lundi 3 mars 2014

Le Carnaval de Romans

Premier mars 2014 : tambours et cymbales résonnent place du Jacquemart, des objets roulants non identifiés convergent depuis les quartiers, la foule s'agglutine sur le parcours du défilé, des poignées de confettis fusent, échassiers et jongleurs rivalisent de prouesses. Au détour des ruelles, des groupes de musique surgissent, suivis de familles déguisées, qui profitent de l'occasion pour se mettre en scène, changer de rôle, dans la bonne humeur. Un carnaval à la fois structuré et plein de surprises, médiéval et inventif, comme on en trouve dans les pays nordiques. Que du bonheur.
Pourtant à Romans, le Carnaval n'a pas toujours été synonyme de fête !

En février 1580, Romans n’était qu’une petite bourgade de 7000 âmes en Dauphiné. De la Chandeleur à Mardi-Gras, les Romanais s'étaient masqués. Ils avaient dansé, chanté, défilé, s'étaient défiés entre artisans et notables, suivant la tradition, qui opposait les rues, les confréries entre elles. Mais la réjouissance populaire s’est terminée dans un bain de sang.
Le grand historien, Emmanuel Le Roy Ladurie a analysé les causes de cette tragédie dans son célèbre ouvrage "Le Carnaval de Romans" : En 1580, la société était gangrenée par la misère, la violence et les inégalités : impôts, payés uniquement par le peuple, guerres entre protestants et catholiques, rivalités entre corporations… Le Carnaval servait d’exutoire, une fois l’an, les revendications s’exprimaient, sous le couvert des masques. Puis tout rentrait dans l’ordre.

Mais cette année-là, l'effervescence a dégénéré en émeute. Derrière les animaux symboliques qui représentaient les groupes, facile de différencier les masques de riches, seuls autorisés à être sexués (aigle, coq), de ceux des pauvres, châtrés (chapon, mouton) ! Une escarmouche a mis le feu aux poudres. Le combat entre riches et pauvres a fait d’abord 20 à 30 morts, puis la panique s’est répandue. Les villages environnants se sont révoltés à leur tour, déclenchant une véritable guerre des paysans. La répression fut effroyable : 1500 à 1800 hommes passés au fil de l’épée les 26 et 28 mars 1580.

Romans a tenté d’oublier l’horreur du “Carnaval sanglant”, en éliminant  cette fête pendant plusieurs siècles. Réapparition à la fin des années 1970. Georges Fillioud, alors maire de Romans, à la demande d’associations, fit venir Emmanuel Le Roy Ladurie. Les jeunes Romanais découvrirent la tragique histoire et décidèrent de faire revivre leur carnaval. Mais l’engouement s’est vite essoufflé. En 1996, les efforts conjugués d'autres personnalités locales ont permis la création d'un nouveau carnaval coordonné par la municipalité, dédié au théâtre de rue, avec des troupes professionnelles.

Grand succès… mais trop cher ! Associations, maisons de quartiers et troupes de comédiens amateurs ont alors repris le flambeau. Le carnaval de Romans a trouvé ainsi sa formule actuelle, une grande liesse populaire, qui se prépare des mois à l’avance dans les ateliers et les écoles de la ville. Le travail auprès des enfants est privilégié, c'est le moyen de conserver vivante la mémoire de Romans, et de lui assurer un rayonnement sympathique. Pari gagné chaque année !


1 commentaire:

  1. Bonjour ! petite précision et non des moindres ... le Carnaval de Romans est toujours coordonné et financé par la Ville de Romans, pensé et construit aux côtés des associations locales. Merci pour votre post !

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