’endroit fut réellement occupé dès l’âge du bronze, en témoignent des sépultures retrouvées alentour, dont certaines de la période celte. Au fil des siècles, plusieurs blocs ont disparu sous le marteau des carriers, qui en extrayaient des meules, et la plupart des pierres plantées verticalement ont été déplacées, renversées, fracturées, pour être employées à diverses constructions. Dommage, car les intervalles vides aujourd'hui empêchent de visualiser la triple enceinte elliptique d’avant. Ce qui est sûr, c’est que l’endroit est très fort en énergie tellurique et cosmique, les arbres tordus en témoignent.

Si parfois, on y rencontre des gens en méditation, voire en prière, les Roches qui dansent sont surtout un lieu de promenade agréable, intrigant. Aménagé pour les pique-niques, il est aussi idéal pour les amateurs d’escalade !


*Cromlech = monument mégalithique préhistorique constitué par un alignement de monolithes verticaux (menhirs)




Article publié dans le JTT du jeudi 28 janvier 2021.

jeudi 21 janvier 2021

Chronique littéraire : Le consentement, de Vanessa Springora

A l’heure où Camille Kouchner dénonce l'inceste dans sa célèbre famille de l’élite politico-universitaire parisienne, la lecture du livre de Vanessa Springora, sorti l’an dernier, et maintenant disponible en Livre de poche, est éclairante. L’abus d’enfants concerne tous les milieux. Le point de départ commun à ces actes pédophiles ? La présence d’un enfant fragile face à un prédateur qui a de l’ascendant sur lui.

Vanessa Springora raconte sa descente aux enfers, connue et tolérée alors par le milieu artistique. Un constat accablant pour notre société : dans les années 1990, on pratiquait une bienveillance décomplexée par rapport aux prédateurs sexuels, consommateurs de jeunes adolescents. Le photographe David Hamilton, le peintre Balthus, le cinéaste R. Polanski … et dans ce livre l’auteur Gabriel Matzneff, mettaient en scène leur goût pour les nymphettes sous les applaudissements des critiques.

Vanessa fut une de ces proies. Dans sa famille désunie, père absent, violent et volage, mère dépassée multipliant les amants, elle ne comptait pas. Petite adolescente introvertie, elle se sentait rejetée, différente et surtout laide, jusqu’au jour où G. posa ses yeux sur elle. Un regard d’homme, des déclarations d’amour passionnées, signées d’une célébrité, elle se sentit exister, se sentit désirée, et céda à ses avances. Elle consentit. Chaque jour G. l’attendait devant le collège et l’emmenait à l’hôtel. Mais elle avait 14 ans et lui 50. La mère laissait faire, le père avait disparu.

Au début, cette relation a comblé V., introduite dans les salons parisiens, accompagnant même G. lors de ses prestations télévisées. Elle se sentait importante, belle, côtoyait des gens intéressants. Et puis elle découvrit peu à peu que G. menait plusieurs relations à la fois, que d’autres fillettes couchaient avec lui. De plus il voyageait régulièrement en Indonésie pour se payer les services sexuels de jeunes garçons. Tout cela, il le décrivait dans ses livres, sans que personne n’y trouve rien à redire, au contraire, on lui décernait des prix. V. déstabilisée, malheureuse, s’interrogeait, mais à qui confier l’indicible ? Elle n’avait plus d’amis à elle. Elle voulait rompre, mais G. refusait de lâcher sa proie.

Honteuse de ses actes, complètement sous influence, il lui faudra des années de galère, d’errance, de psychothérapie, avant de comprendre qu’elle n’était pas coupable, mais victime. C’est par l’écriture qu’elle pourra enfin se reconstruire. Libérer ce secret qui l’étouffait et l’empêchait de vivre depuis des années.

Un témoignage nécessaire, écrit sans pathos, mais avec l’espoir de démonter le processus, d’empêcher qu’il se reproduise. Et que les paroles se libèrent enfin.


Chronique publiée dans le JTT.

dimanche 10 janvier 2021

Deux pionnières en pédagogie

Maria Montessori et sa pédagogie

On célèbre cette année les 150 ans de la naissance de Maria Montessori (1870-1952 ), Italienne mondialement connue pour la méthode pédagogique qui porte son nom. En France, on compte plus de 200 établissements et dans le monde 35 000 écoles Montessori. Dans la région Drôme-Ardèche, il en existe à Valence, Romans, Die, Pierrelatte, et même Lablachère (sous l’impulsion de Pierre Rabhi). Ces écoles ne sont pas sous contrat, donc ne reçoivent aucune subvention de l'État, ce qui les différencie du reste de l'enseignement privé, les parents doivent donc rémunérer l’école. Elles s’adressent aux jeunes enfants, en maternelle ou primaire. 

