jeudi 25 avril 2024

Pailharès, village médiéval du Haut-Vivarais

Juché sur un éperon rocheux au-dessus de la vallée de la Daronne, le village de Pailharès, à 7 km de Saint-Félicien, est un havre de paix, départ de belles randonnées au milieu d’une nature préservée. L’importance passée de ce village est documentée dès le Xe siècle. C’est à travers l’observation de son patrimoine bâti qu’on peut reconstituer son histoire. Anne Schmitt, directrice de recherches en archéométrie à l’université Lyon 2, et maire de la commune, a brillamment partagé ses connaissances dans une conférence donnée à Tournon mercredi soir par les Amis du musée et du patrimoine.

Si on a retrouvé des traces de vie dès l’âge du bronze, puis sous la domination romaine, c’est à partir du Xe siècle que l’importance de Pailharès est reconnue. La Vicairie de Pailharès s’étendait alors jusqu’à Saint-Jean-de-Muzols tandis que la Seigneurie correspondante, dominée par le château de Rochebloine, s’étendait jusqu’à Nozières. Un vaste territoire, qui devint par suite une enclave du Forez en 1296, lors du mariage de la fille du seigneur local avec le comte Hugues, dauphin du Viennois. Et ce jusqu’à la Révolution.

L’église Sainte-Marie avec ses divers agrandissements et rénovations, ainsi que de nombreux détails sculptés dans les pierres des maisons, illustrent l’histoire de ce village fortifié. Son plan carré était ceinturé par trois tours et par l’église. Anne Schmitt a détaillé, d’après ses recherches, l’évolution et l’organisation des bâtiments, ainsi que celles des hameaux alentour : prieuré, moulins, commanderie, maison forte. Une vie locale riche et active s'y est développée. Au recensement de 1893, Pailharès comptait 1884 habitants, répartis entre le centre habité par les artisans et les hameaux où logeaient les cultivateurs. Alors qu’au dernier recensement de 2017, on ne compte plus que 244 habitants. Anne Schmitt a proposé de compléter sa conférence par une visite sur place le samedi 13 avril, une opportunité accueillie chaleureusement par un public très motivé.



Article publié dans le JTT du jeudi 25 avril 2024.


mercredi 17 avril 2024

Chronique littéraire : Roman fleuve, de Philibert Humm

 Une histoire complètement loufoque racontée avec le sérieux d’un pape. C’est ce contraste qui fait tout le charme de ce récit d’une descente de la Seine, à la rame, sur un canot bricolé, de Paris à l’embouchure. Et contrairement à l’annonce du titre, le récit est court et léger.

Philibert entraîne dans son aventure deux compagnons, Adrian et Waquet, tout aussi dénués de sens pratique et d’expérience que lui. Mais qui se prennent très au sérieux ! Leur navigation est digne des Pieds-Nickelés, les nombreuses péripéties sont affrontées avec amateurisme et relative bonne humeur. Mais les références géographiques ou culturelles concernant le parcours sont, elles, parfaitement maîtrisées. Un discours pontifiant sur une épopée originale et mal préparée, ce n’est pas « courant », même sur un fleuve !

Avec cette lecture dynamique et pleine d’humour, Philibert Humm a obtenu le Prix Interallié 2022. Né en 1991, journaliste et écrivain, il a déjà publié 3 romans et ne compte pas s’arrêter en si bon chemin…

Son roman est désormais publié en poche  chez Folio.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 18 avril 2024.

samedi 6 avril 2024

Chronique littéraire: Fille en colère sur un banc de pierre

Cette fille en colère, c’est Aïda, dont l’enfance a été détruite par la disparition de sa petite sœur Mimi, qu’elle avait emmenée en cachette au Carnaval. Aïda, rendue responsable du drame, est devenue la bête noire de sa famille, et dès qu’elle l’a pu, elle a quitté son île pour se fondre dans l’anonymat de Palerme.

Vingt ans après, elle y revient pour les funérailles de son père. Que va-t-elle retrouver sur son île ? Que va-t-elle raconter sur elle-même, qui n’a rien fait de sa vie, bloquée dans l’incompréhension du drame ? Ses deux autres sœurs, Violetta la bourgeoise, et Gilda la chicaneuse, ne semblent guère heureuses non plus de son retour…

Dans un style à la fois tendre, incisif, humoristique, poétique, Véronique Ovaldé déroule toute la palette des émotions, des sentiments, de la culpabilité à l’amour, dans une intrigue bien tenue. Mais le dénouement ici n’est pas essentiel, c’est plutôt l’évolution des personnages qui est passionnante. Aïda trouvera-t-elle la force de sortir de la fatalité ?

Véronique Ovaldé est une écrivaine et éditrice française née en 1972. Ses romans ont tous connus un beau succès depuis l’an 2000. « Fille en colère sur un banc de pierre » est maintenant disponible en poche chez J’ai Lu.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 4 avril 2024.

mardi 2 avril 2024

Élodie Loisel, de l'Ardèche médiévale aux grands espaces canadiens

Elodie Loisel est une auteure à succès, avec à son actif une quinzaine de livres en 10 ans. Ses romans fantasy ou jeunesse, ses polars paranormaux sont des best-sellers au Québec où elle a été lancée par les maisons d’édition ADA et Glénat-Canada. Maintenant publiée aussi en France, chez PunchLine, elle poursuit une écriture internationale depuis Rochemaure en Ardèche, berceau familial. Avec pour devises : imagination, travail et chance.

