vendredi 31 août 2012

Chronique littéraire : Rosa Candida, de Audur Ava Olafsdottir


Retour dans le Grand Nord et la botanique. Avec un nom pareil, devinez la nationalité de l’auteur ? 
Audur Ava Olafsdottir, née en 1958 à Reykjavik, est Islandaise, écrivaine  et professeur d' histoire de l'art.
Son troisième roman, Rosa Candida, a obtenu de nombreux prix, dont le prix « Page des libraires » en 2010. C’est un petit conte philosophique, au ton enjoué et poétique, qui engendre l’optimisme.

Le héros, Arnljotur, a vingt ans, ses études l’ennuient, il décide de quitter l’Islande. Tout est flou dans sa tête, sauf son amour des roses. Sa mère, qui lui a transmis la  passion de l’horticulture, vient de mourir accidentellement. Le regard de son père, l’amour exigeant de son frère lui pèsent. Il est accessoirement  père d’un bébé, issu d’une brève liaison, mais ne se sent guère concerné par la paternité.

Engagé pour restaurer la roseraie ancienne d’un monastère, dans le sud de l’Europe, il part, n’emportant avec lui que ses précieuses boutures de Rosa Candida. Son itinéraire chaotique à travers le continent, tant du point de vue géographique que psychologique, est l’occasion de scènes cocasses et savoureuses. Les rencontres, les difficultés d’un jeune paumé, la découverte de soi, sont évoquées ici avec humour et délicatesse. Ses tribulations de jeune père sont hilarantes.

La vie austère et chaleureuse au monastère, en compagnie d’un moine cinéphile atypique, la réhabilitation réussie du jardin, permettent à Arnljotur de  trouver peu à peu son ancrage, et d’apprécier la vie, avec ses concessions, ses incertitudes, et ses côtés positifs.
A l’image de la fragile Rosa Candida, exigeante, épineuse, qui éclot enfin.

Chronique publiée dans le JTT du 6 septembre 2012.

samedi 11 août 2012

Les Juscles vont au ciel


Une Via Ferrata, ça manque à mon palmarès de casse-cou. Le canyoning en Corse, le parapente en Drôme, l’hydrospeed en Savoie, c’était super. Maintenant je ne pourrais plus… Mais peut-être qu’une Via Ferrata, je peux encore ?
Si je me pose la question, c’est parce que cette semaine, je partage avec JP la charge de 3 nonagénaires dans une maison isolée de Haute-Loire, en pleine forêt. Une fois les soins, repas, ménage, exécutés, il n’y a rien à faire à des km à la ronde. Saufla Via Ferrata des Juscles, juscle à côté.

Je me renseigne chez le loueur de matériel : vous pensez qu’à mon âge… ? Pas de problème ! Je cogite : s’il n’y a pas d’accompagnateur, ça ne doit pas être difficile. Plutôt amusant. Puis j’entreprends de convaincre JP, plus réservé que moi devant l’expédition. Si tu n'es pas là pour m’encourager, je n’y arriverai pas… Bref, nous voilà partis, avec casques, baudriers, harnais, et de bonnes chaussures. Le lieu est superbe et sauvage, de grandes failles dans une falaise de granit. Au pied du premier mur, j’ai un doute, ça semble vraiment ardu. Mais je fanfaronne encore, le temps d’enfiler le harnachement.

C’est quand je commence à grimper le long de la paroi verticale, que je réalise le traquenard dans lequel je me suis jetée. Impossible de reculer, et difficile d’avancer. Les muscles me manquent pour me hisser. JP : Tu vois, si tu avais qq kilos de moins … Les prises sont très espacées, j'ai du mal à écarter mes jambes. Je m’agrippe au rocher, je me tire à l’aide du filin. Et au pire moment, quand je domine le vide de 40m, il faut changer les mousquetons de câble, et donc se lâcher d’une main. Vais-je tenir longtemps ?
Derrière moi, JP monte sans effort et prend des photos. Premier replat, nous laissons passer des jeunes qui nous ont rattrapés en plaisantant. J’envie leur forme, j’envie aussi leurs gants, les articulations de mes doigts sont déjà écorchées. Tous mes muscles sont tendus, mes genoux gémissent. Et il faut continuer. Des prises, encore des prises. Je suis prise.

