jeudi 28 décembre 2017

Maria Feodorovna, une tsarine "franc-comtoise" en Russie


Elle s'appelait Sophie-Dorothée de Wurtemberg, avait passé son enfance entre le château de Montbéliard et celui d'Etupes, dans l’actuel Doubs. Une enfance princière, mais familiale, où l'on cultivait les arts, la tendresse, la simplicité. Quelle force d'adaptation elle a dû montrer lorsque l'impératrice Catherine II de Russie l'a choisie pour épouser son fils unique, le futur Paul Ier, en 1776 ! Le conte de fée avait son revers.

D'abord, elle a dû se convertir à la religion orthodoxe, changeant son nom pour devenir Maria Feodorovna. Ensuite, elle s’est adaptée à une cour où les complots, les meurtres, les coups d’état étaient monnaie courante, Catherine ayant elle-même fait tuer son mari le tsar Pierre II par son amant pour régner à sa place. Bien sûr le grand-duc Paul, son époux, détestait sa mère, qui le tenait à l’écart de toute décision. Enfin, dès que Maria Feodorovna a donné naissance à un héritier mâle, le futur Alexandre I, en 1777, suivi d’un deuxième, Constantin, en 1779, Catherine les lui a enlevés pour les éduquer elle-même. Bref, une belle-mère despotique, pas simplement sur le plan politique ! Elles n’avaient qu’un point commun : toutes deux princesses de souche prussienne, elles appréciaient les fastes de la cour et respectaient à la lettre l'étiquette.
Catherine offrit le palais de Pavlovsk comme résidence à Paul et Maria après la naissance d'Alexandre.

Maria Feodorovna a montré de la patience, de l’intelligence, de la bonté et une conduite exemplaire. Une bonne santé aussi, en mettant au monde dix enfants, quatre garçons et six filles, jusqu’en 1798. Elle était dotée de nombreux talents : musicienne, aquarelliste, adorait aussi fabriquer des objets de sa main, travaillait l'ambre et l'ivoire sur un tour. Passionnée de jardins, elle s'est investie toute sa vie à embellir celui de sa résidence de Pavlovsk. Un palais de style palladien, élégant et raffiné, aux dimensions humaines, situé dans un superbe parc de 600 hectares de prairies, bosquets, cascades, agrémenté de pavillons dédiés à l’amitié, la musique… Très loin de l’ostentation des palais grandioses de Catherine, Peterhof ou Tsarskoïe Selo.

Autre cadeau impérial : après la naissance du deuxième prince, en 1781, Maria et Paul ont eu l'autorisation de faire un long tour d'Europe, sous couvert d'anonymat. Le « Comte et la Comtesse du Nord » ont pu ainsi visiter la Pologne, l'Autriche, la Hollande, la Belgique, l'Italie, l'Allemagne et la France. Accueillis par Louis XVI et Marie-Antoinette à Versailles, qui leur fit grande impression, ils profitèrent de ces quatorze mois de voyage pour acheter des œuvres d'art afin de meubler Pavlovsk. Porcelaines de Sèvres, tapisseries des Gobelins, tableaux, marbres antiques et nombreuses horloges qu’ils collectionnaient.

A Pavlovsk, Maria Feodorovna s’occupait de sa nombreuse famille, mais pas seulement : elle réunissait un cercle littéraire, organisait des représentations théâtrales, des concerts. Déterminée et énergique, appréciant la frugalité, elle fut la première à s'intéresser aux malades et handicapés, créant des institutions d'éducation pour les aveugles, les sourds-muets et aussi pour les filles. Tsarine en titre après la mort de Catherine, en 1796, elle s’occupa des diverses autres résidences impériales, organisant de superbes réceptions, tout en multipliant les œuvres de bienfaisance et soutenant généreusement les arts. Après l’assassinat de Paul en 1801, devenue impératrice douairière sous les règnes de ses fils Alexandre I puis Nicolas I, elle se retira à Pavlovsk jusqu’en 1828, éduquant ses plus jeunes enfants, continuant ses œuvres de bienfaisance, et embellissant sans cesse le palais et son parc.

Ce merveilleux palais fut en partie détruit pendant le siège de Léningrad. Restauré à l’identique, il fait maintenant partie de l’ « anneau d’or » des palais impériaux autour de Saint-Pétersbourg. C’est le plus poétique, le plus romantique, le plus humain. Et le favori des touristes français.



Article publié dans le JTT du jeudi 28 décembre 2017.

jeudi 21 décembre 2017

Le croiseur Aurore, symbole de la Révolution d’Octobre 1917



Le croiseur Aurore est une des stars incontournables du tourisme lié au centenaire de la Révolution russe. Sur les eaux de la Neva, à Saint-Pétersbourg, parfaitement restauré, ce monumental cuirassé accueille maintenant les visiteurs avec une rigueur toute militaire.

Au matin du 25 octobre 1917, les bolcheviks contrôlaient tous les points stratégiques de Petrograd, sauf l'Ermitage, où se trouvait le Gouvernement provisoire. Les dirigeants de l'insurrection demandèrent alors à l'Aurore de tirer à blanc sur l'Ermitage. Le croiseur exécuta l'ordre, donnant le signal de l'assaut. D'où son statut de symbole de la révolution d'octobre.

Le navire entra en service en juillet 1903 sous les vivats de la foule. C'était un croiseur de 127 mètres de long sur 17m de large, pouvant atteindre les 20 nœuds (40 km/h), avec un équipage de 20 officiers et 550 matelots. Il participa à la guerre contre le Japon en 1904-1905 puis devint un navire-école. En 1914 l'Aurore intégra la flotte de la Baltique, armé de 18 canons, 3 lance-torpilles et 35 mines.

Stationné à Petrograd, (qui deviendra Leningrad), l'Aurore se retrouva au début 1917 au milieu des événements révolutionnaires. Le 12 mars, des matelots réclamèrent au capitaine la libération de trois propagandistes montés sur le navire. Pour les disperser, le capitaine et le premier officier tirèrent sur les marins. Le lendemain, les marins se mutinèrent et prirent le contrôle du navire, puis s'organisèrent en comité révolutionnaire. L'Aurore devait rejoindre le reste de la flotte, mais le commandement bolchevik qui préparait alors l'insurrection s'y opposa.

