samedi 26 janvier 2019

Chronique littéraire : Point cardinal, de Léonor de Récondo

Un sujet pas souvent traité en littérature, un peu tabou : le transsexualisme. Et particulièrement bien mis en scène par Léonor de Récondo, avec subtilité, émotion et sans voyeurisme.


Une voiture garée au fond d’un parking. Une femme se démaquille, se déshabille, revêt un jogging. Un homme prend son apparence, avec une infinie douleur. Pourquoi ? Laurent est un père de famille bien intégré dans la société, mais au fond de lui, depuis toujours, il se sent femme. Coupé en deux, il vit dans le mensonge, sauf quand il peut parfois, s’échapper, revêtir une robe et danser ...
C’est autour de la difficulté à prendre la décision d'enfin sortir de la compromission et assumer sa vraie nature, qu’est bâti le roman. Car se dévoiler tel qu’on est, c’est aussi détruire ce à quoi on tient le plus : sa famille, ses amis, son environnement professionnel. A travers le poignant portrait de Laurent, c’est plus généralement la difficulté de s’assumer, de faire un choix dérangeant, qui est développé ici. Et cela n'est pas sans conséquence pour l’entourage. Qui peut-être, en profitera pour s’ouvrir, évoluer, lui aussi.
Léonor de Récondo, musicienne et écrivaine, née en 1976, navigue elle aussi entre ces deux mondes de création. Elle sonde la vérité des corps, des âmes, de sa petite musique fluide mais sans concession. Son personnage suit un parcours du combattant dont personne autour de lui ne ressort indemne. Choisi ou subi, il faut payer le prix du courage d’être soi. Ce n'est plus seulement un point, mais une vertu cardinale.
Ce roman est disponible en format de poche chez Points.
Chronique publiée dans le JTT du jeudi 14 Février.

samedi 19 janvier 2019

Le kilomètre Zéro du front de la Grande Guerre


A une quinzaine de kilomètres de Delle, sur la frontière franco-suisse, un sentier singulier rappelle l’histoire de la Grande Guerre : c’est celui du Kilomètre 0, riche des vestiges des trois fronts : français, suisse et allemand. 
De 1871 à 1914, l’Alsace était allemande et Pfetterhouse était le point de rencontre des trois frontières, France, Suisse et Allemagne. Bénéficiant de cet attrait, le restaurant suisse du Largin était un lieu de convivialité internationale. A l’automne 1914, les Français y fixèrent le début du Front. La borne frontière n° 111 devint alors le Kilomètre Zéro du front Ouest qui se poursuivit ensuite sur environ 600 km jusqu’à Ostende.

Ce fut le temps des tranchées, des bombes et des barbelés. Sur le front de la Largue, Allemands et Français s’affrontaient, tandis que l’armée helvétique, protégeant sa neutralité, les observait. Un télescope posé dans un chêne à 25 mètres de hauteur permettait, par temps clair, de voir à plus de 50 kilomètres à la ronde. De quoi prévenir une éventuelle invasion française et/ou allemande, car l’Ajoie représentait un passage idéal pour prendre l’ennemi à revers. Georges Clémenceau est venu visiter ce lieu stratégique en février 1918.

L’association franco-suisse des Amis du Kilomètre Zéro, soutenue par l’armée suisse, a balisé un parcours, restauré sur la ligne de front plusieurs ouvrages en béton, des tranchées, des postes d’observation. Tous ces vestiges sont en libre d’accès, sécurisés et enrichis de panneaux didactiques. Le parcours de 7,5 km en forêt dure environ 2h, au départ de Pfetterhouse (68) ou de Bonfol (CH). En cette période de commémoration, le Kilomètre 0 est une balade familiale passionnante pour comprendre et se souvenir.


 

Article publié dans le Hors-Série Belfort-Delle de l'Esprit Comtois.

vendredi 11 janvier 2019

Le Train des Crèches en Ardèche


Du 26 au 30 décembre, le train des crèches affrété et décoré spécialement pour les fêtes, a réveillé toute la vallée du Doux de ses sifflets stridents. Au départ, dans la gare de Saint-Jean-de-Muzols, les voyageurs pouvaient admirer l'agréable boutique avec une représentation en miniature du trajet. A côté le musée exposait les antiques machines avec leur mode d'emploi, dont l'impressionnante tubulure de la chaudière, une collection de lanternes et un superbe wagon-lit des années 1900. Pendant ce temps, la locomotive Mallet chauffait, crachait, ses panaches de fumée donnaient une dimension magique au paysage hivernal.


Les deux charmantes cheffes de train, après avoir précisé les consignes de sécurité dans les wagons bondés, puis donné le signal de départ, ont commenté le voyage, racontant l'histoire des lieux parcourus, Douce-Plage, le barrage de Troye, l'usine de Chaudanne, le canal des Allemands... La vue sur la partie sauvage de la vallée du Doux, falaises abruptes, rochers blancs, roses et gris, dominant les remous du torrent, était d'autant plus spectaculaire qu'en cette saison les arbres sont dénudés, ne présentant aucun obstacle.
A l'arrivée à Boucieu-le-Roi, un comité d'accueil formé de bénévoles de l'association SGVA proposait un goûter chaud, bien agréable dans le froid ambiant. Puis les voyageurs ont entrepris la montée vers le vieux village, ponctué de décorations soignées. Tout en haut, la maison Pierre Vigne exposait comme chaque année les merveilleuses crèches du monde. Il fallait être patient et prendre son tour dans la file d'attente pour admirer l'ingéniosité, la créativité, la minutie des réalisations. La variété de matériaux utilisés par des artisans, suivant les pays, porcelaine, terre, bois, papier, coton, verre, paille, coquillages ... était aussi un hommage au recyclage.

