samedi 22 octobre 2022

Le renouveau du fort de Vézelois

A Belfort on connaît bien Vauban et sa citadelle, on connaît vaguement Maginot, régulièrement moqué alors que son système de défense était à l’avant-garde, mais on ignore Séré de Rivière. Pourtant ce général et architecte militaire a lui aussi voulu défendre la France contre l’envahisseur en construisant une ligne de fortifications, qui s’étendait de Nice jusqu’à Lille. En passant par Belfort, ainsi pourvu d’une ceinture de 19 forts entre 1873 et 1911. La ville était alors frontalière de l’Allemagne après la défaite de 1870, et il fallait lui assurer une sérieuse protection. L’ensemble de ces forts voulus par Séré de Rivière constitue un patrimoine exceptionnel, contemporain de l’emblématique Lion, qu’il serait juste de valoriser davantage.

Pour prendre conscience de l’intérêt touristique du projet, il suffit d’en visiter un. Le mieux conservé, le plus accessible, est celui de Vézelois, le Fort Ordener. Sa ceinture de verdure, ses couloirs labyrinthiques, ses murailles d’où l’on jouit d’une vue à 360° sur les Vosges et le Jura, ses salles équipées d’eau et d’électricité, en font un lieu privilégié, apprécié des sociétés locales qui le louent pour leurs manifestations. Au fil des saisons s’y déroulent donc rassemblement de motards, marche gourmande, week-end d’intégration de l’UTBM, jeux de rôle, nuit d’Halloween, vide-greniers, expositions ainsi que mariages et fêtes diverses. Le fort loue aussi quelques salles à des associations, comme les Archers du Royal qui trouvent là un lieu d’entraînement idéal. Ainsi qu’à des ferronniers, ébéniste, pompiers, dresseur de chiens. Bref, à Vézelois, le fort joue un rôle central dans l’animation locale. 

Le fort Ordener est géré par une association locale, « le Renouveau du fort » depuis 1998, date à laquelle il a été cédé par l’armée à la commune de Vézelois. Cette association, d’une centaine d’adhérents à l’origine, se charge de l’entretien des bâtiments, du ménage, des espaces verts, de la gestion des manifestations … ainsi que des quelques visites de passionnés. Las, au bout de vingt ans, les bénévoles ont vieilli ou disparu, ceux qui restent ont du mal de faire face aux éboulements de certains murs, à l’entretien des sentiers, à la chute d’arbres… ainsi qu’aux réparations d’usage. Leur prochain objectif, c’est de remettre en état le mirador, d’où la vue sur le Territoire est exceptionnelle… Pour les aider : une trentaine de chèvres, qui nettoient les espèces invasives et dont les gambades font la joie des visiteurs. Mais c’est aussi une charge, il faut entretenir leur écurie l’hiver, assurer un suivi vétérinaire, relever les murs qu’elles escaladent…

Ce patrimoine est méconnu des touristes et surtout des Terrifortains. Pourtant de nombreux sentiers pédestres le longent. Il existe aussi un sentier VTT des forts, hélas plutôt long et difficile (79 km). Le fort Ordener mérite plus de visibilité, il est emblématique de l’après-guerre de 1870, du rôle de la voie stratégique autour de Belfort, et facilement accessible en voiture. Si quelques passionnés par l’histoire militaire y pénètrent chaque été, ils viennent de Paris ou de l’étranger ! Enchantés par la balade sur les remparts en compagnie des chèvres, et le dédale des couloirs, ils admirent l’architecture du fort, construit en pierre de taille par des ouvriers piémontais …

Le renouveau du Fort Ordener ne peut plus dépendre uniquement de l’association éponyme. Les finances sont insuffisantes, les recettes permettent à peine d’acheter le matériel d’entretien. C’est le cas de presque toutes les communes de la ceinture belfortaine propriétaires d’un fort. Une richesse historique, mais une charge financière. Chacune se débrouille comme elle peut, et cette exceptionnelle ceinture de forts reste un patrimoine caché, à l’abri des circuits touristiques. Il faudrait une volonté départementale ou régionale pour assurer la promotion et la préservation de cette tranche de l’histoire militaire de Belfort.

La ceinture des forts, Denfert-Rochereau, le Lion, relèvent tous de la même époque, de la même épopée. Et si l’on est inconditionnel de Vauban à Belfort, il faut savoir que Séré de Rivière est considéré comme le Vauban du XIXe siècle !

Article publié dans l'Esprit Comtois n° 28.

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