jeudi 25 juin 2015

Fin de saison au Felsach

On aurait pu casser la croûte à Kruth (68), et piquer une tête dans le lac… Mais la météo et Eric en ont décidé autrement.
RV et équipement sur le parking près de la digue, dans la fraîcheur matinale. Nous quittons la rive paisible du lac pour attaquer la montagne, plus de 600 m  de dénivelée jusqu’à la ferme-auberge. D'abord un bon chemin forestier à travers les hautes futaies, puis un petit sentier tapissé d’aiguilles de sapin. La montée régulière en lacets, entre cascades et rochers, mousses et fougères, permet d’échanger sur nos sujets favoris, voyages et restos, enfants et petits-enfants, santé et projets. La température fraîchit. Au bout de deux heures, une pause joyeuse à  l’abri forestier du Wintergas :  Pinot, Crémant, Ictus, gougères et cake maison, donnent l'énergie d'affronter le reste de la montée.

Enfin, la crête du Felsach, ses vertes prairies parsemées de digitales pourpres, marguerites et boutons d’or. Un panorama splendide sur les sommets vosgiens, avec le lac de Kruth, tout en bas. Nous sommes à plus de 1100 m. Une borne sculptée à l’horizontale dans un bloc de granit moussu rappelle qu’ici passait la frontière entre Alsace allemande et France humiliée, il y a plus d’un siècle ; frontière encore matérialisée par un long muret de pierre. La ferme-auberge apparait, minuscule refuge humain au milieu des pâturages où paissent de belles vosgiennes à robe blanche truitée de noir. De la terrasse, une vue panoramique sur la vallée, nature à l'infini. Mais il fait à peine 12°, nous préférons l’intérieur.

Accueil chaleureux, repas copieux, on retient la tourte de viande, le siesskas à la chantilly et la tarte aux myrtilles fraîches. Surprise : Martine fait la saison ici, elle nous rejoint, et avec Eric nous évoquons nos souvenirs, traversée des Vosges, Hohneck dans le blizzard, baignade dans le lac des Perches, anniversaire de Raymond, il y a 4 ans. Et les temps forts de l’année : le jour où les Mille étangs n’en formaient plus qu’un, certaines dames ont alors traversé à dos d’homme. L'apparition de Sylvie rayonnante  entre deux chimio. Et le fameux contrôleur de gym+, face aux passagers clandestins,  Madeleine qui se fait appeler Nicole, mais Nicole n’a pas réglé sa cotisation, François qui remplace Jacqueline, mais n’a pas de ticket… Beaucoup de bruit pour rien !

Martine décide de nous accompagner dans la descente vers Kruth. T’as ton ticket, Martine ? Non, on blague ! Rencontres impromptues  à travers les prairies d’altitude : chamois en liberté, militaires en manœuvre, couple de Normands en goguette. Passage au Frenz, petite station de ski familiale à 770 m. Puis la pente se durcit, un long chemin caillouteux et glissant malmène nos genoux. Enfin le répit, au bord du lac, en compagnie de carpes majestueuses évoluant nonchalamment dans l’eau.

Encore une journée d’amitié en montagne, la tête dans les nuages. Merci Eric pour toutes ces émotions, ces moments partagés, ces belles images.

lundi 22 juin 2015

La Péniche au bord du Rhône

Voir passer des péniches, c'est le quotidien des habitants de Tain-Tournon. Mais s'y installer, et avoir ainsi l'impression d'apprivoiser le fleuve, c'est maintenant possible à Tain, sur la promenade Robert Schuman.

La brasserie La Péniche a ouvert sa terrasse en juin. C'est un lieu d'accueil sympathique, bois clair et chaises flashy, perché au-dessus des anciens gradins, où l'on sert boissons, glaces et petite restauration. Deux passerelles permettent d'accéder à la péniche-restaurant proprement dite, solidement amarrée aux berges, dont l'ouverture est prévue cet été.
Stéphane et Laetitia, aidés d'une serveuse et d'un barman, assurent le service 7 jours sur 7. Les sportifs de la Viarhôna, les usagers du camping, les clients de Valrhôna, ou simplement les promeneurs ont déjà pris l'habitude d'un petit-déjeuner sur le ponton, d'un rafraîchissement à l'ombre, ou d'un apéritif au clair de lune.
Le point fort de l'établissement, c'est la présence majestueuse du Rhône, mis en valeur par la perspective végétale de la promenade. En arrière-plan, une vue spectaculaire sur le grand pont, les villes de Tournon, Tain, les vignes et les coteaux. Le dépaysement est total, en pleine nature, on redécouvre la vie du fleuve, le passage des péniches, des bateaux de croisière, l'entraînement du club d'aviron, parfois même la présence fugitive de castors sur la berge. Ou simplement les variations de lumière entre le ciel et l'eau.

