samedi 29 décembre 2012

A tous mes lecteurs...

... je souhaite une belle année 2013, épanouissante, harmonieuse, sereine.


Vous êtes plus de 4000 de tous les pays à lire, écrire, randonner avec moi. Un mot-clé, le hasard ou l'amitié, vous dirigent sur mon site et vous accrochent, c'est impalpable, mystérieux, magique.

Je forme le voeu  que vous soyez plus réactifs, plus interactifs, plus prolixes, car un blog est aussi un moyen de communication.

(je sais, c'est difficile avec ce logiciel, les commentaires se perdent si vous n'allez pas jusqu'au cryptogramme, je rappelle que le plus pratique, c'est de s'identifier dans la catégorie  "anonyme", et de signer votre commentaire à la fin).

A vous !

samedi 22 décembre 2012

Ballon d'A...gapes


Le principe : une journée de randonnée en raquettes, dans la neige fraîche du Ballon, histoire de se décrasser un peu avant les fêtes.
La réalité : un exercice de conditionnement des papilles, de révision des produits du terroir, bref, une préparation aux débordements gastronomiques !

Ça commence doucement, par un café à Giromagny, avec Eric et Patrick, livraison de Tête de Moine, et réflexions métaphysiques.
Ensuite, rencontre sur le parking de la Chaumière avec un curieux papy, casquette et pull rouge. Un nouvel accompagnateur ? Non, Papy Gaby vend sa marchandise, des alcools de fruits qu’il distille lui-même. A 88 ans, il sillonne les routes glissantes du Ballon, pour livrer une production très prisée de kirsch, poire, gentiane, framboise… Nous faisons affaire.

Retrouvailles avec les copains, le paysage immaculé, la satisfaction d’avoir parié sur une belle journée de raquettes. La dernière de l’année, avec une neige qui accroche bien. Eric veut en profiter pour faire du dénivelé, le Trou de la Chaudière le matin, la piste noire du Langenberg l’après-midi, peut-être un retour par le Couloir de la Vierge. Nous chaussons.
11h30, l’heure de l’apéro ! Une table et deux bancs de pique-nique apparaissent comme par magie, au détour du sentier, sous une épaisse couche de neige, c’est un signal incontournable. Nous ouvrons les sacs, sortons verres et bouteilles, et comparons les vertus du Cerdon sec ou aux fruits rouges.

Le meilleur, c’est pour la suite : le repas à la Chaumière, toute en décors de Noël, avec coussins cœurs, feu dans la cheminée, ambiance rustique. Jean-Marie a préparé un menu roboratif : D’abord le bouillon brûlant, puis les salades, céleri, carottes, betteraves, enfin le pot-au feu. Chou, poireau, navet et carottes, pommes de terre rôties accompagnent une macreuse fondante. C’est délicieux, abondant, on fait honneur !
Un munster crémeux, avec du pain cuit au bois, pourquoi pas ? Et pour finir, une tarte aux pommes et aux raisins, servie avec crème anglaise et chantilly. Un café ? Bien sûr, accompagné de pâtes de fruits maison.
Il faudrait peut-être sortir, et se dépenser un peu…

Car à 16h, on revient pour le goûter. La nuit tombe, Martine nous propose ses gâteaux de Noël traditionnels d’Alsace, sablés, pains d’épice, berawecka, brioche aux fruits, avec une bonne infusion aux plantes du Ballon. Sucrée ou salée ? 
Ambiance conviviale, on bavarde, on plaisante, au chaud, au sec. On divague, on échafaude des plans pour l’année prochaine. La meilleure façon de terminer notre année de rando !

lundi 17 décembre 2012

Noël de verre et de cristal



Dans le Nord des Vosges, l'activité de verrerie s’est développée au fil des siècles, et perpétue encore aujourd'hui une tradition de création artistique renommée. Pourquoi là ? D’une part à cause de la présence sur place des matières premières : bois, eau, nécessaires au chauffage et au refroidissement, grès, qui donne un excellent sable, fougères, qui, réduites en cendres fournissent la potasse. D’autre part, une main d’oeuvre qualifiée, autour des verreries et cristalleries de Saint Louis, Baccarat, Meisenthal,  a contribué, par son savoir-faire, à l’émergence d'artistes exceptionnels, comme ceux de l’Ecole de Nancy. 

Le musée Lalique vient d’ouvrir ses portes à Wingen sur Moder. Le parcours de l’artiste y est présenté, à travers un siècle de créations toutes plus époustouflantes les unes que les autres. Quel talent ! Bijoutier de formation, René Lalique s’est passionné pour le travail du verre, a réalisé des bijoux extravagants, portés notamment par Sarah Bernhardt. Devenu la coqueluche du monde entier après l’Exposition universelle de 1900, il a abandonné la bijouterie pour se consacrer à l’art du verre, en créant des flacons  pour les grands parfumeurs, en décorant des intérieurs, dont celui du paquebot Normandie, en réinventant l’art de la table. Sa marque de fabrique, c’est la juxtaposition de verre poli/dépoli, ses thèmes privilégiés : femme, flore, faune. Ses successeurs ont développé ensuite la filière du cristal de luxe.

A quelques kilomètres de là, l’ancienne verrerie de Meisentahl (vallon des mésanges) promue Centre international d’Art verrier, conserve la mémoire du travail de ces artisans, et présente les premières oeuvres d’Emile Gallé, des peintures à la plume d’une finesse extraordinaire, ainsi que d’autres artistes partis à Nancy (pour cause d’annexion du Pays de Bitche). Les souffleurs de verre sont encore en activité, devant des fours à 1000°. Leurs gestes précis, rapides, la magie du verre en fusion, la maitrise de sa fluidité, semblable à celle du miel, forcent le respect. Quelle technique ! L’atelier du diable ? Non, plutôt celui du Père Noël, puisque c’est là qu’on fabrique les authentiques boules de Noël en verre, de toutes couleurs, formes, au design renouvelé chaque année. Les admirer est déjà une fête.

samedi 15 décembre 2012

Chronique littéraire : 1Q84, de Haruki Murakami


Q comme « qiû » (9 en japonais), mais surtout Q comme question, lorsque le monde devient étrange, avec l’apparition de deux Lunes et des « Little People ». Avec 1Q84, le fantastique fait irruption dans une aventure réelle palpitante, on quitte 1984 pour un monde parallèle.

Les chapitres suivent alternativement les péripéties de la vie de Tengo, prof de math et écrivain, et d’Amamoé, prof d’arts martiaux et tueuse à gages. Deux trentenaires marqués par un passé douloureux. On perçoit leurs failles, leurs points communs, avant de les suivre dans leur impossible objectif, liquider un violeur pour l’une, réécrire le livre génial mais inachevé d’une adolescente pour l’autre.
Les autres personnages, Fukuéri, la jeune fille, Ayumi, la vieille dame, Komatsu l’éditeur, Maître Erisomo, sont des êtres originaux, qui expriment toute la complexité du Japon des années 1980. Pays du sourire, de la technologie efficace, mais aussi société machiste, corruption politique, montée des sectes et omniprésence de l’argent. Beaucoup de détails concrets d’une grande minutie, nourriture, habillement, musique, littérature, actualités, qui rendent très vivant ce portrait du Japon.

L’intrigue passionnante, pleine de rebondissements, mélange habilement analyse du Japon passé et contemporain, vie quotidienne et rituelle,  épouvante et science-fiction, à une histoire d’amour délicate. Malgré ce foisonnement, la lecture est facile et plaisante. 
Haruki Murakami, né à Kyoto en 1949,  mondialement célèbre, est le maître incontesté du roman japonais surréaliste.
1Q84 est actuellement disponible en édition de poche 10/18 au prix de 9.12 €.(Trois tomes, qu’on peut déguster séparément, ou s’offrir en coffret cadeau).

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 13 décembre 2012.


samedi 8 décembre 2012

Augustine, rhabille-toi !


