samedi 27 octobre 2012

Chronique littéraire: Un garçon singulier, de Philippe Grimbert

Un roman d'apprentissage sous la forme d’un thriller freudien : Louis, étudiant solitaire, déboussolé dans l’après 68, découvre une offre d’emploi pas banale : il s’agit de s’occuper d’un adolescent « difficile », qui vit avec sa mère dans une station balnéaire du Calvados. Précisément l’endroit où Louis, enfant, passait ses vacances. Curieux et nostalgique, il accepte la proposition.

Il doit alors affronter à la fois deux sortes de difficultés : la responsabilité d'un gamin différent et l’emprise de souvenirs gênants. Pas facile d’être jeune homme au pair face à Iannis, 16 ans, autiste, à la fois violent et sensible, très intuitif. D’autant que son étrange mère, Héléna, exige elle aussi du temps et une attention malsaine.
Dans l’atmosphère irréelle et grise de la station balnéaire hors saison, les douleurs de l’enfance, celle de Louis et celle de Iannis, se répondent. Quelques moments lumineux de connivence, d'autres gâchés par la présence de la mère. Les trois personnes s’apprivoisent pourtant, et tissent des liens originaux. Suffisamment forts pour que  Louis gagne le pouvoir de résister à l’indifférence et à la perversion, avec chaleur et justesse.
Un style sobre, des allusions poétiques, rendent à merveille l’ambiance douce- amère du huis clos dans la villa isolée sur la plage. Les jeunes gens sont justes, leur évolution attachante.

Philippe Grimbert, né en 1948 à Paris, est écrivain et psychanalyste. Son œuvre littéraire est nourrie de sa connaissance des secrets de l’âme. Un garçon singulier est un bel éloge de la différence, qui ne cache pas les difficultés de l'apprivoisement mutuel.
Paru aux Editions Grasset, ce roman est maintenant disponible en Livre de Poche, à 6,10€.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 25 octobre 2012.

vendredi 19 octobre 2012

J'ai la Citro-haine


Pour Noël, je me suis offert une superbe DS3, jaune bouton d'or, toit noir. Couleur idéale pour la repérer sur un parking. Optimisme garanti, un vrai soleil au cœur de l'hiver. Et puis so chic...
Ma vieille voiture donnait des signes de faiblesse, j'angoissais à chaque départ. Retrouver la tranquillité d'esprit, enfin...
Erreur stratégique : Avec ma nouvelle auto, j'accumule les pannes !

Première fois, en Suisse, en rase campagne. Panique, l'accélérateur ne répond plus, la voiture décélère, je roule à 20 Km-h jusqu'à l'entrée de la ville suivante, heureusement ça descend. Je me gare sommairement, marche jusqu'au garage le plus proche. On ne peut rien faire, il faut la valise Citroën. J'appelle le concessionnaire, on vient, on branche la valise, on exécute des manipulations informatiques. Verdict : c'est le moteur de levier de soupape. Voilà, ma petite dame, c'est réparé. Vous ne la poussez pas assez, il faut la faire chauffer ! Résultat, 150 CHF de dépannage.
Je connaissais la valise en carton, la valise RTL, la valise pédagogique, mais la valise Citroën, je suis bluffée.

Deuxième fois, près de chez moi. Même topo, plus d'accélérateur, au pas dans la montée. Mon mari me conseille de l'emmener directement au garage Citroën voisin. Je ne panique pas, j'y vais, j'explique, je la laisse. Deux jours après, le verdict : On a branché la valise, c'est le moteur de levier de soupape. Bien sûr !Vous l'avez changé ? Non, on ne peut pas changer la pièce à la première panne, il y a un protocole à respecter, on le signale au fichier central. Mais c'est la deuxième fois ! Et vous l'avez gardée deux jours ! Comme il n'y avait aucune mention au fichier, impossible de changer la pièce. Soyez sans crainte, quelquefois ça s'arrange tout seul.