Après le kiosque "Entre deux ponts" et le restaurant "L'orangerie", "La Péniche" poursuit la valorisation touristique de la rive sud du Rhône. Que couronnera bientôt, le centre nautique. Des haltes conviviales, dispersées le long du fleuve, pour bien profiter de l'été.

Article publié dans le JTT.

jeudi 18 juin 2015

Chronique littéraire : Rue des voleurs, de Mathias Enard

Ce roman social brosse un portrait sans concession du monde actuel, celui d’une jeunesse   dans l’impossibilité de trouver un avenir entre l’Afrique à feu et à sang et l’Europe en désagrégation.

Lakhdar, jeune Marocain de Tanger est plutôt content de son sort. Il a deux passions : les romans policiers français, et forniquer avec sa cousine. Tout bascule quand Lakhdar est découvert avec elle. Battu à mort, et renié par sa famille, commence pour lui une vie d’errance, ballotté au gré des rencontres, des petits arrangements pour survivre.
La littérature le sauve, il trouve un job dans une librairie coranique, puis recopie des données sur Internet, où il fait la connaissance de Judit, étudiante à Barcelone. Mais la situation est précaire, dangereuse. La violence des Barbus l’oblige à fuir en Europe, d’un esclavage à l’autre, sur le bateau, dans une entreprise de Pompes funèbres, jusqu’à Barcelone, Rue des Voleurs, à la recherche de Judit.

L’écriture de Mathias Enard, dense et fiévreuse, rend admirablement la complexité, la confusion de ces villes cosmopolites où règne l’urgence de vivre : Tanger, plaque tournante entre Maroc et Espagne, et Barcelone, terre d’accueil et de démesure. La population des bas-fonds, les classes laborieuses, leurs attentes, leurs dérives, le sentiment de ratage, de fin du monde imminente, où les islamistes ratissent large. Le propos est adouci par de belles citations de littérature arabe qui soulignent la dimension humaine commune aux deux rives de la Méditerranée.

Né en 1972, Mathias Enard a étudié l’arabe et le persan, et fait de nombreux séjours au Moyen-Orient et au Maghreb. Il vit actuellement à Barcelone.
Rue des voleurs est maintenant disponible en poche chez Actes Sud, collection Babel.

Chronique publiée dans le JTT.

lundi 15 juin 2015

Art et tradition du fil

Le club de broderie « Si les points m’étaient contés » a organisé ce week-end à Vézelois (90) un grand salon consacré à l’art du fil sous toutes ses formes. Si le thème « Noël en Juin » s’inscrivait en contrepoint, les créations proposées, elles, consacraient la tradition, l’artisanat, la passion de l’authenticité. Broderies au ruban, perlage, points comptés, patchwork, art textile, couture, dentelle et laine, tricot, crochet, cartonnage … s’exposaient en plusieurs lieux dispersés à travers le village. Les écoliers avaient découpé des rennes qui balisaient le jeu de piste, entre foyer, église, salle de sport, et granges traditionnelles ouvertes pour l’occasion. Avec Françoise aux commandes, les bénévoles à l’intendance, et les visiteurs en nombre, ce fut un beau succès. Et pas seulement réservé aux femmes !

La filière du lin a particulièrement intéressé le public franc-comtois. Les liniculteurs normands invités avaient eu la judicieuse idée de présenter sur leur stand trois stades de la plante : les tiges avec leurs fleurs bleues, un écheveau de filasse, et un coupon de lin tissé. De quoi exciter la curiosité des visiteurs. La culture du lin est issue d'une tradition millénaire, elle nécessite une terre riche, profonde, un climat tempéré et humide, qu'elle  trouve précisément en Normandie. La France est leader mondial avec ses fibres d'excellente qualité. 