Ma formation psychologique étant empirique et parcellaire, j’apprécie les apports théoriques sur le sujet. J’attendais beaucoup du film « Augustine », d’Alice Winocour, sur Charcot. Fondateur de la neurologie, précurseur de la psychopathologie, mondialement connu pour ses travaux sur l’hypnose et l’hystérie, J.M. Charcot (1825-1893) a été le premier à considérer les fous comme des malades, et à les traiter en êtres humains. Cela impose un  certain respect. L’épisode présenté dans le film est particulièrement réducteur.

Je ne critique pas le portait d’un homme austère, taiseux, autoritaire, ambitieux. Il l’était peut-être. Mais ses rapports avec Augustine ! Voilà sa patiente préférée qui guérit par hasard, et non grâce à lui. Qui simule une crise d’hystérie publique, pour que son héros obtienne le soutien de l’Académie. Et finit par faire l’amour avec lui, thérapie qui a fait ses preuves… Tout est ainsi démoli : Charcot, ses théories, l’Académie, la déontologie médicale.
Reste une ambiance réussie de l’époque. Le machisme de la société : L’hôpital de la Pitié-Salpêtrière où seules les femmes sont malades, soignées par des soeurs, sous le contrôle d’hommes, qui griffonnent, ordonnent, bougonnent. Les fameuses Leçons, où un auditoire de messieurs se repait de scènes d’hystérie et d’orgasmes, vécues sous leurs yeux par des jeunes filles dénudées. Et une fin iconoclaste, avec renversement de pouvoir. Le jeu des acteurs est impeccable, Soko futée et charnelle s’opposant à un V. Lindon crédible en scientifique renfrogné.

J’aurais aimé un film sur le rôle précurseur de Charcot. Les séances de travail présentées n’éclairent nullement ses théories. Déshabille-toi. Assieds-toi. Couche-toi. Tu as mal ? Rhabille-toi. Va t-en. C’est frustrant. On est loin d’A dangerous method, de Cronenberg, où les émois amoureux d’une jeune malade, prise entre Freud et Jung, donnaient l’occasion de confronter leurs théories, par des dialogues brillants.

vendredi 7 décembre 2012

Première neige au Ballon d'Alsace


14h, nous sommes huit à affronter la tourmente, sur le parking de l’auberge. Environ 25 cm de neige fraîche au sol, des rafales. Ambiance Antarctique, température -1°, ressentie -6° précise la météo. Aucune visibilité.  Le blizzard glacé attaque à l’horizontale, l’équipement maximum est de rigueur. Nous chaussons les raquettes pour la première fois de l’hiver, pas convaincus. Eric nous entraîne dans la forêt en contrebas, là où le vent ne souffle pas. Et la magie de la neige opère. Vallon ouaté, arbres en tenue de soirée, ruisseau scintillant, on oublie nos doutes. Quelle chance d’être ici, de profiter de cette nature superbe ! Moment privilégié, on se sent tellement mieux qu’en ville, où la pluie doit être sinistre…
 La neige est lourde, sa profondeur irrégulière, la pente est raide, il faut rester vigilant. Quand la fatigue se fait sentir, une cépée de sapins nous offre un refuge magique, un nid à l’abri des branches enneigées, comme dans un conte de Noël. Nous abandonnons masques et cagoules, pour ce moment convivial. Le goûter, c’est important. Et jamais décevant, aujourd’hui crêpes, petits anges à la cannelle, thé, infusion, chocolat…

C’est au retour au sommet que les choses se gâtent. Les voitures sont congelées. La couche de neige épaisse, tassée par la dameuse, forme des bourrelets chaotiques à la sortie du parking. Le jour faiblit, tout est blanc, on ne distingue pas le ciel de la neige. Il faut partir, vite. Nettoyage des vitres, déblocage des portes, des essuie-glaces, rangement du matériel. La première voiture, courageuse, démarre mais stoppe juste devant un amas de neige, il faut contourner l’obstacle, elle repart. La deuxième voiture, téméraire, la suit trop vite, et se plante dans le tas de neige. Aïe ! Solidaires, on pousse, mais ça ne suffit pas. Eric trouve une pelle et dégage les roues, ouf, elle peut repartir. 

Eric part en dernier, pour rassurer tout le monde. La nuit est tombée, la route est glissante, la visibilité mauvaise. Il est prudent, pas le moindre coup de frein, qui mettrait le véhicule en travers. Moi ? Je me sens complètement sereine : traverser l’enfer blanc en voiture avec Eric, en discutant littérature, c’est comme regarder Croc-Blanc attaqué par les loups, du fond de son canapé…

lundi 3 décembre 2012

Chronique littéraire : Le Coeur Cousu, de Carole Martinez

Ecrit dans un style lyrique et merveilleux, qui tisse en fil d'or des liens entre broderie, rêve, mystère et féminité, un livre envoûtant. A la fois conte poétique et récit palpitant, d’une imagination débridée, il nous entraîne dans un monde baroque, onirique, hors du temps.

Frasquita vit la difficile vie d'une femme, dans un village du Sud de l'Espagne, où traditions, religiosité, pauvreté sont le lot commun. Mais elle possède un don extraordinaire : elle coud comme une fée, rend la vie aux vêtements par ses broderies somptueuses, ses raccommodages artistiques, rapièce même les hommes. On la soupçonne de sorcellerie.
Jouée aux cartes et perdue par son mari, elle fuit à travers une Andalousie en pleine révolte, entraînant avec elle ses enfants, tous pourvus de dons bizarres, eux aussi. L'une chante et son chant calme  la foule, l'autre peint sur les murs des motifs exubérants, la troisième se nourrit de lumière, le quatrième parle aux morts, et la dernière écrit. J'oubliais la muette, qui devient... conteuse.
La fuite éperdue de Frasquita et ses enfants, leur survie difficile, révèlent toute la gamme des violences faites aux femmes, ainsi que la force inaltérable du lien maternel. L'alternance des joies et des peines, avec son lot d’oubli, d'entraide. Et la renaissance, par l'amour et le don.

Carole Martinez, comédienne, professeur  de français, romancière, est née en 1966. Le Coeur cousu, son premier roman en 2007, a obtenu un succès considérable et de nombreux prix. Du domaine des Murmures, en 2011 a obtenu le Goncourt des Lycéens.
Le Coeur cousu est disponible en Folio poche au prix de 8,60€.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 29 novembre 2012.

jeudi 29 novembre 2012

Festival EntreVues : L'Argent

La Fête du cinéma à Belfort, c'est d'abord une compétition internationale de longs et courts métrages, documentaires et fictions d'avant-garde. Le Cinéma des quais grouille d'une foule bigarrée, cosmopolite, de tous âges, toute la semaine, les séances s'enchaînent de 12h à 24H. Interview de réalisateurs, rencontres de professionnels, débats, soirées festives.
C'est aussi, pour les cinéphiles amateurs, l'occasion de voir ou revoir de superbes vieux films, à l'occasion de rétrospectives, de choix thématiques. Cette année, sur le thème de l'argent, j'ai ainsi dégusté des petits bijoux de 1932 (Ernst Lubitsch) à 2005 ( JP. et L. Dardenne). Mais celui qui m'a le plus marquée, c'est L’Argent, de Robert Bresson.

Un titre minimal, pour une démonstration implacable. Ce film de 1983 n’a pas pris un pli, sauf peut-être côté costumes : à cette époque, les assassins les portaient ajustés, et fermaient soigneusement la porte, une fois leur forfait accompli.
Deux étudiants fauchés écoulent un faux-billet chez un photographe, celui-ci le refile à un livreur de mazout, qui paie avec dans un bar, et se fait coffrer comme faussaire. C'est le début de la descente aux enfers d’un innocent, due à l’argent, mais plus encore à la malchance, au destin.
L’intrigue est soutenue, les personnages et situations crédibles. Le rapport à l’argent n’a pas changé. Un besoin, un piège. Peu de paroles, aucun temps mort, le spectateur doit rester vigilant : Un lavage de mains ensanglantées, un amas de cachets, suggèrent sans discours ni effets spéciaux un meurtre, un suicide. Pas d’images complaisantes, l’épure fait la force de cette dénonciation sociale.