Après la guerre civile, le croiseur servit à nouveau de navire-école de la flotte de la Baltique, de 1924 à 1930. Durant la Guerre d'Hiver contre la Finlande en 1939-1940, il effectua des patrouilles contre les sous-marins. Pendant l'invasion allemande en 1941, l'Aurore participa à la défense de Leningrad, et fut gravement endommagé.

Restauré entre 1945 et 1947, utilisé pour la formation des élèves de l'Ecole navale, il devint un navire-musée en 1957. Son histoire et celle du cuirassé Potemkine (mutinerie de 1905, sabordage en 1919) ont fait l'objet de films mythiques du célèbre cinéaste Eisenstein, à l'audience internationale.
Etrangement, peu de visiteurs, sauf des étrangers motivés, visitent le croiseur Aurore. Les conditions climatiques ne sont pas en cause : à Saint-Pétersbourg, on préfère le tourisme impérial au centenaire révolutionnaire !

Article publié dans le JTT.

jeudi 14 décembre 2017

Chronique littéraire : Venus d'ailleurs, de Paola Pigani

Une histoire de migrants dans la région lyonnaise, qui permet de comprendre le chemin difficile de ceux qui essaient de s’intégrer à une nouvelle vie.

Mirko et Simone sont frère et sœur, tous deux réfugiés kosovars. Leur itinéraire en France commence au centre d’accueil du Puy-en-Velay, passe par un logement provisoire au Chambon-sur-Lignon, avant l’obtention du statut de réfugié, et une vie presque normale avec un travail à Lyon. Un dépaysement obligé, répété, qui leur garantit liberté et assistance, en leur permettant d’apprivoiser peu à peu leur pays d’accueil.
Tous deux ne réagissent pas de la même manière à cette nouvelle vie. Simone est une battante, malgré l’humiliation des petits boulots, elle veut s’intégrer par-dessus tout, tandis que Mirko, plus nostalgique, plus sauvage, se cantonne dans le rêve. Il élève des murs dans une entreprise le jour, et va la nuit peindre dans les décharges, taguant les résidus de notre société de consommation. Le téléphone avec son frère resté au pays exacerbe ses regrets d’être parti.
Dans un style simple et poétique, sans jugements mais avec empathie, Paola Pigani nous montre une réalité qu’elle connaît bien, et qui résonne dans l’actualité. Née en 1963 de parents émigrés italiens, elle vit actuellement à Lyon où elle partage son temps entre l’écriture et sa profession d’éducatrice.

Venus d’ailleurs est disponible en poche dans la collection Piccolo de Liana Levi.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 7 décembre.

samedi 9 décembre 2017

Les couleurs de la mode... au fil du temps


Michel Pastoureau, historien des couleurs, professeur à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes a étudié l’histoire des vêtements, à travers factures, registres, gravures, statues, tableaux, vitraux, lettres … de toutes époques. Malgré le déséquilibre entre les documents évoquant les costumes des riches et ceux concernant les pauvres, il arrive à reconstituer l’évolution des couleurs des vêtements à travers les siècles. Une histoire passionnante, reflet de notre culture.
Dans la Rome antique, on portait des vêtements blancs, une toge ample sur une tunique courte. La couleur pourpre, obtenue difficilement à partir d’un coquillage, le murex, était le symbole du pouvoir, donc réservée aux Empereurs. Mais dès le premier siècle, les femmes romaines ont acquis le droit de porter du jaune, puis du bleu et du vert, couleurs venues du monde barbare. Les hommes ont suivi et à la fin de l’empire romain, les couleurs des vêtements étaient variées, chaque pièce cependant étant unie.
Au Moyen-âge, la couleur bleue, propagée par les Germains, est devenue la couleur à la mode en France. Le top-modèle l’incarnant le mieux est la Vierge Marie, habillée de bleu sur toutes les représentations. Les rois s’en emparèrent, le bleu royal devint l’emblème de la France, quand les Anglais préféraient le rouge, et les Allemands le vert. Au 14ème  et 15ème siècles, on inventa la boutonnière. Un énorme progrès, jusque-là, il fallait sans cesse coudre et découdre les parties de vêtements. Une expression nous en est restée : dans les tournois, la Dame décousait et donnait comme bannière une de ses manches au Chevalier, qui l’accrochait à sa lance. S’il gagnait l’échange, il emportait la première manche, puis la deuxième … ensuite on se disputait la belle !
Les teinturiers n’étaient pas appréciés par la population : leurs préparations sentaient mauvais, polluaient les rivières, avaient un côté magique. Le bleu était obtenu à partir d’une plante, la guède, qu’on récoltait, coupait, laissait sécher, puis fermenter. Enfin roulée en boules de pastel (pâte) elle a fait la richesse de la Picardie et de la Toscane, avant d’être dépassée par l’indigo. Le rouge provenait de la garance, ou d’insectes comme le kermès ou la cochenille. Le jaune de la gaude. Le vert était une couleur ambiguë, à la fois couleur de l’espérance, entourant les accouchements, les mariages. Et couleur maléfique, car les pigments utilisés, dont le vert-de-gris, étaient particulièrement nocifs. Les pauvres teignaient eux-mêmes leurs vêtements, avec des couleurs qui s’altéraient rapidement, devenant bruns ou gris. Les filles se mariaient alors en robe rouge, car la robe rouge était la plus belle, celle qui gardait la teinture.
Les guerres de religion au 16ème et 17ème siècles ont fortement influencé l’usage des couleurs. Le Pape avait choisi le vêtement blanc et or, laissant le rouge aux cardinaux, soldats du Christ, et les teintes grises ou brunes aux ordres mendiants. Les protestants, eux, ont établi une hiérarchie des couleurs. Honnêtes : noir, blanc, gris, brun, bleu. Malhonnêtes : rouge, jaune, vert. Les portraits flamands de l’époque montrent des familles huguenotes entièrement vêtues de noir. A Genève, ville calviniste, porter un vêtement rouge conduisait au bûcher. En France, le noir est devenu couleur de deuil pour les familles riches, les seules qui pouvaient acquérir de nouvelles tenues en cette circonstance.
Au 18ème siècle, les couleurs vives étant passées au peuple grâce aux progrès techniques de la teinture, il fallait se distinguer en privilégiant les demi-teintes. La marquise de Pompadour appréciant le rose et le bleu clair, toute la cour de Louis XV a suivi. Après la Révolution, la mode est revenue à l’antique : à la cour de Napoléon, les femmes s’habillaient en blanc et jaune. Puis est venu le romantisme, associé d’abord au bleu, puis au noir. Est-ce à dire que nous vivons une époque romantique ?
Pour tout savoir sur les couleurs et leur symbolique, on peut consulter les nombreux ouvrages de référence écrits par Michel Pastoureau.

