mercredi 27 mars 2013

Ferdinand Hodler à la Fondation Beyeler


F. Hodler (Bern, 1853- Genève, 1918) est le plus célèbre des peintres suisses. Et le plus suisse des peintres célèbres. Son œuvre magnifie, en d’immenses paysages bleutés, le Mont Banc, le lac Léman, ou la Jungfrau. Il représente parfaitement la transition entre le réalisme du XIXème siècle et l’expressionnisme du XXème.
Des lignes fortes, des couleurs affirmées, une recherche constante d’amélioration, l’exposition qui lui est consacrée, à la Fondation Beyeler, s’attarde sur ses dernières années, des années de célébrité, puisqu’une de ses œuvres, le Bûcheron était alors représenté sur les billets de 100 CHF. Mais aussi années de guerre, de tristesse, avec le décès de Valentine, sa muse, qu’il a peinte jusque dans ses ultimes instants.

La Fondation Beyeler, près de Bâle, est un musée à l’élégance dépouillée, inondé de lumière naturelle, conçu par Renzo Piano. Un ensemble de sobres bâtiments de porphyre et de verre, intégrés dans un jardin où l’eau, la végétation, le ciel, forment un décor harmonieux et paisible en toutes saisons. Il possède une importante collection d’œuvres modernes des XIXème et XXème siècles, réunies par le couple de galeristes Beyeler, et présente des expositions temporaires renommées.

Ce mois-ci, la Fondation expose aussi, pour la première fois, la donation Renard, une série d’œuvres d’art contemporain, léguées par un couple de collectionneurs français, amis des Beyeler.
Mais pourquoi n’a-t-on pas gardé en France cet ensemble de toiles de Basquiat, Dubuffet, Tàpies ... ? 
Nos billets en euros auraient tant besoin d’illustrations originales !


samedi 23 mars 2013

World Tricot, le passionnant combat d’une femme.


En prélude à « La fête des aiguilles », thème de l’animation de printemps à la Bibliothèque, une visite à World Tricot, PME locale, au combat médiatisé, et à sa dirigeante charismatique, Carmen Colle s’imposait.

WT est une petite entreprise née à Lure, dans les années 1980, qui s’est spécialisée dans la confection de vêtements en maille pour la haute couture. Très vite fournisseur des grands créateurs. Et pourtant, Carmen Colle, l’initiatrice et la cheville ouvrière du projet, ne savait pas tricoter et ne connaissait personne ! Son projet était de redonner leur dignité à une poignée de femmes exclues, en les réinsérant dans le monde du travail, à travers une activité familière. Comment a-t-elle réussi à les motiver, les former, faire éclore leur talent ? Mystère. Toujours est-il que son association, devenue une SARL florissante, comptait près de 80 salariés dans les années 1990. Et, dans les années 2000, travaillait pour une clientèle internationale.

Mais en 2005, à l’occasion d’un voyage au Japon, Carmen Colle a repéré dans une boutique Chanel un de ses modèles copiés. Elle a porté plainte contre l’entreprise Chanel. Une longue procédure a commencé, pleine de rebondissements, avalant toutes les ressources de la petite entreprise luronne. Le combat de David contre Goliath s’est terminé par la reconnaissance de la contrefaçon par Chanel, mais la liquidation judiciaire pour WT, exsangue.
Carmen Colle s’est battue comme une lionne, un courant de solidarité s’est créé autour d’elle, des sponsors locaux ont permis le redémarrage de  WT.
Plus qu’une petite dizaine d’employées, mais la créativité, la qualité, sont toujours là, pour les clients du haut de gamme, français, suisses, émiratis ou canadiens… Carmen a déjà un autre projet : ouvrir une école professionnelle de haut niveau, afin de  transmettre ce savoir-faire d’exception aux générations futures. Elle vient tout juste d’être récompensée de son implication par le titre de Chevalier des Arts et Lettres.