Troisième panne, en Provence. Sortie des gorges du Verdon, plus d'accélérateur. Descente en roue libre jusqu'à Gréoux, contents de n'être pas tombés en panne au fond des gorges, là où le téléphone ne passe pas. Le garagiste Citroën local branche la valise : moteur de levier de soupape.
  • C'est la première fois ?
  • Non, la troisième.
  • Pourtant, je ne vois rien de noté au fichier central. Il faudrait changer la pièce. Mais je ne l'ai pas en stock, je dois la commander, ça prendra plusieurs jours.
  • C'est-à-dire qu'on est de passage. Vous pouvez essayer de régler le pb par informatique, pour qu'on puisse rentrer et faire réparer chez nous ?
  • Je vais essayer.
Finalement, en y regardant de plus près, le garagiste diagnostique un autre problème : le groupe moteur ventilateur ne s’enclenche pas. Donc pas de ventilation. Donc le moteur s'arrête automatiquement. J'ai réinitialisé, j'ai testé, ça va. Vous pouvez partir, mais surtout, ne la faites pas chauffer !

Chauffer ? Pas chauffer ? Panne ? Pas panne ? Panique ? Nique ? 
Ma prochaine voiture ne sera peut-être pas jaune, mais elle sera asiatique ...

dimanche 14 octobre 2012

Monsieur Lazhar

Un film canadien émouvant et juste, réalisé par Philippe Falardeau, avec Mohammed Fellag.

L'histoire : A Montréal, dans une classe de sixième, un immigré algérien se propose pour remplacer au pied levé une enseignante disparue. Pas vraiment au courant du programme, mais doué d'empathie et d'autorité, il doit s'adapter aux élèves, et gérer à la fois son passé tragique, et le bouleversement de ceux-ci, leur prof s'étant pendue dans sa classe.

Le film se déroule presque entièrement à l'école, les relations entre élèves, entre prof et élèves, entre prof et administration, entre profs, sont très justes. Pas de caricatures, ni d'excès. Pourtant, ce n'est pas un film sur l'école, mais un film sur le deuil, et même sur l'acceptation du deuil.
D'un côté, Bachir Lazhar se bat pour obtenir un statut de réfugié politique au Canada, sa famille ayant été détruite par les terroristes en Algérie. Angoisse du lendemain, douloureux souvenir des siens, ses nuits sont difficiles.
De l'autre, les enfants, surtout ceux qui ont découvert le corps, ressentent une culpabilité diffuse. Simon essaie de la camoufler sous des attitudes agressives, Alice arrive à analyser et exprimer la violence par les mots. Eux aussi font des cauchemars.

La force du message, c'est qu'ensemble, ils arrivent à accepter les faits, à construire une nouvelle relation, à vivre. L'humour, la culture, l'empathie, mais aussi la franchise et l'exigence de Bachir Lazhar réussissent à assainir l'atmosphère. A faire réfléchir, et à libérer la parole.

L'exotisme donne du charme et de la légèreté au film. Expressions et accent québécois goûteux, même s'ils sont parfois difficiles à suivre. Jeux dans la neige. Rapports scolaires plus conviviaux que chez nous, les enfants sont familiers mais pas insolents, la direction moins scrupuleuse. Quelques bons mots sur l'absurdité du système scolaire, ainsi que celle des lois de l'immigration.
Pas de happy end cependant, certains parents ne veulent pas que Monsieur Lazhar déborde de ses fonctions. Il est là pour enseigner, pas pour éduquer.