Article publié dans le JTT du jeudi 30 novembre.

lundi 4 décembre 2017

Cantates luthériennes

Samedi 25 novembre à Tournon, l'ensemble Archivolte et le Choeur Madrigal, sous la direction de Gérard Lacombe, ont enchanté le public par un récital de sublimes cantates, œuvres des compositeurs allemands du XVIIème siècle, Krieger (Die Gerechten werden weggeraft), Telemann (Trauer Kantate) et J.S. Bach ( BWV 106 Actus Tragicus).

Le concert était donné dans le cadre du 500ème anniversaire de la Réforme. En plus de la divine musique, l'assistance a profité d'un cours d'histoire magistral donné par le chef Gérard Lacombe. Les trois œuvres de musique funèbre présentées étaient emblématiques d'un genre important dans l'Allemagne, alors meurtrie par les guerres, de religion, de Trente Ans. Elles exaltent la foi qui permet de dépasser la mort, une délivrance, un passage vers le paradis.

Martin Luther, en traduisant la Bible en langue vulgaire, l'allemand, voulait que chacun puisse s'approprier les textes sacrés. Le grand chantier des luthériens fut donc de créer dès le XVIème siècle des écoles gratuites et mixtes, où le peuple pouvait apprendre à lire. Comme Luther était lui-même musicien, il composa des cantiques (chorals) destinés à être chantés par l'assemblée des fidèles, affirmant comme Saint Augustin que « chanter, c'est prier doublement ». Ainsi en Allemagne une révolution musicale a accompagné la révolution religieuse.

Au XVIIème siècle, les compositeurs, rivalisant de créativité, ont enrichi la liturgie chantée luthérienne d'apports venus d'Italie. De nouvelles formes musicales sont apparues, motet, madrigal, cantate, oratorio, grandes fresques polyphoniques où Telemann et Bach ont excellé.

Les trois cantates, hommage à la Réforme, magnifiées par le talent de musiciens et chanteurs, ont résonné sous les voûtes de la Chapelle catholique des Saints-Cœurs, soulignant qu'aujourd'hui l'œcuménisme et la tolérance sont une réalité à vivre au quotidien.

Article publié dans le JTT du jeudi 30 novembre.

dimanche 3 décembre 2017

Laissez parler les p'tits papiers ...


Vous ne savez pas quoi faire de vos vieux journaux ? A l'heure du recyclage écologique et économique, l'exposition « Le papier à l'œuvre, l'oeuvre papier », au château de Tournon, propose des idées de bricolage original.

Le papier est un support banal, mais riche de possibilités, on peut y écrire, dessiner, peindre, mais aussi le plier, découper, déchirer, coller, tordre. Avec infiniment de patience et de créativité, le réduire en lambeaux, les rouler minutieusement, les assembler pour construire des objets loufoques. Ou alors carrément utiliser de vieux livres comme matériau à sculpter. Les résultats exposés sont surprenants, amusants parfois, toujours originaux. C’est avec curiosité qu’on découvre ainsi, dans les salles du château, les œuvres de 9 artistes contemporains aux talents multiples : Anny Blaise Resnik, Laure Calé, Galaury, Jean-Marc Gibilaro, Li Bin, Jean-Paul Meiser, Jin Lei Zhang, Mohammed Rafed, Pauline Watteau.

L'expo
sition  « Le papier à l’œuvre, l’œuvre papier » est ouverte jusqu’au 22 décembre, tous les jours de 14 à 17h30 au Château de Tournon (07).

Entrée gratuite le premier dimanche du mois, sinon 4-3-2 euros suivant les cas.

Article publié dans le JTT du jeudi 30 novembre.


jeudi 30 novembre 2017

Bonne nouvelle : O mia Patria ...



est désormais accessible dans toutes les librairies, l'ouvrage est référencé sur Electre, Dilicom et même Amazon.

Deux nouvelles présentations-dédicaces sont prévues samedi 2 décembre :

A la bibliothèque Léon-Deubel de Belfort, à 10h30
A la médiathèque de Foussemagne à 14h.

Au plaisir de vous y rencontrer !

samedi 25 novembre 2017

La philosophie du jardin zen


Les érables éclatants frémissent au vent, les plaqueminiers et arbousiers regorgent de fruits dorés, les vignes rousses s'étalent au soleil, le jardin zen de Beaumont-Monteux a pris ses teintes d'automne. Pour son concepteur Erik Borja, l'art du jardin est symbolique de la culture japonaise. Une culture particulière, héritière de siècles d'isolement dans l'archipel nippon, d'une agriculture parfaitement adaptée à son environnement, et d'une religion d'origine, le shintoïsme, religion animiste où la nature était siège du divin. Les montagnes, les sources, les tempêtes, le soleil, le vent, étaient peuplés d'esprits (kami) à respecter. Contrairement au principe occidental de maîtrise des éléments.

