lundi 28 septembre 2015

Chronique littéraire : Les brumes de l'apparence, de Frédérique Deghelt

Entre intrigue psychologique et aventure fantastique, ce livre bouleverse les certitudes, pulvérise le rationnel, met à mal les préjugés. Impossible de le lâcher avant de savoir jusqu’où une vie banale peut basculer.

Gabrielle, Parisienne à qui tout réussit, hérite d’une forêt, le Bois des sorciers, en pleine campagne profonde. Alors qu’elle part régler cette affaire, c'est-à-dire s’en débarrasser au plus vite, elle se trouve confrontée à une partie de l’histoire familiale qu’elle ignorait : le don de médium. Pire : elle en est porteuse.
Elle renie immédiatement cette hérédité, pourtant les circonstances l’obligent à évoluer. Dans cette campagne au rythme si différent de Paris, elle réalise qu’elle entretient réellement une relation particulière avec l’au-delà. Ses certitudes s’envolent, son angoisse monte, sa vie passée éclate en morceaux. Et le lecteur s’interroge : où est la réalité, où commence la fiction?

Mais de réponse rationnelle, il n’y a pas. F. Deghelt distille le mystère avec maestria, à travers une intrigue palpitante qu’on ne peut lâcher. Son personnage est parfaitement crédible dans son évolution, il nous ressemble avec nos interrogations, nos refus, nos peurs. Malgré de longues digressions, impossible de fournir des preuves tangibles, de convaincre. Juste faire vaciller nos croyances. Et nous remettre en question.

Frédérique Deghelt est romancière, journaliste, scénariste. Elle vit à Paris.
Ce roman profond et perturbant est maintenant disponible en poche chez Babel.

Chronique publiée dans le JTT.

mercredi 23 septembre 2015

La cueillette des plantes aromatiques

En Haute Provence, le climat qui s'étage de méditerranéen à montagnard favorise la présence d'un patrimoine naturel varié et abondant. De tous temps, on y a cueilli les simples, pour se nourrir, se soigner, fabriquer cordages et paniers... Aujourd'hui, les professionnels continuent d'exploiter la nature en vue de commercialiser huiles essentielles, tisanes et autres produits. Mais ils ne sont pas seuls : Les Provençaux, familiers d'une nature prodigue et respectueux du savoir-faire ancestral, perpétuent la tradition en cueillant les plantes aromatiques et médicinales pour leur consommation personnelle. Ils partagent volontiers leurs connaissances avec les visiteurs. C'est ainsi que dans les sous-bois de Gréoux, on peut faire provision de thym et romarin, de sarriette et lavande, de marjolaine et pimprenelle. Mais pas seulement !

Au début de l'automne les baies, rouges, noires, bleues, orangées, prolifèrent, il faut savoir les reconnaître, car toutes ne sont pas comestibles. Baies de genièvre fortes en bouche, prunelles sauvages et baies d'aubépine, amères, sureau à consommer cuit, en sirop, en confiture. Attention aux fruits toxiques qui leur ressemblent, baies du troène, de la viorne et du cornouiller sanguin, qui peuvent provoquer des maux de ventre plus ou moins graves.
La sécheresse de l'été a malmené les ressources. Les mûres sont rabougries. Ne subsistent des légumes de printemps, asperges, carottes et fenouil sauvages, que des filaments ligneux. Mais on peut encore réaliser des salades originales avec pourpier, roquette, pissenlits et autres chicorées.

La médecine naturelle prône la santé par les plantes, qui sont à l'origine des principes chimiques de la pharmacopée. Mais pas d'angélisme ! Pour se soigner ainsi, il faut bien les connaître, un produit peut guérir ou tuer, suivant le dosage. Les rebouteux des siècles passés, accusés de sorcellerie, en ont souvent fait les frais.
Soyons réalistes : En cas de morsure de serpent, rien ne vaut le centre anti-poison, le frêne et la vipérine restent impuissants. Quant aux champignons, comestibles, vénéneux ou hallucinogènes, ne vous trompez pas !