Elodie, née en 1984 à Montélimar, a grandi à Rochemaure, où elle vit actuellement avec sa famille. Pas étonnant qu’elle ait apprivoisé très jeune l’atmosphère gothique, mystérieuse, du village, qui nourrit son style d’écriture. Un monde où partout se manifeste l’étrange : vieilles rues du bourg médiéval accrochées à la roche noire, le basalte, qui a donné son nom à Rochemaure. Carré magique et pénitents blancs à la chapelle Notre-Dame-des-Anges, grilles grinçantes du cimetière, ruines énigmatiques du château des Adhémar, édifié sur sa cheminée volcanique. De quoi laisser s’envoler l’imagination…

Après des études au Teil, Elodie a rejoint l’ARFIS, une école de cinéma à Lyon. Elle a ensuite collaboré pendant 10 ans à de nombreux films en tant que scénariste et assistante réalisatrice. Et un jour, une idée a germé : proposer un scénario sur une de ses passions : les légendes arthuriennes. En souvenir des vacances passées chez son grand-père breton, dont elle ne se lassait pas d’explorer la bibliothèque. Les mystères de la forêt de Brocéliande la passionnaient depuis toujours, et s’attaquer à Merlin était alors dans l’air du temps, dans la mouvance des séries Harry Potter et Kaamelott. Un scénario pouvait y trouver sa place. Mais qui dit scénario dit film, et le budget d’un film en costumes s’avérant colossal, Elodie a décidé de faire autrement. Simplement écrire son histoire sous forme de roman. C’est ainsi qu’est né « L’héritier de Merlin », dont la gestation a coïncidé avec son congé parental…

L’éditeur québécois ADA lui a fait tout de suite confiance, mais en exigeant une suite. Ainsi est née la série « Le secret des druides », des best-sellers primés au Canada et même traduits en chinois. Elodie n’a alors pas hésité à traverser l’Atlantique pour s’installer à Québec avec mari et enfants. Une décision courageuse, qui lui a permis de se faire connaître et d’écrire d’autres ouvrages intégrés au terroir canadien : « Les yeux du vide » (les crimes de Silver Creek) puis « Lola Rock », une série inspirée par les aventures d’une collégienne. Son petit plaisir secret : introduire dans chacun de ses livres un discret clin d’œil à l’Ardèche.

Retour en France au bout de deux ans, pour d’autres expériences littéraires, dystopie, thriller : « The last game » (Total combat), un livre à deux entrées, qui se lit tête bêche, suivant que l’on est un joueur ou l’autre ; Henri Heller, un polar noir ; Les MILFS au Pérou, une fantaisie hilarante sur cinq femmes débordées, et maintenant « Zoé Rock », les aventures inspirées par l’entrée en sixième de sa fille cadette.

Elodie est une femme épanouie et joyeuse, joueuse aussi, puisqu’elle a collaboré au jeu de rôle « Légende du loup-garou ». Très présente sur les réseaux sociaux, ainsi que sur les salons littéraires, elle invite son public à échanger avec elle, propose des concours, des quizz, fait tester des lectures. Son panel de livres, très accessibles, est adapté aux goûts et aux âges de chacun. Sa bonne étoile brille au-dessus de Rochemaure, elle imagine déjà le prochain ouvrage …

Article publié dans Regard Magazine de février 2024.

jeudi 28 mars 2024

Les Amis de l'église Saint-Martin de Vion

La salle communale de Vion était comble mardi soir 12 mars pour assister à la naissance de cette nouvelle association. Une association nécessaire, soutenue par toute la population, depuis la fermeture l’église au culte en mai 2023 et aux visites depuis janvier 2022. Tous les participants, maire, curé et bénévoles étant d’accord, la soirée s’est déroulée de manière remarquablement efficace.

Les statuts de l’association ont été adoptés à l’unanimité, le bureau de 10 membres constitué sans problème, avec Stéphanie Morin comme présidente. La mise en valeur de l’église, sa restauration et la programmation d’événements culturels sont les objectifs. Pour cela il faudra récolter des fonds, obtenir des subventions auxquels seule une association peut prétendre. Mais, et il y a un mais, l’église étant en partie classée aux monuments historiques, tous les travaux dépendent de la Direction Régionale des Affaires Culturelles. Pour obtenir les autorisations, le budget et l’aval d’un architecte du patrimoine, il faut énormément de temps. La mise aux normes de l’électricité du bâtiment est la priorité, afin de réouvrir Saint-Martin au culte. Un budget de 30 000 € est nécessaire.

Il faut souligner l’importance de cette magnifique église romane qui mérite le détour. C’est un des plus anciens bâtiments religieux d’Ardèche, avec son clocher carré percé d’arcatures, un chevet massif, un chœur décoré de colonnettes supportant des chapiteaux historiés et une mystérieuse crypte où l’on découvre une vasque de pierre, peut-être vestige d’une civilisation gauloise, et un sarcophage de l’époque carolingienne. Du parvis, la vue est spectaculaire sur Vion, les vignes de Saint-Joseph et la vallée du Rhône.

Les habitants de Vion sont motivés pour faire revivre leur église. Les nombreuses animations culturelles, visites, concerts, crèche géante, qui ont marqué les esprits, ne demandent qu’à reprendre. L’espoir d’une solution enfin possible régnait parmi les participants conviés à une collation après l’AG. Pour soutenir leur projet, que vous habitiez Vion ou ailleurs, vous pouvez adhérer à l’association Les Amis de l’église Saint-Martin, dont la cotisation est fixée à 15€.