Des coupables, il y en a pléthore : les deux lycéens faussaires inconscients, les parents indifférents, le photographe âpre au gain, sa femme lâche, l’employé malhonnête. Le copain de bar louche, la police, la justice, qui broie l’innocent sans l’écouter. Chacun sa part de responsabilité, vite évacuée. Un instant on croit que le faux-témoin repenti va permettre une rémission, hélas ! Tolstoï, dont la nouvelle « le Faux Coupon » est ici réinventée par Bresson, ne veut pas d’échappatoire, sinon dans le sang et la folie. L’angoisse prend à la gorge devant cet engrenage qui écrase un individu, et transforme l’innocent en coupable. Nul, malgré son humanité, n’est à l’abri de l’onde de choc. Un film dont on ne ressort pas indemne.

Un clin d’œil amusant a posteriori, quand on repère François-Marie Banier dans le casting de l’Argent, trente ans avant l’affaire Bettencourt ! Parfois, la réalité rattrape la fiction ...

vendredi 23 novembre 2012

Chronique littéraire : La fortune de Sila, de Fabrice Humbert


Un grand Black charismatique, qui parcourt d’une foulée athlétique Afrique, Europe et Amérique... Vous voyez ? Eh bien non, ce n’est pas Barack, c’est Sila. Grâce à ce thriller palpitant, qui brasse l’actualité et les maux de notre planète, la mondialisation, la politique et la finance n’auront plus de secrets pour vous. Pris entre oligarques russes, affairistes américains, traders londoniens, Sila, l’immigré africain, arrivera-t-il à sauver sa peau ?

Le livre commence dans un grand restaurant parisien, où Sila effectue son service. Tous les protagonistes sont présents. Raffinement et quiétude règnent, jusqu’au moment où Sila est violemment agressé par l’un d’entre eux. Les autres dîneurs n’interviennent pas, mais le poids de leur lâcheté va conduire certains à se remettre en question.
Et il y a de quoi ! Les rouages mondiaux de l’économie de marché sont implacables. Aux USA, la crise des subprimes est sciemment organisée par des hommes sans scrupules. En Russie, les mafias écument le pays avec la bénédiction des autorités. A Londres, les traders avides de gains provoquent la fermeture des entreprises. C’est à la fois terrifiant et pédagogique.  Partout règne le dieu Argent.

Dans ce monde pourri, Sila, figure solaire, s'adapte avec souplesse. Il a fui l’Afrique, saisi sa chance. Maintenant serveur dans un haut lieu de la gastronomie, il travaille, sourit, regarde vers le futur. Mais sa bonne fortune a vacillé avec lui, le soir de l’agression. La suite sera terrible.
Un polar haletant, très documenté, des situations crédibles, un terrible duel entre l’argent et la vie, dans un style sobre. Parfaitement réussi.

Fabrice Humbert est professeur de lettres. Il a publié plusieurs romans aux éditions Le Passage, dont l’Origine de la Violence, doté de nombreux prix.
La fortune de Sila est maintenant disponible en Livre de Poche au prix de 7.10 €.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 22 novembre 2012.

mardi 20 novembre 2012

Le Kaki est mûr !

C’est le fruit du plaqueminier, (anciennement appelé figue caque), un arbre originaire d’Asie. Fruit national au Japon, où il est abondamment cultivé, avec plusieurs centaines de variétés. Pour moi, c’est un des plaisirs de l’automne dans la Drôme.

Plaisir visuel d’abord : Ces gros fruits orangés, accrochés dans des arbres qui ont perdu leurs feuilles, c’est Noël en Novembre ! En campagne comme en ville, les plaqueminiers illuminent les jardins de leurs lanternes rutilantes. Souvent anciens, imposants, isolés, ils créent une atmosphère magique dans la grisaille de Toussaint.

Plaisir gustatif, bien sûr. Le kaki traditionnel de la Drôme se consomme très mûr, cueilli après la première gelée. Il ressemble alors à une grosse tomate blette, d’une couleur orange foncé. Sa peau n’est pas bonne, mais sa chair sucrée et fondante comme une confiture, au goût d’abricot, est bourrée de vitamines. Il faut la consommer à la petite cuiller.

Il existe des recettes de confiture, mais je ne les ai encore jamais essayées, car le cageot de kakis que je rapporte chez moi se conserve longtemps, et nous les mangeons donc tous crus. Fruits de saison, succulents, et produits localement. Quel meilleur aliment pour la santé ?
Sur le marché, on trouve maintenant une autre variété, le kaki pomme (kaki fuyu). Croquant, facile à manger, à transporter. Moins parfumé, mais plus pratique.

Il y a quelques années, quand le kaki n’était encore ni connu, ni commercialisé, en Franche-Comté, un ami croyant me faire plaisir, m’apporta un jour un fruit soigneusement emballé. « Je l’ai cueilli en Italie, dans une vallée alpine proche de celle de ton grand-père… Je parie que tu ne connais pas ce fruit ! ». « Mais c’est un kaki ! J’en mange chaque année, en novembre, dans la Drôme… »
Il a été très étonné, un peu déçu. Moi pas, au contraire ! J’ai ainsi découvert qu’en mangeant des kakis, je réconciliais mes deux origines : l’Italie paternelle et la Drôme maternelle.

Question non résolue : pourquoi qualifie-t-on de kaki une couleur fade, indéterminée, entre vert, brun et gris ?


jeudi 15 novembre 2012

Cinquante nuances de ... moutons

Aujourd’hui, j’ai envie de démolir un livre que je n’ai pas lu, et que je n’ai pas l’intention de lire. Pourquoi ? Parce qu’un tapage médiatique éhonté incite les gens à l’acheter. Tout le monde en parle. On le qualifie de « phénomène de société »… Quelle blague !

Je ne donnerai même pas le titre de ce livre, pour ne pas être complice. Il s’agit de l’initiation sexuelle d’une jeune pucelle par un riche pervers. Comme situation, il n’y a pas plus éculé. On susurre avec force sourires que les femmes  se l’arrachent, qu’elles y trouvent des recettes inédites de plaisir. On essaie de lui donner une connotation soft, en le qualifiant de mommy porn, un porno pour les mamies. Pourtant le troisième âge n’a rien à prouver question libertinage, voyez les galipettes de DSK et AS ! C’est en réalité un porno classique : style faiblard, répétitif, personnages caricaturaux, histoire indigente. Mais les scènes de sexe sont croustillantes, avec exercices sado-maso détaillés.

Une découverte ? On pourrait le croire : Il est en tête des ventes depuis sa sortie. Et, dans les sex-shops, les menottes sont en rupture de stock. Pourtant la littérature érotique, sulfureuse, existe depuis des siècles en France. Marquis de Sade, Casanova, Baudelaire, Georges Bataille... Les auteurs ont beau être sous terre, leurs œuvres ne sont pas piquées des vers. Les magazines, films, revues porno sont en libre accès. Alors ? Qu’est-ce qui explique cet engouement pour un petit porno venu d’outre Manche ?

Les humains ont besoin de sexe. OK. De frissons. D’interdits. OK. Mais pas d’une incitation médiatique ! Achetez. Lisez. Soyez conformes. C’est incontournable : un film, d’autres volumes sont prévus. Quel lavage de cerveau ! Et il faudrait consentir à cette nouvelle forme de totalitarisme … le totalitarisme sexuel ? Imaginez le monde entier copulant au même moment, suivant le même manuel. Effrayant.

La consommation moutonnière n’encourage pas la lecture, ni le sexe, mais entretient le commerce et la décérébration. Rebellez-vous ! Cherchez un livre à votre goût, dégustez sa découverte. Ne lisez pas en moutons. Soyez loups.


dimanche 11 novembre 2012

Soutenez la Grotte Chauvet !

La découverte, au sud de l'Ardèche, en décembre 1994, par les spéléologues Chauvet, Brunel et Hilaire, de cette grotte a bouleversé le monde de l'archéologie. Restée intacte car l'entrée était masquée par un éboulis depuis des millénaires, cette immense cavité incrustée de cristaux, jonchée d'ossements d'animaux de la période glaciaire, conservait des centaines de peintures rupestres. Les scientifiques alertés furent émerveillés par la qualité et la diversité des peintures. Leur âge ? environ 35 000 ans avant notre ère, reculant ainsi les débuts supposés de l'art pariétal. Les artistes du paléolithique ont utilisé les irrégularités des parois, les ombres, la perspective, pour donner l'illusion du mouvement et du volume, témoignant d'une technique parfaitement maîtrisée, et d'une grande connaissance du monde animal.