Vous pouvez visiter le site de World Tricot sur Internet. Mais si vous passez par Lure, ne manquez pas de faire un tour à la boutique, ouverte chaque samedi. On y trouve des pièces merveilleuses de légèreté et de confort, en mohair, alpaga, mérinos, cachemire, lin ou bambou. Plaisir des yeux, et du toucher. Et si vous craquez, tant mieux, c’est pour une bonne cause !

dimanche 17 mars 2013

Chronique littéraire : La Papesse Jeanne


A la croisée de la Journée de la Femme et du Conclave, j’ai trouvé une histoire encore plus bluffante que celle du Pape des pauvres : la vie de la Papesse Jeanne

Elle commence au début des années 800, après la mort de Charlemagne. Jeanne est une petite fille très intelligente, écrasée par son père, un chanoine borné. Eh oui, les religieux sont mariés, mais ne manifestent aucune sensibilité pour autant. L’époque est rude, c’est l’Age des Ténèbres : Francs, Normands, Sarrasins et Saxons s’étripent, chrétiens et païens s’entretuent au nom du Ciel, les hommes battent femmes et enfants, les élèves subissent les sévices des professeurs, peste et lèpre déciment la population. Les superstitions, l’illettrisme, la misère, la barbarie complètent le tableau. Malgré ce contexte violent, Jeanne va réussir à suivre son chemin, un chemin rempli d’embûches, de sacrifices mais aussi de lumière et de gloire.

Comment est-ce possible pour une fille, considérée comme un simple morceau de viande à l’époque ? Eh bien, elle décide, après de brillantes études de latin et grec dans une abbaye allemande renommée, de se déguiser en garçon, pour pouvoir prendre l’habit de moine dans un couvent lointain. Ses compétences médicales, religieuses et littéraires l’entraînent  de Germanie jusqu’à Rome, à la cour du pape Léon, à qui elle succède en 855.
Et comment le subterfuge est-il découvert ? Quand la Papesse Jeanne accouche en public !

Si vous cherchez sur Internet, vous verrez que nombre d’auteurs, de Boccace jusqu'à Yves Bichet, se sont emparé de cette histoire légendaire, pour écrire romans, scénarii et autres pamphlets. Moi, j’ai lu l’ouvrage de Donna Cross, un récit historique très documenté sur le IXème siècle, période obscure, où quelques lueurs apparaissent : goût du savoir, des voyages, reprise des constructions urbaines. L’intrigue est palpitante, les personnages hauts en couleur sont mus par une impressionnante volonté, et une belle romance amoureuse pimente le tout. Une lecture fascinante.

Ce qui accrédite la légende, en l’absence d’archives, détruites après le scandale : l’existence d’une chaise percée au Vatican, par laquelle le Pape, jusqu’au XVème  siècle, se devait de montrer discrètement ses testicules* à un serviteur, pour éviter toute méprise. Ainsi que la carte de la Papesse dans les tarots, symbole de la polémique antipapiste qui s’est développée ensuite autour d’elle.

*« Duos habet et bene pendentes » ( Il en a deux, et bien pendantes )

jeudi 14 mars 2013

Syngué sabour, pierre de patience


Le roman écrit en français par l’auteur afghan Atiq Rahimi, né à Kaboul en 1962, avait obtenu le prix Goncourt en 2008, et un succès mérité. Le film éponyme, mis en scène par l’auteur,  fidèle au texte, est une pure merveille.

Malgré le cadre hostile (Kaboul en guerre, en ruines) et l’intrigue minimale (une jeune femme monologue devant le corps inerte de son mari), il se dégage force et beauté du film. Tous les tabous de la société afghane, enfermement de la femme, domination patriarcale, omniprésence guerrière, sont ici subtilement remis en question. Et la fin couronne une révolte secrète mais intense.