Mais il n’y a pas qu’un souci musculaire. Il faut aussi affronter les passages aménagés au-dessus du vide. Et gérer son stress. Quand je mets un pied dans le premier, un filet, je n’ai pas peur, c’est plutôt sécurisant, un filet. Mais quand j’y mets le deuxième, je m’enfonce, et avancer devient aléatoire. Puis il faut passer sur une poutre, solidement fixée, mais au-dessus du précipice. Traverser ensuite un pont de rondins, qui bouge, sans protection, en s’accrochant simplement à deux filins très hauts. Le pire : Marcher sur un fil au-dessus du vide, avec deux  câbles pour sécurité. Epreuve sadique, je n’ose pas regarder, je respire un grand coup, j’y vais la peur au ventre.

Changement de torture, il s’agit maintenant de s’élever sur l’arête sommitale, à la force du poignet. Impossible de placer deux pieds côte à côte, tant elle est aigue, avec deux belles faces verticales. JP : Regarde le panorama, on voit tout le Velay, ses puys et ses sucs ! Impossible. Je peux juscle me concentrer sur la position de mes pieds, mes mains, mes mousquetons. Et le sommet, en plein ciel, j’y arrive à quatre pattes. Un dernier obstacle nous attend : un pont de singe impressionnant qui retraverse la faille. Mais avant d’atteindre la première lame, il faut redescendre, plaqué au rocher, opérer un retournement périlleux, déplacer les mousquetons, et enjamber le vide. C’est vertigineux, difficile, j’ai peur. JP : Ne lâche pas, sinon, tu resteras suspendue à ton harnais sans pouvoir remonter !  Voilà qui me stimule, je me concentre sur chaque mouvement, et lame après lame, j’atteins l’autre côté. Vivante, mais épuisée, suante, tremblante. Un petit sentier escarpé nous ramène en bas. Ouf !


Conclusion: Une Via Ferrata, ce n’est plus de mon âge !

vendredi 3 août 2012

Chronique littéraire: Antoine et Isabelle, de Vincent Borel


Un livre érudit, qui décortique le vingtième siècle, pour des vacances studieuses.

Contrairement à ce que suggère le titre, l’important n’est pas ici le roman d’amour, mais le contexte historique, social et culturel. De la Belle Epoque à la guerre d’Espagne, puis à  l’embrasement mondial, entre Barcelone et Lyon, guerres et crises sociales se succèdent, tandis que les filatures traditionnelles évoluent en grands trusts industriels, Rhône-Poulenc, Rodiaceta.

La narration démarre en 1917 : Deux familles espagnoles quittent leur misérable campagne, andalouse pour les uns, catalane pour les autres, espérant mieux vivre à Barcelone. Ce sont les aïeux de l’auteur, pris dans les tourments des premiers combats sociaux, de la guerre de 1914, de la révolution russe et la crise de 1929.
En parallèle de l’itinéraire de ces ouvriers rebelles, le destin de familles lyonnaises riches et puissantes : les Gillet, les Poulenc, les Férié, d’abord simples soyeux, puis industriels dans le textile artificiel et la chimie. Exerçant un pouvoir absolu sur Lyon, utilisant les progrès technologiques, multipliant les alliances internationales, même en temps de guerre.

La fresque sociale se poursuit avec l’histoire d’Antoni et Isabel, qui se rencontrent à Barcelone en 1925. Une vie pleine d’espoirs commence pour eux, réduite à néant par la guerre civile de 1936, puis celle de 1940. Fuite, exil en France. Avant les retrouvailles et l’intégration, ils connaitront le malheur,  des camps de réfugiés espagnols des Hautes Alpes, aux camps de concentration nazis, en passant par les combats de résistants dans le Vercors.

Vincent Borel, né à Gap en 1962, passionné de musique, a publié plusieurs ouvrages historiques. Dans ce livre, il rend hommage à ses ancêtres espagnols, en nous faisant parcourir à leur suite le 20ème siècle. Son vocabulaire est précis, savant, parfois lyrique, mais c’est surtout sa riche documentation qu’il faut saluer. Une prodigieuse leçon d’histoire moderne.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 2 août 2012.