Pour ne pas commettre la même erreur qu'à Lascaux, où l'ouverture au public, modifiant les conditions atmosphériques, a engendré une dégradation inexorable des peintures (de 15 000 ans postérieures), la décision de fermer le site fut prise rapidement. Seuls quelques scientifiques peuvent actuellement pénétrer dans la grotte Chauvet, pour un temps très court.
Le réalisateur Werner Herzog a été autorisé à filmer l'intérieur en 3D. Il a réalisé La grotte des rêves perdus, un document où l'esthétique de l'art pariétal se mêle à la magie minérale des lieux. Stalactites, stalagmites, concrétions étincelantes, squelettes calcifiés apparaissent et disparaissent à la lumière des torches, encadrant un bestiaire de quatorze espèces différentes, mammouths et rhinocéros, chevaux et lions exceptionnels de réalisme.

Ce film, aux images superbes et émouvantes, malgré une fin discutable, aide à promouvoir un grand projet. D'une part, la construction d'un fac-similé de la grotte, pour ouvrir au public ce fabuleux témoignage des débuts de l'humanité. Les mesures au laser ont permis de réaliser une maquette totalement fidèle. L'ensemble pédagogique et culturel de grande envergure, où seront restituées l'ambiance et les peintures, financé par le département, la région, les affaires culturelles, devrait ouvrir ses portes en 2014.
D'autre part, la Grotte Chauvet-Pont d'Arc est candidate à l'inscription au Patrimoine de l'UNESCO. Une inscription qui engendrerait une renommée touristique mondiale, et donc un bouleversement économique et social dans la vallée de l'Ardèche. Un pari sur l'avenir.

Le premier obstacle, c'est que la France ne peut présenter que deux projets à l'UNESCO, et la concurrence est rude. La Grotte Chauvet n'est qu'une des candidates à la candidature.
Soutenez la Grotte Chauvet en la faisant connaître, et en signant la pétition sur son site ! Sa candidature est amplement justifiée : quel meilleur symbole du patrimoine de l'humanité que les œuvres des artistes du paléolithique ?

Et puis, l'intelligence des hommes préhistoriques au service du développement du vingt-et-unième siècle, quelle belle leçon d'humilité !

jeudi 8 novembre 2012

Chronique littéraire : Prodigieuses créatures, de Tracy Chevalier

Savez-vous qu'on a longtemps ignoré l'existence des dinosaures ? Les premières découvertes de squelettes se firent sur la côte anglaise du Dorset au début du 19 éme siécle, suscitant des débats aussi bien scientifiques que moraux ( remise en question des théories chrétiennes sur l'évolution du monde, prélude aux travaux de Darwin). Si on ajoute que l'intrépide chasseuse de fossiles qui les a dégagés, en bravant les interdits de l'époque, était une jeune femme, O my God, quel scandale !

Vers 1810, la recherche de fossiles commence à passionner les touristes, et plus seulement les savants. Mary Annig, une jeune fille pauvre de Lyme, est une chasseuse expérimentée, qui vend ses trouvailles pour faire vivre sa famille. Non seulement, il faut arracher les fossiles aux falaises, mais il faut ensuite les nettoyer, les mettre en valeur. C'est un dur labeur, de patience et solitude, et de force et d'habileté. Mais si passionnant ! Mary la sauvageonne se laisse apprivoiser par une bourgeoise cultivée et atypique, Elizabeth, qui lui enseigne les théories naturalistes. C'est le début d'une amitié féconde entre deux femmes indépendantes. Ensemble, elles découvrent des squelettes jamais répertoriés jusque là. De drôles de crocodiles géants ? Ou des créatures oubliées ?

La société anglaise corsetée, le milieu scientifique machiste, dominé par Georges Cuvier, l'opposition religieuse, n'arrêtent pas nos deux amies, passionnées par leurs trouvailles mystérieuses. Seul, un intrigant parviendra à les séparer. L'amitié exclusive pourra-t-elle dépasser la jalousie ?

Tracy Chevalier, née en 1962 aux USA, vit à Londres. Elle est célèbre pour ses romans historiques, dont la célèbre  Jeune fille à la perle .  
Prodigieuses créatures  vient d'être édité en poche chez Folio, au prix de 8,10€.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 8 novembre 2012.

vendredi 2 novembre 2012

La Saint Martin en Ajoie

Le 11 novembre prochain, dans cette région suisse au joli nom, qui jouxte mon Territoire, on célèbre une grande fête populaire. Pas question de guerre ni d’armistice, on connait la stratégie pacifiste de nos voisins. Le 11 novembre, pour eux, c’est la Saint Martin, l’occasion de grandes ripailles. Une tradition automnale qui perdure depuis plusieurs siècles.

Pourquoi Saint Martin ? Parce que le célèbre évêque de Tours, qui donna la moitié de son manteau à un pauvre, était très populaire dans nos campagnes. Et à l’époque, l’Ajoie dépendait du comté de Montbéliard, diocèse de Besançon.
Les ripailles, ça se comprend : La Saint Martin, à la mi-novembre, marquait la fin des travaux agricoles, chacun réglait ses baux, payait ses dettes. Les récoltes étaient rentrées, les porcs gras à point. Et comme les réserves pour l’hiver ne permettraient pas de les nourrir, c’était le moment de les tuer, et de préparer leur viande, la fumer, la saler, pour la conserver. Ce qui ne pouvait pas se garder, on le mangeait tout de suite. D’où le menu traditionnel de la Saint Martin, à base de cochonnailles et de produits de saison :

-         Bouillon aux petits légumes
-         Gelée de ménage
-         Boudin à la crème, compote de pommes et salade de racines
-         Grillades, atriaux et rôti, accompagnés de rösti et salade verte

-         Sorbet à la damassine, eau de vie de prunes de la région
-         Choucroute garnie

-         Totché, un gâteau régional à la crème épaisse, plutôt acidulé
-         Crème brûlée

Il faut un solide appétit ! Tous les restaurants de la région proposent ce menu pantagruélique, et affichent complet. Même si, dans les familles, on se transmet les mille et une façons de cuisiner le porc, on préfère « faire la Saint Martin » en ville, où la fête bat son plein. A Porrentruy (au nom prédestiné ?) : concerts, expos, marché de Saint Martin, concours de vitrines sur le thème du cochon… On peut assister à des courses de cochons, promener son cochon en laisse, et même dénicher quelques petites cochonneries !

Rassurez-vous, si vous ratez le week-end du 11 novembre, ou si vous aimez faire bombance, il y a une deuxième chance : une semaine plus tard, c’est le « revira ». Avec une météo souvent complice, le fameux été de la Saint Martin, comme le chantait Jean Ferrat :

« C'étaient mémorables festins
C'étaient délectables nuits blanches
Je priais que mon coeur ne flanche
A l'été de la Saint-Martin… »

samedi 27 octobre 2012

Chronique littéraire: Un garçon singulier, de Philippe Grimbert

Un roman d'apprentissage sous la forme d’un thriller freudien : Louis, étudiant solitaire, déboussolé dans l’après 68, découvre une offre d’emploi pas banale : il s’agit de s’occuper d’un adolescent « difficile », qui vit avec sa mère dans une station balnéaire du Calvados. Précisément l’endroit où Louis, enfant, passait ses vacances. Curieux et nostalgique, il accepte la proposition.

Il doit alors affronter à la fois deux sortes de difficultés : la responsabilité d'un gamin différent et l’emprise de souvenirs gênants. Pas facile d’être jeune homme au pair face à Iannis, 16 ans, autiste, à la fois violent et sensible, très intuitif. D’autant que son étrange mère, Héléna, exige elle aussi du temps et une attention malsaine.
Dans l’atmosphère irréelle et grise de la station balnéaire hors saison, les douleurs de l’enfance, celle de Louis et celle de Iannis, se répondent. Quelques moments lumineux de connivence, d'autres gâchés par la présence de la mère. Les trois personnes s’apprivoisent pourtant, et tissent des liens originaux. Suffisamment forts pour que  Louis gagne le pouvoir de résister à l’indifférence et à la perversion, avec chaleur et justesse.
Un style sobre, des allusions poétiques, rendent à merveille l’ambiance douce- amère du huis clos dans la villa isolée sur la plage. Les jeunes gens sont justes, leur évolution attachante.