Article publié dans le JTT du jeudi 28 mars.

mercredi 27 mars 2024

Une conférence passionnante de l'océanographe François Sarano

Salle comble à la médiathèque de Guilherand-Granges jeudi soir 7 mars , pour accueillir le célèbre plongeur et océanographe valentinois. François Sarano a plaidé pour la connaissance, le respect et l’humilité par rapport au seul monde sauvage encore inexploré : l’océan. Un monde où aucun animal n’est domestiqué, où tout reste à apprendre. Un monde où le plongeur, délivré de la pesanteur, retrouve son innocence.

Les océans couvrent les trois quarts de la surface de la Terre et contiennent 97 % de l’eau de notre planète. Ils sont profonds jusqu’à 10 000 m, une zone que seuls 5 sous-marins au monde peuvent atteindre. La vie y a proliféré depuis 3 milliards d’années, alors que les hommes ne sont apparus sur terre qu’aux environs d’un million d’années. C’est dire la multiplicité et l’avance des espèces marines en matière d’adaptation et d’organisation sociale.

C’est en étudiant un clan de cachalots que François Sarano et ses équipes ont pu comprendre la richesse des relations entre eux. Avec vidéos à l’appui, le chercheur a fait partager au public ses expérimentations, ses hypothèses, ses confirmations, au bout de dix ans d’étude et d’observation de ces géants des mers (jusqu’à 20 m de long pour 20 tonnes). Les résultats sont extraordinaires. On voit les cachalots femelles allaiter leurs bébés, puis l’organisation d’une crèche sous la responsabilité d’une femelle, afin de les garder quand les mères plongent dans les abysses pour se nourrir (exclusivement de calamars géants, 450 kg/ jour). Les nourrices qui prennent la relève car les bébés cachalots doivent être allaités presque en continu. La communication entre eux par des caquètements à des fréquences diverses, les caresses demandées et données, la solidarité et la longévité du groupe. Et même l’acceptation de la présence de François Sarano, qui les observe à quelques mètres, une fois qu’elles ont compris qu’il n’était pas une menace.

François est un conférencier hors pair, à la fois savant, comédien, pédagogue, philosophe. C’est un régal de découvrir à travers ses anecdotes comment fonctionne le clan des cachalots. Le parallèle avec notre société est évident : chaque individu est unique, mais tisse des liens avec ses congénères et s’organise pour survivre au mieux. Sa connaissance, son adaptation à son milieu sont bien supérieures au nôtres. Mais des menaces pèsent sur lui, particulièrement les nuisances sonores qui perturbent leur communication. François le répète : « celui ou celle qui peut échanger avec un cachalot ou tout autre animal, ou qui essaie de le faire, saura communiquer et partager avec des hommes et des femmes d’autres cultures, d’autres religions. »
 

Article publié dans le JTT du jeudi 28 mars.

mardi 19 mars 2024

Valrhona et la mobilité douce : l’entreprise prend le large !

Valrhona va renouer avec l’héritage historique du transport sur les canaux, fleuves et océans, en misant sur deux modes de transports innovants pour réduire ses émissions de carbone.

Première innovation : Un bateau électrique, mis au point par la start-up franco-suisse Fly-Box, pourra bientôt livrer les clients de Valrhona en utilisant les réseaux fluviaux. Ressemblant à un catamaran, cette plateforme électrique de 8 m de long, transportera rapidement des charges inférieures à une tonne en volant au-dessus de l’eau « sans bruit, sans vagues, sans émissions ».

Deuxième projet : Valrhona envisage d’utiliser des plateformes de plus grande taille (18m), toujours conçues par Fly-Box, mais propulsées avec de l’hydrogène vert. Ces dernières pourront remonter le Rhône pour acheminer des containers de plusieurs dizaines de tonnes de fèves de cacao depuis le port de Fos-sur-Mer jusqu’à la chocolaterie de Tain-l’Hermitage. Et réciproquement, pour transporter les produits finis destinés à l’étranger, de Tain jusqu’au port. Ces opérations nécessitent environ 600 camions. L’objectif plus lointain est même de caboter le long des côtes méditerranéennes pour approvisionner directement les clients jusqu’à Barcelone ou Gênes.

Dans un troisième temps, la livraison de chocolat en ville pour les ateliers des chocolatiers, les restaurants ou les hôtels sera mise au point en utilisant le réseau de voies navigables françaises. Celles-ci, largement inutilisées, permettent de joindre le Rhône à la Seine ou au Rhin. Vu leur taille, les bateaux Fly-Box peuvent passer partout. Et une fois arrivés sur le quai des centres villes, la livraison s’achèverait par vélos-cargos électriques.

Valrhona voit encore plus loin. L’entreprise est depuis novembre 2023 sociétaire de Windcoop, la première coopérative citoyenne et militante de transport de marchandises à la voile. Avec la société productrice de vanille Norohy, elle a engagé un investissement de 300 000 €, qui permettra la construction d'un voilier-cargo destiné à acheminer, dès 2026, 100% du cacao Valrhona et de la vanille Norohy de Madagascar jusqu'au port de Marseille.

La diminution de l’empreinte carbone fait depuis longtemps partie des enjeux stratégiques de la Maison Valrhona. Depuis 2019 Valrhona est ainsi passée aux biocarburants comme le colza pour alimenter sa flotte de camions, permettant d’économiser 143 tonnes de CO2 en 2022. Elle a mis au point une consommation de cartons réduite de 30 %. Dans les agglomérations françaises, Valrhona a également choisi de mettre en place la livraison des derniers kilomètres à vélo ou en véhicule électrique (3,2 tonnes de CO2 économisées en 2022). A Tain, les employés de Valrhona circulent déjà d’un site à l’autre en vélo électrique.

