vendredi 29 juin 2018

Picasso, Bâle et l'argent ...


On pourrait imaginer une combine financière. Les œuvres de Picasso atteignent des valeurs phénoménales, la ville de Bâle est une capitale bancaire en Suisse. Pourtant c’est tout le contraire : l'argent, dont il est ici question, est celui du don, du partage, de l'acte gratuit. Une belle histoire collective, dont le Kunstmuseum de Bâle fête les cinquante ans par une exposition atypique.

En 1967, deux chefs-d’œuvre de Picasso devaient être mis en vente sur le marché international, après avoir été prêtés durant des années au Kunstmuseum. Le propriétaire, M. Staechelin, principal actionnaire d'une compagnie de charters, était en difficultés financières suite au dramatique crash d'un appareil qui avait fait 127 victimes. Les deux toiles en question, Les deux frères (1906) et Arlequin assis (1923) étaient très appréciées des Bâlois, qui s'efforcèrent d'obtenir un droit de préemption. Mais la somme à réunir semblait inaccessible : 8,4 millions de francs.

Une gigantesque collecte de fonds fut organisée, par toutes sortes de moyens, dont la légendaire Bettlerfest. En tout, elle permit de rassembler 2,4 millions, grâce à la participation active des citoyens. Les 6 millions restants devaient-ils être payés par les fonds publics ? S'ensuivit un débat qui mobilisa toute la ville, sur la valeur de l'art moderne. Une votation eut  lieu en décembre, et l'électorat approuva la colossale dépense.

Picasso avait suivi les événements depuis sa maison de Mougins. Après le succès du vote, il invita le directeur du Kunstmuseum dans son atelier. Touché par l'enthousiasme manifesté par les Bâlois, il offrit à la ville quatre autres de ses œuvres, dont Vénus et l'amour et Le couple (1967). Une autre mécène bâloise, Maja Sacher-Stehlin également inspirée par l'engagement de ses concitoyens, fit ensuite don au musée d'une toile cubiste du Maître. En 1968, les sept oeuvres de Picasso furent accrochées ensemble au Kunstmuseum pour la première fois.

Nous sommes en 2018, et les mêmes sept oeuvres de Picasso, ainsi que leur histoire citoyenne, sont présentées jusqu'au 12 août au Kunstmuseum dans l'exposition « Art. Argent. Musée. 50 ans de Picasso-story ». Et pour rappeler la générosité de la ville, l'entrée à cette exposition est exceptionnellement gratuite pour tous.


vendredi 22 juin 2018

Hors-série exceptionnel de l'Esprit Comtois


Pour l'été, des randos originales qui allient nature, patrimoine et gastronomie en Franche-Comté.

Vente en kiosque ou directement sur le site des Editions du Lion à Belfort.
www.leseditionsdulion.com

dimanche 17 juin 2018

La "Bobine qui file" ... tisse des liens à travers l'Ardèche


Samedi matin, place du Taurobole à Tain, un peu à l'écart du marché, une caravane rétro joliment customisée, porte et fenêtres grandes ouvertes, attire les regards. La curiosité est vite satisfaite en lisant l'inscription : La Bobine qui file ... atelier de couture ambulant. 

Une jeune femme charmante, Vincianne, accueille les clients de passage. Elle propose de petites réparations suivant les besoins, fermeture éclair, ourlet, pinces. Vous lui laissez le vêtement le temps de faire votre marché et repassez ensuite, c'est prêt.

Vincianne, passionnée de couture, a plus d'un ouvrage dans son sac... ou plutôt sa caravane ! Elle assure une présence régulière sur les marchés de Lamastre, Saint-Félicien, Colombier-le-Vieux, anime des cours de couture pour tous âges, des stages pour enfants, moments à la fois ludiques, créatifs et de partage. Elle fait partie d'un collectif d'artistes en caravane, les Zarkyroul, où la couture côtoie les arts plastiques, la sérigraphie, le bricolage à base de récup et le théâtre. Les créateurs de Zarkyroul, ensemble ou séparément, se déplacent dans les écoles, les festivals, les rencontres culturelles de la région, pour animer à la demande des ateliers à destination de tout public.
La Bobine qui file, c'est pour Vincianne un souvenir d'enfance, une image de sa mère cousant ses vêtements à la maison. Une dizaine d'années plus tard, lorsqu'on lui a demandé d'être marraine d'un bébé, elle aussi a voulu créer un cadeau de ses mains. Elle a redécouvert la couture, à la main et à la machine, en autodidacte. C'est devenu une passion qu'elle transmet. Elle coud tant de vêtements et d'accessoires pour les autres, qu'elle n'arrive plus à finir ses propres robes, pourtant déjà taillées !

Les passages à Tain de la Bobine qui file se terminent, mais vous pouvez la retrouver sur les marchés ardéchois ou ailleurs sur demande. Et sur la Toile, bien sûr !

