vendredi 24 février 2023

Interdit aux chiens et aux Italiens !

Une accroche provocatrice pour un film émouvant, réaliste, plein d’humour, qui raconte l’émigration de Luigi et Cesira, du Piémont jusqu’en Valais, puis d’Ariège en Drôme. Comme des milliers d’autres Italiens, contraints par la misère à partir trouver du travail ailleurs, après la première guerre mondiale.

Cette histoire est celle de Luigi Ughetto, le grand-père d’Alain Ughetto, réalisateur du film.  Une histoire qu’Alain ne connaissait pas. C’est après la mort de son père, que, décidé à connaître ses origines, il est parti faire des recherches de l’autre côté des Alpes, près du mont Viso, où un village entier s’appelle Ughettera (la terre des Ughetto …). Et là, il a pu reconstituer grâce à des témoignages, des archives, l’histoire de ces émigrés italiens qui ont traversé non seulement la frontière, mais la faim, le froid, la fatigue, le fascisme et deux guerres. Avec un accueil pas toujours amical à leur arrivée ! Après s’être intégrés, ils n’ont plus jamais reparlé des difficultés endurées.

Alain Ughetto est plus qu’un réalisateur, c’est un bricoleur de génie. Son film est exceptionnel car c’est un film d’animation, où les personnages sont des marionnettes en silicone, les maisons en carton, les murs en sucre, les arbres en brocolis… Et pourtant on y croit ! Poésie, humour et système D font du film un pur moment de bonheur. Pas étonnant qu’il ait reçu un accueil triomphal par le public, et raflé le premier prix au festival de cinéma d’animation d’Annecy.

Cerise sur le gâteau, ou plutôt sur le panettone, les Drômardéchois peuvent prolonger le plaisir en allant visiter l’exposition « Luigi, le premier, est parti » au Centre du Patrimoine Arménien à Valence. Tous les décors, les objets, personnages, utilisés pour le film y sont présentés, car il a été fabriqué à Valence, aux studios Foliascope. On reste stupéfaits devant l’inventivité des artistes et le travail réalisé. Une superbe performance locale.

Le Centre du Patrimoine arménien, espace culturel dédié à toutes les émigrations, présente à travers « Luigi, le premier est parti » un éclairage complet sur l’émigration italienne, explorant les racines communes aux nombreux descendants d’Italiens de la région. Un film, une exposition, qui évoquent la grande histoire à travers celle d’une modeste famille italienne emblématique … A déguster à tout âge.

Expo visible jusqu’au 12 mars au CPA, 14 rue Gallet à Valence

Film actuellement dans les cinémas de Romans et Valence.

Article publié dans le Jtt du jeudi 23 février.

mercredi 22 février 2023

Chronique littéraire : S'adapter, de Clara Dupont-Monod

Dans un style à la fois poétique, sensoriel et vivant, l’auteur nous raconte comment l’arrivée d’un enfant « pas comme les autres » bouleverse une famille. Notamment la fratrie, qui découvre que ce n’est pas l’enfant, mais la société, qui est inadaptée. Car la famille, elle, s’adapte. Bien obligée. Un enfant handicapé, c’est comme un bébé dont il faut pourvoir à tous les besoins, mais sans évolution, sans interaction, un bébé qui grandit et pèse de plus en plus lourd. Et ce poids n’est pas que physique.

Le frère aîné se sent envahi d’une responsabilité inconditionnelle vis-à-vis du petit frère, dont il s’occupe obsessionnellement. Au risque de perdre son envie de vivre sa propre vie. La sœur cadette, elle, se réfugie dans le rejet total. Rejet de l’enfant, mais aussi de son grand frère, tellement changé depuis l’arrivée du petit frère. Rejet de ses parents, submergés par la charge et les démarches administratives stériles. Seule sa grand-mère arrive à percer un peu sa carapace. Et puis il y a le quatrième enfant, celui qui vient après, et se demande comment c’était avant…

Clara Dupont-Monod se sert d’une expérience familiale pour nourrir son récit, sobre, sans pathos, mais juste et émouvant. Née à Paris en 1973, cette journaliste et écrivaine inscrit son roman dans la nature cévenole, dont la beauté et la rudesse s’accordent merveilleusement à ce sujet difficile. Une réussite totale.