Mais comment une pédagogie créée en 1907 dans un quartier pauvre de Rome par Maria Montessori est-elle devenue la marotte éducative des bobos de l’Occident ?


La méthode

Le programme des écoles Montessori favorise la confiance en soi, l'autonomie, la motivation, la curiosité, la créativité, la sensorialité. Elle promeut la maîtrise de soi, le respect des autres et les capacités d'adaptation. Comment ? A travers un enseignement individualisé, respectant le rythme d'apprentissage de chaque enfant, et en partant toujours du concret (grâce à un matériel spécifique) pour aller vers l'abstrait. Pas de classe de niveau, de programme obligatoire, mais un éveil passant par les activités de nature, parfois l’entretien d’un jardin, d’un poulailler, des sorties en forêt, réutilisés ensuite à l’école. Maria Montessori affirmait : « L'intellect de l'enfant ne travaille pas seul, mais, partout et toujours, en liaison intime avec son corps, et plus particulièrement avec son système nerveux et musculaire. » 


La vie mouvementée de Maria Montessori

Née en 1870, Maria Montessori a d’abord dû se battre pour avoir le droit d’étudier comme les garçons. Elle a lutté toute sa vie pour faire évoluer le statut des femmes. Elle fut une des premières femmes médecins d’Italie, portée par une volonté et un charisme extraordinaires. Spécialisée en psychiatrie, elle étudie les enfants déficients mentalement. Observe qu’ils n’ont aucun jeu à leur disposition, alors qu’ils auraient besoin d'action pour progresser et développer leur intelligence. Elle se bat pour changer leur statut, leur procure du matériel, obtient des résultats probants. Et commence à enseigner sa pédagogie spéciale dans les écoles de formation des maîtres. Tout en complétant ses connaissances par des voyages d’étude, à Paris, à Londres, des cours de psychologie et philosophie. Conférences, publications, elle devient professeur à l’université de Rome en 1904.

En 1906, elle se tourne vers les enfants « normaux » d'âge préscolaire. Et ouvre la première Maison des enfants (Casa dei bambini) en 1907 dans le quartier populaire San Lorenzo à Rome. Les enfants bénéficient d’une « petite maison » pour y vivre la journée. Les parents y ont libre accès, en contrepartie, ils doivent veiller à la propreté et à la bonne tenue vestimentaire. La Casa dei bambini devient une base de recherche, un laboratoire d'expérimentation où Maria Montessori construit et éprouve sa méthode qui s’appuie sur la liberté de choix des élèves, l’autodiscipline, le respect du rythme de chacun et l’apprentissage par l’expérience, avec un mobilier et un matériel pédagogique adaptés. Encore une fois, c’est un succès. De 1909 à 1918, elle forme ses premiers enseignants, organise des cours internationaux, crée des maisons d'enfants pour de nombreuses organisations caritatives, multiplie les voyages à l’étranger et les conférences. En 1929 elle fonde l'Association Montessori Internationale. En conflit avec Mussolini, Maria Montessori quitte l'Italie et s'installe en Espagne, puis aux Pays-Bas, enfin en Inde, de 1939 à 1946, poursuivant inlassablement ses conférences. De retour en Europe en 1946, elle poursuit son travail, et meurt à Noordwijk aux Pays-Bas en 1952 à l'âge de 81 ans, alors qu’elle préparait un cycle de conférences en Afrique.

Pour en savoir plus : Une biographie très complète : « Maria Montessori, une vie au service de l’enfant », vient de sortir chez Desclée De Brouwer.


 Pauline Kergomard

Sans atteindre la renommée de Maria Montessori, mais quelques années avant elle, la Française Pauline Kergomard (1838-1925) fut une pédagogue exceptionnelle. Pauline Kergomard est à l'origine de la transformation des salles «d' asile», établissements qui accueillaient les enfants pauvres, dans des locaux exigus, sans hygiène, où on pratiquait une sorte de dressage, en écoles maternelles. Elle introduisit le jeu, qu'elle considérait comme pédagogique, les activités artistiques et sportives. Elle prôna une initiation à la lecture, à l'écriture et au calcul, avant cinq ans. Elle s'opposa toutefois à la tendance de faire de ces écoles des lieux d'instruction à part entière, s'attachant plutôt favoriser le développement naturel de l'enfant. En 1881, Jules Ferry fit d'elle l'inspectrice générale des écoles maternelles, poste qu'elle occupa jusqu'en 1917, alors âgée de 79 ans ! Des écoles, dont une à Tournon, portent le nom de Pauline Kergomard, une façon de rendre hommage à cette pédagogue novatrice et méconnue. 


