jeudi 25 juillet 2013

Les pierres du Velay

Partout, des murs en pierre sèche qui délimitent les parcelles. Restaurés ou éboulés, hérissés ou lisses, bétonnés ou fleuris. En état, assumant leur âge, ou en tas, couverts de mousse. Pierres arrachées au sol par nos ancêtres, une à une, pour rendre le terrain cultivable. Empilées, ajustées suivant leur calibre, patience et savoir-faire. Surmontées de lauzes verticales, pour repousser les prédateurs. Visibles au bord des routes, autour des prés, des jardins, ou invisibles, avalés par la progression de la forêt.
Les chibottes, constructions rondes, du genre bories, sont faites des mêmes dalles de basalte, l’architecture courbe est une prouesse supplémentaire. Refuges de bergers, maintenant enfouis sous la végétation, il faut les chercher au cœur des bois.

Les maisons traditionnelles, en pierres noires, jointoyées à la chaux. Toits de lauzes ou de chaume. Volets blancs. En forme de longère, l’habitation de plein pied, la grange accolée accessible par un pont de grange. A l’intérieur, sol en lauzes, large cheminée, impressionnante poutraison.
Les églises romanes, de pierres noires ou blondes, en harmonie avec les villages. Glavenas, Montusclat, Saint Julien Chapteuil. Dominantes, ou enserrées dans les ruelles. Buts de promenades bucoliques, ou  de pèlerinages dévots. Et les innombrables croix sculptées de granit, aux cimetières, carrefours, sur les chemins.

Les éboulis, vastes cascades de pierres, qui parsèment de gris une montagne où les verts dominent. Les orgues basaltiques, falaises de tuyaux, colonnes de roche volcanique figée. Les failles lisses, abruptes, gravies par les intrépides, fans de via ferrata ou d’escalade. Responsables : Les sucs du Velay, anciens volcans explosifs, dont les dômes hérissent le plateau.
Plaisir du promeneur : trouver des phonolithes, ces dalles de feldspath qui rendent un son clair quand on les frappe. En les choisissant bien, on peut s'improviser musicien.

jeudi 18 juillet 2013

Chronique littéraire : Cet instant-là, de Douglas Kennedy

Cet instant-là, celui qui peut faire basculer toute une vie, comment le reconnaître ?

Thomas Nesbitt, écrivain new-yorkais reconnu, néanmoins quinquagénaire un peu paumé, reçoit un jour une lettre d'Allemagne qui le bouleverse. Le passé surgit. Il se remémore son séjour à Berlin, dans les années 1980. Et surtout sa rencontre avec la mystérieuse Petra, réfugiée d'Allemagne de l'Est. Ensemble, ils ont travaillé comme journaliste et traductrice dans une radio militante. Ensemble, ils ont vécu un amour passionné, brusquement interrompu lors d'un événement dramatique inexpliqué.

Douglas Kennedy tisse avec maestria une histoire à plusieurs niveaux. D'abord un roman d'aventures, aux rebondissements palpitants, mêlant espionnage et romance. Puis un document historique, politique et social,  fouillé, sur Berlin, partagé par son Mur, en pleine guerre froide. Les portraits des deux protagonistes sont criants de vérité, le réalisme de leurs malheurs et bonheurs émeut profondément. Enfin, il dessine l'itinéraire psychologique d'un adolescent américain délaissé, qui se construit dans la fuite, puis se réfugie dans l'écriture. L'autobiographie n'est pas loin.
Fourmillant de détails pratiques et culturels, l'écriture, très documentée, sans fioritures, est fluide et riche d'enseignements.

Douglas Kennedy est né à New York en 1955. Homme de théâtre et journaliste dès 1977 à Dublin, puis à Londres, il multiplie les voyages, Égypte, Australie, Berlin, Paris. Ses déambulations à travers le monde nourrissent une œuvre brillante, féconde, au succès international.
Cet instant-là est disponible chez Pocket au prix de 8€.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 18 juillet 2013.

jeudi 11 juillet 2013

Ousmane Sow est à la Citadelle

La Citadelle de Besançon fête ses 5 ans d’inscription au Patrimoine Mondial de l’Unesco. Animations théâtrales et musicales dans les jardins, zoo et insectarium pris d’assaut par les enfants, musée de la déportation, des arts et traditions comtoises, et panorama sur Besançon sont appréciés des touristes. Mais pourquoi l’affluence des visiteurs est-elle exceptionnelle cet été ? A cause d’une exposition tout aussi exceptionnelle : la rétrospective des œuvres du sculpteur Ousmane Sow.

Un lien d’amitié très fort existe entre cet artiste et la ville de Besançon. Accueilli ici dès 1994 pour une de ses premières expositions en France, il a connu par la suite une renommée internationale. En 2003, il a réalisé pour la ville de Besançon la magnifique statue de Victor Hugo, figure emblématique du parvis des Droits de l’Homme. Et une deuxième œuvre majeure, L’Homme et l’Enfant, vient d’être inaugurée aux Glacis. L’exposition actuelle de ses statues monumentales à la Citadelle est complétée par celle des Nouba au Musée des Beaux-arts. Une visite s’impose, avant le rapatriement de toute la collection vers le Sénégal.

