vendredi 28 octobre 2016

Chronique littéraire : Profession du père, de Sorj Chalandon

C’est très difficile pour Emile, quand on lui pose cette question à l’école. Que fait son père ? Il lui raconte tant d’histoires extraordinaires, il a  eu tant d’activités prestigieuses, parachutiste, artiste de music hall, champion de judo, footballeur professionnel …
Emile voue une admiration sans bornes à son géniteur, qui ne semble pourtant guère avoir une profession réelle, et le martyrise quotidiennement. Lever en pleine nuit, pompes, coups de ceinture, de martinet, privation de nourriture, jouets cassés, Emile endure tout sans jamais remettre en question les exigences et le prestige paternels.
Le récit se passe en 1961, la guerre d’Algérie fait rage, et André, le père, affilié à l’OAS a décidé de tuer le général de Gaulle. Il envoie son fils inscrire des slogans sur les murs, porter des lettres anonymes. Emile a juré fidélité sous serment à ce père violent, il exécute les ordres sans les comprendre, sans voir le danger.

Fluet, asthmatique, sensible, Emile survit pourtant à cette enfance fracassée. Sa seule échappatoire, c’est le dessin, où il excelle. La famille vit dans un enfermement total, on ne fréquente personne, on ne sort pas. La mère supporte les brimades, les coups, elle a appris à se taire, elle ne réagit plus, elle est dans le déni total de la souffrance de son fils.
C’est seulement à l’âge adulte qu’Emile arrivera à comprendre que toute son enfance a été bercée de mensonges par un psychopathe. Les blessures sont profondes, mais l’espoir existe, il lui faudra tout réapprendre de l’humanité, dans le mariage et la paternité.

Sorj Chalandon nous livre un roman terrible sur l’enfance brisée, dans un style sobre, sans pathos, qui n’en est que plus efficace. Quelle est la part autobiographique de ce récit, alors que l'auteur a attendu la mort de son père pour le rédiger ?
Né en 1952, grand reporter à Libération de 1973 à 2007, puis au Canard Enchaîné, Sorj Chalandon est non seulement journaliste mais écrivain, ses romans poignants ont été couronnés par de nombreux prix littéraires.

Profession du père est maintenant disponible en Livre de poche.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 27 octobre 2016.

dimanche 16 octobre 2016

Courbet, précurseur de l'impressionnisme

Entièrement rénové et agrandi depuis 2011, le Musée Courbet est parfaitement intégré à la nature environnante, falaises calcaires, forêts denses et bord de Loue. L’ancienne maison bourgeoise a été prolongée par un bâtiment de verre et de pierre, qui s’ouvre sur les  paysages chers à  ce peintre réaliste hanté par sa région natale, la Franche-Comté. Quelques pièces où a vécu le peintre sont restées dans leur jus, et proposent une approche de l’homme, de son parcours, de son époque. Mais l’essentiel du fonds permanent est une importante collection d’œuvres de Gustave Courbet. Chaque été une exposition temporaire permet de corréler l’œuvre de  l’artiste à celles d’autres artistes.  Cette année, grâce aux toiles prêtées entre autres par le Musée d’Orsay, c’est l’influence de Courbet sur les impressionnistes qui est mise en lumière, dans une présentation croisée de toiles d’inspiration naturaliste.

Gustave Courbet (1819-1877) après des études générales et artistiques à Ornans puis Besançon monte à Paris exercer son art dès 1839. Fasciné par la nature, il fréquente régulièrement la forêt de Fontainebleau, atelier en plein air, lieu de prédilection et de discussions des peintres de toutes générations, classiques, romantiques, réalistes ou impressionnistes. L’observation minutieuse de la réalité, la traduction des effets de lumière, et la représentation de la vie quotidienne sont ses sources d’inspiration. Puis, lors de séjours en Normandie, Courbet découvre avec éblouissement la mer. Ses magnifiques « Vagues » en témoignent, à côté des marines de Monet, Manet, Boudin, Jongkind …

Gustave Courbet, au Quartier latin, se lie avec les milieux anticonformistes et socialistes. Il peaufine sa théorie réaliste de la peinture. Et innove : jusque là, seuls les sujets historiques ou religieux avaient droit aux grands formats, tandis que la peinture de genre (les scènes familières), les paysages ou les natures mortes se devaient d’utiliser de petits formats.  Avec « L’Enterrement à Ornans » (1850) et ses paysans grandeur nature, c’est la vie du peuple que l’artiste engagé impose. Scandale. Avec « Le retour de la conférence » le scandale s’amplifie, mais Courbet n’en a cure, ses engagements politiques, sa participation militante à la Commune (il fera déboulonner la colonne Vendôme, symbole napoléonien, en 1870), déchaînent sur lui la violence. Personne ne connaissait alors la sulfureuse « Origine du monde », peinte en 1866, qui ne sera présentée au public qu’à la fin du XXème siècle.

 C’est à Sainte-Pélagie, où Courbet purge sa peine de prison, qu’il retravaille les natures mortes, à partir des bouquets de fleurs apportés par sa sœur. Après le rejet et la ruine, Courbet est contraint à l’exil en Franche-Comté, puis en Suisse, où il continue à peindre des portraits et des paysages, à sculpter, à fréquenter des artistes. Mais son état de santé se dégrade, suite à ses débauches. Il décède en 1877. Sa dépouille ne reviendra à Ornans qu’en 1919, le temps que les critiques s'apaisent. Surmontée d’un sobre bloc de calcaire, la tombe de Courbet fait face pour toujours à la vallée de la Loue, ses vertes forêts et ses blanches falaises.

Article publié dans le JTT.

mardi 4 octobre 2016

O mia Patria

"O mia Patria", est le début d'un extrait de l'opéra Nabucco de Verdi, que mon grand-père adorait chanter à la fin des repas de fête. Rassurez-vous, le reste est écrit en français.

"O mia Patria", c'est l'histoire de mes grands-parents. Né en Lombardie en 1896, mon grand-père Giacinto a quitté l'Italie après la première guerre mondiale. Il a cheminé à pied à travers les Alpes, puis la Suisse, jusqu'en Franche-Comté, où il rencontré ma grand-mère Henriette en 1922.
Un parcours semé d'embûches, entre deux guerres, entre deux pays, mais avec énergie et détermination, cette famille a réussi son intégration.

Agrémenté de photos d'époque et de documents d'archives, ce récit raconte aussi la traversée du vingtième siècle à Delle, la petite ville où ils ont vécu. Plus généralement, il rappelle le chemin de milliers d'émigrés italiens chassés de leurs pays par la misère ou la politique. Le vernissage à la Mairie a touché un large public.
Bonne lecture!