Philippe Grimbert, né en 1948 à Paris, est écrivain et psychanalyste. Son œuvre littéraire est nourrie de sa connaissance des secrets de l’âme. Un garçon singulier est un bel éloge de la différence, qui ne cache pas les difficultés de l'apprivoisement mutuel.
Paru aux Editions Grasset, ce roman est maintenant disponible en Livre de Poche, à 6,10€.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 25 octobre 2012.

vendredi 19 octobre 2012

J'ai la Citro-haine


Pour Noël, je me suis offert une superbe DS3, jaune bouton d'or, toit noir. Couleur idéale pour la repérer sur un parking. Optimisme garanti, un vrai soleil au cœur de l'hiver. Et puis so chic...
Ma vieille voiture donnait des signes de faiblesse, j'angoissais à chaque départ. Retrouver la tranquillité d'esprit, enfin...
Erreur stratégique : Avec ma nouvelle auto, j'accumule les pannes !

Première fois, en Suisse, en rase campagne. Panique, l'accélérateur ne répond plus, la voiture décélère, je roule à 20 Km-h jusqu'à l'entrée de la ville suivante, heureusement ça descend. Je me gare sommairement, marche jusqu'au garage le plus proche. On ne peut rien faire, il faut la valise Citroën. J'appelle le concessionnaire, on vient, on branche la valise, on exécute des manipulations informatiques. Verdict : c'est le moteur de levier de soupape. Voilà, ma petite dame, c'est réparé. Vous ne la poussez pas assez, il faut la faire chauffer ! Résultat, 150 CHF de dépannage.
Je connaissais la valise en carton, la valise RTL, la valise pédagogique, mais la valise Citroën, je suis bluffée.

Deuxième fois, près de chez moi. Même topo, plus d'accélérateur, au pas dans la montée. Mon mari me conseille de l'emmener directement au garage Citroën voisin. Je ne panique pas, j'y vais, j'explique, je la laisse. Deux jours après, le verdict : On a branché la valise, c'est le moteur de levier de soupape. Bien sûr !Vous l'avez changé ? Non, on ne peut pas changer la pièce à la première panne, il y a un protocole à respecter, on le signale au fichier central. Mais c'est la deuxième fois ! Et vous l'avez gardée deux jours ! Comme il n'y avait aucune mention au fichier, impossible de changer la pièce. Soyez sans crainte, quelquefois ça s'arrange tout seul.

Troisième panne, en Provence. Sortie des gorges du Verdon, plus d'accélérateur. Descente en roue libre jusqu'à Gréoux, contents de n'être pas tombés en panne au fond des gorges, là où le téléphone ne passe pas. Le garagiste Citroën local branche la valise : moteur de levier de soupape.
  • C'est la première fois ?
  • Non, la troisième.
  • Pourtant, je ne vois rien de noté au fichier central. Il faudrait changer la pièce. Mais je ne l'ai pas en stock, je dois la commander, ça prendra plusieurs jours.
  • C'est-à-dire qu'on est de passage. Vous pouvez essayer de régler le pb par informatique, pour qu'on puisse rentrer et faire réparer chez nous ?
  • Je vais essayer.
Finalement, en y regardant de plus près, le garagiste diagnostique un autre problème : le groupe moteur ventilateur ne s’enclenche pas. Donc pas de ventilation. Donc le moteur s'arrête automatiquement. J'ai réinitialisé, j'ai testé, ça va. Vous pouvez partir, mais surtout, ne la faites pas chauffer !

Chauffer ? Pas chauffer ? Panne ? Pas panne ? Panique ? Nique ? 
Ma prochaine voiture ne sera peut-être pas jaune, mais elle sera asiatique ...

dimanche 14 octobre 2012

Monsieur Lazhar

Un film canadien émouvant et juste, réalisé par Philippe Falardeau, avec Mohammed Fellag.

L'histoire : A Montréal, dans une classe de sixième, un immigré algérien se propose pour remplacer au pied levé une enseignante disparue. Pas vraiment au courant du programme, mais doué d'empathie et d'autorité, il doit s'adapter aux élèves, et gérer à la fois son passé tragique, et le bouleversement de ceux-ci, leur prof s'étant pendue dans sa classe.

Le film se déroule presque entièrement à l'école, les relations entre élèves, entre prof et élèves, entre prof et administration, entre profs, sont très justes. Pas de caricatures, ni d'excès. Pourtant, ce n'est pas un film sur l'école, mais un film sur le deuil, et même sur l'acceptation du deuil.
D'un côté, Bachir Lazhar se bat pour obtenir un statut de réfugié politique au Canada, sa famille ayant été détruite par les terroristes en Algérie. Angoisse du lendemain, douloureux souvenir des siens, ses nuits sont difficiles.
De l'autre, les enfants, surtout ceux qui ont découvert le corps, ressentent une culpabilité diffuse. Simon essaie de la camoufler sous des attitudes agressives, Alice arrive à analyser et exprimer la violence par les mots. Eux aussi font des cauchemars.

La force du message, c'est qu'ensemble, ils arrivent à accepter les faits, à construire une nouvelle relation, à vivre. L'humour, la culture, l'empathie, mais aussi la franchise et l'exigence de Bachir Lazhar réussissent à assainir l'atmosphère. A faire réfléchir, et à libérer la parole.

L'exotisme donne du charme et de la légèreté au film. Expressions et accent québécois goûteux, même s'ils sont parfois difficiles à suivre. Jeux dans la neige. Rapports scolaires plus conviviaux que chez nous, les enfants sont familiers mais pas insolents, la direction moins scrupuleuse. Quelques bons mots sur l'absurdité du système scolaire, ainsi que celle des lois de l'immigration.
Pas de happy end cependant, certains parents ne veulent pas que Monsieur Lazhar déborde de ses fonctions. Il est là pour enseigner, pas pour éduquer.

J'ai beaucoup aimé la tendresse, la générosité qui se dégagent du film. La simplicité de rapports de l'adulte avec les jeunes acteurs. Malgré ses méthodes surannées, Monsieur Lazare fait passer le plus important des messages, la force de la vie.



lundi 8 octobre 2012

Chronique littéraire: Accabadora, de Michela Murgia


Dans un petit village sarde, Maria est cédée par sa pauvre mère à la riche couturière Tzia Bonaria, qui n’a jamais eu ni mari ni enfants. Devenue la « figlia de anima », fille d’âme, de cette femme à la fois stricte et tendre, elle s’épanouit. Toutes deux vivent en harmonie. Mais Maria ignore que Tzia Bonaria est l’ « accabadora », la dernière mère, celle qui délivre les mourants de leur agonie. Quand elle découvre brutalement ce secret, bouleversée, elle s’enfuit.

Michela Murgia nous plonge dans la vie quotidienne d’un village sarde des années cinquante. Rites immuables, convenances pesantes, omniprésence de la religion, vieilles superstitions. La vie est dure, jalonnée de travaux et de fêtes, et quand les drames familiaux éclatent, la rancune est tenace. Maria profite cependant d’une éducation libre, c’est un personnage lumineux tourné vers l’avenir.
Ce roman à l’écriture poétique et simple évoque avec sobriété des thèmes universels : la maternité, l’éducation, la transmission, l’euthanasie, la mort. Le lieu, le temps n’ont pas d’importance, le lecteur trouve ici matière à partager ses propres interrogations.