« S’adapter » a obtenu le Prix Goncourt des lycéens et le Prix Femina en 2021. Il est disponible en Livre de poche. 

Chronique publiée dans le Jtt du jeudi 16 février.

jeudi 16 février 2023

Tous les chemins mènent à Nîmes

Tout près du Pont du Gard, la ville de Nîmes, pour laquelle ce fameux aqueduc a été construit, mérite une visite particulière. Avec environ 150 000 habitants, cette cité dynamique profite de sa situation de carrefour entre la mer et les Cévennes, la vallée du Rhône et le Languedoc. Le centre-ville a fait peau neuve, c’est un plaisir de parcourir ses ruelles piétonnes qui mènent aux somptueux vestiges romains ou romans.

Les Arènes sont la fierté de Nîmes. Un amphithéâtre de forme ovale, 133 m sur 101 m, datant du Ier siècle, dont subsistent deux galeries d’arcades, pouvant contenir actuellement encore jusqu’à 13 800 spectateurs (20 000 au temps des Romains) lors des ferias, corridas, concerts et reconstitutions historiques qui s’y déroulent à la belle saison. Ne pas oublier le selfie devant les arènes, à côté de la statue en bronze d’un célèbre torero local !

En face, le musée de la Romanité, inauguré en 2018, présente dans une architecture contemporaine de verre ondulé les riches collections archéologiques de la ville. Toute l’histoire de Nîmes y est présentée, de façon classique et interactive, des premiers témoignages de vie aux Gaulois, puis aux Romains, jusqu’au Moyen-âge et à l’époque romane.

Les jardins de la Fontaine, étagés sur une colline, sont le poumon vert de Nîmes. Ces jardins à la Française ont été créés à partir de 1745 sur un site historique et naturel de 15 ha par Jacques-Philippe Mareschal, ingénieur du roi Louis XV. Il a mis en scène la source et les vestiges antiques, avec allées symétriques, alignements d’arbres, balustres et bassins. En grimpant à travers la partie méditerranéenne du jardin, on arrive à la Tour Magne. Edifiée par les Gaulois au IIIe siècle avant J.C., elle offre une vue panoramique sur la ville, ses jardins et ses monuments, dont la fameuse Maison Carrée.

Ville à la fois gauloise et romaine, cévenole et camarguaise, fief protestant depuis le XVIe siècle, centre de production de tissus à partir du XVIIIe siècle, avec la fameuse toile denim, Nîmes est riche d’une forte identité par son histoire et sa culture. C’est une belle destination de week-end au soleil.

 Article publié dans le Jtt du jeudi 16 février.

jeudi 9 février 2023

Le Fram, légendaire bateau des explorations polaires

A Oslo en Norvège, un musée a été construit autour d’une goélette exceptionnelle, le Fram. Ce bateau légendaire, dont le nom signifie « En avant » a été conçu pour résister à la banquise, lors des explorations polaires à l’aube du XXe siècle. Avec une coque de 39 m sur 11 m, dont l’épaisseur atteint 80 cm, un avant renforcé de fer qui pouvait glisser sur la glace, pour diminuer la pression, et bien d’autres innovations techniques, c’était le bateau le plus solide du monde.

Ce trois-mâts a été construit pour atteindre le pôle Nord, lors de l’expédition organisée par Fridtjof Nansen (1861-1930).  Le Fram se laissa prendre dans la glace et dériver vers le pôle (sans l’atteindre totalement) expérimentant ainsi la présence de courants sous-marins sous la banquise. L’expédition¸ soigneusement préparée, avec tout le nécessaire à la survie de l’équipage (16 membres) et des scientifiques, médecin, artisans, cuisinier, mushers, chiens de traîneaux… se prolongea de 1893 à 1896. Dans le musée du Fram, cartes géographiques, documents et photos illustrent les différentes expéditions de l’extrême qu’il rendit possibles. Les visiteurs peuvent monter à bord du navire pour observer son aménagement intérieur, les cabines, cuisine, salle à manger, la chaufferie, les ateliers de réparation, les cales de stockage… C’est impressionnant d’efficacité.