A partir du Vème siècle, l'ouverture du Japon sur d'autres civilisations, chinoise, coréenne, a fait émerger de nouveaux codes de vie, prônant raffinement, esthétique, de l'écriture jusqu'au jardin en passant par les étoffes, la céramique. Puis lorsque la Réforme se répandait en Europe, le bouddhisme zen en Asie a lui aussi épuré l'iconographie. Des jardins sanctuaires ont été créés, visant non pas la beauté mais la méditation individuelle, support de l'élévation spirituelle.
Concevoir un jardin zen, explique Erik Borja, c'est donc une démarche bien plus que botanique. Artiste passionné par les jardins visités au Japon, il en a fait l'expérience. Partant d'une friche héritée au bord de l'Herbasse, il décida en 1977 de créer un jardin japonais, en parfait autodidacte. La nature lui a appris l'humilité, c'est elle qui décide. Après des années à son écoute, il a trouvé l'équilibre avec elle, compris la nécessité d'une forme d'ascèse. Conservant les emblèmes saisonniers traditionnels, cerisiers et érables, mais multipliant les pins, toujours verts, et développant la part minérale, graviers, rochers, symboles d'éternité, jouant sur la présence permanente de l'eau. Son jardin de Beaumont-Monteux exprime à la fois sa démarche artistique et son chemin de vie.

Jardin méditatif, jardin de thé, sous-bois ou bambous, promenade au bord de l'eau, ouverture sur le paysage, c'est un véritable parcours initiatique, une relation sensorielle avec la nature, que partage le visiteur. A condition de faire le vide en soi, d'être réceptif à la beauté, aux forces telluriques, de ne plus jouer les prédateurs, mais d'accepter de faire partie d'un tout à protéger, notre planète.

Article publié dans le JTT du jeudi 23 novembre.

dimanche 19 novembre 2017

Paysage, lectures et ... gastronomie


Dans le cadre des Petites Fugues, festival littéraire itinérant en Franche-Comté, organisé par le Centre Régional du Livre, une promenade a rassemblé dimanche en fin de matinée un public motivé à la Maison de l’Environnement, au bord du lac du Malsaucy.

La fine couche de neige de la nuit entourait le paysage d’une douceur cotonneuse, étouffant les couleurs d’automne. Une brume légère flottait au-dessus des eaux, il faisait froid, quelques degrés à peine. La promenade littéraire entre bois et étangs a permis de découvrir les textes de trois auteurs contemporains, Jakuta Alikavazovic, Anne-Sophie Subilia et Pascal Commère, interprétés par des comédiens. De déambulations rurales en monologues nostalgiques, le ton des textes s'accordait au paysage.

Une bonne soupe au retour a réchauffé le public, invité à participer à une table ronde avec les auteurs. Le temps que le cuisinier botaniste, Jean-François Dusart, installe un exceptionnel buffet, concocté à partir de spécialités locales. Galettes de panais, saucisse à l’épicéa, tiramisu de glands, coings et argouses… pour ne citer que quelques ingrédients inhabituels.
Le point d’orgue fut l’apparition de l’immense meringue représentant le site du Malsaucy, avec les montagnes et lacs,  le parcours de la promenade et quelques citations extraites des lectures. Un travail époustouflant par sa créativité et sa minutieuse réalisation… Un réalisme poussé jusqu’aux petites graines, faînes et myrtilles, répandues au pied des sapins meringués, qui ont fondu dans les estomacs gourmands comme neige au soleil.  
Jean-François Dusart est un pâtissier-magicien qui anime des ateliers gustatifs, des cueillettes botaniques et des repas à thème, au gré des activités "nature" proposées par la Maison départementale de l'Environnement à Sermamagny (T. de Belfort).

dimanche 12 novembre 2017

Chronique littéraire : Petit pays, de Gaël Faye


Un petit pays, le Burundi, comme son voisin le Rwanda. Agréablement situés près du lac Tanganika, pays aux mille collines, voués à l’agriculture, bénis des dieux. Mais de grands malheurs, puisque les ethnies Hutus et Tutsis s’y opposent, s’y déchirent, depuis toujours.

Gaby raconte son enfance insouciante de petit métis, père français, mère rwandaise réfugiée à Bujumbura, capitale du Burundi. Une enfance merveilleuse, dans une maison cossue, avec la bande de copains du quartier, et une belle liberté d’action. Cueillir des mangues, faire des blagues, nager, écouter de la musique… Hutus ou Tutsis, peu importe, dans son petit monde, tout est idéalement en place. La politique, il s’en fiche.

Puis tout bascule. D’abord sa famille, le père et la mère se séparent. Ensuite, en 1993, le Rwanda s’embrase, c’est le génocide, qui contamine le Burundi. La guerre surprend Gaby, qui, à 13 ans, va devoir choisir un camp, connaître la peur, la mort, bref devenir un homme. Et fuir le doux pays de son enfance.

Le roman autobiographique de Gaël Faye a le charme des souvenirs d’enfance, mais aussi l’intérêt des fresques historiques. Raconté de l’intérieur, sans pathos, sans théorie, avec des images et un humour décalés, il permet d’appréhender l’enchaînement des violences, les ravages du génocide des Tutsis, la soif de vengeance, la confusion qui règnent dans le Petit pays. Où vingt ans après, il revient sur ses traces.

Gaël Faye, né en 1982 à Bujumbura, réfugié à Paris en 1995, connaît la nostalgie de l’exil malgré sa réussite dans la musique. Nostalgie de l’enfance, aussi, qui ne peut se soigner que par la littérature.

Prix Goncourt des Lycéens 2016, Petit Pays est maintenant disponible en Livre de Poche.