Force, beauté, sensualité, sont les principales caractéristiques de l’actrice iranienne qui porte le film : Golshifteh Farahani. Dans les tâches humbles de la maison, laver, changer, renouveler la perfusion du blessé, ou courant au milieu des gravats, des explosions, pour chercher de quoi nourrir ses fillettes, même en tchador, sa présence lumineuse est indiscutable. Son rôle, c’est maintenir la vie. Elle est la vie même, fragile et têtue.
Les hommes à côté ne pensent qu’à détruire, tuer,  ils possèdent le pouvoir, mais sont handicapés des sentiments. La grandeur du film, c’est de montrer comment leur image forte mais stérile peut se lézarder. A l’instar du mari, blessé d’une balle dans la nuque, mais pas dans un combat héroïque, non, dans un vulgaire règlement de comptes.

Syngué sabour, en persan, signifie pierre de patience, cette pierre magique qui absorbe tous les secrets, les confessions, les malheurs, avant l’implosion libératrice.

lundi 11 mars 2013

Le Chêne de Flagey est de retour au pays


C’est un arbre majestueux qui a fait le tour du monde pendant 150 ans. Œuvre majeure de Gustave Courbet, peinte en 1864, le Chêne de Flagey, d’abord acheté par un collectionneur américain, a ensuite été attribué par héritage à un musée de Philadelphie. En 1987, il a été racheté par un amateur japonais, qui vient de le céder à la France. Une souscription publique a été nécessaire pour qu’il retrouve sa terre natale, celle où il a réellement poussé pendant des siècles, jusqu’à ce qu’il soit foudroyé au début du vingtième siècle.

Ce Chêne est le seul exemplaire du genre dans l’œuvre de Courbet, et beaucoup d’exégètes en ont donné des interprétations idéologiques. Moi, simplement, je ressens en le regardant la force paisible de la nature, celle qu’a voulu exprimer le peintre, un enracinement dans la Franche-Comté, défi au parisianisme de l’époque. Le fait aussi  qu’il dépasse le cadre est une belle métaphore de la vie, au-delà des limites. Enfin ce vert, ces verts, toute la vallée de la Loue et sa lumière s’y retrouvent. Pays de Courbet, pays d’artiste. Les paysages de la région, fondateurs de son œuvre, sont préservés et mis en valeur.

Le musée Courbet d’Ornans a réservé au Chêne de Flagey une place d’honneur dans ses nouvelles installations, et dimanche, c’était la fête. Première présentation publique, ouverture exceptionnelle gratuite, une foule d’amateurs d’art s’est pressée toute la journée pour l’admirer. Le Chêne de Flagey a retrouvé son terroir.

Et avec le large choix de reproductions sur timbres, enveloppes, cartes postales, posters… une forêt de petits chênes a essaimé dans toute la région. 

lundi 4 mars 2013

Chronique littéraire : La couleur des sentiments, de Kathryn Stockett


Un passionnant récit sur la condition des Noirs dans l’Amérique des années soixante. La ségrégation est institutionnelle, le racisme s’exerce au quotidien. Mais les premières luttes raciales couvent, sous l’impulsion de Martin Luther King.

Dans les belles maisons des Blancs, ce sont les Noirs qui font le ménage, la cuisine, s’occupent du jardin. Les Blancs travaillent, font de l’argent, leurs femmes se pomponnent et donnent des soirées. Leurs enfants ne connaissent que l’amour de leurs nounous à la peau sombre. Pourtant, elles n’ont même pas le droit d’utiliser leurs toilettes !
Pas étonnant qu’une jeune femme blanche, Skeeter, marquée par le départ forcé de sa nounou Constantine, qui l’a élevée avec tendresse pendant plus de vingt ans, essaie de lui rendre justice en écrivant son histoire. Celle de toutes ces femmes noires exploitées, qui assurent la vie quotidienne, et ne récoltent que mépris et précarité. Abileen et Minny, deux employées rebelles, se décident à témoigner, malgré la peur et les intimidations de leurs horribles patronnes.
Peu à peu l’amitié et la sincérité se glissent entre les domestiques noires et la journaliste blanche. Le temps des confidences, celui de la gestation du livre, modifient les rapports, sa sortie bouleverse les vies, inaugurant une ère nouvelle.

