mardi 4 juin 2024

Césaire et Marie Phisalix, découvreurs de sérums antivenimeux

Entre 1889 et 1890, 161 613 vipères ont été tuées en Franche-Comté. Plus précisément 22 865 vipères dans le Jura, 32 097dans le Doubs, et 106 651 dans la Haute-Saône (d’après Louis Balthazar dans le "Grand almanach français" de 1892). Ce nombre impressionnant témoigne de ce qui était alors un véritable problème de santé publique en France. La Franche-Comté était la région la plus touchée par le phénomène, en particulier la vallée de la Loue. Les parois rocheuses chauffées au soleil, la vigne et ses grappes sucrées, la présence de l’eau, favorisaient la prolifération des serpents. L’état était obligé de subventionner des chasseurs de vipères pour protéger la population.

Césaire, un passionné de nature

C’est dans ce contexte que Césaire Phisalix naît à Mouthier-Haute-Pierre en 1852, dans une vieille famille de vignerons. Contrairement à la tradition familiale, et malgré son goût pour les sciences naturelles, après une scolarité à Lods, Ornans puis Besançon, il poursuit ses études de médecine à Paris, au sein de l’armée par nécessité financière. Il soutient sa thèse de doctorat en 1877 et devient médecin militaire. Mais sa véritable vocation, c’est naturaliste, et chaque fois qu’il le peut, il étudie la faune et la flore qui l’entourent. Après diverses affectations, dont la Tunisie où il tombe gravement malade, il revient se soigner en Franche-Comté. Il soutient sa thèse de docteur ès sciences en 1885 à Besançon, où il est par suite embauché comme professeur en zoologie médicale à la faculté.

En 1888, Césaire, ayant quitté l’armée pour cause de santé, obtient un poste au Muséum d’histoire naturelle à Paris. C’est là qu’il peut enfin entreprendre ses recherches de sérum contre le venin des serpents. Avec son confrère Gabriel Bertrand, dans le sillage des travaux de Pasteur, il préconise de dénaturer le venin par la chaleur, puis de l’injecter à un cheval qui synthétise les anticorps, ce qui permet d’obtenir un sérum efficace. En 1894 il présente ses résultats : la sérologie antivenimeuse est née. Sauvant ainsi des milliers de vies dans les campagnes, il est couvert de prix et d’honneurs par l’Académie des sciences, l’Instruction publique, nommé Chevalier de la Légion d’honneur (1900).                                                                                                         

Marie, une femme brillante et généreuse

En 1895, Césaire épouse Marie Picot. Née à Besançon en 1861, dans une famille aisée, Marie a suivi une éducation exemplaire. Elle a intégré l’école normale supérieure de Sèvres en 1882, devenant une des premières femmes agrégées de sciences en France. Professeur au lycée de jeunes filles de Besançon, elle rencontre Césaire à l’occasion d’un stage d’études au laboratoire maritime de Roscoff. Elle suit Césaire au Muséum, collaborant pleinement (et bénévolement) à ses travaux. Mordue quelquefois par ses « protégés », elle n’hésite pas à analyser et tester sur elle les théories qu’elle développe. Elle soutient sa thèse de médecine en 1900, devenant une des premières femmes médecins de France.

Marie assiste Césaire pendant sa longue maladie. Après le décès de celui-ci à 53 ans, en 1906, elle poursuit ses recherches et devient une herpétologue réputée, spécialiste des études sur les batraciens et reptiles. Comme les femmes ne peuvent pas être embauchées au Museum, alors strictement masculin, elle n’a que le statut de bénévole. Cependant, par ses compétences et son statut social, elle réussit à s’imposer dans le monde universitaire machiste de l’époque. Sa carrière est exceptionnelle, elle publie plus de 270 articles ou ouvrages scientifiques, et est, elle aussi, couverte de prix, Officier d’Académie, Chevalier de la Légion d’Honneur (1923).