vendredi 18 septembre 2015

La vie secrète des figues

Avez-vous déjà vu un figuier en fleur ? Non? C'est normal, puisque les fleurs du figuier sont invisibles, elles tapissent l'intérieur du fruit. Ouvrez-en un, vous identifierez les filaments végétaux. Une étrangeté botanique plutôt complexe à expliquer. Disons pour simplifier que la figue n'est pas un fruit, c'est plutôt le réceptacle de fleurs minuscules. Après fécondation, elles produisent l'équivalent d'un pépin, qui en grossissant devient le fruit. Tout se passe à l'intérieur.
Pour se reproduire, la figue a besoin de la présence d'une sorte de petite guêpe, le blastophage, qui entre par un trou minuscule. Échange de bons procédés : Le blastophage, lui, a aussi besoin de la figue pour se reproduire. La femelle blastophage, préalablement fécondée, entre dans la figue et y pond ses oeufs. Après éclosion les nouveaux blastophages ressortent de la figue chargés du pollen des fleurs internes, puis, en pénétrant dans d'autres figues, le déposent sur le pistil, assurant ainsi la fécondation.

La figue, blanche ou violette, est un fruit onctueux, succulent, riche en vitamines et minéraux, c'est un trésor de santé. Allons plus loin : La figue ne serait-elle pas le fruit défendu de la Bible ? Dans l'imagerie populaire, c'est la pomme, cueillie par Adam et Eve sur l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Pourtant, nulle mention de pommier dans la végétation traditionnelle du Moyen-Orient. Est-ce une confusion de sens entre le terme latin "malum", désignant l'arbre de la connaissance, et le "malus", une variété de pommier ? La figue semble plus légitime, d'autant qu'Adam et Eve ont couvert leur nudité, après leur forfait, de feuilles de figuier. Pratique et sur place !

La figue est à l'origine de nombreuses expressions, la plus connue est mi-figue, mi-raisin. En voici une explication : jadis, les marchands de Corinthe mélangeaient leurs précieux raisins avec des morceaux de figues séchées. Leurs acheteurs Vénitiens, pris entre gourmandise et mécontentement, arboraient alors une mine ambigüe, mi-figue, mi-raisin.
Impossible de passer sous silence la connotation sexuelle du mot figue, utilisé aussi bien pour désigner le sexe féminin que les testicules. Il faut dire qu'il s'en passe de belles à l'intérieur d'une figue : c'est là que les nouveaux-nés blastophages se fécondent entre eux !

Pour en savoir plus sur la reproduction des figues et des blastophages, consultez le site internet ou les publications scientifiques édités par "Les écologistes de l'Euzière".

Article publié dans le JTT.

dimanche 13 septembre 2015

La p'tite balade des curistes

Moustiers-Sainte-Marie est un des plus beaux villages de France, un site spectaculaire du Parc du Verdon, connu pour ses faïences délicates. Pas étonnant que la balade intitulée "Les hauteurs de Moustiers, découverte du village et du milieu naturel, retour en lacets par la voie romaine" ait attiré nombre d'amateurs en cette chaude après-midi de septembre.
Tous bien chaussés, sac à dos, équipés de bâtons. On pourrait croire à un groupe de marcheurs confirmés, sexagénaires à la forme olympique. Certains, peut-être le sont : les conjoints, les touristes, mais le gros de la troupe ? Des curistes. En plus de leur sac, ils portent rhumatismes, arthrose, prothèses de hanches ou de genoux, vertèbres fêlées et asthme, problèmes cardiaques, diabète et j'en passe. L'animateur est un spécialiste de la faune et la flore locales. Quid d'un groupe humain hétérogène ?

Départ du parking, en bas du village, panorama splendide. La falaise paraît inaccessible, certains s'inquiètent. Pas de problème, on va la contourner par la gauche ! Longue montée à travers les terrasses jardinées, les murailles de la ville, la porte ouest, le pont génois, puis à flanc de coteau dans les oliveraies. Nombreux arrêts, le guide précise les espèces végétales : genévriers commun (dégustation de baies, c'est bon pour la santé) et genévrier de Phénicie, buis, chêne vert, amélanchier, cornouiller et, plus haut, pin d'Autriche et pin sylvestre. Senteurs de thym, de lavande, de sarriette, les dames font la cueillette. Le groupe arrive tant bien que mal au sommet, certains suant, soufflant, joues en feu. Une pause-goûter sur le plateau, annonce le guide. Où çà, un plateau ? A l'infini, s'étend une garrigue pierreuse et tourmentée, ponctuée de cairns et de trous de sorcière asséchés, qu'il faudra traverser.