Kathryn Stockett est née en 1969 à Jackson, Mississipi, c’est d’ailleurs là qu’elle situe son récit, publié en 2010. Une adaptation cinématographique a été réalisée en 2011.
La couleur des sentiments est disponible en édition Babel, au prix de 9.90 €.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 28 février 2013.

samedi 2 mars 2013

Le Lycée Polonais de Villard-de-Lans

En plein centre de Villard-de-Lans, une pancarte surprend : Rue du lycée polonais. Si la curiosité vous incite à suivre cette rue pour en savoir plus, vous apercevrez, à l'abandon, un grand bâtiment fermé, dont l'enseigne est à peine visible : Grand Hôtel du Parc et du Château. Une plaque y est apposée : "Ici a été hébergé le Lycée Polonais entre 1940 et 1946".
Pour lever le mystère, direction la Maison du Patrimoine, où une exposition reconstitue toute l'histoire de ce lycée, une extraordinaire histoire de résistance  et d'amitié.

Septembre 1939 : L 'Allemagne envahit la Pologne, des milliers de réfugiés affluent en France, terre d'accueil traditionnelle. Un lycée polonais est créé à Paris, pour assurer la scolarisation des enfants exilés, ainsi que celle des jeunes émigrés de deuxième et troisième génération. C'est le seul établissement secondaire polonais de l'Europe occupée.
Juin 1940 : Les Allemands vainqueurs entrent à Paris, la France est coupée en deux, il faut délocaliser le lycée en zone libre. La région de Grenoble, où vit une communauté polonaise, est pressentie. Mais où trouver un endroit tranquille, pourvu des bâtiments nécessaires à l'internat ? Villard-de-Lans, destination touristique, et son Grand Hôtel du Parc et du Château sont choisis.

Plus de huit cents élèves, filles et garçons, ainsi qu'une soixantaine de professeurs, vont se succéder dans la petite commune rurale, pour recevoir un enseignement franco-polonais de haut niveau. Au début, les deux communautés restent sur la défensive, s'observent, mais rapidement des liens se créent. Des employés sont recrutés. Les jeunes aident les paysans pour les récoltes pendant l'été. La chorale du lycée anime les messes dominicales. Les équipes de football, de ski, de boxe, fraternisent. Et surtout, Polonais et Villardiens ont un objectif commun : la résistance aux Nazis, déjà opérationnelle dans la communauté polonaise, et qui s'organise dans le Vercors.

Janvier 1943: La zone libre est envahie à son tour. Départs clandestins pour Londres, pour certains Polonais, intégration aux FFI pour d'autres, participation aux différents combats du Vercors, arrestations, exécutions, déportations. Les élèves et professeurs Polonais partagent les activités de la Résistance, et comme eux subissent de lourdes pertes à Vassieux en juillet 1944.

A la fin de la guerre, la Pologne reste occupée, mais sous le joug de l'URSS. Le directeur du lycée est remplacé par un agent à la solde de Moscou. Les élèves regagnent leurs familles, le lycée réinvestit ses locaux à Paris. C'est la fin d'une belle aventure intellectuelle, montagnarde et solidaire. 
Le lycée polonais, foyer d'indépendance et de rébellion, a cependant contribué à former l'élite de la Pologne actuelle : professeurs, écrivains, avocats, médecins, journalistes, hommes politiques...

Un tiers des Polonais est reparti au pays, la moitié des survivants est restée en France. Mais tous ont contribué à pérenniser les liens entre Villard-de-Lans et la Pologne, cultivant la mémoire de ce lycée extraordinaire, où le mot d'ordre était : "Pour notre liberté et pour la vôtre".