Contacts : Vincianne : labobinequifile@orange.fr
site général : zarkyroul.wixsite.com/village
contactzarkyroul@gmail.com

Article publié dans le JTT.

vendredi 8 juin 2018

Chronique littéraire : Ma part de Gaulois, de Magyd Cherfi

La banlieue nord de Toulouse au printemps 1981, un ghetto avec sa loi : le communautarisme avant tout, les filles et les femmes sous clé, les bagnoles, la drogue, les coups, pour les hommes. Chaque gamin doit refuser en bloc ce qui vient de l’école, la culture, les flics, l’état. Castagne garantie sinon.

Magyd refuse de se plier à la règle. Il va au lycée, prépare le bac, écrit des poèmes, anime un club de théâtre. Et se fait castagner régulièrement, surtout s’il essaie de séduire les filles de la cité. Mais ça ne l’empêche pas de s’obstiner. Avec raison : c’est lui qui obtiendra le premier bac "arabe" de la cité ! La gloire pour son intransigeante mère, et le grand saut vers une autre vie.

Rage, espoirs, autodérision, analyse sociologique, ce livre explore tout ce qui se passe dans la tête de Magyd Cherfi. L’écriture est assortie à cette autobiographie peu conventionnelle. C’est truculent, violent, parfois lassant, toute la cité est véhiculée par les mots, on s’y croirait. Et on comprend mieux l’étendue du fossé entre deux cultures, les difficultés de l’intégration pour les petits Beurs.

Magyd Cherfi né en 1962 à Toulouse est un chanteur, écrivain, acteur, français d’origine algérienne, membre du groupe Zebda.
Son récit truculent est maintenant disponible en poche dans la collection Babel.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 7 juin 2018.

vendredi 1 juin 2018

La Mitad del Mundo : le milieu du monde


A côté de Quito, capitale de l’Equateur, passe la ligne virtuelle appelée Equateur, soit le parallèle de latitude 0°, qui a donné son nom au pays. Un grand site touristique, la Mitad del Mundo, est dédié à ce symbole, qui partage le monde entre hémisphère nord et hémisphère sud. Le monument qui marque le site a été construit en hommage à la première expédition géodésique, celle de La Condamine, Bouguer, Godin, de 1735 à 1743, ordonnée par Louis XV. Des outils, documents, expériences y sont présentés au public.
On pourrait croire que faire un pas d’un côté ou un pas de l’autre de l’équateur (le jeu favori des touristes) ne change rien. Pas du tout ! Plusieurs expériences mettent en scène les différences entre les deux moitiés du monde. Ainsi, l’eau dans un siphon ne tourne pas dans le même sens quand elle s’écoule au nord, ou au sud. D’autre part, sur l’équateur, le soleil brille à la verticale, et au solstice nulle ombre n’est portée au sol. Les Indiens dès les premiers siècles avaient déjà conscience d’un mystère, puisqu’ils vénéraient cet endroit. 
En Equateur, il n’y a pas de saisons, le climat est tropical, chaud et humide. Tous les jours de l’année, le soleil se lève à 6h30 et se couche à 18h30. La végétation luxuriante favorise une multitude de cultures locales, qui poussent en continu : plusieurs centaines de plants de pommes de terre différents, des dizaines de sortes de maïs, toutes les céréales, légumes et fruits exotiques… Monsanto est inconnu là-bas, les semences sont produites traditionnellement.
Le relief est vertigineux et très varié : au centre, la cordillère des Andes culmine à plus de 6000 m, c’est une chaîne de volcans très actifs : 14 sur 60 se manifestent régulièrement. Pourtant, une population de petits paysans cultive la terre jusqu’à 4000 m, à la main, à la houe, une possibilité due à la température clémente, environ 20° à cette altitude. A l’Est, dans la forêt amazonienne, beaucoup plus chaude, les Indiens vivent en autarcie, de chasse, pêche et culture, lorsqu’ils ne sont pas chassés par les compagnies pétrolières. La côte Pacifique, à l’ouest, avec ses immenses plantations de café, de cacaoyers, de bananiers, canne à sucre, rizières, est tournée vers le monde moderne et capitaliste.  
L’Equateur est à lui seul un résumé d’Amérique du Sud. Et la population elle-même reflète cette grande diversité : Indiens, métis, blancs, noirs, avec toutes les combinaisons génétiques possibles. Indiens et Noirs sont plutôt pauvres mais pas miséreux, ils vivent dans les Andes et en Amazonie ; les grands propriétaires riches et souvent corrompus de la côte pacifique se recrutent parmi les Blancs et Métis. Ce sont eux qui dirigent le pays ! 
« Les Equatoriens dorment du sommeil du juste sur des volcans ardents, vivent dans la pauvreté au-dessus d’incalculables richesses et exultent en écoutant des musiques mélancoliques » disait Alexandre von Humboldt en en 1735. Rien n’a changé.
Article publié dans le JTT.