Contacté, Thomas Maurisset, Directeur des Opérations Valrhona, annonce quelques dates :  Présentation de la plate-forme Fly-Box à l’Ocean Week de Monaco en mars, à la Viva Tech de Paris en mai, et test sur le fleuve … en juin ! Une échéance qui excite la curiosité des habitants de la vallée du Rhône. L’arrivée de ces bateaux électriques innovants sur le Rhône sera une belle façon de renouer avec l’origine étymologique du nom Valrhona.

Article publié dans le JTT du jeudi 14 mars.


vendredi 15 mars 2024

Hippolyte Cupillard, la passion du film d’animation

Le pôle de l’image animée de la Cartoucherie à Bourg-lès-Valence rassemble une quinzaine de structures et studios de cinéma, dont Folimage spécialiste des films d’animation, Foliascope dédié au stop-motion et La Poudrière, une école qui forme aux différents métiers du cinéma d’animation. Avec environ 700 emplois, la Cartoucherie représente à la fois une économie locale et une notoriété internationale. Elle a participé à la réalisation de films primés comme récemment « Interdit aux chiens et aux Italiens » et « Léo, la fabuleuse histoire de Léonard de Vinci ».

Difficile d’intégrer la Poudrière, cette formation professionnalisante, où les promotions comptent en général une dizaine d’étudiants venus du monde entier, Chine, Inde, Russie, Italie … Hippolyte Cupillard a eu la chance d’y être admis, et de finaliser ainsi ses études de réalisateur en 2018. Après une formation initiale aux Beaux-Arts de Besançon, suivie d’un Erasmus à la célèbre école d’art et design La Cambre de Bruxelles, ce passionné de cinéma dès le plus jeune âge (ses parents étaient férus de ciné-club) a pu côtoyer à La Poudrière tous les métiers nécessaires à la création d’un court-métrage d’animation. Le vivier cinématographique de La Cartoucherie lui a aussi permis de rencontrer des partenaires de travail et de se constituer un réseau. Car fabriquer un film d’animation nécessite du temps, de l’argent et de nombreuses techniques spécifiques. A partir d’une idée, viennent d’abord le dessin et le scénario. Puis il faut mettre en mouvement les images, choisir musique et bruitage, enregistrer, monter le tout, couper. Pour tout cela, trouver des financements et des distributeurs.

Hippolyte a eu de la chance, son film de fin d’études, L’île d’Irène a été programmé dans les festivals de courts métrages d’animation, ce qui lui a permis de se faire connaître dans le milieu. Son second film, La séance, un hommage au cinéma se relevant du Covid, a été programmé dans les salles du Navire à Valence et du centre Pompidou à Paris. S’il continue de travailler à ses propres créations, Hippolyte collabore régulièrement avec d’autres réalisateurs comme animateur 2D ou dessinateur. Ainsi pour le film « J’ai perdu mon corps » de Jérémie Clapin, primé au festival de Cannes 2019 et à celui d’Annecy.

Le bouche-à-oreille fonctionne, même s’il fait appel au crowdfunding pour financer le court métrage actuellement en gestation, Gemini, dont le thème est : « Est-il possible de rêver jusqu’à oublier sa propre réalité ? Est-il possible de s’enfoncer si profondément dans son monde intérieur que l’on se libère de sa propre souffrance au travail ? ». Vaste question, loin des scénarii populaires. Mais Hippolyte ne cherche pas la notoriété, et en cela le cinéma d’animation se distingue vraiment du cinéma en prises réelles. La création, tellement plus épanouissante, est son objectif. Or Valence offre une intense activité de production visuelle. La Poudrière explose de talents, les conditions idéales pour rendre Hippolyte heureux.

Article publié dans Regard Magazine de mars 2024.

mercredi 13 mars 2024

Dans son atelier, l'âme de Toros est toujours vivante

Alors qu’on a fêté l’entrée au Panthéon de Missak Manouchian, penchons-nous sur un autre célèbre expatrié d’origine arménienne, Toros, qui a marqué de son art toute la région, et en particulier édifié le monument en hommage à Missak, à Valence.
Toros, né en 1934 à Alep de parents rescapés du génocide arménien, a développé une oeuvre sculptée foisonnante dès son arrivée en France en 1967, à Valence puis Romans. Les commandes monumentales qui décorent les villes de notre région témoignent de son succès. Des œuvres tantôt figuratives, tantôt cubistes, tantôt épurées jusqu’à l’abstraction.  A Tain : Cérès et son raisin sur le cœur, la Femme à la cabosse devant la Cité du chocolat, le Taureau place du Taurobole. A Romans, le Penseur, la Femme en bleu, le Joueur de flûte ; à Valence, le Rendez-vous, la Mère et l’enfant, l’Enfant au cartable vide à Bourg-lès-Valence… Et dans plusieurs autres agglomérations, Marseille, Aix, Vienne, Saint-Etienne, des allégories en mémoire du génocide arménien. Une carrière développée aussi avec succès à l’international.




Depuis son décès en 2020, Marie, son épouse, fait vivre son œuvre en organisant des expositions, comme celle qui a eu lieu à Aix-en-Provence au Musée des Tapisseries, d’octobre à décembre 2023. Mais surtout, elle ouvre son atelier de Romans à la visite. Les nombreuses œuvres originales exposées, autour des thèmes de la nature, de la femme, des animaux, sont superbes. Les photos affichées de Toros rappellent à tous qu’ici, il a dessiné, puis découpé, martelé, soudé, façonné, coulé, poncé et poli le métal, cuivre ou bronze.

