jeudi 12 février 2015

Chronique littéraire : Soumission, de Michel Houellebecq

Cette œuvre d’anticipation, à la manière de G. Orwell, déchaîne actuellement la polémique. Elle  mérite d’être lue pour se forger sa propre opinion.
Un texte de Houellebecq, c’est un peu comme un dessin de Charlie Hebdo : provocateur, ironique, parfois porno, la société y est pointée dans ses travers, ses faiblesses. Mais grâce au roman, l’auteur va plus loin, il utilise la politique-fiction pour pousser la caricature au-delà du réel. Son hypothèse : en 2022, les dérives du laxisme politique entraînent les électeurs à voter pour un Président musulman, et l’Islam s’installe en France. Femmes voilées, antisémitisme encouragé, conversions obligatoires, mais accalmie des violences urbaines et baisse du chômage.

Le narrateur ressemble à Houellebecq : universitaire reconnu par ses pairs, mais aigri, ni motivé par son métier, ni par la vie, sans parents, amis, amours, juste consommateur d’alcool et de chair fraîche, les filles entre 15 et 30 ans, sinon, « vagins racornis », il les relègue à la cuisine. Pire que misogyne, ce personnage antipathique suscite pourtant intérêt et amusement, car, en fin sociologue, il analyse avec cynisme le comportement des responsables de la décrépitude française. Politiques mous et menteurs, journalistes manipulateurs d’opinion, intellectuels assujettis aux puissants, tous soucieux d’abord de leur ego, en prennent pour leur grade, et nommément. Une liberté de ton qui change agréablement du consensus médiatique.

Côté style, pas d’effets littéraires, ni d’émotion, le message est sobre, précis, sans affect. Pour conserver sa place à l’ « université islamique de Paris- Sorbonne », le narrateur, spécialiste de Huysmans (écrivain du XIXème, décadent lui aussi) accepte de se convertir. Avantages pour lui : argent, sexe et renommée ; finalement, il est sensible au même discours que les jeunes paumés de banlieue qui s’engagent dans le Jihad.

Cette fiction se moque des tabous, bouscule les idées reçues, interroge l‘avenir. Incroyable concomitance, les attentats de janvier entraînent eux aussi  à une réflexion sur la place de l’Islam en France. Charlie et Houellebecq illustrent de fait deux faces du même problème.
Tous les romans de Michel Houellebecq traitent de thématiques contemporaines. Il  a pourfendu le tourisme sexuel, le clonage, la misère sociale, ou les dérives de l’art, dans « La carte et le territoire », prix Goncourt en 2010. Toujours à contre-courant, il connaît le succès, mais ses détracteurs l’accablent. Ses pavés dans la mare encouragent pourtant à ne pas penser en rond.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 26 février 2015.

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