Nous fêtons cette année le bicentenaire de la première
passerelle installée sur le Rhône entre Tain et Tournon par Marc Seguin en
1825. De nombreuses manifestations sont organisées jusqu’en septembre sur le
sujet. Mais l’influence de Marc Seguin et ses frères va bien au-delà des
ponts ! Il faut se replonger dans l’époque pour comprendre la révolution que
les Seguin ont impulsée en tous domaines pour toute la région.
Depuis le Moyen-Age, seuls 3 ponts permettaient de traverser le Rhône : celui de Lyon La Guillottière, celui de Pont-Saint-Esprit et le pont d’Avignon. Les bacs à traille permettaient ponctuellement de passer d’une rive à l’autre, sans donner satisfaction. Marc Seguin propose dès 1822 un modèle de pont plus facile et moins coûteux que les ponts de pierre, en s’inspirant et améliorant la technique des ponts suspendus par des chaînes et donc fragiles. Son invention est de remplacer les chaînes par des câbles solides formés de plusieurs fils de fer. Une idée empruntée à sa formation dans l’usine familiale de draps d’Annonay ? Il choisit de construire sa première passerelle entre Tain et Tournon, Tain étant le berceau familial. A 39 ans, en 1825, ce pont est achevé à ses frais. C’est un succès, et les frères Seguin se remboursent largement grâce au droit de péage.
Il n’en subsiste actuellement que deux éléments : à
Tournon un petit balcon sur le Rhône au niveau du Château, à Tain un
effleurement en face. Cette passerelle a été détruite une vingtaine d’années
plus tard. Le temps de construire un autre pont, plus haut, plus large, (celui
qu’on appelle passerelle aujourd’hui), terminé en 1849. Et généreusement, les
frères Seguin reconstruisirent ensuite la première passerelle à côté, mais plus
haute, pour les piétons. Pourquoi ? Parce que la navigation à vapeur sur
le Rhône avait débuté, il fallait laisser passer des
bateaux équipés de hautes cheminées.
Et qui construisait les bateaux à vapeur ? Les frères
Seguin, dans leur atelier de fabrication à Andance. Encore une révolution à
mettre à leur bénéfice. Les frères Seguin, dirigés par leur aîné Marc,
rassemblaient toutes les qualités pour mener de grandes entreprises
industrielles : ingénieur, chef de chantier, financier, administrateur,
négociateur, chacun avait un rôle défini. Leur « consortium » symbolise
la révolution industrielle, tant leurs activités étaient multiples. Et après
les ponts, ils ont voulu remplacer la navigation traditionnelle par halage en
utilisant des remorqueurs à vapeur.
Pour cela Seguin achète en Angleterre deux machines à
vapeur, avec lesquelles il équipe deux embarcations : un remorqueur (toueur)
pouvant traîner 3 péniches, mû par l’enroulement d’un câble tendu depuis un
point fixe par un deuxième bateau plus petit, le voltigeur. Il fallait répéter
ensuite la manœuvre tout au long du trajet. La navigation à vapeur s’est
développée ensuite à grande vitesse, sous l’impulsion de nombreuses compagnies
concurrentes. Des bateaux ont rapidement navigué sans avoir besoin de câbles.
Les Seguin sont même les premiers à remonter le Rhône en bateau à vapeur, de
Arles jusqu’à Lyon en 1828.
Toujours à cette époque, Marc Seguin a amélioré la conception de la machine à vapeur de Stephenson, avec cette fois, le projet de faire construire le premier chemin de fer de France. La demande venait des mines de charbon de Saint-Etienne, désireuses de livrer leur minerai aux industries de Lyon. Un travail colossal a commencé, il fallait construire une voie ferrée en pente régulière, entre Lyon et Saint-Etienne, en traversant la montagne par des tunnels. Malgré les difficultés techniques et financières, en 1833 la première ligne de train a ouvert, d’abord au transport du charbon puis à celui des voyageurs, entre Saint-Etienne et Lyon. Le modèle fut repris ensuite à Paris puis partout en France.
Marc Seguin et ses frères ont donc véritablement révolutionné les moyens de communication par leurs ponts, leurs bateaux, leurs trains, et tout cela entre 1825 et 1833. Leur travail, leur inventivité, leurs initiatives ne sont guère connues en regard de l’héritage laissé. Les avancées techniques qu’ils ont proposées sont devenus par la suite des standards de construction. Ainsi en quelques années, dans les années 1850, une dizaine de ponts du type Seguin ont été construits sur le Rhône, et jusqu’à 450 partout en France, en Europe, aux Etats-Unis (Golden Gate, Brooklyn Bridge).
Cette histoire extraordinaire d’innovations portées par une fratrie d’industriels géniaux, c’est Michel Cotte, professeur d’université expert en histoire du patrimoine industriel qui la partage par ses écrits, ses cours ses conférences. Un homme de grande culture, au service de la (re)connaissance de Marc Seguin, qui le premier a voulu unir Tain à Tournon. Un programme toujours d’actualité !Article publié dans Regard Magazine de avril 2025.
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