Les visiteurs, particuliers, groupes, se montrent passionnés par le travail de Toros. Notamment les scolaires, encadrés par leurs enseignants de Romans. Lors des séances d’art plastique organisées à l’atelier, ils posent des questions pertinentes et interprètent les œuvres avec beaucoup de sensibilité.  L’enfance de Toros les interpelle, lui qui a arrêté l’école à 10 ans, pour gagner sa vie en travaillant le métal comme soudeur, ferronnier, dinandier. L’usage de ses innombrables outils, la beauté des motifs animaliers, le message de tolérance et de paix, sont évocateurs pour les enfants. Et dans l’atelier de Toros, parmi les œuvres de l’artiste, les travaux scolaires réalisés ne déparent pas.

Marie organise aussi des spectacles musicaux ou littéraires gratuits tout au long de l’année dans l’atelier. Un lieu magique, toujours habité par l’âme de Toros.

Prochain rendez-vous public et gratuit à l’atelier de Toros : une balade littéraire à l’occasion du Printemps des poètes le 17 mars à 15h. Le thème du Printemps des poètes cette année est « La grâce ». Une notion qui résonne parfaitement avec l’œuvre de Toros.

Deux autres concerts sont prévus les 2 juin et 23 juin à 17H.

Contact 06 22 57 91 07 r.toros@wanadoo.fr

Atelier Toros : 16 avenue Jean Moulin à Romans.

Article publié dans le JTT du jeudi 7 mars.

jeudi 7 mars 2024

Les lumières sauvages de Peaugres


Un monde enchanté, une heure de déambulation nocturne parmi les animaux exotiques, lion, panda, crocodile, ceux de nos forêts et de nos lacs, et même les dinosaures et autres mammouths. Tous mis en scène dans des attitudes naturelles. Mention spéciale à la présentation féérique des contes et légendes, on se croirait dans une dessin animé grandeur nature, la magie est au rendez-vous, les enfants adorent, les adultes se laissent charmer.

A voir au Safari de Peaugres (Ardèche), tous les soirs jusqu’au 30 mars. Entrée : 19.90€.

Article publié dans le JTT du jeudi 7 mars 2024.

Toutes les vies de Thierry Roudil, de la police à la scène

Quel personnage étonnant que Thierry, son cœur d’artichaut, les femmes de sa vie, ses réussites, ses galères, ses problèmes de santé, sa bonne étoile et surtout son étonnante faculté de rebondir après les épreuves. De la police judiciaire au stand-up, du café à l’Appart-Café, de la programmation d’humoristes à l’organisation du Festival du Quai, Thierry est incontournable dans le monde du spectacle à Valence.

 De la police à la scène

Thierry Roudil, né à Bourg-de-Péage, a passé son enfance dans le café maternel. Plus tard, entré dans la police, inspecteur à la brigade des stups à Lyon en 1993, il se laisse déborder par ses enquêtes, ses déceptions amoureuses, dérape et finit par être révoqué au bout de 15 années de bons et loyaux services. Dépression. Mais en 1999, une opportunité se présente :  un ancien café est en vente à Bourg-lès-Valence, il l’achète et le retape, devient le roi de la nuit valentinoise, malgré une addiction à l’alcool. L’Appart-Café est né, il se lance dans la programmation de spectacles d’humour. Et pour ses 50 ans, en 2013, il met au point un spectacle cocasse sur ses déboires sentimentaux. C’est alors qu’une maladie génétique le rattrape, et, en attente d’une greffe de rein, il arrête tout. Rencontre en 2018 avec la femme de sa vie, qui lui donne la force de se battre. Même le Covid qui le laisse temporairement paralysé de ses bras et de ses jambes ne l’arrêtera plus ...

 A contresens

C’est le titre du nouveau one man show de Thierry, dans lequel il évoque avec franchise et humour ses différentes vies, à la fois folles et vraies. Son parcours à contresens. Le spectacle inauguré en 2022 lui a permis de participer au Festival d’Avignon en 2023.  Il s’y est constitué un réseau dans le domaine de l’humour, et de nombreux engagements ont été conclus, on le programme d’abord dans les salles de café-concert, puis sur les scènes de théâtres, à Lyon, Agen, Sète… et Valence ! Thierry cumule maintenant trois vies : responsable d’une salle de spectacle de 60 places, programmateur d’humoristes renommés et artiste lui-même !

Le Festival du Quai

L’Appart-Café, rue Thannaron sur les quais de Bourg-lès-Valence, est voisin d’une école de musique, d’une école de danse, et proche du théâtre du Rhône. Il n’en fallait pas plus pour que Thierry propose à ses voisins de créer un Festival … du Quai. La première édition, en 2016, dure 3 jours. Depuis le festival s’est étoffé, les salles de l’Agora de Guilherand-Granges, du CEP de Saint-Péray, du Comedy Palace et du Théâtre de la ville de Valence, du restaurant La Parenthèse, ont rejoint l’Appart-Café. Le Festival est consacré à l’humour sous toutes ses formes, il se déroule sur 15 jours dans toutes ces salles, attirant plus de 1000 spectateurs. Du 15 au 29 mars cette année, avec de nombreux spectacles gratuits.

Programme détaillé sur www.appartcafe.fr 

Article publié dans Regard Magazine de mars 2024.

vendredi 1 mars 2024

La bibliothèque Tiraboschi de Bergame

Elle m'a accueillie le 22 février, dans une grandiose architecture signée Mario Botta. Les Bergamasques ont apprécié la présentation de mon livre en italien.

