L’histoire de la Cartoucherie est intimément liée à celle de la région. Construit en 1850, par un industriel visionnaire, Noël Sanial, ce « palais industriel » fut d’abord une manufacture textile, produisant des Indiennes par impression sur coton, et filant la soie pour les canuts lyonnais. En 1859, 750 employés, dont 300 enfants de 8 à 15 ans, 350 hommes et 100 femmes y travaillaient du lever au coucher du soleil. De nombreux problèmes (pénurie de coton américain à cause de la guerre de Sécession, maladie du ver à soie, incendies accidentels) conduisirent l’entreprise à la faillite en 1866. Après diverses spéculations, l’état racheta les locaux pour en faire une cartoucherie nationale. Le désastre de la guerre de 1870 demandait réparation, les militaires furent chargés de gérer l’entreprise, qui perdura de 1874 à 1964.
La condition ouvrière s’organisait : le droit de
syndicat fut instauré en 1884, le repos dominical en 1906, la semaine de 49h en
1914. Mais le statut des femmes restait très différent de celui des hommes,
elles gagnaient la moitié moins. En 1912, elles avaient constitué un groupe
féministe qui manifestait déjà pour la paix. La guerre de 1914 fit abandonner
tous les acquis sociaux, il fallait travailler jour et nuit, les fours ne
s’arrêtaient pas. 2500 femmes ont été embauchées, qu’on a évidemment licenciées
une fois la paix revenue. Puis la seconde guerre a vu les machines plombées
pour ne pas être livrées à l’ennemi. La Résistance, pour qui la poudre était détournée,
s’organisait, souvent par le biais des femmes. Puis après les guerres
coloniales, le besoin en cartouches s’épuisa et la Cartoucherie s’arrêta.

Les cartouchières, comme toutes les ouvrières de la
révolution industrielle en France, sont les grandes oubliées de l’histoire. A
Valence, c’est d’autant plus vrai que la préfecture ayant été bombardée en
1944, toutes les archives de l’époque ont disparu. Pourtant, ce sont elles qui
ont maintenu la production pendant les guerres, les crises, dans des conditions
extrêmement dures, tout en élevant leurs enfants.

Un atelier d’écriture destiné aux anciens ouvriers de la
Cartoucherie a été organisé par le centre social de Bourg-lès-Valence et les
archivistes en 1995, alors que le site était complètement désaffecté. Dix-huit
ouvriers et ouvrières ont ainsi rédigé leurs témoignages, expliquant le travail
au quotidien, entre difficultés, danger, précarité et solidarité avec les
collègues. La friche industrielle promise à la démolition a alors pris sa place
dans la mémoire collective de Bourg-lès-Valence. De ce fait, la municipalité a
voté la conservation d’une partie des lieux, puis sa réhabilitation par
l’architecte Philippe Prost, expert en bâtiments industriels et militaires. La
Cartoucherie a donc pu renaître sous la forme d’une pépinière d’entreprises
spécialisées dans le cinéma d’animation, dont le célèbre studio Folimage en 2009.
Un grand projet d’aménagement du parc de la Cartoucherie est
en cours : il s’agit de transformer les vastes espaces encore
en friche pour offrir un véritable poumon vert à la population. Le canal
Flavie, la grande plaine qui borde le bassin et la gare de la Cartoucherie
seront réaménagés en un parc urbain de plus de 2.5 hectares offrant jeux,
promenades, espace pour événements. Un programme beaucoup plus réjouissant que
la production de munitions !
Article publié dans le JTT du jeudi 9 avril.
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