Chronique publiée dans le JTT.

samedi 4 novembre 2017

Frédéric Mistral, chantre de la Provence


Son nom est porté par d'innombrables lieux publics, places, rues, écoles, ponts, mais qui connaît vraiment ce personnage extraordinaire, chantre de la Provence, créateur du Félibrige, écrivain célèbre dans le monde entier, lauréat du Prix Nobel de littérature en 1904 

Frédéric Mistral est né en 1830 à Maillane, dans une propriété agricole des Bouches-du-Rhône. Mistral n'est pas un pseudonyme littéraire, c'est vraiment son nom, marquant dès la naissance son ancrage dans la Provence. Chez lui, on parle provençal, la langue maternelle, celle des échanges avec sa mère à laquelle il restera très attaché toute sa vie. Pensionnaire à Avignon, puis étudiant à la faculté de droit d'Aix-en-Provence, il apprend et pratique à la perfection le français, mais commence d'écrire des poèmes … en provençal. Pour lui, la langue d'oc est la première langue civilisée d'Europe, celle des troubadours, il veut la restaurer, la magnifier, et mettre en valeur la culture et les traditions provençales. Mistral s'oppose ainsi à la nation qui veut éradiquer les langues régionales.

En 1854, avec six autres poètes provençaux, Roumanille, Brunet, Aubanel, Giéra, Tavan et Mathieu, il fonde le Félibrige, académie littéraire de langue d'oc. Et commence une œuvre magistrale dont l'élaboration prendra plusieurs années : un dictionnaire bilingue provençal-français. En même temps, Frédéric Mistral rédige des poèmes, des articles pour le journal du Félibrige, et, à l'instar du poète Homère, se lance dans un roman épique en vers, Mirèio (Mireille).

« Cante uno chato de Prouvènço,
Dins lis amour de sa jouvènço,
A través de la Crau, vers la mar, dins li blad,
Umble escoulan dóu grand Oumèro, iéu la vole segui. »
« Je chante une jeune fille de Provence,
Dans les amours de sa jeunesse,
À travers la Crau, vers la mer, dans les blés,
Humble élève du grand Homère. »

Mireille est un long poème en douze chants, que Mistral met 8 ans à écrire. En 1859, il en propose une version bilingue, en vers provençaux et français, au célèbre écrivain romantique Lamartine. Lamartine est enthousiaste, il salue l'émergence d'un grand poète. Mireille obtient un succès immédiat en France, puis en Europe, l’œuvre est traduite dans une quinzaine de langues. Elle est même mise en musique par Charles Gounod en 1863.

Frédéric Mistral ne cède rien à la célébrité, il continue de vivre simplement dans son mas de Maillane, reçoit les amis de passage, dont Alphonse Daudet, continue obstinément de rédiger son dictionnaire bilingue, ses articles, contes et poèmes pour l'Armana Prouvençau, pour l'Aïoli. Peaufine d'autres oeuvres, Nerto, Les Olivades, le Chant du Rhône... Et développe un nouveau grand projet : un musée de la culture provençale à Arles. Il collecte et stocke tous les objets de la vie quotidienne, littéraire, religieuse, culturelle de la Provence. Et en 1899, grâce aux soutiens que lui vaut sa notoriété, le Musée Arlaten, lieu de mémoire de la Provence populaire, ouvre ses portes.

La renommée de Mistral est mondiale, le Félibrige se développe à travers l'Occitanie, la Catalogne, de nombreuses régions commencent à défendre leur spécificité culturelle. Le prix Nobel vient couronner le travail exigeant, opiniâtre d'un homme fier de ses racines, soucieux de conserver les traditions de son pays, à la fois linguiste, lexicographe, ethnologue et poète. Frédéric Mistral investit le prix dans son musée, et continue sa vie simple, écrivant jusqu'à son dernier jour, en mars 1914.

En 1992, la France adopte la Charte européenne des langues régionales. Le provençal, comme le breton, l'alsacien... est désormais pris en compte par l'Education nationale.

Article publié dans le JTT du jeudi 2 novembre.


samedi 28 octobre 2017

Ganagobie, une halte spirituelle en Haute Provence

C'est un lieu magique, enfoui dans une forêt de chênes verts, posé sur un plateau calcaire qui domine la Durance. Une route escarpée grimpe parmi les pins d'Alep traversés de soleil. Parfois quelques murs de pierres sèches apparaissent au détour d'un virage, vestiges des terrasses cultivées d'antan. Car le site a été habité depuis la Préhistoire, ses hautes falaises (650 m) le protégeaient, ses sources lui permettaient l'autonomie. Tout en haut, le panorama sur la vallée de la Durance, le plateau de Valensole, la montagne de Lure est spectaculaire. Un sentier de lapiaz permet de faire le tour du plateau, varier les points de vue, et découvrir des carrières (anciennes meules taillées), des grottes, des fontaines, et même un ancien village fortifié en ruines.

Mais le site emblématique, c'est l'abbaye de Ganagobie. Un superbe ensemble conventuel, dont la pierre blonde est magnifiée par les rayons du soleil. Son histoire est complexe, construite au Xème siècle, embellie au XIIème, détruite à la Révolution, abandonnée, pillée. Depuis 1992, les bénédictins de l'abbaye de Hautecombe ont repris possession des lieux pour y vivre en communauté. Les murs ont été redressés, les forêts débroussaillées, les nécropoles mises à jour, et l'église Notre-Dame a bénéficié d'une mise en valeur exceptionnelle. L'élégant porche roman est parfaitement restauré, la décoration du tympan, du linteau, soulignés par colonnettes et chapiteaux, mêlant feuilles d'acanthes et scènes religieuses, est superbe. A l'intérieur, dans un état de conservation exceptionnel, une superbe mosaïque du XIIème siècle, en marbre blanc, grès rose et calcaire noir. Ce vaste tapis de 72 mètres-carrés, mettant en scène le Bien et le Mal, sous forme d'animaux fantastiques, de chevaliers armés, de savantes géométries, couvre le sol du chœur et du transept. 
Les vitraux brisés ont été remplacés par d'autres, délicatement colorés, d'inspiration abstraite, signés du Père Kim En Joong, artiste mondialement célèbre.

La règle de Saint Benoît : prière, travail et fraternité, est observée à la lettre, puisque le monastère, à côté de la vie liturgique, l'entretien des bâtiments et du domaine, organise l'accueil de retraitants et la production et vente, dans la boutique attenante, de baumes, miels et confitures réputés. L'immense bibliothèque, creusée dans la roche, contient un trésor de huit mille ouvrages anciens, dont un important fonds provençal accessible aux chercheurs. Et la nuit, nulle lumière ne trouble la contemplation du ciel et des étoiles.