Le lin est une plante annuelle, semée en mars- avril. La croissance est rapide, la floraison a lieu en juin. Environ un mois après, le lin est mûr, on le récolte : il est arraché mécaniquement (et non fauché) afin de conserver la longueur des tiges et donc des fibres. Il est laissé sur le sol, pour le rouissage, phénomène naturel qui permet, grâce à l'action de micro-organismes, d'activer la séparation des fibres et du bois. Le rouissage dure de 3 à 7 semaines, suivant les actions conjuguées de la rosée, de la pluie, du vent et du soleil.
Après rouissage, le lin est enroulé sous forme de balles rondes pour être ensuite teillé (séparation mécanique des fibres textiles et des parties ligneuses). La transformation du lin en filasse est assurée par des coopératives et des teilleurs privés, les filasses sont ensuite peignées pour  être envoyées vers les filatures. Où ça ? en Chine ! Mais le lin filé revient en Europe pour être tissé, imprimé, et utilisé par les créateurs en couture, déco, loisirs.
Sa capacité à se gorger d’eau en fait un textile apprécié en été.

vendredi 12 juin 2015

Chronique littéraire : Réparer les vivants, de Maylis de Kerangal

Un livre éblouissant, sur un sujet austère : une transplantation cardiaque.

Maylis de Kerangal réussit ici un tour de force littéraire et une prouesse documentaire. Tout est parfaitement maîtrisé, l’intrigue, soutenue du début à la fin, les nombreux personnages, fouillés, charnels, l’ambiance dense à chaque étape, les détails millimétrés de la procédure médicale. Le travail de la langue est extraordinaire, entre vocabulaire technique, lyrisme poétique, images visionnaires, explosions d’émotion.

Ce récit extrêmement riche apprend beaucoup de choses sur la transplantation d’organes, cette aventure du XXIe siècle, et sur la perfection logistique dont dépend sa réussite. Mais c’est aussi  un coup de poing en plein cœur. Car ici le cœur n’est pas seulement l’organe vital, mais le lieu des sentiments, de la vie métaphysique. Du grand art.
Le titre est emprunté à une réplique de Tchekhov dans Platonov : « Enterrer les morts et réparer les vivants », qui résume exactement la dualité du livre.

Maylis de Kerangal, romancière née à Toulon en 1967, a obtenu de nombreux prix pour ce roman.
Réparer les vivants est maintenant disponible en poche chez Folio.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 11 juin 2015.

dimanche 7 juin 2015

Perugia, l'autre Cité du chocolat

L’Italie est réputée pour ses chocolats. Entre Turin, fief de Ferrero et du gianduja, et Modica en Sicile, où subsiste une recette de chocolat artisanal à l’ancienne, sans conchage, il y a Perugia, en Ombrie, où chaque année se déroule l’Euro-Chocolat. Cette manifestation internationale est dédiée au chocolat sous toutes ses formes. La ville médiévale se transforme alors en une énorme fabrique de chocolat à ciel ouvert, une foule d’amateurs envahit rues et places du centre historique, profitant des expositions, ateliers, cours de cuisine, dégustations et concerts. De nombreux restaurants proposent des menus « tout chocolat ».

Il faut dire qu’à Perugia, il existe, depuis plus d’un siècle, une fabrique de chocolat réputée : La Perugina.  Fondée en 1907, elle a constamment diversifié ses produits : dragées, bonbons, poudre de cacao, tablettes, au fil du temps et des différents financiers, dont  la styliste Luisa Spagnoli et la famille Buitoni. La petite manufacture est devenue grande, mais le produit emblématique reste toujours le Bacio (baiser), une bouchée de chocolat noir, fourrée praliné noisette, enveloppée de papier d’argent. On en fabrique actuellement 1.500 par minute ! Pour l’Euro-Chocolat 2013, un énorme exemplaire de huit tonnes a été réalisé, nécessitant 1000 heures de travail aux chocolatiers. Cette extravagante réalisation, symbole du festival, a ensuite été débitée et mangée par le public en seulement 4 h !

Délocalisée à la périphérie de la ville, à San Sisto, l’immense usine, qui fait maintenant partie du groupe Nestlé, organise des visites guidées et entretient une Ecole du chocolat. Vidéo sur la fabrication du chocolat et l’histoire de la société, musée  avec photos souvenirs, outils, emballages, et rétrospective des pubs.
La visite se poursuit par un passage rapide au-dessus des chaines de fabrication. L’usine emploie 1200 personnes en haute saison, 600 seulement en basse saison. Enfin arrive le moment tant attendu : la dégustation. Chocolat noir, au lait, blanc, à la menthe, à la banane, bonbons Rossana, caramels, sont présentés en libre accès sur les plateaux. De quoi donner envie de s’attarder dans le coquet magasin de vente, dont tout le monde ressort avec un petit sac gourmand.