Héritage

Le ministre de l'éducation nationale Jean-Michel Blanquer s'est dit en 2017 favorable à l'esprit Montessori : « Je suis pour la créativité, la diversité des expériences. Au-delà du génie pédagogique qu'était Montessori, c'est sa démarche qui est importante. »

Et le 16 octobre 2020, Brigitte Macron, visitant les locaux de sa future « école de la deuxième chance » pour adultes, LIVE, qui ouvrira sur le boulevard à Valence en février 2021, en a précisé l’esprit : « "C'est une méthode un peu à la Montessori, un suivi personnalisé".


Article publié dans le JTT du jeudi 7 janvier 2021. 

mardi 5 janvier 2021

Déguster la Chartreuse

La Chartreuse est un massif des Préalpes, situé entre Vercors et Jura, entre Grenoble, Chambéry et Voiron. Malgré la proximité géologique et géographique avec ses deux voisins, la Chartreuse présente une configuration différente. Pas de grands plateaux, mais un relief tourmenté, entaillé par des vallées abruptes. Terre d’élevage, de vastes forêts, de travail du bois et du fer extrait autrefois dans les mines, elle est en partie devenue un parc régional naturel offrant d’innombrables randonnées, qu’on vise les sommets comme Chamechaude (2082 m), Charmant Som (1867 m) ou la Dent de Crolles (2062m). Qu’on préfère le sentier des cascades du cirque Saint-Même ou l’immense forêt domaniale. A pied, VTT, en raquettes, à ski de fond, les petits villages du massif proposent toutes sortes d’accompagnements sportifs ou ludiques. Sans oublier escalade, parapente et balnéothérapie.

La Chartreuse est terre de frontière : à cheval sur Isère et Savoie, auparavant zone frontière entre France et Italie. De quoi favoriser l’installation de populations recherchant la tranquillité, comme les moines.  En 1080, Bruno et six compagnons demandent à Hugues, évêque de Grenoble, l’autorisation de s’installer dans un endroit désert de la montagne. Ce sera à Saint-Pierre-de-Chartreuse.  Le premier ermitage érigé en bois à Casalibus, en 1084, deviendra le berceau d'un grand ordre contemplatif, les Chartreux. Emporté par une avalanche en 1132, il fut reconstruit en pierre en 1133 un peu plus bas. On ne visite pas le monastère, voué au silence et à la prière, mais un musée est installé à la Correrie, deux kilomètres avant. Ce bâtiment, réservé autrefois aux frères convers, des laïcs qui assuraient les tâches quotidiennes ainsi que la mise en valeur du domaine, recevait aussi le courrier, d’où son nom. Le musée retrace l'histoire et la vie simple et sobre des Chartreux. Mais à la boutique, on peut se lâcher … et acheter la fameuse liqueur de Chartreuse, sous toutes les formes : flacons, mignonnettes, bonbons, chocolats (la distillerie a été transférée à Voiron).

Un autre musée exceptionnel a vu le jour à Saint-Hugues-de-Chartreuse : le musée départemental d’art sacré. En 1949, Arcabas, alors jeune professeur aux Beaux-arts de Grenoble, cherchait une église à redécorer entièrement. Le prêtre et le maire de Saint-Hugues ont accepté son projet et mis l’église poussiéreuse du village à sa disposition. Dès 1952, Arcabas et ses étudiants ont commencé à nettoyer, enduire les murs, avant que l’artiste puisse exprimer toute sa créativité, dans une dominante de couleurs rouge, or et noir. Les murs étant humides, il a peint les scènes de la vie quotidienne et de la vie religieuse sur de grandes toiles de jute suspendues dans toute l’église. Jusqu’en 1972, il a conçu non seulement le décor mural, mais aussi les vitraux, sculptures, candélabres, tabernacle et autel. Après être passé du figuratif (les toiles) à l’abstrait (les tableaux du Couronnement placés au-dessus), il est revenu terminer son œuvre en alliant les deux tendances dans les petits tableaux de la Prédelle (en dessous). En tout 111 tableaux légués par Arcabas au département de l’Isère en 1984. Un ensemble contemporain extraordinaire, une éblouissante polyphonie de couleurs.

Nature, culture, sport et détente, les grands espaces de la Chartreuse sont une belle destination de proximité pour se régénérer. A votre santé !


Article publié dans le JTT du jeudi 31 décembre 2020.