J'ai beaucoup aimé la tendresse, la générosité qui se dégagent du film. La simplicité de rapports de l'adulte avec les jeunes acteurs. Malgré ses méthodes surannées, Monsieur Lazare fait passer le plus important des messages, la force de la vie.



lundi 8 octobre 2012

Chronique littéraire: Accabadora, de Michela Murgia


Dans un petit village sarde, Maria est cédée par sa pauvre mère à la riche couturière Tzia Bonaria, qui n’a jamais eu ni mari ni enfants. Devenue la « figlia de anima », fille d’âme, de cette femme à la fois stricte et tendre, elle s’épanouit. Toutes deux vivent en harmonie. Mais Maria ignore que Tzia Bonaria est l’ « accabadora », la dernière mère, celle qui délivre les mourants de leur agonie. Quand elle découvre brutalement ce secret, bouleversée, elle s’enfuit.

Michela Murgia nous plonge dans la vie quotidienne d’un village sarde des années cinquante. Rites immuables, convenances pesantes, omniprésence de la religion, vieilles superstitions. La vie est dure, jalonnée de travaux et de fêtes, et quand les drames familiaux éclatent, la rancune est tenace. Maria profite cependant d’une éducation libre, c’est un personnage lumineux tourné vers l’avenir.
Ce roman à l’écriture poétique et simple évoque avec sobriété des thèmes universels : la maternité, l’éducation, la transmission, l’euthanasie, la mort. Le lieu, le temps n’ont pas d’importance, le lecteur trouve ici matière à partager ses propres interrogations.

Michela Murgia est née en Sardaigne en 1972. De ses expériences professionnelles variées : animatrice, vendeuse, opératrice, administratrice, portier  de nuit, elle a tiré son premier récit : Il mondo deve sapere, en 2006. Accabadora paraît en 2009 aux Editions du Seuil. Il est maintenant disponible en Points Poche, à 6,30€.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi  4 octobre 2012.

dimanche 7 octobre 2012

Val d'Enfer ... Carrières de Lumières

Etrange destin que celui de ce vallon perdu au milieu des Alpilles. Relief tourmenté, inhospitalier, arbres tortueux, roches creusées, cavernes inquiétantes, ce fut l'  « Inferno » de Dante, bien avant de servir de décor au film de Cocteau « Le testament d'Orphée ».
Dès l'Antiquité, on a exploité ses carrières de calcaire blanc, idéal pour la statuaire et la construction. Le village des Baux, perché sur son éperon rocheux, avec son château féodal, en est la preuve éclatante. L'extraction a creusé des cavités de plus en plus profondes sous terre, tandis qu'au-dessus, sous le soleil de Provence, le site attirait les artistes, Daudet, Van Gogh, Picasso, subjugués par le côté fantastique des paysages. Maintenant, les touristes déferlent par milliers sur leurs traces.

Les carrières ont cessé leur activité. Ré ouvertes en Cathédrale d'images dès 1975, pour des projections publiques, elles ont retrouvé une splendeur inégalée avec la stupéfiante scénographie lumineuse et sonore installée depuis 2011, dans le style des Lumières de Lyon.
Le public entre sous terre par des portes majestueuses taillées dans la roche. Il s'avance dans un dédale de salles cyclopéennes, d'une quinzaine de mètres de haut, sur les parois desquelles un déferlement d'images de synthèse remplit tout son champ visuel. Les œuvres de Van Gogh et Gauguin s’enchaînent, se mélangent, s'opposent, se répondent. Il ne s'agit pas simplement de 3D, plutôt d'un sorte de Mégarama à 360°, qui immerge entièrement les spectateurs dans les champs de tournesols, d'iris, d'oliviers de Vincent, puis les entoure de Bretonnes de Pont-Aven ou de Tahitiennes alanguies sur la grève. C'est féerique, époustouflant, magique, grandiose. Et l’enchaînement, ou le déchaînement, d'images dure une quarantaine de minutes.