Otto Sverdrup (1854-1930), autre héros norvégien, participa à la fameuse expédition du Fram de 1893-1896. Il avait déjà été le premier homme avec Nansen à traverser en 1888 le Groenland à ski. Il. Plus tard il dirigea, sur le Fram, l’expédition qui permit en 1898-1902 de découvrir et cartographier de nouvelles îles arctiques, dans la partie nord du Canada.

La troisième grande expédition du Fram fut la découverte du pôle Sud par Roald Amundsen en 1911. Le pôle Nord ayant été atteint, seule cette partie de la Terre restait inexplorée. Et pour cause !  Non seulement le continent antarctique est difficilement accessible, car zone de tempêtes, mais il est constitué de montagnes de glace de plus de 1500 m de haut. Amundsen (1872-1928) prépara son expédition secrètement, car un autre explorateur, l’Anglais Scott, voulait aussi être le premier à atteindre le pôle Sud. Les deux expéditions se déroulèrent presque en même temps. C’est le Fram qui fit la différence, sa coque lui permit d’aller s’amarrer très bas au sud, dans la baie des Baleines. Amundsen partit ensuite en traîneau avec ses chiens et, au prix de deux mois d’efforts inouïs, arriva le premier au pôle Sud, où il planta le drapeau norvégien.

L’exploit de 1911 marqua la fin des explorations polaires, la Terre avait été entièrement explorée. On pouvait commencer à rêver à la Lune !

Article publié dans le JTT du jeudi 9 février 2023.


jeudi 2 février 2023

Grand succès au théâtre pour "Lorsque Françoise paraît"

Françoise, c’est l’immense Dolto (1908-1988), la psychanalyste qui a révolutionné la perception de l’enfance. Lorsque Françoise naît dans une famille bourgeoise traditionnaliste, les bébés ne sont que des tubes digestifs. La petite Françoise est une enfant rebelle, facétieuse, observatrice, ultrasensible aux propos de son entourage et qui pose sans cesse des questions. A 4 ans, angoissée par les décès de proches et par l’incompréhension de sa mère, elle s’invente un BAG (bon ange gardien) qui la soutiendra toute sa vie. A 8 ans, elle décide que plus tard, elle travaillera pour être indépendante … et sera « médecin d’éducation ». Sa mère scandalisée la trouve monstrueuse !

L’autre ami de Françoise, c’est son poste de radio, la musique venue des USA lui permet de supporter une enfance brimée par l’incompréhension devant son imagination débordante. Cette liberté d’esprit lui donnera pourtant la force de briser les tabous, de devenir ce qu’elle voulait, médecin, pédiatre,  psychanalyste. Et d’imposer au monde son écoute bienveillante des enfants, qu’elle considère comme des personnes. En 1976, ses émissions de radio « Lorsque l’enfant paraît » lui offrent renommée et reconnaissance par tous les parents en quête de conseils d’éducation.

C’est une prouesse que de mettre en scène la vie et l’œuvre de Françoise Dolto, le tout avec humour et légèreté. Pari réussi avec le spectacle proposé mardi 31 au Théâtre Jacques Bodoin. Sophie Forte a incarné une Françoise de tous les âges avec exubérance et sagacité. Stéphane Giletta et Christine Gagnepain ont composé autour d’elle avec maestria une farandole de personnages, père mère, nurse, curé, psy, malades… jusqu’aux plus proches, son mari Boris, ses enfants… et son poste de radio ! Un spectacle jubilatoire qui a conquis le public et certainement réveillé son âme d’enfant.


Article publié dans le Jtt.