Le guide signale les nids de chenilles processionnaires, un vol de grands corbeaux dans le ciel, deux chamois qui batifolent, il sait tout de leurs caractéristiques, leurs amours, leur résistance. Mais ne s'inquiète pas de celle des curistes, presque à bout de force. C'est un passionné de nature, pas un garde-malades, il les ignore. Une bonne tactique, car ses remarques sur les formations karstiques, calcaire, tuf, argile ... distraient les esprits. Le temps passe, une agréable fraîcheur se fait sentir, puis des nuages noirs apparaissent. Pas de souci, ce sont les nuages du soir !
Au carrefour de la voie romaine, quand surgit la vallée du Verdon au soleil couchant, le guide s'étonne. Si tard, déjà ? Pour arriver avant la nuit, il doit raccourcir le retour, et engage le groupe dans le vertigineux éboulis qui conduit directement au-dessus du promontoire de la chapelle Notre Dame de Beauvoir.

Un vrai couloir d'escalade. Si les rochers ne sont pas glissants, les gravillons roulent sous le pied. L'entraide entre randonneurs permet d'éviter le pire. Personne ne bronche. Les curistes progressent lentement, ils ont du mal à plier leurs genoux, à placer les pieds sur les aspérités, à passer les escarpement étroits sur les fesses. Mais que faire à part avancer ? Si la Sécurité sociale les voyait ... Privés de cure, les Pieds Nickelés !
Au loin, le soleil embrase les falaises, le village s'illumine à leurs pieds, le spectacle est grandiose. Ils passent sous l'étoile emblématique de Moustiers en songeant à l'ex-voto qu'il pourraient offrir ... s'ils s'en sortent.
C'est dans la nuit qu'ils arrivent en bas, épuisés, soulagés, étonnés de leur prouesse. Les ateliers de faïence sont fermés, mais il y a du réseau, les smartphones crépitent : 650 m de dénivelé, annonce l'un, 4 h de rando, dit l'autre, 8,5 km proclame un troisième. Dire qu'on était partis pour une p'tite balade ! 3450 calories consommées, conclut le plus maigre de la troupe. De quoi envisager un repas roboratif pour se remettre des émotions.
Mais demain, aux Thermes, courbatures et plaintes seront au programme : Quel inconscient, ce guide !


lundi 7 septembre 2015

Chronique littéraire : En finir avec Eddy Bellegueule, de Edouard Louis

Découvrir sa différence sexuelle, essayer de la gommer parce qu’on est dans un milieu qui ne la tolère pas, c’est un sujet qui reste d'actualité. L'originalité de ce récit bouleversant vient de la description du milieu, un milieu rude, peu évoqué en littérature : la France du bas, le quart monde, version picarde. Chômage, alcoolisme, racisme, homophobie, les réactions y sont primaires, le vocabulaire grossier, on ne mâche pas ses mots face à la différence. A l'opposé de la bien-pensance convenue ou de l'hypocrisie.

Eddy est un garçon de dix ans, efféminé, qui se sent étrangement décalé dans son monde de brutes, où cogner est la règle. Ses parents veulent l’endurcir, pour qu’il ressemble aux autres garçons, qui boivent, baisent, triment et se battent. C’est leur forme d’amour. Eddy fait tout pour y arriver, sort avec des filles, joue au foot, mais ses efforts ne contribuent qu’à augmenter ses souffrances, sa culpabilité, il ne réussit pas à devenir celui qu’on souhaite qu’il soit. Il ne lui reste qu’une échappatoire, étudier, pour fuir son milieu.

Edouard Louis raconte ici en mots simples son propre itinéraire. Né en 1992, en Picardie profonde, isolé, incompris, rejeté, grâce à des études brillantes il a pu changer de vie, et même changer de nom. Normalien diplômé en sociologie, il a obtenu en 2014 le prix Guénin contre l’homophobie pour son roman. Sans toutefois échapper à la polémique ! 

En finir avec Eddy Bellegueule est maintenant disponible en poche chez Points.

Chronique publiée dans le JTT.