Article publié dans le JTT du jeudi 26 octobre.


samedi 21 octobre 2017

Henri Mouhot, explorateur génial et méconnu


Nul n’est prophète en son pays. C’est particulièrement vrai pour Henri Mouhot, né à Montbéliard en 1828, explorateur et naturaliste de haute volée, que ses expéditions en Asie du sud-est ont conduit à redécouvrir notamment les temples d’Angkor. Grand voyageur et photographe très apprécié partout en Europe, il a aussi tissé en Indo-Chine des liens amicaux avec les rois de Siam, du Cambodge, du Laos, ainsi qu’avec leurs populations. Par ses expéditions, il a collecté une quantité importante de coquillages, insectes, papillons, serpents, laissé des carnets riches en descriptions géographiques, botaniques et ethnographiques, ainsi que de nombreux dessins et aquarelles. Ajoutons que ce touche-à-tout de génie était unanimement reconnu comme savant, modeste, chaleureux … Eh bien, cet homme exceptionnel, célèbre dans le monde anglo-saxon, n’est connu ni en France, ni même en Franche-Comté !
Dès l’adolescence, Henri Mouhot manifeste un goût pour les voyages lointains et aventureux. C’est ainsi qu’à 18 ans, il part enseigner le français à Saint Pétersbourg, comme de nombreux Montbéliardais de l’époque. Pourquoi ? Parce que la princesse Sophie-Dorothée de Montbéliard était devenue tsarine en épousant Paul Ier, et à la cour de Russie, on parlait français. Il y reste une dizaine d’années, enseignant à Saint-Pétersbourg, puis à Moscou, à Voronej sur le Don. Il en profite pour parcourir l’immense empire russe. Il observe, prend des notes, dessine et photographie, une science récente à laquelle il s’initie sous la houlette d’un élève de Daguerre.
Retour en France en 1854. Avec son frère Charles, il entreprend de sillonner l'Europe, photographiant, exposant les clichés, expliquant l’usage du matériel. Puis il se marie … avec une anglaise, Ann Park, liée à la famille de Mungo Park, célèbre explorateur britannique, et s’installe à Jersey. Mais le virus des voyages est le plus fort. Henri Mouhot, grand lecteur de récits exotiques, veut partir à la découverte des contrées mystérieuses de l’Asie du sud-est. Malgré ses demandes, le gouvernement de Napoléon III refuse de l’aider, il doit se financer lui-même, avec le soutien de la vénérable Royal Geographical Society de Londres.
Le 27 avril 1858 il s’embarque à Londres avec le projet d’explorer les royaumes de Siam, de Cambodge et de Laos et les tribus qui occupent le bassin du grand fleuve Mékong.  Il débarque à Bangkok, cité cosmopolite, est reçu par le roi qui lui donne l’autorisation d’explorer le pays. Et part sur une simple pirogue, en compagnie de deux rameurs et de son inséparable chien. L’aventure commence. Cette première exploration dans une région inviolée par l’homme blanc est l’occasion de se familiariser avec les populations, les usages, d’apprendre à se déplacer et à vivre dans une nature souvent hostile et d’accumuler une somme considérable de connaissances sur la faune et la flore, qu’il consigne dans ses carnets.

Retour à Bangkok, étiquetage, conditionnement, classement des collections de papillons, mise au propre des notes, envoi des caisses par bateau à Londres. Puis il repart le 23 décembre 1858 pour une deuxième expédition. A bord d’une barque de pêcheur il explore les archipels du golfe du Siam, au prix de réels dangers (naufrage, présence de pirates), puis aborde le rivage cambodgien à Kampot. Fort de l’appui du roi, il part reconnaître des territoires des « sauvages Stiengs », dont il étudiera les mœurs, montrant ses qualités d’ethnologue. Puis il se dirige vers l’ouest du pays, attiré par des rumeurs selon lesquelles un immense palais, oublié et englouti dans la jungle, a pu servir de capitale à un « grand empire khmer ». Accompagné par un missionnaire français, il se met en route vers la cité mythique.

Après trois jours de marche dans la jungle, c’est le choc. Le 4 avril 1860, Angkor apparaît. Son enthousiasme est sans bornes. Pendant plus d’un mois, il relève les moindres détails du monument, arpente, mesure, dessine, décrit. Et quand ses travaux parviennent en Europe, c’est l’émerveillement
La troisième expédition dure 4 mois au Siam, l’occasion de récolter serpents, coléoptères, de laisser son nom à certaines espèces de coquillages. La quatrième le conduit encore plus loin, au Laos, en traversant à dos d’éléphant la jungle jusqu’à Luang Prabang. 
En septembre 1861, épuisé, il s’arrête près de Na Lè, au bord du Nam Kam. Atteint par la fièvre jaune, il meurt le 10 novembre 1861, à 35 ans. Ses serviteurs l’enterrent et rapportent ses bagages au consulat français.
Son frère et sa veuve feront publier ses carnets et donneront ses collections à différents musées.

Henri Mouhot fut un homme et un explorateur exceptionnel. Ses renseignements précis et complets ont permis de connaître et de comprendre l’Asie du sud-est. Ses carnets ont connu un succès mondial. Ses collections ont enrichi les musées anglais. A l’heure où il n’y a plus de terres inconnues à découvrir, c’est la vie et l’œuvre d’Henri Mouhot, qui méritent d’être explorées !

Article publié dans l'Esprit Comtois.

jeudi 12 octobre 2017

Chronique littéraire : Maman, de Sylvie Vartan

On connait tous Sylvie, vedette de la chanson française depuis la période yéyé. Avec ses shows à l’américaine, elle a fait une carrière internationale, est devenue pour le public l’icône d’un monde de paillettes. Mais si sa vie actuelle ressemble à un conte de fées, il n’en a pas toujours été ainsi.