En terre, en bronze, ou en une matière qu’il invente au fil des années, Ousmane Sow représente l’homme. Il travaille par séries, rendant hommage à des ethnies différentes, Masaï,  Zoulou, Peulh, dans des scènes de la vie quotidienne. Ou à des grands hommes, à qui il dit Merci : Victor Hugo, Charles de Gaulle, Nelson Mandela…
Une extraordinaire force vitale anime ses statues. Les corps, modelés en kinésithérapeute (son premier métier), sont saisis en plein mouvement. Et le réalisme des situations est totalement maîtrisé. Scènes de chasse ou d’élevage, intimes ou guerrières, toutes sont aussi éloquentes que des instantanés. C’est beau, c’est fort, c’est émouvant.

Une seule ombre au tableau : l’éclairage du Hangar aux Manœuvres ne permet guère d’apprécier les nuances de couleur, gris, vert, brun, les statues étant placées en contre-jour. C’est en plein air, que l’œuvre d’Ousmane Sow prend tout son relief.


lundi 8 juillet 2013

Arbois et les Dionysies

Chaque année, le premier week-end de juillet, une manifestation culturelle foisonnante anime le vignoble jurassien. Judicieusement placée sous le signe de Dionysos, dieu de la vigne et de la création poétique, elle multiplie les rencontres autour de la littérature contemporaine. La gastronomie s’y taille aussi une place de choix, avec des dégustations œnologiques, petits-déjeuners littéraires, menus raffinés concoctés en accord avec les textes des auteurs invités. Cette année : Marie-Hélène Lafon, Jeanne Benameur, Hélène Lenoir, Jérôme Meizoz, Yves Ravey, et Cécile Ladjali.

Le Centre Régional du Livre, qui organise les Dionysies, propose des passerelles entre toutes les formes d’art. C’est ainsi qu’après une promenade dans les vieilles rues d’Arbois, entrecoupée de lectures animées par la comédienne Catherine Cretin, dans des lieux aussi divers qu’originaux : chapelle, cave voûtée, tour Gloriette, Musée des Beaux-arts, jardin au bord de la Cuisance, on peut visiter une superbe exposition de photos : « Empreintes », découvrir l’atelier d’un jeune lithographe, ou faire connaissance avec l’œuvre d’un ami de Pasteur et Courbet, le peintre Pointelin, spécialisé dans le clair obscur. Et enchaîner sur une dégustation ou un air de jazz !

Tout le Pays de Revermont est mobilisé pour les fêtes de Dionysos : des échanges, promenades, spectacles, concerts, lectures, un salon du livre, des visites de fonds patrimoniaux, se déroulent sur trois sites, Arbois, Poligny et Salins-les -Bains.  De quoi varier le menu, en ajoutant le fromage, et les thermes, pour garder la forme. La Franche-Comté vous invite à vous réjouir l’esprit et les sens, en dévoilant superbement son opulence sous le soleil.

samedi 6 juillet 2013

Chronique littéraire : L'annonce, de Marie-Hélène Lafon

 Ce n’est pas l’Ardèche, c’est le Cantal, mais la description minutieuse du monde rural dépasse les frontières des départements.  MH Lafon brosse le portrait de la vie dans une ferme isolée sur un haut plateau, avec son troupeau de Salers, ses hivers glaciaux, ses étés superbes. Et les conflits, les espoirs, la sérénité des humains dans leur isolement.

Les habitants de  Fridières sont à la fois typiques, dans leurs traditions, leurs certitudes, et originaux, dans leurs rapports aux autres, et au monde. Paul et sa sœur, la quarantaine, cohabitent avec les vieux oncles. Paul a dû se battre pour moderniser l’exploitation, il travaille sans relâche pour assurer des revenus modestes. Nicole s’occupe des courses, de la cuisine, du linge, des lapins, elle règne sans partage sur la maison. Tout semble réglé de façon immuable.

Sauf que Paul ne veut pas rester célibataire. Un jour, il passe une petite annonce dans un journal, puis installe à la ferme Annette et son fils Eric, des étrangers venus du Nord. Un difficile équilibre doit se mettre en place, entre ceux qui veulent oublier un passé douloureux, et ceux qui craignent pour leur futur.

Marie-Hélène Lafon utilise un style fluide, élégant, une langue précise, riche et puissante. Elle décrit magnifiquement ce monde qu’elle connait bien, puisque ses parents étaient agriculteurs. Née en 1962 à Aurillac, elle a fait des études brillantes à la Sorbonne, avant d’enseigner et d’écrire. Mais elle n’a pas oublié ses racines paysannes, au contraire, elle s’en nourrit. Par-dessus tout, elle transmet son amour du pays, de la nature, du labeur paysan, de cet équilibre éclairé de joies simples, mais où chacun se sent à sa place.