Marie est une féministe convaincue et généreuse, œuvrant pour l’éducation des femmes, leurs droits civiques, et aidant financièrement les associations.  Elle préside notamment le 14 avril 1945 une réunion de la Ligue française pour le Droit des femmes, sur le rôle des électrices dans la reconstruction du pays. Elle revient chaque été dans la maison familiale de Mouthier, pour travailler sur les petits animaux que lui apportent les enfants du village ou le facteur. En 1907, elle crée à Mouthier un petit musée d’histoire naturelle, dont elle finance l’aménagement, et pour lequel elle obtient du Muséum de Paris une petite collection d’animaux naturalisés, fossiles et serpents au formol. En 1912, lors de l’inauguration de la nouvelle école du village dédiée à son époux Césaire Phisalix, elle offre le mobilier scolaire et le matériel scientifique. Elle contribue aussi à enrichir la collection du musée de Sciences naturelles de la Citadelle à Besançon. Elle décède en 1946, à 84 ans. Les deux époux sont inhumés dans le cimetière de Mouthier. 

L’héritage moral des Phisalix

Ce couple exceptionnel de bienfaiteurs de l’humanité fut fêté dignement à son époque. Mais depuis leur histoire était tombée dans l’oubli, sauf chez les spécialistes. En 2006, pour commémorer le centième anniversaire du décès de Césaire, le soixantième de celui de Marie, le Congrès national d’herpétologie s’est tenu à Mouthier-Haute-Pierre. Un événement d’importance pour le village, où une exposition rappelant leur vie et leur œuvre a été organisée. La brochure « Deux savants au pays de Courbet », publiée à cette occasion par Christophe Cupillard, les a fait connaître du grand public. Aujourd’hui, d’autres ouvrages scientifiques évoquent l’importance du rôle des Phisalix.

Renversement total de situation : Depuis l’arrêté du 11 février 2021, les vipères, étant en voie de disparition, et pourtant nécessaires à l’équilibre de l’écosystème, font partie des espèces protégées. Plus question de les chasser, ni de les tuer. Quand en août 2023, une vipère s’est introduite dans l’ancienne maison Phisalix, les actuels propriétaires ont dû attendre patiemment qu’elle veuille bien sortir. Peut-être que la Vouivre voulait ainsi rappeler au village le centenaire de la remise de la Légion d’honneur à Marie ?

Les morsures de vipère

En France, la vipère est le seul animal venimeux en liberté. Actuellement on compte environ 1000 morsures par an, dont 4 ou 5 sont mortelles. Il faut préciser que, dans la moitié des cas, la vipère n’injecte pas de venin, c’est une morsure blanche, sans gravité.

Quand la vipère injecte son venin, la morsure est douloureuse. Les symptômes apparaissent au bout d’une demi-heure : gonflement du membre, puis nausées, vomissements, diarrhée, accélération du rythme cardiaque. Il faut tranquilliser le blessé, faire un pansement lâche car le membre touché enfle, appeler le Samu ou aller à l’hôpital, où un sérum antivenimeux peut être administré. Surtout, ne pas aspirer, inciser. L’aspi venin est totalement inefficace en ce cas, car le venin est injecté trop profondément.


Marie Phisalix, le retour

Depuis peu, c’est sur les réseaux sociaux, à la radio, la TV, qu’on reparle des Phisalix, grâce à la curiosité et la créativité d’un jeune habitant de Mouthier, David Giacoma. Passionné par l’histoire de son village, un des plus beaux de la Vallée de la Loue, et par celle des Phisalix, il amis au point un escape game sur ce thème. La longue pause du Covid lui a permis de faire des recherches, d’inventer des énigmes, de mettre au point un parcours, et d’affiner sa stratégie commerciale. Et depuis l’été 2021, il propose aux touristes une aventure ludique d’environ 3h et 4 km à travers le village de Mouthier. De la fontaine au Lion jusqu’au pont de pierre sur la Loue, de la cascade de Syratu à l’ancienne maison des Phisalix, de l’église du XVe au musée, les joueurs doivent s’entraider pour résoudre des énigmes et découvrir le sérum antivenimeux caché par Marie Phisalix…

D’autres expériences immersives dans la nature et la culture de la vallée de la Loue sont aussi proposées. Contact : Sur Facebook : Peyi è Syratu (Pays de Syratu en patois comtois). https://serumphisalx1.wixsite.com/my-site/le-jeu

 Article publié dans l'Esprit Comtois n° 34 d'hiver 2024.

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