Michela Murgia est née en Sardaigne en 1972. De ses expériences professionnelles variées : animatrice, vendeuse, opératrice, administratrice, portier  de nuit, elle a tiré son premier récit : Il mondo deve sapere, en 2006. Accabadora paraît en 2009 aux Editions du Seuil. Il est maintenant disponible en Points Poche, à 6,30€.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi  4 octobre 2012.

dimanche 7 octobre 2012

Val d'Enfer ... Carrières de Lumières

Etrange destin que celui de ce vallon perdu au milieu des Alpilles. Relief tourmenté, inhospitalier, arbres tortueux, roches creusées, cavernes inquiétantes, ce fut l'  « Inferno » de Dante, bien avant de servir de décor au film de Cocteau « Le testament d'Orphée ».
Dès l'Antiquité, on a exploité ses carrières de calcaire blanc, idéal pour la statuaire et la construction. Le village des Baux, perché sur son éperon rocheux, avec son château féodal, en est la preuve éclatante. L'extraction a creusé des cavités de plus en plus profondes sous terre, tandis qu'au-dessus, sous le soleil de Provence, le site attirait les artistes, Daudet, Van Gogh, Picasso, subjugués par le côté fantastique des paysages. Maintenant, les touristes déferlent par milliers sur leurs traces.

Les carrières ont cessé leur activité. Ré ouvertes en Cathédrale d'images dès 1975, pour des projections publiques, elles ont retrouvé une splendeur inégalée avec la stupéfiante scénographie lumineuse et sonore installée depuis 2011, dans le style des Lumières de Lyon.
Le public entre sous terre par des portes majestueuses taillées dans la roche. Il s'avance dans un dédale de salles cyclopéennes, d'une quinzaine de mètres de haut, sur les parois desquelles un déferlement d'images de synthèse remplit tout son champ visuel. Les œuvres de Van Gogh et Gauguin s’enchaînent, se mélangent, s'opposent, se répondent. Il ne s'agit pas simplement de 3D, plutôt d'un sorte de Mégarama à 360°, qui immerge entièrement les spectateurs dans les champs de tournesols, d'iris, d'oliviers de Vincent, puis les entoure de Bretonnes de Pont-Aven ou de Tahitiennes alanguies sur la grève. C'est féerique, époustouflant, magique, grandiose. Et l’enchaînement, ou le déchaînement, d'images dure une quarantaine de minutes.

Au dehors, le village perché des Baux, un des plus beaux de France pourtant, paraît convenu. Décor de carte postale : ciel bleu pur, végétation méditerranéenne agitée par le vent, constructions de pierres blanches accrochées au rocher. Des ruelles pavées, des maisons soigneusement restaurées en boutiques ou cafés pour touristes, le château des Grimaldi tout en haut (en ruines, mais payant). Pas de surprise. Seuls, le superbe panorama depuis les remparts, et la chapelle des Pénitents recouverte des fresques de Brayer, permettent de retrouver une sensation d'émerveillement total.
Si vous passez par la Provence, ne ratez pas les Carrières de Lumières. Sinon, visitez leur site, qui donne une bonne idée de l'émotion visuelle ressentie.


mardi 2 octobre 2012

Chronique littéraire : Ouragan, de Laurent Gaudé

Un roman puissant, apocalyptique, à l'image du cyclone Katrina, qui a submergé la Nouvelle Orléans en 2005. A travers différents personnages essayant de survivre dans le chaos, Laurent Gaudé brosse le portait d’une population noire laissée en marge de la croissance, mais animée d’une force de vie irrésistible.

Joséphine, « vieille négresse centenaire » mène la résistance : depuis toujours, elle a lutté, revendiqué, cette fois, elle refuse de quitter sa maison, d'évacuer les lieux. Tandis que des prisonniers abandonnés dans leur geôle envahie par les eaux réussissent à se libérer, semant la panique sur leur passage, Keanu, un homme détruit par la mort de ses camarades sur une plate-forme pétrolière, essaie de retrouver son amour de jeunesse, en remontant le convoi de réfugiés qui fuient la ville. Un pasteur illuminé joue les anges de l’Apocalypse, et Rose cherche son fils égaré.

Narration par courts chapitres, les destins se croisent, l’intrigue est soutenue. Après le vent annonciateur, la tempête se déchaîne, les eaux montent, recouvrant peu à peu tous les quartiers. Les digues cèdent. Les hommes sont emportés. Et le paroxysme est atteint avec l’arrivée massive des alligators en ville, portés par les flots.

Laurent Gaudé, né en 1972 à Paris, est un écrivain et dramaturge français, lauréat du Prix Goncourt en 2004 pour son roman « Le Soleil des Scorta ». Toute son œuvre est publiée chez Actes Sud.
Ouragan est disponible en format Babel Poche, à 7€.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 27 septembre 2012.

lundi 1 octobre 2012

Les Correspondances de Manosque

Un centre ville clos, ceinturé de voitures. Sur le blason de la porte Saunerie, quatre mains dorées, amicales,  (manos= main) invitent à parcourir les rues piétonnes, coulisses d'un festival littéraire qui se joue fin septembre. A quatre pieds et deux têtes, nous entrons dans l'univers grisant des Correspondances. Partout, des phrases de Giono calligraphiées sur les vitrines, sur les murs. Régal des mots. Des écritoires installées au gré des places, des rues, rivalisent de créativité : posée à hauteur d'un platane, telle un nid, abritée à l'intérieur d'un livre géant, ou dans la chambre noire d'un giga appareil photo, devant une boulangerie, un café, une église. Surprises, clins d'oeil, régal de la découverte. Cartes, lettres, stylos, enveloppes sont à la disposition du public. Ecrire, vite, à tout le monde aimé. Régal du coeur.

Beaucoup de rencontres avec les auteurs, des siestes littéraires tellement prisées qu'on n' y trouve pas une place, quelques vraies lectures, Sophocle, Quignard, trop peu à notre goût. Des spectacles surbookés, un programme labyrinthique, des bénévoles dépassés, des heures de queue en vain. Une annulation de dernière minute à cause de quatre gouttes de pluie, des altercations, presque des pugilats, pour réserver des places, on a connu le meilleur et le pire. Un festival victime de son succès, à l' organisation mal adaptée.


Le meilleur, ce fut dimanche, la balade littéraire dans les rues du vieux Manosque, en compagnie d'un comédien lisant Giono. Entre les hautes façades aux couleurs provençales, près des fontaines, dans les jardins, avec passion et sourire, aisance et allure, il a fait revivre tout l'univers de l'enfant du pays ... et le plaisir des mots. Que notre joie demeure.

vendredi 21 septembre 2012

Chronique littéraire : La Mer Noire, de Kéthévane Davrichewy


Un roman où les souvenirs nostalgiques d’une grand-mère se tricotent avec le regard actuel de sa petite-fille. L’amour, l’amitié, la famille, l’émigration sont évoquées en phrases simples par Tamouna, qui fête ses 90 ans à Paris, et se souvient de son passé à Batoumi, en Géorgie. Toute sa famille est invitée à la fête, elle espère même la venue de Tamaz, son amour de jeunesse, qu’elle n’a jamais revu depuis son départ forcé, à 15 ans. En contrepoint, la voix de sa petite fille, sa confidente, photographe parisienne bien intégrée.

En chapitres courts, phrases sobres, dans un style simple et moderne, toute la vie de la vieille femme défile : Enfance, ruptures, mariage, naissances, deuils… Difficultés et joies, acceptation du destin, Tamouna, malgré ses origines exotiques, est une femme comme les autres. Presque, car la diaspora géorgienne omniprésente veille au respect des traditions. Convivialité parfois étouffante, pour les jeunes qui se détournent de leurs racines.

Sans démonstration érudite, on approche l’histoire de la Géorgie, petit pays au bord de la Mer Noire, écrasé par le grand frère soviétique.  Et on comprend mieux les drames qui s’y perpétuent encore.  Une civilisation méridionale évanouie, à laquelle certains se raccrochent à Paris, par des chants, des danses, et des rêveries    politiques enflammées. 

