vendredi 22 novembre 2019

Les pneumatiques de la BnF


La BnF, dont le site historique, rue Richelieu à Paris, est maintenant l'Institut national d’histoire de l’art (INHA), accueille les visiteurs dans un superbe décor du XVIIème siècle. L’occasion de découvrir l’histoire d’un monument de l’esprit. Et d'une technologie qui fut révolutionnaire, le transport par pneumatiques !

La BnF est l’héritière de la bibliothèque royale, fondée en 1368, développée par Colbert à partir de 1666 pour la gloire de Louis XIV, devenue la première d’Europe sous la gouverne de l’Abbé Bignon dès 1719. Bibliothèque nationale enrichie sous la Révolution par les milliers de documents saisis. Modifiée de 1854 à 1858 par l’architecte Labrouste, dont la salle de lecture éponyme est une réussite exceptionnelle. Seize pilastres de fonte soutiennent neuf coupoles percées d’oculi qui dispensent une lumière uniforme. Le décor est soigné, avec chaises, pupitres et étagères de bois, lampes d’opaline verte, fresques végétales au mur.

Dans la salle de lecture, réservée aux chercheurs, le silence règne. Au fond, derrière la grande porte encadrée par deux cariatides monumentales, se trouve le magasin central, c’est-à-dire la réserve, avec une autre salle de lecture aux documents en libre accès. Mais ce qui attire l’attention, c’est l’imposante tubulure ancienne conservée au centre des lieux. Qu’est-ce ?
C’est le système pneumatique qui permettait aux bibliothécaires d’antan d’envoyer les demandes de documents dans les services concernés. Un système à air comprimé, qui propulsait des navettes tubulaires contenant les messages à plus de 400 m par minute. Installé en 1935, utilisé jusqu’en 1998, date de déménagement des collections dans la BnF François-Mitterrand, il constitue un élément de décor décalé au milieu des ordinateurs qui l’ont remplacé.

Ce système de communication était incontournable dans toutes les capitales du monde à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Et pas seulement en bibliothèque ! C’était le mode de transport du courrier public, mis en place dès 1866 à Paris. En 1888, près de 200 km de tubes posés dans les égouts reliaient les bureaux télégraphiques de la capitale. Dans le langage courant, on parlait alors d’envoyer un «pneu». En 1934, le réseau pneumatique parisien atteignit son apogée avec une longueur de 467 km, desservant plus de 130 bureaux et distribuant une dizaine de millions de correspondances par an (chiffre record de 30 millions en 1945).


Si aujourd’hui les SMS ont remplacé les « pneus » pour la communication, de nombreuses enseignes, hypermarchés, banques, hôpitaux, pharmacies, utilisent encore ce système à air comprimé  pour s’envoyer de petits colis en interne. Plus besoin de courir d'un étage ou d'un bâtiment à l'autre.

Article publié dans le JTT du jeudi 14 novembre 2019.


vendredi 15 novembre 2019

Le lac d'Esparron et les Basses Gorges du Verdon


Les gorges du Verdon sont un site spectaculaire, emblématique de la Haute Provence. On admire de haut cet impressionnant canyon creusé dans des falaises vertigineuses, difficilement accessible de près. Si l'on veut pénétrer dans le lit du Verdon, les Basses Gorges, entre les lacs d'Esparron et Sainte-Croix, offrent un abord plus facile, dans un paysage moins impressionnant mais tout aussi sauvage.

C'est uniquement par navigation sur le Verdon assagi qu'on peut découvrir ce superbe site naturel. En canoé, kayak, paddle, pédalo ou bateau électrique, sur une dizaine de kilomètres d'eau turquoise, les gorges déroulent leurs falaises calcaires grignotées par la végétation méditerranéenne. De nombreux oiseaux y nichent. Quelques cavernes et grottes témoignent d'une occupation humaine dès le néolithique : Entre l'eau et le soleil, le bois, les baies et le gibier, on pouvait y vivre en autarcie. Les touristes découvrent ce coin de paradis à leur rythme, entre navigation, observation de la faune et de la flore, pique-nique et baignade dans le Verdon … si l'on n'est pas frileux.

Pour une température idéale, il faut revenir au lac d'Esparron, à l'embouchure des gorges, un des plus beaux lacs de Provence. Dans ses eaux cristallines dont la couleur varie entre turquoise et émeraude, entouré de falaises, il emmagasine la chaleur. De multiples calanques et plages sauvages le bordent, mais aucune route n'en fait le tour. Pour le découvrir, il faut louer une embarcation au village d'Esparron, blotti autour de son château, ou emprunter les sentiers de randonnée. Le plus spectaculaire, c'est celui de l'ancien canal, en balcon au-dessus du lac. Les jeux de lumière entre les pins et l'eau sont sublimes. Et l'histoire de ce canal d'irrigation est un bel hommage au labeur des hommes. Construit il y a 150 ans pour alimenter en eau la Provence, sur une longueur de 15 km, à flanc de falaise au-dessus du Verdon, il a nécessité le percement de 59 tunnels dans la roche des basses gorges !


Article publié dans le JTT.

mercredi 6 novembre 2019

Chronique littéraire : La salle de bal, de Anna Hope

Un roman envoûtant, aux personnages attachants, à l’intrigue originale, qui s’empare d’un sujet méconnu : la vie dans les asiles psychiatriques anglais au début du XXème siècle.

Emma a été internée quand elle a cassé une vitre dans la filature où elle travaillait depuis l’âge de dix ans. John est tombé en dépression, après la perte de son enfant. Clem est une intellectuelle bourgeoise qui refuse de se marier avec un vieil ami de ses parents. Ils ne sont pas fous, mais pourtant ils sont prisonniers dans ce gigantesque asile de plus de deux mille personnes. Leur liberté est aliénée, ils vivent sous la contrainte et les coups, prisonniers d’un système carcéral qui les exploite, les broie et les retient à vie. Le plus fou, c’est peut-être le psychiatre, le docteur Charles Fuller, qui expérimente sur eux ses théories.

Le bal du vendredi, dans la belle salle d’apparat en fait partie. La musique, l’exercice, la rencontre avec l’autre sexe, cette parenthèse en société permet-elle de revitaliser les âmes perdues ? Une théorie qui ne tiendra pas face à l’eugénisme alors très en vogue dans les milieux politiques.

La description du fonctionnement de l’asile, gigantesque entreprise agricole qui vit en autarcie fait frémir. L’évolution des personnages est intéressante, Ella et John parviendront-ils à s’évader pour vivre une vraie vie ? Un style poétique, mais proche de la nature et de la vie concrète. Le roman se passe en Angleterre, mais il pourrait se passer partout où on enferme les personnes non conformes à la règle. Emouvant, passionnant, bien documenté, il nous fait réfléchir.

Anna Hope est à la fois actrice et écrivaine. Elle est née en 1974 à Manchester (Royaume-Uni).
Son roman « La salle de bal » est actuellement disponible en poche chez Folio.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 7 novembre 2019.