Article publié dans le JTT du jeudi 4 juin 2015.

mercredi 3 juin 2015

Le jardin botanique de Porrentruy (JU)

En mai et juin, la visite du jardin botanique de Porrentruy est une merveille, la floraison de la collection d’iris (180 variétés) précède celle des roses (80 variétés) dans un enchantement de couleurs. La visite est en libre accès pendant les heures d’ouverture du lycée cantonal.

Le jardin a été créé en 1799, dans l’enceinte du Collège des Jésuites, c’est un des plus anciens de Suisse. La région étant alors française, c’est le Muséum d’Histoire naturelle de Paris qui a fourni les premières graines, et chargé l’abbé Antoine Lémane, responsable de l’enseignement, de sa réalisation. L’initiation aux sciences incluait alors la botanique. Après la chute de l’Empire, l’évêché de Bâle est passé sous la tutelle de Berne, l’école a plusieurs fois changé de nom et modifié ses programmes, le jardin est devenu potager pour nourrir les élèves. Ce n’est qu’en 1832, que le
naturaliste jurassien Jules Thurmann l’a réaménagé, lui donnant sa forme actuelle.

Trois parties : la collection d’iris et roses, abritée entre les murs historiques du Collège, est entourée de bordures de légumes anciens, cardons, topinambours, plantes médicinales ou vénéneuses. Un arboretum, dont la pièce maîtresse est une couronne de thuyas géants, vieux de plus de deux siècles. Et un jardin jurassien en rocaille, qui propose un raccourci de toute la flore présente dans le massif du Jura, des rives du lac de Bienne au sommet du Chasseral.

 

Le jardin botanique est complété par un ensemble de serres exposant de superbes collections de cactus, d’agrumes et de variétés tropicales, où orchidées et plantes carnivores ont la vedette. Dimanche, à l’occasion de la Fête de la nature, la visite guidée par un expert jardinier a été l’occasion de s’émerveiller, tout en bénéficiant d’une belle leçon de botanique.

lundi 1 juin 2015

Chronique littéraire : Au revoir là-haut, de Pierre Lemaitre

La commémoration de la Grande Guerre est dans tous les esprits, pourtant le roman de Pierre Lemaître échappe de façon magistrale à l’hagiographie. En traitant non pas les hauts-faits glorieux, mais l’ignominieux abandon des soldats survivants, il fustige avec force l’anarchie politique, militaire, administrative, qui a prévalu après 1918 dans une France exsangue. 

Au fil d’histoires familiales détruites par la guerre, les responsables militaires apparaissent comme de vieilles badernes dépassées ou des ambitieux sans scrupules. Les fonctionnaires sont pourris à tous niveaux. « La guerre, c’est bon pour le commerce », dit l’auteur. Les gueules cassées sont abandonnées, sans le sou, les plus malins des rescapés essaient de s’enrichir par des combines scandaleuses : arnaque aux cercueils, aux monuments aux morts.
Plus qu’un roman politiquement incorrect, c’est une caricature jubilatoire. L’envers du décor, tout ce qu’on ne nous a jamais raconté : Le vain sacrifice dans les tranchées, le sort misérable des blessés, et la non-reconnaissance des survivants : La nation glorifie ses morts, mais ne s’occupe pas des vivants.
Dans ce monde glauque, seule l’expression artistique peut donner encore envie de vivre. Les masques oniriques d’Edouard le défiguré, qui semblent totalement futiles, vont lui permettre, ainsi qu’à son ami Albert au grand coeur, de retrouver l’espoir.

Pierre Lemaitre est connu comme spécialiste du polar. Son écriture foisonnante, son humour décapant, sa documentation soignée, son analyse de la société, le révèlent ici comme un grand écrivain populaire, à l’instar de Dickens ou Dumas. Le Prix Goncourt 2013 a récompensé ce roman passionnant, qu’on ne peut quitter, tant l’intrigue est haletante.
Au revoir là-haut est maintenant disponible en Livre de Poche.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 28 mai 2015.