Quel plaisir de pouvoir ainsi "ramener" mon grand-père chez lui !


dimanche 25 février 2024

Papeterie, houille blanche et art nouveau: la maison-musée Bergès

Aristide Bergès (1833-1904) est un de ces ingénieux ingénieurs acteurs de la révolution industrielle dans la région de Grenoble.  Héritier d’une longue tradition papetière, il a mis au point l’exploitation des ressources hydrauliques de la montagne pour faire fonctionner ses machines, dont le défibreur, indispensable pour transformer le bois en pâte à papier. Ses revenus lui ont permis de construire une superbe villa près de Grenoble, devenue un musée gratuit.

Aristide Bergès arrive dans le Grésivaudan en 1867, après avoir travaillé dans les chemins de fer, la grande innovation de l’époque. Avec ses compétences et son esprit novateur, il perfectionne les machines papetières existantes. La mécanisation change tout, le métal est substitué au bois pour l’équipement des engins industriels, et le bois remplace les chiffons utilisés pour fabriquer le papier. C’est l’âge d’or des papeteries dans les Alpes, qui fournissent à la fois matière première, force motrice et main d'oeuvre.

En 1869, Bergès aménage pour sa papeterie de Lancey près de Grenoble une première chute d’eau de 200 m, en installant de spectaculaires conduites forcées qui actionnent les machines. En 1882, il innove encore : aux turbines actionnées par les conduites forcées d’une chute de 500 m, il ajoute une dynamo Gramme : il produit ainsi du courant électrique. C’est la naissance d’une nouvelle énergie, l’hydroélectricité, qui se répand sous le vocable de « houille blanche ». Bergès la popularise à l’Exposition universelle de Paris en 1889. En 1896, il fonde la Société d'éclairage électrique du Grésivaudan. Non content de fournir de l'électricité à bas prix à toute la vallée, il alimente la ligne de tramway de Grenoble à Chapareillan.

Auteur de nombreux brevets, ce patron progressiste, maire de Lancey, participe pleinement à son époque. Il contribue à faire de la région grenobloise un pôle mondial des techniques utilisant l’hydroélectricité. La Maison Bergès, installée sur le site de l’ancienne papeterie de Lancey, est devenue un musée dédié à sa mémoire. C’est une splendide demeure de style Art nouveau, décorée en partie par le célèbre peintre Mucha, où art et industrie se mêlent, témoignant de l’âge d’or de l’inventivité au début du 20e siècle. 

La Maison Bergès, musée de la Houille blanche, se trouve à 15 km de Grenoble, à Lancey, Villard-Bonnot. Une visite passionnante, à l’entrée gratuite. Tél : 04 38 92 19 60

Article publié dans le JTT du jeudi 22 février 2024.

samedi 17 février 2024

pour profiter de la neige, il n'y a pas que le ski !

Un grand soleil inonde les montagnes, la neige nous appelle, offrant des aventures à tous les publics : Le ski de fond, qui permet de parcourir de grands espaces hors du monde. La luge, qui réjouit toujours les plus jeunes. Le bonhomme de neige, qui conserve sa popularité. Ou simplement retrouver le plaisir de marcher dans la neige, avec aux pieds de bonnes chaussures ou des raquettes.

Comme pour la balade à pied, pas besoin d’apprentissage avec les raquettes, l’avantage c’est de pouvoir marcher facilement en neige profonde, les raquettes empêchant de s’y enfoncer. On profite alors d’une grande liberté : couper à travers la forêt, sauter les fossés, enjamber les genévriers, rhododendrons ou myrtilliers. Lorsque la neige est glacée, les crampons permettent d’accrocher et d’avancer sans glisser. Lorsqu’il y a des passages sans neige, on enlève les raquettes en un tour de main. Bref, c’est une aide légère et maniable qui permet de parcourir tous les terrains.

Les stations du Vercors proposent des balades accompagnées par des guides connaissant le pays, sa faune et sa flore. L’occasion de découvrir avec eux des empreintes d’animaux, apprendre à les identifier : campagnol, écureuil, lièvre, renard, chamois…  D’observer les particularités des épicéas, sapins, mélèzes et pins arolle. D’écouter les oiseaux, casse-noix moucheté ou tétras-lyre… Une leçon de nature dans la bonne humeur.

On peut aussi tester la balade en traîneau à chiens. Une aventure qui rappelle les lectures d’enfant, Jack London et Croc-Blanc... Là, ce n’est plus en autonomie, puisqu’on s’abandonne à un équipage et son musher. C’est l’occasion d’aller plus loin dans la forêt, plus vite, d’apprécier la cohésion entre les Huskies et leur maître, de comprendre leur hiérarchie : le chien de tête, intelligent, qui sait obéir aux ordres « droite », « gauche », les quatre chiens de vitesse derrière, enfin les costauds placés devant le traîneau. Parfaitement adaptés au climat, ces athlètes ne rechignent pas devant une caresse à l’arrivée.

Quand neige et soleil sont au rendez-vous, la montagne nous gagne. Le problème à Tain-Tournon, c’est qu’il faut une voiture équipée de pneus neige. Deux possibilités sinon : Le ski-club qui organise un bus chaque dimanche. Et les navettes qui relient Valence-Romans à Font d‘Urle. Ou le covoiturage. Car avec les transports en commun, il faut 3h pour atteindre le Vercors enneigé, qui n’est pourtant qu’à 70 km !


Article publié dans le JTT du jeudi 22 février 2024

vendredi 9 février 2024

Chronique littéraire : Le mage du Kremlin, de Giuliano da Empoli

Un livre prémonitoire, écrit avant la guerre en Ukraine, qui montre comment Poutine a accédé au pouvoir suprême et entend bien y rester.

