vendredi 25 mai 2018

Chronique littéraire : Désorientale, de Négar Djavadi

Un livre d’une richesse, d’une profondeur, d’une puissance, infinies.

L’histoire de Kimiâ, jeune Iranienne, fille de dissidents politiques, réfugiée à Paris, ouvre sur toutes les difficultés et les richesses de la vie.  Pendant la longue attente d’une procréation médicale assistée dans une salle d’hôpital, Kimiâ se souvient de son périple, fait le bilan de sa vie.  D’abord, l’aspect intime, avec l’adolescence, les rapports familiaux, les conflits. Puis la vie adulte, la révolte, les relations hommes-femmes, homos-hétéros. Tout cela vécu dans une famille persane, où il est difficile de revendiquer l’indépendance et la différence. Où la tradition sert de ciment social, plus encore quand on est exilé.
Ensuite, il y a l’énorme différence entre la France rêvée depuis Téhéran, pays de liberté, terre promise, et la dure réalité parisienne, faite d’indifférence, de mépris, de pauvreté, affrontée à l’arrivée. Enfin, par bribes, Négar Djavadi nous raconte les dernières décennies de l’histoire de l’Iran, révolution contre le shah, dictature de Khomeiny, guerre contre l’Irak. Sans langue de bois, et avec le recul des années et de la distance.
Telle une conteuse orientale, son récit fait des tours et des détours, passe d’un registre à un autre, n’aborde pas les problèmes de front, mais les dévoile peu à peu. Le style est vif, caustique, l’analyse tout en finesse et profondeur ne s’attarde pas sur les apparences et remet en cause beaucoup de sujets. Désorientale est un titre particulièrement bien choisi, qui illustre parfaitement la maîtrise de la langue de l’auteur et son statut à part dans la société. On ne peut lâcher ce roman, aux accents autobiographiques, mené de main de maître.
Négar Djavadi, née en Iran en 1969, vit à Paris. Diplômée d’une école de cinéma, elle est à la fois réalisatrice et scénariste. Désorientale, son premier roman, a remporté de nombreux prix. Il est disponible en format poche chez Liana Levi.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 24 mai.

samedi 19 mai 2018

Le célèbre chapeau Panama est fabriqué en Equateur !


Mais ce sont les Panaméens qui l’ont fait mondialement connaître. Pendant la construction du Canal de Panama (1880-1914), les ouvriers se protégeaient du soleil avec ce chapeau de paille traditionnel de l'Equateur. Le canal, gigantesque chantier, vitrine de l'Amérique, visité, commenté, photographié, a mis à la mode le fameux couvre-chef, baptisé abusivement « panama » malgré son origine équatorienne. Les hommes politiques, vedettes de cinéma et même les truands du début du XXème siècle s’en sont emparé, lui assurant une publicité internationale.

C'est à partir des feuilles d'un palmier qui poussait à l'origine au cœur de l'Amazonie (Carludovica) qu'on fabrique la paille du fameux panama (paja toquilla). Les palmes sont coupées à la machette par les hommes sur le palmier, puis ramenées au village, où on fend les tiges et les divise en fibres de plus en plus fines, d'environ 1m de long. Un travail pour les femmes et les enfants. Ensuite il faut faire bouillir puis sécher les fibres. Une opération à renouveler, afin de leur donner toute la résistance voulue. Le travail de tressage commence alors, c'est un artisanat de haut niveau. Suivant la finesse, il peut durer jusqu'à huit mois. Le prix sera en conséquence. Un panama de qualité est totalement imperméable et on peut le plier sans le déformer. 

Les chapeaux tissés mais non finis sont ensuite acheminés à la fabrique, où ils subissent plusieurs traitements. Passage à l'étuve, blanchiment ou coloration, mise en forme sur des embauchoirs, où ils sont pressés à forte température. Enfin la finition : un ruban sombre est cousu sur les chapeaux blancs ou ivoire, les modèles classiques. On s'autorise toutes les fantaisies sur les nouveautés. Le prix ? Il peut varier de 30€ à 1000€ suivant la finesse du tissage. Prix sur place, en Equateur. Ailleurs, c’est encore plus cher ! L'exportation marche très bien, le panama est un incontournable de la mode, et s’expose dans les magasins chics du monde entier.



Preuve de sa qualité et de son authenticité, le tissage du sombrero de paja toquilla (son nom équatorien) est inscrit depuis 2012 au patrimoine culturel immatériel de l'humanité.

Article publié dans le JTT du jeudi 17 mai 2018.

vendredi 11 mai 2018

Valence et les Papes

Chaque semaine, une facette différente du patrimoine drômois est mise en valeur à travers des visites guidées organisées par Valence Romans Agglo, Pays d'art et d'histoire. Ainsi, « la visite des Papes à Valence » permet de découvrir des anecdotes inédites.  Si les Valentinois savent que le pape Pie VI est mort à Valence en 1799, que savent-ils des passages furtifs de Pie VII, Calixte II, Urbain II ? Plus stupéfiant encore : C'est à Valence qu'a été formé le seul pape anglais de l’histoire : Adrien IV.

C'est du côté du temple Saint-Ruf qu'il faut chercher des indices. Ce temple protestant était à l'origine une église catholique, Saint-James, appartenant à l'opulente abbaye de Saint-Ruf, sise au bord du Rhône, près de l'actuel Parc Jouvet, aujourd’hui détruite. Au tout début du XIIème siècle, on y accueillit un jeune fugitif anglais, Nicolas Breakspeare. Pèlerin, puis employé comme domestique, il prononça ses vœux, de novice devint chanoine, puis prieur en 1140. Ses qualités éminentes le conduisirent à prendre ensuite la tête de l'abbaye-mère de Saint-Ruf en Avignon, en tant qu'abbé. Il déplaça alors l'ordre de Saint-Ruf à Valence. L'étape suivante fut sa nomination comme cardinal par le pape Eugène III. Après diverses missions en Scandinavie, il devint pape à son tour, de 1154 jusqu'en 1159, sous le nom de Adrien IV.  Valence peut s'enorgueillir d'avoir formé le seul pape anglais de toute l'histoire !