L’Annonce, qui a reçu de nombreux prix, est disponible en Folio au prix de 5€.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 4 juillet 2013.

jeudi 4 juillet 2013

Grignan, festival de lettres et de couleurs

En Drôme provençale, c'est d'abord la vision de la lavande qui enthousiasme les visiteurs, longues tiges violettes agitées par le vent, odeur entêtante, présence généreuse au détour des chemins. Précédant la vue harmonieuse du village blotti autour de son majestueux château. Mais quelque chose de rouge, accroché au clocher, tranche sur la couleur dorée des pierres, et le bleu du ciel. Qu'est-ce ?
C'est une plume géante, emblème du Festival de la Correspondance, qui s'y tient chaque année depuis 18 ans, la première semaine de juillet.

Un festival dédié à la plume, donc, qui tente de préserver et faire connaître le patrimoine épistolaire, (c'est-à-dire des lettres écrites). D'une part, grâce à des lectures, rencontres et spectacles littéraires, sur des thèmes renouvelés. Après le théâtre, la Russie, cette année, il est question de Lettres d'Amérique. Mais aussi, et c'est toute l'originalité du festival, en incitant à la pratique. Comment? C'est simple : De nombreux habitants de Grignan mettent à la disposition des visiteurs une "chambre d'écriture" : une pièce tranquille avec table, chaise, du beau papier à lettre, des enveloppes, fournies par la maison Lalo, partenaire du festival. Des stylos, ou mieux, des porte-plumes, un buvard et de l'encre. Une jolie boîte recueille les lettres, afin de les acheminer aux frais du festival.

C'est ainsi qu'on peut écrire dans des endroits aussi extraordinaires que différents : dans un caveau de dégustation (encre rouge), ou au milieu d'un magasin de décoration, dans l'atelier d'une potière, ou l'ancien four à pain du village (chaud, chaud). Dans l'arrière-boutique d'un libraire ou dans un jardin ombragé. Une cinquantaine de lieux originaux, à découvrir au fil des ruelles éclairées de roses trémières, qui invitent à laisser libre cours à son imagination.

Madame de Sévigné, célèbre femme de lettres, a fait la renommée de Grignan, il y a plus de trois siècles, en alternant pour sa fille chroniques de la Cour, anecdotes de voyage, et conseils personnels : « Gare à la flatterie, ma fille : trop de sucre gâte les dents.  »
Aujourd'hui, nous sommes en démocratie, et c'est grâce à de nombreuses bonnes volontés, administrations, sociétés privées et bénévoles, que l'on peut lire, écouter ou prendre la plume, à sa guise, comme la Marquise, dans le beau pays de Grignan.

mardi 2 juillet 2013

Les Américains se mettent à table

De nombreux bateaux de croisière sillonnent le Rhône en cette saison, on rencontre leurs groupes de passagers dans tous les lieux touristiques. Mais le Provence et le Chardonnay se distinguent par une philosophie différente : l'immersion des touristes, pour une soirée, dans des familles locales.
La compagnie Grand Circle Travel, qui gère les deux bateaux, ne travaille qu'avec une clientèle américaine. Les visiteurs en provenance des USA, via Londres, atterrissent à Nice, et après quelques jours en Provence, remontent le cours du Rhône puis de la Saône, jusqu'à Mâcon, avant de rejoindre ensuite Paris, leur halte finale, en TGV. Ou bien, ils font le voyage inverse. C'est ainsi que l'on peut voir chaque lundi, à Tournon, le Provence et le Chardonnay se retrouver ensemble à quai, pour une soirée, l'un venant du Nord, l'autre du Sud.

Les Américains apprécient la France, ils ont le goût de l'authentique et l'esprit d'aventure. La compagnie a décidé de leur proposer, une fois dans le séjour, de s'immerger pendant une soirée dans une famille française. Et c'est à Tournon que ça se passe ! On peut donc voir, chaque lundi, les familles volontaires accueillir et emmener leurs touristes, par quatre, par six ou davantage, selon les possibilités. A pied, ou en voiture, selon l'éloignement. Les Américains sont ravis de pouvoir faire connaissance avec des Français, de découvrir leur mode de vie, leur intérieur, de poser les mille questions qui leur viennent en tête. Et aussi de lâcher un peu la vie en groupe !

Très sensibles au fait qu'on leur ouvre sa maison, discrets et attentifs, à table, ils goûtent avec gourmandise les produits locaux, les plats traditionnels, caillettes ou ravioles, pintade et tomme de chèvre, olives et abricots. Mais ce qu'ils apprécient le plus, c'est de déguster un Saint-Joseph, un Crozes-Hermitage, en bavardant sur la terrasse ou au jardin. Contrairement aux idées reçues, les Américains apprécient la bonne chère, nos monuments, et notre art de vivre en général. La France est pour eux un pays de Cocagne...

Il est préférable de parler un peu leur langue, pour profiter pleinement de l'échange, même si la communication passe aussi par les gestes : la volonté de se comprendre fait parfois des miracles. Et si ces relations amicales ne sont pas durables, malgré une invitation à Chicago ou San Francisco, elles permettent aux Américains de repartir chez eux avec une bonne image des Français : ouverts et sympathiques. Une manière de redorer notre blason !