Le mage du Kremlin, ce n’est pas Raspoutine, mais l’éminence grise de Poutine, celui qui a mis en scène son ascension fulgurante. C’est un homme issu du milieu artistique, Vadim Baranov. Un nom d’emprunt pour le véritable stratège de la communication, qui œuvra en sous-main à la cour du nouveau Tsar. Disparu depuis de tous les radars…

Ce pseudonyme permet à l’auteur d’ajouter de la fiction à un état des lieux parfaitement réaliste du fonctionnement du pouvoir russe. Car tous les autres personnages sont bien réels. Oligarques et courtisans se disputent les faveurs du Tsar, prêts à tout pour rester en grâce. Poutine joue avec eux, sans aucun état d’âme, il les utilise puis les relègue, exil doré ou prison dans le meilleur des cas, simple élimination sinon.

Vadim Baranov, son conseiller spécial, sait utiliser tous les rouages de la communication pour mettre en scène les projets conquérants du Tsar, de la guerre en Tchétchénie à celle d’Ukraine, en passant par les Jeux olympiques de Sotchi. Il surpasse les autres conseillers en misant sur l’irrationnel de l’âme russe pour faire campagne. Et ça marche pendant quelques années. Mais Baranov lui aussi est sur un siège éjectable, comme tous les autres.

Giuliano da Empoli, ancien diplomate, professeur à Sciences Po, sait de quoi il parle. Binational italo-suisse, il nous offre un éclairage saisissant sur l’histoire contemporaine, l’avènement de Poutine et l’établissement de sa politique dans la durée. La mise en scène hégémoniste qui prépare à l’agression de l’Ukraine, voire plus, fait froid dans le dos. Ainsi que l’analyse critique de la société occidentale en déshérence aussi. Quelle sera la suite ?

Un grand roman, passionnant et instructif. Publié maintenant en livre de poche chez Folio.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 22 février 2024.

samedi 3 février 2024

Balthazar Gérard, fanatique, assassin et martyr

A Vuillafans dans le Doubs, une rue s’appelle « rue Gérard », on y trouve la « maison Balthazar ». Ces noms, qui paraissent anodins, cachent pourtant une histoire sanglante étonnante : Balthazar Gérard doit sa célébrité au fait d’avoir assassiné Guillaume d’Orange en 1584. Pourquoi un assassin a-t-il été traité en héros en Franche-Comté ? Les retournements de l’Histoire nous l’expliquent.

 L’enfance de Balthazar et le contexte espagnol

Balthazar Gérard naît à Vuillafans en 1557 dans une fratrie de onze enfants. Son père Jean Gérard est un bourgeois fervent catholique, sa mère est d’origine hollandaise. A l’époque, la Franche-Comté (fief de Bourgogne) est sous domination espagnole et rattachée aux Pays-Bas, espagnols eux aussi. Le roi d’Espagne Philippe II, qui règne depuis Madrid, a confié l’administration de ces provinces septentrionales à sa sœur Marie de Parme assistée du cardinal de Granvelle, éminent dignitaire Comtois.

Philippe II est alors le personnage le plus puissant d’Europe, son royaume s’étend de l’Espagne aux Pays-Bas en passant par Milan, Naples, la Sicile, la Bourgogne et l’Autriche… (Le royaume de France est alors entièrement cerné par l’empire des Habsbourg). Elevé dans la tradition catholique stricte, Philippe II est le champion de la Contre-Réforme, il persécute les protestants, encourage l’Inquisition. Quand les Pays-Bas gagnés par le protestantisme se révoltent contre l’administration espagnole catholique, la situation lui est intolérable.

Le cardinal de Granvelle a en effet mis le pays à feu et à sang, en organisant une répression terrible contre les protestants. Car aux Pays-Bas toutes les couches de la société sont favorables au protestantisme. Les gentilshommes locaux dénoncent les exactions, demandent le départ de Granvelle, et l’obtiennent en 1564. Mais leur révolte prend de l’ampleur, ils ne tolèrent plus la présence des troupes espagnoles qui pillent le pays, souhaitent aussi se libérer de la tutelle administrative espagnole, et de leur souverain Philippe II. A leur tête : le prince Guillaume d'Orange-Nassau, appelé Guillaume le Taciturne. Un homme intègre et populaire, jusque-là associé au régime.

La conversion de Guillaume d’Orange,

Ce prince hollandais, né à Nassau en 1533, héritier entre autres de la principauté d'Orange, au sud de la France, a d’abord été élevé dans la foi catholique à la cour de Charles Quint. Quand en 1559, Philippe II a succédé à son père, il a même été nommé stathouder (gouverneur) des provinces de Hollande, Zélande et Utrecht. Mais Guillaume s’insurge contre les exactions des Espagnols contre les protestants et le 31 décembre 1564, devant le Conseil d'État, il exprime sa conviction intime, proprement révolutionnaire : « Je ne peux pas admettre que les souverains veuillent régner sur la conscience de leurs sujets et qu'ils leur enlèvent la liberté de croyance et de religion. » La rupture avec Philippe est consommée.

Guillaume d'Orange doit s'enfuir en Allemagne. Il se convertit ensuite au calvinisme et revient aux Pays-Bas avec 20 000 hommes en mars 1572. Fort du soutien populaire, il est nommé gouverneur des Pays-Bas par les insurgés. Mais n'arrive à s'imposer qu’au nord, sur le littoral de la Frise, de la Zélande et de la Hollande. Les provinces du sud (actuelle Belgique) restent aux mains des Habsbourg. La scission entre les différentes provinces est entérinée.

L’exaspération de Philippe II est telle qu’il signe en 1580, sous l’influence de Granvelle, un incroyable édit promettant l'anoblissement et 25 000 écus à quiconque tuerait Guillaume d’Orange.