A 16h30 le sifflement du train a rappelé les voyageurs pour le retour. Un dernier spectacle les attendait en gare de Colombier : le retournement de la locomotive. Une opération pour laquelle tout le monde est descendu des wagons, tandis que la locomotive prenait place sur l'aire de retournement dans un imposant nuage de fumée. Et là, c'est à la force d'un seul homme, que le retournement s'est effectué, sous les applaudissements du public. Au sifflet chacun a regagné sa place, pour un retour dans la nuit. La gare de Saint-Jean, tout illuminée, est apparue alors comme la fin d'un voyage enchanteur. 

D'autres balades en train sont programmées toute l'année.
Nouvelle semaine festive prévue : à Pâques, avec le Train des œufs.
Renseignements : 04 75 06 07 00

Article publié dans le JTT du jeudi 10 janvier 2019.

samedi 5 janvier 2019

Le Machu Pichu et la Grande route des Incas


Ces deux sites sud-américains prestigieux sont classés à l’Unesco. Mais si le Machu Pichu, ancienne cité inca du XVème siècle perchée sur un promontoire rocheux au Pérou, est une destination touristique très fréquentée, il n’en est pas de même du Qhapac Ñan, « chemin royal »
en quechua, contemporain et tout aussi exceptionnel.

Le Qhapaq Ñan, c’est la Grande route de l’Inca, un réseau de communication monumental s’étendant sur environ 6000 km, le long de la Cordillère des Andes, depuis la Colombie jusqu’au sud du Chili à travers Equateur, Bolivie, Pérou, Argentine. Il permettait à l’Inca de contrôler son Empire, de déplacer ses troupes depuis la capitale Cuzco, d’assurer le transport des marchandises. Les coursiers à pied pouvaient, grâce à un système de relais extrêmement efficace, véhiculer l’information à une vitesse étonnante. Le réseau a permis l’unification de cet empire immense et hétérogène, un des mieux organisés du monde sur le plan administratif. Il reste un trait d’union entre les différentes cultures andines. Le réseau complet, avec ses voies transversales vers le Pacifique et l’Amazonie, comptait plus de 20 000 km. C’est un des travaux les plus gigantesques entrepris de la main de l’homme. Hélas, ce patrimoine historique, parsemé de trésors précolombiens, mais malmené par les intempéries, les destructions, les choix politiques, est en grand péril.
Une des parties les mieux conservées (130 km) est la voie mythique qui conduit, à travers la Vallée sacrée, de Cuzco jusqu‘au Machu Pichu, situé à l’est de la Cordillère des Andes, à 2438 m d’altitude, aux limites de la forêt amazonienne. Une randonnée de quelques jours, réservée aux sportifs aguerris car les conditions sont rudes. Pour les touristes ordinaires, accéder au Machu Pichu demande une autre organisation, car aucune route ne dessert le village de Aguas Calientes, en contrebas du site. Après Ollantaytambo, il faut emprunter la voie ferrée installée dans l’étroite faille que le tumultueux rio Urumbamba a percée dans la montagne. Un voyage impressionnant, car les wagons passent au ras du torrent bouillonnant qui charrie des rochers. A Aguas Calientes, il reste à grimper 400 m encore, à pied ou en navette, jusqu’à l’entrée du site.

Cet isolement explique pourquoi le Machu Pichu, construit par l’empereur Pachacútec vers1440, abandonné lors de l’effondrement de l'empire inca, a été oublié durant des siècles. C’est l’archéologue américain Hiram Bingham qui a redécouvert la cité en 1911.  Des photos, publiées par le National Geographic, ont ensuite fait la notoriété du site. Le spectacle est sublime : la magnifique cité s’étend sur la crête entre deux sommets, le Machu Picchu, « vieille montagne » et le Huayna Picchu « jeune montagne ». Sa construction a été parfaitement maîtrisée par les Incas, qui ajustaient les pierres au millimètre, sans utiliser de liant. La population d’environ 1000 habitants à son apogée bénéficiait de toutes les commodités, système d’irrigation, cultures en terrasses, habitations, greniers, bâtiments civils, religieux. 
Le climat chaud et humide entraîne des changements de décor spectaculaires. Au matin, la brume cache le cadre montagneux, laissant planer le mystère sur la cité, puis le soleil perce et les vestiges émergent peu à peu des nuages, c’est magique. « Machu Picchu est un voyage à la sérénité de l'âme, à la fusion éternelle avec le cosmos, là-bas nous sentons notre propre fragilité. » Pablo Neruda.



A lire : A la recherche de la grande route inca, de Laurent Granier et Megan Son.

Article publié dans le JTT du jeudi 3 janvier 2019.