Le Molkenrain, pour moi, c’est un
délicieux souvenir. Une halte gourmande
dans cette ferme auberge, pendant la Traversée des Vosges de juillet 2003. Un
matin d’été lumineux, petit-déjeuner dehors, les tables et bancs installés devant
le superbe panorama de la plaine d’Alsace. Les animaux de la ferme en liberté
autour de nous, le coq poursuivant ses poules, les vaches paisibles dans la
prairie fleurie en contrebas, et surtout, une dizaine de petits cochons
espiègles, roses, gris ou tachetés, suivant les lois de la génétique. Car ici,
les truies en liberté batifolent en compagnie des sangliers.
Et soudain, sortant de l'écurie, le propriétaire, tenant précieusement dans sa main une
boule blanche dégoulinante de petit-lait. Il s’en débarrasse sur la table :
c’est la motte de beurre qu’il vient de fabriquer ! Pas question de
restrictions caloriques devant un beurre aussi odorant, nous avons alors mangé
les plus belles tartines de notre vie…
En ce matin d’avril 2012, la
rando au Molkenrain ravive mes souvenirs.
D’abord le ciel bleu et le soleil, compagnons d’autant plus appréciés
qu’ils succèdent à des jours de pluie. Ensuite le soulagement quand on atteint l’auberge, la montée depuis Steinbach est rude,
presque 800m de dénivelé, et l’arrêt près du camp de Turenne n’a pas suffi à
nous reposer. La vue dominante est toujours aussi
belle, mais en version fraîche : les sommets du Grand et du Petit Ballons
sont blancs, nous avons rencontré la neige à partir de 1000m. Pas d’animaux
domestiques en vue, ils sont encore à l’abri, même les clapiers sont vides, seul un grand chien est affalé devant l’entrée. La terrasse attend des jours
meilleurs, il fait environ 4°.
A l’intérieur, tout en boiseries,
c’est la chaude ambiance. L’abandon après l’effort. La chaleur, le repos, et les
spécialités maison : Tourte à la viande, pot-au-feu, repas marcaire,
pommes de terre rôties et salades variées, munster et barkass, fromage blanc au schnaps et tartes aux myrtilles… Tout est abondant et délicieux. Et le niveau sonore monte, monte.
A la table de Raymond, entouré d’un parterre de dames, on glousse, on rit, on caquette,
on gesticule, on jacasse. A la nôtre, on ricane, on
cancane, on s’esclaffe, on compte le nombre de bouteilles de Pinot, sans
oublier l’apéro au Muscat corse, on évalue l’ébriété des voisins. Quand Raymond
sort l’armagnac (à l’orange pour les dames…) c’est le délire, on se croirait
dans un poulailler en furie. Les gendarmes, assis à la table voisine préfèrent
s’en aller !
Retour dans la verte vallée, le
soleil de la journée a-t-il précipité l’éveil de la nature ? Est-ce le
changement d’altitude ? Après la rudesse des sommets, c’est l’explosion de
vert tendre, les premières feuilles se déploient, faisant oublier les sombres
conifères, les fougères et les mousses colonisent les blocs de grès
rose. Les violettes, campanules, Monnaie du pape, rivalisent de bleus. Quelques
anémones et primevères jouent la différence. Les oiseaux chantent. Le soleil nous
réchauffe. Nous sommes étourdis de sensations printanières.
Soudain Eric compte ses ouailles. Mais il en
manque !? Non, Eric, pas une deuxième fois... Voici les retardataires,
fatiguées mais toujours volubiles, prêtes à s’enthousiasmer devant les
dernières surprises, les sables rouges, le sentier des mines.
Concert de remerciements, à
l’arrivée. Eric peut partir content, en saluant sa basse-cour, plus caquetante
que jamais.
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