Charles Gauthier (1831-1891) est un sculpteur de renom, ami de Bartholdi, dont l’œuvre prolifique est dispersée partout en France. Pourtant la Franche-Comté, sa terre natale, l’a oublié et ne possède que peu d’exemples de son travail. Une injustice pour cet enfant de Chauvirey-le Châtel, en Haute-Saône, où il naquit le 7 décembre 1831, dans une famille de modestes cultivateurs. Une toile peinte par Eugène Glück en 1875 le représente à la mairie du village, un honneur bien mérité. Car, pour passer de la campagne de Chauvirey aux salons artistiques de Paris, il a fallu beaucoup de travail et surtout une bonne étoile au jeune paysan. Laissons la parole à son ami Bartholdi, qui s’exprima lors de son éloge funèbre :
« Le hasard décida de la carrière de Gauthier :
c’était un enfant laborieux et docile, mais il rêvait de tout autre chose que
la vie rurale. Un jour arriva à Chauvirey un restaurateur de tableaux et de
sculptures, M. Bulet, qui venait faire des travaux à l’église ; il se mit
en quête d’un gamin de bonne volonté disposé à lui rendre service ; le
jeune Gauthier saisit avec empressement cette occasion de s’affranchir, au
moins provisoirement, de sa vie journalière. Il avait alors 13 ans ; ce
fut le point de départ de sa carrière.
Le patron fut si satisfait de son auxiliaire et constata
chez lui des aptitudes si marquées qu’il le prit comme apprenti et l’emmena
partout où l’appelèrent ses travaux. Bientôt convaincu que son apprenti
méritait de faire des études plus étendues, il insista auprès de sa famille
pour en obtenir l’agrément. Parents et amis entrèrent en campagne et obtinrent
du Conseil Général une subvention qui, si minime qu’elle fût (500 francs),
permit au jeune Gauthier de passer quelques années à l’Ecole de dessin de
Besançon, puis à l’Ecole des Beaux-Arts de Dijon. Ce furent des années de
labeur tenace et de privations qu’il traversa vaillamment.
Ses succès à l’Ecole de Dijon lui en présageaient de plus
importants à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Il y entra en 1854 et, jusqu’en
1862, il y épuisa, à l’atelier de François Jouffroy, la série des mentions et
des médailles. A deux reprises il put se croire Prix de Rome, mais des concurrents
plus heureux lui furent préférés, et il dut se contenter du second Grand Prix
en 1861. Il semble que cet échec apparent fut presque un stimulant nouveau pour
Gauthier, et grâce à l’énergie de son caractère, il prit rang rapidement parmi
les jeunes statuaires qui se révélèrent au public à cette époque. Depuis 1865
et jusqu’en 1890, il exposa à chaque Salon des œuvres qui le signalèrent. Il
obtint coup sur coup des médailles et, en 1872, il fut décoré de la Légion
d’honneur.
L’énumération de ses œuvres est longue et la froideur
d’une nomenclature ne saurait rendre tout le mérite, le travail, l’ardeur, que
représente l’ensemble d’une production de ce genre. Gauthier avait une grande
facilité de travail, son talent reposait sur les études sévères et consciencieuses
qu’il avait faites ; mais il avait su ajouter à ces études un charme
personnel, une grâce parfumée de Renaissance qui n’enlevait rien à la solidité
des principes de son éducation. L’ensemble de son œuvre a une grande valeur
artistique et celui de sa vie inspire un profond respect. Gauthier fut aussi
apprécié pour son caractère que son talent. Il fut fréquemment membre du jury
du Salon et adjoint par l’Institut au jugement des concours pour le Grand prix
de Rome. Pendant près de dix ans il fut professeur à l’Ecole Nationale des Arts
Décoratifs : son zèle et son dévouement lui valurent la haute estime et
l’affection de ses collègues et de ses élèves. »
C’est ainsi que Auguste Bartholdi rendit hommage à son ami
Charles Gauthier, décédé d’un refroidissement le 5 janvier 1891, à soixante
ans. Gauthier fut enterré au cimetière du Montparnasse, où reposent de
nombreuses personnalités du monde artistique. (Bartholdi l’y rejoindra quelques
années plus tard, en 1904). C’est Jules Blanchard, ancien élève de Jouffroy
comme Gauthier, qui sculpta le buste ornant sa tombe.
De l’œuvre prolifique de Charles Gauthier il reste peu de témoignages visibles en Franche-Comté, mais beaucoup en France. A Vesoul, on peut admirer le buste du Docteur Gevrey en bronze, dans la rue des Casernes. Le docteur Gevrey (1807-1888) est un médecin et philanthrope de la ville, qu’il soigna héroïquement toute sa vie et surtout lors d'une épidémie de choléra en 1854-55, ce qui lui valut d’être nommé chevalier de la Légion d'honneur. Le musée de Vesoul en revanche ne possède que quelques copies en plâtre ou terre cuite dans ses réserves. En particulier Le Jeune braconnier, dont l’original en marbre est exposé dans le parc du château de Fontainebleau.
A Besançon, Charles Gauthier réalisa la première statue en bronze de Jouffroy d’Abbans, en plein centre-ville, elle surmontait une fontaine devant l’église de la Madeleine. Cette statue fut inaugurée le 17 août 1884 en présence de Félix Faure et de Ferdinand de Lesseps. Elle fut hélas fondue pendant la guerre de 1914 (une autre statue de Jouffroy d’Abbans est actuellement en place près du pont Battant). On en trouve une maquette au musée des Beaux-Arts de Besançon, ainsi que le bas-relief en plâtre Chryséis rendue à son père par Ulysse, qui permit à Gauthier d’obtenir le second Prix de Rome en 1861. A Bolandoz, petite commune du Doubs, une superbe Marianne sculptée par Gauthier orne la fontaine municipale, devant le beau lavoir. Ce buste en bronze a été posé sur une colonne érigée à l’occasion du centenaire de la Révolution, en 1889.
A Nancy, se trouve le monument au sergent Blandan, ce militaire, fils d’une famille de Lons-le-Saulnier, est mort en héros en 1842 pendant la guerre coloniale à Boufarik en Algérie. Gauthier a érigé cette statue de bronze dès 1843 ; placée à Boufarik, elle a été ensuite rapatriée à Nancy. C’est dans le Paris façonné alors par Haussmann qu’on trouve le plus d’œuvres de Charles Gauthier : à l’église de la Trinité, au musée Carnavalet, à l’Opéra, l’Hôtel de ville, l’église Notre-Dame-des-Victoires, le palais du Trocadéro… Notons La philosophie sur la façade de la Sorbonne. Il a aussi décoré plusieurs maisons particulières. Mais le plus accessible à tous ses admirateurs se trouve sur la fontaine du Théâtre-Français, en face de la Comédie-Française, où ses quatre sculptures d’enfants assis, en bronze, supportent la vasque. D’autres œuvres sont dispersées dans les parcs et musées de France.
Article publié dans l'Esprit Comtois numéro 24 (été 2021).
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