Dans cette biographie rédigée à l’aide de Lionel Duroy, Sylvie Vartan raconte son enfance en Bulgarie, sa fuite de la dictature communiste à l’âge de huit ans, son arrivée en famille à Paris, avec une malle en osier pour tout bagage. Le père, la mère, Sylvie et son frère Eddie, ont vécu tous les quatre dans une unique chambre d’hôtel pendant quatre ans. Les enfants ont dû apprendre le français, s’intégrer à l’école. Grâce au travail des parents, au soutien des amis, leur situation de réfugiés miséreux s’est peu à peu améliorée. Une salle de bains au bout de deux ans, puis un appartement en cité. Jusqu’à l’émergence d’Eddie, puis de Sylvie, dans la musique et le showbiz.
Une telle enfance vous marque pour toujours. Sylvie a voué toute sa vie un attachement fusionnel à sa mère qui lui a sauvé la vie et appris à se réjouir du moindre petit bonheur. Une mère qui, elle aussi, avait connu quelques décennies avant le même destin d’émigrée, fuyant la Hongrie à l’âge de 8 ans avec ses parents, pour se réfugier à Sofia en Bulgarie. Eddie lui ne s’est jamais remis de son adolescence fracassée par la misère et le rejet, traînant son mal de vivre. 

C’est en Amérique que Sylvie a refait sa vie. Qu’elle a adopté une petite fille bulgare, reproduisant ainsi à sa façon le destin des émigrés, déplacés de génération en génération. Mais avec l’amour comme viatique, on peut soulever des montagnes. C’est la belle morale de ce récit émouvant, qui tord le cou aux idées reçues.

« Maman » est disponible en poche chez J’ai lu.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 5 octobre 2017.

jeudi 5 octobre 2017

La découverte des gorges du Verdon

En un siècle, la région du Verdon a subi un bouleversement total. Terre isolée, aride, peu peuplée, où la survie était difficile, elle n'était guère chantée que par les poètes comme Giono. L'exploration complète des gorges du Verdon, les travaux hydrauliques qui ont suivi, la création d'infrastructures touristiques, ont transformé cette partie ingrate de la Haute Provence en une région bénie des dieux.

Le Verdon est une rivière tumultueuse qui prend sa source à 2819 m près du col d'Allos et se jette dans la Durance 175 km plus bas, à Vinon, près de Manosque. Il a creusé un canyon vertigineux, le plus grand d'Europe, avec des falaises hautes de 700 m. Curieusement, celui-ci n'a pas connu la notoriété précoce de son grand frère étatsunien, déjà Parc national en 1919. La faute à l'enclavement de la Haute Provence, sa pauvreté, l'absence d'infrastructures routières. Et le danger à pénétrer dans les gorges, aux crues redoutables. Seuls les locaux connaissaient quelques accès au torrent, depuis leurs villages perchés, ainsi que la présence de grottes habitées dès le paléolithique (60 sites préhistoriques découverts, dont le musée de la Préhistoire de Quinson conserve les collections).

A la fin du 19ème siècle, le Touring Club de France et le Club Alpin commencent à promouvoir le site sauvage et spectaculaire des gorges : aménagement d'un sentier d'accès au Verdon, d'une route en corniche, avec belvédères, et d'un refuge. Mais le cours du Verdon reste inaccessible. Par ailleurs un problème plus global se pose : assurer l'approvisionnement en eau potable des villes comme Aix, Toulon et Marseille, dont la population explose. Solution : Capter les eaux abondantes du Verdon et donc entreprendre des travaux hydrauliques. Des tunnels de dérivation, des canaux sont construits à la pioche par des centaines d'ouvriers piémontais.

En août 1905, l'exploration complète des gorges du Verdon est tentée par le spéléologue, géographe et hydraulicien Edouard-Alfred Martel. C'est une aventure dangereuse, mais parfaitement préparée. Une quinzaine d'hommes, dirigés par Martel et guidés par Isidore Blanc, l'instituteur du pays, fin connaisseur des lieux, arrivent en 4 jours à descendre le canyon du Verdon de bout en bout. Leurs lourdes embarcations sont endommagées dans les remous, portées dans les chaos rocheux, les bains forcés sont nombreux, le matériel éparpillé. Le ravitaillement n'est pas toujours assuré depuis les falaises, mais tout le monde s'en sort vivant. Le Verdon a été vaincu, toute la presse relate l'exploit.
Les relevés de Martel puis d'autres scientifiques servent à élaborer de nouveaux travaux hydrauliques. Cinq barrages et autant de retenues d'eau sont édifiés entre 1929 et 1975. Les terres agricoles voisines bénéficient alors d'une irrigation bienvenue, l'eau potable est acheminée en ville. Les routes d'accès se multiplient et le tourisme se développe rapidement.

Depuis les lacs de Sainte-Croix et d'Esparron, on peut maintenant pénétrer dans les gorges jadis infranchissables, se promener en pédalo ou en paddle dans une partie du canyon. On peut aussi randonner sur l'aérien sentier Blanc-Martel, long d'une vingtaine de km environ. La région du Verdon est devenue en 1997 un Parc Naturel Régional. Actuellement ses 188 000 hectares accueillent plus d'un million de touristes chaque année. Lacs et torrent aux eaux turquoise, sentiers de randonnées, routes en corniche, points de vue sublimes, c'est le lieu privilégié de tous les amateurs de nature, de sport, de faune et flore sauvages.

A voir :
Le film Verdon Secret, qui retrace l'épopée Blanc- Martel avec des images spectaculaires.

Article publié dans le JTT du jeudi 28 septembre 2017.

jeudi 28 septembre 2017

Le retable de Montbéliard ressuscité

Le retable de Montbéliard Mömpelgarder Altar est une œuvre d’art magnifique datant de la Renaissance qui a disparu mystérieusement au 17ème siècle. Montbéliard était alors possession du duché de Wurtemberg, donc de l’empire allemand (jusqu’en 1793, où il fut annexé par la République française). Entreposé à Stuttgart, par un héritier du duc Georges de Wurtemberg, le retable fut volé par les Autrichiens pendant la guerre de Trente Ans. Butin de guerre, une pratique courante entre factions ennemies : Les Autrichiens étaient catholiques, Stuttgart et le Wurtemberg étaient protestants.  Le retable de Montbéliard est resté depuis en Autriche, où il constitue un des joyaux du Musée historique de Vienne.