Née en 1965 dans une famille géorgienne,  Kéthévane Davrichewy, après des études de lettres modernes à Paris, puis à New York, a débuté en publiant des Contes géorgiens à l'Ecole des Loisirs. Romancière, elle écrit également des scénarios de films d'animation, et des chansons.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 20 septembre 2012.

mardi 18 septembre 2012

Ardèche au coeur


L’Ardèche que j’aime, celle de mes aïeux, s’étend entre Tournon et Saint Félicien. Entre la vallée du Rhône animée, opulente, avec soleil, vignes, fruits, gastronomie raffinée, et les monts érodés, rudes, verts, paisibles, où la fraîcheur règne même en été. Empurany, Arlebosc, Colombier, villages trapus, compacts, aux maisons de pierres chaudes, marchés rustiques de fromages et charcuteries. Ah, le caillé doux de Saint Félicien… délice de chèvre crémeux, introuvable ailleurs.
Souvenirs d’enfance, les petites plages sablonneuses de la vallée du Doux, l’été. Les baignades avec les cousins, les compétitions pour escalader les rochers, sauter du barrage, traverser en apnée. Plus tard, j’ ai entraîné mari et enfants dans les marmites de granit et falaises abruptes des gorges du Duzon. Même le chien y a appris à nager !

Pourtant c’est l’automne qui sied le mieux à l’Ardèche. Bruyères mauves sur les coteaux, pommiers colorés de fruits dans les vergers, châtaigniers étoilés de bogues, forêts de cèdres majestueux, champignons odorants en sous-bois. Dans les gorges, la végétation flamboie, les rochers dénudés captent le soleil, le torrent gronde, la nature sauvage reprend le dessus.
Pendant des années, un petit train à vapeur, entre Tournon et Lamastre, permettait d’apprécier le site spectaculaire des Gorges du Doux. Mais les problèmes financiers ont eu raison de cette survivance nostalgique. Aujourd’hui, un autre mode de transport a pris la relève, dans un style actuel, ludique et écologique : le vélorail.

Dimanche matin, départ de Boucieu-le-Roi en famille. Les vélorails alignés sur la voie ressemblent à des pédalos bien rangés. Mon petit-fils est déçu, il n’est pas assez grand pour atteindre les pédales ! 12 km de trajet, dans la partie la plus pittoresque des gorges. Totalement immergés dans la nature, entre pâturages, buissons et chaos rocheux, enivrés de chants d’oiseaux et odeurs de serpolet. Sans effort physique, la pente est douce. Les petites gares désaffectées, aux rosiers  fleuris, sont restaurées en mignonnes habitations, les passages à niveau s'abaissent dans une sonnerie stridente, les automobilistes font signe, les poules s'affolent, mais les vaches restent impassibles.
Ponts de pierres, tunnel, viaduc, canal d’irrigation, nous avons le loisir d’admirer la splendeur des gorges, mais aussi d'apprécier la valeur de cette voie historique, édifiée par nos ancêtres, pour désenclaver le plateau ardéchois. Peut-être que mon grand-père en était ?
A la gare d’arrivée, le chemin de fer du Vivarais nous attend, pour remonter au point de départ, avec les vélorails accrochés derrière. L’aller-retour dure deux heures environ, c’est une façon très agréable de profiter des Gorges du Doux.


Après l’aventure, une halte gourmande s’impose : A Pailharès, l’Auberge Buissonnière nous accueille. Au cœur de l'Ardèche. A l'écart du village, une terrasse panoramique encore inondée de soleil s'ouvre sur les monts du Vivarais. Au loin, les sommets ourlés de blanc des Alpes. Au menu : jambon de pays, caillettes, fromages de chèvre et délices à la crème de marrons. Le tout arrosé de Chatus en robe pourpre. Détente totale, l'Ardèche au ventre.

dimanche 16 septembre 2012

Chronique littéraire : Marie-Blanche, de Jim Fergus


Dans cette superbe saga familiale, Jim Fergus revient sur l’itinéraire de sa mère, Marie-Blanche, une Française fragile et malade, dont l’existence a été brisée par l’égoïsme de Renée, la grand-mère, aristocrate décadente et manipulatrice perverse. Entre France et Égypte, Suisse et États-Unis, Jim Fergus suit les traces de la vie de bohème des deux femmes. Son récit intime revisite la grande histoire du XXème siècle, et même la petite histoire, comme la rencontre avec Brigitte Bardot...

Aventure, action, amour, jeu, les péripéties s’enchaînent. Les deux héroïnes, bien que nanties financièrement, sont maltraitées par la vie, et paient cher leurs manquements à la morale. L’oncle Gabriel, personnage satanique hors normes, tisse le fil conducteur du malheur, empoisonnant plusieurs générations. Entre passions et désamours, intrigues flamboyantes et descriptions froides, on se laisse embarquer dans ce roman palpitant. Avec l’espoir que l’auteur, rongé par son passé, puisse enfin trouver la paix intérieure, grâce à l’écriture de cette autobiographie douloureuse.

Jim Fergus est né en 1950 à Chicago, d’une mère française et d’un père américain. Journaliste, romancier, il vit dans le Colorado. Son premier roman « Mille Femmes blanches » (1994) a obtenu un énorme succès en France et dans le monde, auprès des amateurs de grands espaces. Un splendide western littéraire, qui évoque l’intégration des mille femmes accordées comme monnaie d’échange aux Cheyennes, par un traité de paix officiel du Président Grant en 1875. Un régal de littérature indienne épique.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 13 septembre 2012.

vendredi 7 septembre 2012

Rolex for ever


Non, je ne suis pas devenue subitement bling-bling. Rien de nouveau à mon poignet.
Oui, il s’agit bien de Rolex, le must de l’horlogerie … Alors ?
Alors, je suis allée visiter le Rolex Learning Center à Lausanne, hier. Et c’est époustouflant.
Le Rolex Center est la toute nouvelle Bibliothèque Universitaire de L’Ecole Polytechnique Fédérale. Le fleuron des bibliothèques, un idéal de technologie, d’efficacité, et de beauté intemporelle. Un modèle de pure science fiction. 

D’abord, l’architecture, tout en lumière et courbes. Comme si les architectes japonais du groupe SANAA (lauréats du prestigieux Prix Pritzker) avaient voulu recréer l’intérieur d’une montre, ses rouages, lames, ressorts, engrenages. Rien n’est rectiligne. Le toit est ondulé et alvéolé, les puits de lumière sont aménagés en patios. Des galeries de verre circulaires distribuent les différents lieux, bureaux, bibliothèque, salles de travail, cafeterias, librairie, et même une banque (on est en Suisse !).

Les couloirs sont courbes, leur sol ondule aussi, un peu comme si on déambulait sur des collines. On domine, puis on longe des salles rondes transparentes : bulles de silence (pour conférences), bulles d’expositions de manuscrits anciens (avec codage pour smartphone ). Une apologie du cercle : tables rondes, bureaux d’accueil et étagères hémisphériques, bulles de lecture foetales. Partout, des horloges Rolex rutilantes, des sièges Vitra. Et pour égayer la symphonie de blanc et gris, des poufs de couleur à disposition le long des galeries.

Côté bibliothèque, c’est grandiose. 400 000 volumes, une majorité d'ouvrages de sciences et techniques, 860 places de lecture, 100 ouvrages empruntables par personne, inscription gratuite pour toute la Suisse. Une simple carte numérique pour entrer, des bornes de prêt électroniques, des ordinateurs portables à disposition, un scanneur de livres en libre service (livre posé à l’endroit, avec réglage en hauteur de la tranche, je suis épatée). Encore plus fort au sous-sol, où la gestion des lourdes étagères d’archives coulissantes  (appelés ici compactus) se fait électroniquement : il suffit de presser sur le bouton de l’étagère choisie, et elles se mettent toutes en branle, dans un ballet de robots silencieux, pour dégager l’accès.
Le plus étonnant, pour nous autres bibliothécaires : aucun livre n’est couvert (ici on dit « fourré »). On mise sur le civisme des  citoyens. Et l'ouverture des lieux : tous les jours de 7h à 24h ! 

Le Rolex Learning Center est non seulement un lieu d’apprentissage, d’information, mais un lieu de vie. Le marquage au sol pour non voyants, les accès handicapés, sont évidents. Les abonnements numériques sont au top. On y parle toutes les langues. L’aménagement de petites unités pour se reposer, bavarder, est agréable. 30 quotidiens sont à disposition. La restauration est variée et excellente.