La décision de Balthazar

L’écho des événements qui bouleversent les Pays-Bas arrive en Comté bourguignonne, et dans les années 1570, Balthazar Gérard, alors âgé d’une douzaine d’années, en est informé. Le soutien donné par le prince d’Orange aux protestants, sa conversion à cette religion honnie et sa rébellion contre le roi le révoltent. Catholique fanatique, comme son père, Balthazar développe alors le désir obsessionnel de tuer Guillaume d'Orange. Il mûrira ce projet plusieurs années. Et lorsqu'en juin 1580 Philippe II fait connaître sa décision de récompenser quiconque tuera le félon, c’est le déclic : Balthazar Gérard se sent appelé, se sait capable d’accomplir cette mission. Il entreprend le voyage jusqu’à Delft aux Pays-Bas pour assassiner Guillaume.

Comment et pourquoi un jeune homme de 26 ans, natif d’un modeste village comtois a-t-il l’audace de se lancer dans une telle entreprise ? Plusieurs suppositions peuvent l’expliquer : Le fanatisme religieux de l’époque et de la région. L’appât du gain, l’espoir d’une petite noblesse aussi. Mais d’autres influences ont certainement joué un rôle :  L’omniprésence locale des Granvelle, maîtres de la contrée, au destin prestigieux à la cour d’Espagne. Par leur entourage, la famille Gérard pouvait être facilement informée des volontés de Philippe II. Eventuellement être récompensée. Peut-être aussi l’influence de la mère de Balthazar, d’origine hollandaise, a-t-elle dédramatisé ce voyage en terre inconnue ? Il fallait aussi un soutien financier.

L’assassinat de Guillaume le Taciturne

En jeune homme sûr de sa mission, Balthazar part donc pour Delft, résidence de Guillaume aux Pays-Bas. Il s’arrête à Utrecht, quand il apprend que Guillaume vient d’être victime d’un attentat. En effet, en mai 1581, les états généraux des Provinces-Unies du nord ayant proclamé la déchéance du roi d'Espagne, une riposte inévitable advient le 15 mai 1582, à Anvers : un mercenaire tire au pistolet sur Guillaume d'Orange. Le prince est blessé et l'assassin aussitôt mis en pièces par la foule. Un détail qui n’affecte pas Balthazar, fanatisé.

Guillaume ayant survécu à ses blessures, Balthazar poursuit donc son chemin jusqu’à Delft. Son plan est bien préparé, il se fait passer pour un protestant en fuite, afin d'approcher Guillaume. Dès son arrivée, il mène une vie austère, assiste aux offices protestants, prétend avoir des renseignements à donner au prince. Par des connaissances il parvient à approcher Guillaume au Prinsenhof, lui parler, celui-ci lui confie même une petite mission pour son retour en France. Pendant quelques jours, Balthazar Gérard revient régulièrement au palais de Delft, s’y fait connaître. Et le 10 juillet 1584, il attend le passage de Guillaume et tire sur lui trois balles de pistolet. Guillaume succombe quelques minutes après. Dans le tumulte, Balthazar arrive à s’enfuir, mais il est capturé plus tard sur les fortifications de la ville.

Après un interrogatoire, d’affreuses tortures et un procès rapide, où il déclare avoir obéi aux ordres de son roi, et ne regrette rien, il est exécuté le 14 juillet. La liste des horreurs qu’il subit avec courage, sans se plaindre, est atroce. Main droite brûlée au fer rouge, peau arrachée de ses os avec une tenaille ardente. Le cœur extrait de son corps et jeté au visage. Décapité puis écartelé, les différentes parties de son corps exhibées en ville, tandis que sa tête est empalée sur une perche et placée devant la maison du prince d’Orange.

Ainsi finit Balthazar Gérard, devenu héros dans Vuillafans la catholique. En apprenant la nouvelle, Philippe II jubile, il a gagné. Pourtant il ne s'empresse pas de s'acquitter de la promesse de récompense. C'est seulement par des lettres du 20 juillet 1590, et après de longues sollicitations des héritiers Gérard, qu'il leur cède les seigneuries de LièvremontHoutaud et Dommartin, confisquées sur le prince d'Orange au comté de Bourgogne, pour en jouir en toute propriété, jusqu'à ce que les vingt-cinq mille écus promis leur soient payés par lui ou ses successeurs.

Et maintenant ?

Aux intégrismes religieux a succédé la laïcité à tout prix. Pourtant à Vuillafans subsiste un témoignage de ces exactions fanatiques, avec la plaque de la rue Balthazar Gérard. Au Musée Sarret de Grozo Arbois, on trouve aussi une toile anonyme du 16e siècle illustrant l’assassinat. Cet événement majeur dont la Comté pouvait s’enorgueillir à l’époque de Philippe II et du cardinal de Granvelle a depuis totalement disparu des mémoires comtoises.

Contrairement aux Pays-Bas, où Guillaume d’Orange-Nassau n’est pas du tout oublié. Il est même considéré et fêté comme le libérateur du pays. Et l'hymne national hollandais « Het Wilhelmus » (le Guillaume) a été écrit en son honneur :

Guillaume de Nassau
je suis, de sang allemand,
à la patrie fidèle
je reste jusque dans la mort.
Un Prince d'Orange
je suis, franc et courageux,
le Roi d'Espagne
j'ai toujours honoré.

De vivre dans la crainte de Dieu
je me suis toujours efforcé,
pour cela je fus banni,
de mon pays, de mon peuple éloigné.
Mais Dieu me mènera
comme un bon instrument,
de telle manière que je retourne
dans mon régiment…


Article publié dans Esprit Comtois numéro 33.