Au dehors, le village perché des Baux, un des plus beaux de France pourtant, paraît convenu. Décor de carte postale : ciel bleu pur, végétation méditerranéenne agitée par le vent, constructions de pierres blanches accrochées au rocher. Des ruelles pavées, des maisons soigneusement restaurées en boutiques ou cafés pour touristes, le château des Grimaldi tout en haut (en ruines, mais payant). Pas de surprise. Seuls, le superbe panorama depuis les remparts, et la chapelle des Pénitents recouverte des fresques de Brayer, permettent de retrouver une sensation d'émerveillement total.
Si vous passez par la Provence, ne ratez pas les Carrières de Lumières. Sinon, visitez leur site, qui donne une bonne idée de l'émotion visuelle ressentie.


mardi 2 octobre 2012

Chronique littéraire : Ouragan, de Laurent Gaudé

Un roman puissant, apocalyptique, à l'image du cyclone Katrina, qui a submergé la Nouvelle Orléans en 2005. A travers différents personnages essayant de survivre dans le chaos, Laurent Gaudé brosse le portait d’une population noire laissée en marge de la croissance, mais animée d’une force de vie irrésistible.

Joséphine, « vieille négresse centenaire » mène la résistance : depuis toujours, elle a lutté, revendiqué, cette fois, elle refuse de quitter sa maison, d'évacuer les lieux. Tandis que des prisonniers abandonnés dans leur geôle envahie par les eaux réussissent à se libérer, semant la panique sur leur passage, Keanu, un homme détruit par la mort de ses camarades sur une plate-forme pétrolière, essaie de retrouver son amour de jeunesse, en remontant le convoi de réfugiés qui fuient la ville. Un pasteur illuminé joue les anges de l’Apocalypse, et Rose cherche son fils égaré.

Narration par courts chapitres, les destins se croisent, l’intrigue est soutenue. Après le vent annonciateur, la tempête se déchaîne, les eaux montent, recouvrant peu à peu tous les quartiers. Les digues cèdent. Les hommes sont emportés. Et le paroxysme est atteint avec l’arrivée massive des alligators en ville, portés par les flots.

Laurent Gaudé, né en 1972 à Paris, est un écrivain et dramaturge français, lauréat du Prix Goncourt en 2004 pour son roman « Le Soleil des Scorta ». Toute son œuvre est publiée chez Actes Sud.
Ouragan est disponible en format Babel Poche, à 7€.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 27 septembre 2012.

lundi 1 octobre 2012

Les Correspondances de Manosque

Un centre ville clos, ceinturé de voitures. Sur le blason de la porte Saunerie, quatre mains dorées, amicales,  (manos= main) invitent à parcourir les rues piétonnes, coulisses d'un festival littéraire qui se joue fin septembre. A quatre pieds et deux têtes, nous entrons dans l'univers grisant des Correspondances. Partout, des phrases de Giono calligraphiées sur les vitrines, sur les murs. Régal des mots. Des écritoires installées au gré des places, des rues, rivalisent de créativité : posée à hauteur d'un platane, telle un nid, abritée à l'intérieur d'un livre géant, ou dans la chambre noire d'un giga appareil photo, devant une boulangerie, un café, une église. Surprises, clins d'oeil, régal de la découverte. Cartes, lettres, stylos, enveloppes sont à la disposition du public. Ecrire, vite, à tout le monde aimé. Régal du coeur.

Beaucoup de rencontres avec les auteurs, des siestes littéraires tellement prisées qu'on n' y trouve pas une place, quelques vraies lectures, Sophocle, Quignard, trop peu à notre goût. Des spectacles surbookés, un programme labyrinthique, des bénévoles dépassés, des heures de queue en vain. Une annulation de dernière minute à cause de quatre gouttes de pluie, des altercations, presque des pugilats, pour réserver des places, on a connu le meilleur et le pire. Un festival victime de son succès, à l' organisation mal adaptée.


Le meilleur, ce fut dimanche, la balade littéraire dans les rues du vieux Manosque, en compagnie d'un comédien lisant Giono. Entre les hautes façades aux couleurs provençales, près des fontaines, dans les jardins, avec passion et sourire, aisance et allure, il a fait revivre tout l'univers de l'enfant du pays ... et le plaisir des mots. Que notre joie demeure.