 Pour tout dire, j’y passerais volontiers mes dimanches !

vendredi 31 août 2012

Chronique littéraire : Rosa Candida, de Audur Ava Olafsdottir


Retour dans le Grand Nord et la botanique. Avec un nom pareil, devinez la nationalité de l’auteur ? 
Audur Ava Olafsdottir, née en 1958 à Reykjavik, est Islandaise, écrivaine  et professeur d' histoire de l'art.
Son troisième roman, Rosa Candida, a obtenu de nombreux prix, dont le prix « Page des libraires » en 2010. C’est un petit conte philosophique, au ton enjoué et poétique, qui engendre l’optimisme.

Le héros, Arnljotur, a vingt ans, ses études l’ennuient, il décide de quitter l’Islande. Tout est flou dans sa tête, sauf son amour des roses. Sa mère, qui lui a transmis la  passion de l’horticulture, vient de mourir accidentellement. Le regard de son père, l’amour exigeant de son frère lui pèsent. Il est accessoirement  père d’un bébé, issu d’une brève liaison, mais ne se sent guère concerné par la paternité.

Engagé pour restaurer la roseraie ancienne d’un monastère, dans le sud de l’Europe, il part, n’emportant avec lui que ses précieuses boutures de Rosa Candida. Son itinéraire chaotique à travers le continent, tant du point de vue géographique que psychologique, est l’occasion de scènes cocasses et savoureuses. Les rencontres, les difficultés d’un jeune paumé, la découverte de soi, sont évoquées ici avec humour et délicatesse. Ses tribulations de jeune père sont hilarantes.

La vie austère et chaleureuse au monastère, en compagnie d’un moine cinéphile atypique, la réhabilitation réussie du jardin, permettent à Arnljotur de  trouver peu à peu son ancrage, et d’apprécier la vie, avec ses concessions, ses incertitudes, et ses côtés positifs.
A l’image de la fragile Rosa Candida, exigeante, épineuse, qui éclot enfin.

Chronique publiée dans le JTT du 6 septembre 2012.

samedi 11 août 2012

Les Juscles vont au ciel


Une Via Ferrata, ça manque à mon palmarès de casse-cou. Le canyoning en Corse, le parapente en Drôme, l’hydrospeed en Savoie, c’était super. Maintenant je ne pourrais plus… Mais peut-être qu’une Via Ferrata, je peux encore ?
Si je me pose la question, c’est parce que cette semaine, je partage avec JP la charge de 3 nonagénaires dans une maison isolée de Haute-Loire, en pleine forêt. Une fois les soins, repas, ménage, exécutés, il n’y a rien à faire à des km à la ronde. Saufla Via Ferrata des Juscles, juscle à côté.

Je me renseigne chez le loueur de matériel : vous pensez qu’à mon âge… ? Pas de problème ! Je cogite : s’il n’y a pas d’accompagnateur, ça ne doit pas être difficile. Plutôt amusant. Puis j’entreprends de convaincre JP, plus réservé que moi devant l’expédition. Si tu n'es pas là pour m’encourager, je n’y arriverai pas… Bref, nous voilà partis, avec casques, baudriers, harnais, et de bonnes chaussures. Le lieu est superbe et sauvage, de grandes failles dans une falaise de granit. Au pied du premier mur, j’ai un doute, ça semble vraiment ardu. Mais je fanfaronne encore, le temps d’enfiler le harnachement.

C’est quand je commence à grimper le long de la paroi verticale, que je réalise le traquenard dans lequel je me suis jetée. Impossible de reculer, et difficile d’avancer. Les muscles me manquent pour me hisser. JP : Tu vois, si tu avais qq kilos de moins … Les prises sont très espacées, j'ai du mal à écarter mes jambes. Je m’agrippe au rocher, je me tire à l’aide du filin. Et au pire moment, quand je domine le vide de 40m, il faut changer les mousquetons de câble, et donc se lâcher d’une main. Vais-je tenir longtemps ?
Derrière moi, JP monte sans effort et prend des photos. Premier replat, nous laissons passer des jeunes qui nous ont rattrapés en plaisantant. J’envie leur forme, j’envie aussi leurs gants, les articulations de mes doigts sont déjà écorchées. Tous mes muscles sont tendus, mes genoux gémissent. Et il faut continuer. Des prises, encore des prises. Je suis prise.

Mais il n’y a pas qu’un souci musculaire. Il faut aussi affronter les passages aménagés au-dessus du vide. Et gérer son stress. Quand je mets un pied dans le premier, un filet, je n’ai pas peur, c’est plutôt sécurisant, un filet. Mais quand j’y mets le deuxième, je m’enfonce, et avancer devient aléatoire. Puis il faut passer sur une poutre, solidement fixée, mais au-dessus du précipice. Traverser ensuite un pont de rondins, qui bouge, sans protection, en s’accrochant simplement à deux filins très hauts. Le pire : Marcher sur un fil au-dessus du vide, avec deux  câbles pour sécurité. Epreuve sadique, je n’ose pas regarder, je respire un grand coup, j’y vais la peur au ventre.

Changement de torture, il s’agit maintenant de s’élever sur l’arête sommitale, à la force du poignet. Impossible de placer deux pieds côte à côte, tant elle est aigue, avec deux belles faces verticales. JP : Regarde le panorama, on voit tout le Velay, ses puys et ses sucs ! Impossible. Je peux juscle me concentrer sur la position de mes pieds, mes mains, mes mousquetons. Et le sommet, en plein ciel, j’y arrive à quatre pattes. Un dernier obstacle nous attend : un pont de singe impressionnant qui retraverse la faille. Mais avant d’atteindre la première lame, il faut redescendre, plaqué au rocher, opérer un retournement périlleux, déplacer les mousquetons, et enjamber le vide. C’est vertigineux, difficile, j’ai peur. JP : Ne lâche pas, sinon, tu resteras suspendue à ton harnais sans pouvoir remonter !  Voilà qui me stimule, je me concentre sur chaque mouvement, et lame après lame, j’atteins l’autre côté. Vivante, mais épuisée, suante, tremblante. Un petit sentier escarpé nous ramène en bas. Ouf !


Conclusion: Une Via Ferrata, ce n’est plus de mon âge !

vendredi 3 août 2012

Chronique littéraire: Antoine et Isabelle, de Vincent Borel


Un livre érudit, qui décortique le vingtième siècle, pour des vacances studieuses.

Contrairement à ce que suggère le titre, l’important n’est pas ici le roman d’amour, mais le contexte historique, social et culturel. De la Belle Epoque à la guerre d’Espagne, puis à  l’embrasement mondial, entre Barcelone et Lyon, guerres et crises sociales se succèdent, tandis que les filatures traditionnelles évoluent en grands trusts industriels, Rhône-Poulenc, Rodiaceta.

La narration démarre en 1917 : Deux familles espagnoles quittent leur misérable campagne, andalouse pour les uns, catalane pour les autres, espérant mieux vivre à Barcelone. Ce sont les aïeux de l’auteur, pris dans les tourments des premiers combats sociaux, de la guerre de 1914, de la révolution russe et la crise de 1929.
En parallèle de l’itinéraire de ces ouvriers rebelles, le destin de familles lyonnaises riches et puissantes : les Gillet, les Poulenc, les Férié, d’abord simples soyeux, puis industriels dans le textile artificiel et la chimie. Exerçant un pouvoir absolu sur Lyon, utilisant les progrès technologiques, multipliant les alliances internationales, même en temps de guerre.

La fresque sociale se poursuit avec l’histoire d’Antoni et Isabel, qui se rencontrent à Barcelone en 1925. Une vie pleine d’espoirs commence pour eux, réduite à néant par la guerre civile de 1936, puis celle de 1940. Fuite, exil en France. Avant les retrouvailles et l’intégration, ils connaitront le malheur,  des camps de réfugiés espagnols des Hautes Alpes, aux camps de concentration nazis, en passant par les combats de résistants dans le Vercors.

Vincent Borel, né à Gap en 1962, passionné de musique, a publié plusieurs ouvrages historiques. Dans ce livre, il rend hommage à ses ancêtres espagnols, en nous faisant parcourir à leur suite le 20ème siècle. Son vocabulaire est précis, savant, parfois lyrique, mais c’est surtout sa riche documentation qu’il faut saluer. Une prodigieuse leçon d’histoire moderne.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 2 août 2012.