Une superbe copie de ce trésor vient d’être installée cette année au temple Saint-Martin de Montbéliard. Pourquoi une copie et pas l’original ? Parce que la valeur du retable, exécuté en 1540, est inestimable. Son simple déplacement coûterait une fortune en assurances, et on n’est même pas sûr qu’il soit encore transportable. De dimensions impressionnantes : 4m sur 1.85m fermé, il comporte 6 volets ornés recto-verso, soit 12 panneaux de 12 tableaux chacun. Au centre, une grande crucifixion de 1m sur 1m, entourée de douze panneaux. En tout 157 scènes racontent la vie de Jésus, d’après le Nouveau Testament.

Ce fabuleux livre d’images pieuses a été commandité par le duc Georges I de Wurtemberg, suzerain de Montbéliard. Fraîchement converti à la Réforme, il a voulu se perfectionner dans sa nouvelle religion en l’étudiant à travers un catéchisme illustré. Pas question de l’étudier en latin, alors chaque scène du retable est surmontée d’un extrait du texte biblique rédigé en allemand. Le tout peint à la main. Cette grandiose réalisation est la première bande dessinée de l’histoire. Grâce à Heinrich Füllmaurer, un expert en peinture de Herrenberg (Wurtemberg). Ce peintre et ébéniste était un décorateur chevronné qui maîtrisait parfaitement la perspective à l’italienne, les architectures classiques, les portraits, les couleurs, les drapés, les arrière-plans bucoliques. Pour le choix des scènes, extraites des quatre évangiles, il a pris conseil d’un spécialiste de la Bible de Luther. Résultat : Chacun des 157 tableaux est une merveille de minutie, peinte à l’huile sur bois d’épicéa, et raconte une histoire en plusieurs plans. Le retable a coûté une fortune au duc Georges, à l’époque il était déjà considéré comme un chef d’œuvre.

Actuellement ce trésor est intransportable. Mais la Société d’Emulation Montbéliardaise, désireuse de le faire connaître au public, n’a pas reculé devant la difficulté. D’autant que le temple Saint-Martin, plus ancien édifice protestant de France, est l’œuvre de l’architecte Heinrich Schickhardt, lui-même né en 1558 à … Herrenberg ! Cette double légitimité a conforté l’envie de contourner l’obstacle. Après avoir récolté 40 000 € de fonds, la SEM a décidé de faire exécuter une copie par les meilleurs artisans régionaux.

Il a fallu d’abord demander au musée viennois le droit de reproduire chacune des 157 scènes bibliques. Photos, scans, traitement, puis impression sur panneaux PVC, montage sur cadres en bois, avec charnières et serrures. Une doreuse sur cuivre en Alsace a donné à l’ensemble l’éclat qu’il méritait. Le résultat final est d’une qualité visuelle remarquable, totalement semblable au retable du XVIème siècle, moins la prédelle (le soubassement) et le couronnement (sommital). Il constitue, outre sa vocation religieuse, une mine de documents historiques.

Depuis juin 2016, le fac-similé du retable est installé à demeure à l’intérieur du temple Saint-Martin de Montbéliard. Des visites sont maintenant organisées par l’office de tourisme, la société d’émulation et la paroisse protestante. On peut aussi aller admirer le retable individuellement, mais sans le toucher, car seuls les conférenciers ont l’autorisation de le manipuler. Qu’à cela ne tienne, la technologie est au service de l’art : une tablette numérique, installée à côté du retable, permet de visionner sur écran chacune des peintures, et d’en apprécier la finesse, la portée pédagogique. En cliquant sur la bulle rédigée en allemand, la traduction en français apparaît : que pourrait demander le bon peuple de Montbéliard en plus ?

Eh bien, d’admirer le retable chez soi. C’est possible grâce au site monretable.free.fr mis au point par le Pasteur Jean-Pierre Barbier. Apprécier les 157 tableaux n’est plus réservé à Monseigneur le Duc, mais accessible à tous les internautes.

Article publié dans L'Esprit Comtois numéro 10 (automne 2017).

jeudi 21 septembre 2017

Chronique littéraire : La renverse, de Olivier Adam

C’est à la fois la chronique d’un drame de l’enfance et celle d’un scandale politico-judiciaire. Olivier Adam s’inspire de faits qui ont défrayé l’actualité : un maire accusé de viol, avec la complicité de sa maîtresse, par deux employées de la mairie. Il traite le sujet à travers les yeux d’Antoine, fils de cette maîtresse.

Antoine et son frère ont vécu douloureusement le cauchemar du scandale, de la garde à vue, de l’éviction de leur mère. Aucune explication de leurs parents, leur père a soutenu sa femme, tous deux refusant de voir les dégâts occasionnés chez leurs enfants par cette affaire sordide, ignorant l’opprobre dont ils étaient l’objet dans la rue, à l’école, multipliant les mensonges, les interdictions, contre l’évidence.
Antoine et son frère n’ont eu qu’une solution : fuir, quitter la maison, pour essayer de recommencer à vivre. Mais remonter la pente, après un tel séisme, ce n’est pas simple.

Olivier Adam a construit son livre avec maestria, il distille peu à peu les indices d’une intrigue tenue, étouffante. Nous découvrons la complexité de l’affaire, de ses conséquences. Il fouille la psychologie de ses personnages, gratte de plus en plus profond, jusqu’à ce que la plaie à vif se dévoile et permette d’envisager la guérison. C’est la renverse, l’inversion du courant. Un roman passionnant, lourd, et très réussi, sur les inconséquences du pouvoir.

Né  à Paris en 1974, Olivier Adam est un écrivain et scénariste à succès, couronné de nombreux prix. Il a auparavant travaillé dans le domaine culturel, l’édition (le Rouergue) et participé à la création des Correspondances de Manosque.

La renverse est disponible en poche chez J’ai lu.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 21 septembre.