samedi 16 décembre 2023

Une surprenante expo au Palais Idéal : Les architectes de l'étrange

Sarah Winchester et Ferdinand Cheval ont vécu à la même époque, aux antipodes l’un de l’autre, ils ne se connaissaient pas. Pourtant une passion commune les a animés pendant des décennies : la construction d’un bâtiment hors norme, défiant la raison ainsi que leurs contemporains.

Si le Facteur Cheval était un pauvre homme, oeuvrant de ses mains pour édifier son Palais Idéal, Sarah Winchester, riche héritière américaine, partant d’une maison de 8 pièces, n’a cessé de la faire agrandir jusqu’à obtenir une bâtisse de 161 pièces sur 4 étages ! Avec 3 ascenseurs et tout le confort moderne, électricité, chauffage, 13 salles de bains… Mais aussi des escaliers qui ne mènent nulle part, des fenêtres posées au sol, des portes s’ouvrant sur le vide… Sarah Winchester y habitait seule, et ses employés avaient besoin d’un plan pour se repérer dans cet espace labyrinthique.

Comment expliquer cette démesure ? La vie même de Sarah Winchester (1839-1922), alternance de joies et de drames, ouvre quelques pistes. Elle grandit dans une famille aisée de la côte Est des Etats-Unis, épouse en 1862 William Winchester, fils du fondateur de la fabrique des célèbres carabines.  Puis les tragédies s’enchaînent, elle perd successivement son bébé, son mari, son beau-père … et se retrouve veuve à 41 ans, immensément riche mais en pleine dépression.

L’époque est au spiritisme, on cherche à communiquer avec les morts. Toute une littérature se développe autour de la communication avec les esprits. Sarah se sent poursuivie par ses défunts, mais aussi par tous ceux qui ont été tués par une carabine Winchester ! Un médium lui conseille de partir, lui affirme qu’elle mourra quand la construction de sa future maison se terminera. Sarah déménage sur la côte Ouest, achète un ranch de 8 pièces à San José en Californie, et commence dès 1886 à l’agrandir. En ménageant des espaces ouverts aux esprits, auxquels se sont joints ceux des tribus indiennes locales exterminées lors de la ruée vers l’or.

Passionnée d’architecture, Sarah dessine les plans, décore somptueusement les intérieurs de vitraux, fresques et tentures. Elle se construit un palais idéal laissant libre cours à ses expérimentations artistiques. Des équipes d’ouvriers se relaient pendant 20 ans jour et nuit, interrompus par le tremblement de terre de 1906. Dont Sarah, acceptant la malédiction, laisse certains dégâts apparents. Les travaux reprennent ensuite jusqu’à sa mort en 1922. La maison hantée est alors rachetée par un organisateur d’attractions qui la renomme The Winchester Mystery House. Elle fait actuellement partie du Ghost tourism, qui flirte sur les croyances ésotériques et accueille des milliers de visiteurs chaque année.

Avec l’exposition « Les architectes de l’étrange », le Palais Idéal met en scène cet hiver une rencontre entre Ferdinand et Sarah, deux bâtisseurs obstinés, deux personnalités hors du commun, à la limite de la déraison. Quelques photos, un balcon-fenêtre reconstitué et surtout un film permettent de saisir la démarche artistique de Sarah. Celle du Facteur paraît plus simple à côté !

Exposition à voir jusqu’au 14 janvier 2024 dans l’espace muséal du Palais Idéal à Hauterives (26).


Article publié dans le Jtt du jeudi 21 décembre 2023.



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