Le passage de Pie VI à Valence est plus dramatique : Confronté à la Révolution française et ses exactions contre les religieux, puis aux ambitions du Directoire et de Napoléon Bonaparte qui entendaient instaurer une république à Rome, il fut contraint de renoncer à son pouvoir temporel. Prisonnier des Français par ordre du Directoire, obligé de quitter Rome en février 1798, à l'âge de 80 ans, il arriva à Valence après un long chemin. Il y séjourna quelques mois, avant d'y mourir le 29 août 1799. D'abord enterré à Valence, sa dépouille fut ensuite transférée à Rome en 1801. Mais les Valentinois qui avaient apprécié le pape lors de son séjour, demandèrent comme relique son cœur, qui leur fut renvoyé en 1811. Depuis, il est conservé dans un coffret situé sous le buste même de Pie VI, dans le choeur de la cathédrale Saint-Apollinaire.

Vie ou mort, ambition ou lâcheté, croisade ou concile, les raisons du passage des papes à Valence sont multiples. Les guides-conférenciers de Valence Romans Agglo, très documentés, font découvrir les petites histoires de la grande histoire, au fil d'un parcours à travers des lieux peu connus de la ville. Et ce, tout au long de l’année !

Renseignements : 04 75 79 20 86.


Article publié dans le JTT.

vendredi 4 mai 2018

Une extraordinaire épopée française en Amérique du Sud : la mesure de la Terre


En Equateur, le nom d’un Français figure en bonne place sur les rues, lycées, monuments : Charles-Marie de la Condamine. Totalement méconnu en France, ce savant fut un des responsables de la grande expédition géodésique française en Amérique du sud, commanditée par Louis XV, en 1735, pour mesurer un arc du méridien terrestre et connaître la forme exacte et les dimensions de notre planète. Une expédition supervisée par l’Académie des Sciences, à travers trois de ses membres : Le mathématicien Pierre Bouguer, l’astronome Louis Godin et le géographe Charles-Marie de la Condamine. Avec le médecin et naturaliste Joseph de Jussieu, une dizaine d’hommes, chirurgien, horloger, technicien, ingénieur… participèrent à l’aventure.

L’expédition géodésique devait durer quelques mois, en réalité elle dura plus de sept années, jusqu’en 1743, multipliant les difficultés et les drames. Voyage périlleux, climat extrême, au cœur de la Cordillère des Andes, entre les villes de Quito (actuellement capitale de l'Équateur) et de Cuenca, sur une distance d’environ 300 km. Eruption volcanique, tremblement de terre, rien ne fut épargné aux scientifiques, y compris l’hostilité des Espagnols qui dirigeaient le pays, l’abandon ou les vols récurrents par les guides locaux en pleine tempête. La bonne entente entre les différents membres de l’expédition tourna à la jalousie et la haine, l’Académie coupa les crédits, maladies et décès furent à déplorer. Pourtant les mesures continuèrent, d’abord terrestres par triangulation, puis astronomiques. Les scientifiques vivaient sous tentes, dans des conditions précaires, démontaient, déplaçaient et remontaient leurs instruments au fur et à mesure de leur avancement. Les mesures s’effectuaient entre des signaux construits sur les flancs des montagnes, pour être visibles de loin. Signaux qui disparaissaient avec les tempêtes ou étaient détruits par les indigènes qui y voyaient des manœuvres diaboliques. Après avoir noté et vérifié les mesures, il fallait encore effectuer à la main les calculs correspondants !

La Condamine, par son sens de l'organisation et des contacts humains, sauva du désastre l'expédition française qui, après bien des péripéties, obtint la mesure de trois degrés du méridien de Quito. Les résultats confirmèrent ceux de l'expédition polaire en faveur de la théorie de Newton (la terre s’aplatit aux pôles). En 1743, La Condamine, Bouguer et Godin se séparèrent pour rentrer en France. La Condamine traversa le continent américain d'ouest en est, pour rejoindre Cayenne, puis l'Europe en bateau en 1745. Premier scientifique à descendre l'Amazone, il en dressa une carte, décrivant l'arbre quinquina, dont on extrait la quinine, l'arbre à caoutchouc et l'usage du curare, poison utilisé par les Amérindiens. Il participa par ses articles à l’Encyclopédie de Diderot. Mais sans concrétiser son rêve : apercevoir les fameuses Amazones qui donnèrent leur nom au fleuve ! Godin rejoignit Lima puis traversa le Brésil jusqu’à Rio, Bouguer passa par le nord et Panama. En France, les trois savants se disputèrent les honneurs de leurs résultats. Quant à Jussieu, il resta plus de 35 ans à herboriser et soigner les indigènes dans les Andes, avant de perdre ses caisses de spécimens et la raison ! 
Une aventure hors normes, racontée et commentée à la Cour et dans les salons par La Condamine avec grand succès. Qui a fait rêver les philosophes, dont Voltaire, les scientifiques et tous les esprits aventureux des siècles suivants.



Pour les rêveurs d’aujourd’hui, deux livres passionnants à découvrir : « Le procès des étoiles », de Florence Trystram et « Doña Isabel, ou la véridique et très mystérieuse histoire d’une créole perdue dans la forêt des Amazones », de Christel Mouchard.

Article publié dans le JTT.