lundi 7 novembre 2022

Les frères Champollion, Dauphinois de coeur

Cette année de nombreuses expositions en France célèbrent le deux-centième anniversaire du déchiffrage des hiéroglyphes par Jean-François Champollion (1790-1832). Une découverte majeure, fruit d’un énorme travail de recherches menées durant trente ans avec son frère Jacques-Joseph (1778-1867). Une belle aventure humaine et scientifique que le musée rénové de Vif près de Grenoble a parfaitement mise en valeur. L’occasion de découvrir la maison familiale et la complicité fusionnelle entre les deux frères.

Dernier-né d’une famille pauvre de 7 enfants, à Figeac, Jean-François se distingue par ses capacités intellectuelles, il apprend tout seul à lire dans un missel dès l’âge de 5 ans. Son frère Jacques-Joseph, de douze ans son aîné, a repéré ses qualités exceptionnelles. Et lorsqu’il obtient un modeste emploi de bureau à Grenoble, en 1798, il décide de faire venir son petit frère chez lui pour lui assurer une éducation sérieuse. Jean-François arrive à Grenoble en 1801, il a juste 11 ans. Avec Jacques-Joseph, autodidacte de 23 ans, il partage l’amour des textes anciens, de l’archéologie. Ensemble ils étudient le latin, le grec, l’hébreu, l’arabe…

L’érudition de Jacques-Joseph lui permet de participer aux salons littéraires de la ville, où il emmène son petit frère. A une soirée chez le préfet de l’Isère, en 1802, les Champollion entendent parler de l’Egypte. Le préfet Joseph Fourier, brillant mathématicien, a en effet participé à l’expédition en Egypte menée par Bonaparte en 1798-1801. Jacques-Joseph et Jean-François sont fascinés par cette civilisation antique si mystérieuse, dont personne ne sait déchiffrer l’écriture, perdue depuis 15 siècles. Jacques-Joseph se lie d’amitié avec Fourier, devient son secrétaire, chargé de cataloguer les objets ramenés d’Egypte. En 1804 il présente un exposé sur la pierre de Rosette, une stèle découverte en Egypte en 1799. Cette stèle pourrait aider au déchiffrage des hiéroglyphes, puisqu’un même texte y est inscrit en 3 langues : grec, démotique (égyptien antique) et hiéroglyphes (écriture sacrée). Pour l’instant, personne n’y parvient, car il y a 1400 signes hiéroglyphiques pour 80 mots grecs... Jean-François est passionné par ce mystère, il veut être le premier à déchiffrer cette écriture oubliée.

Au lycée impérial de Grenoble, il s’ennuie. Il entreprend seul l’étude des langues orientales, araméen, chaldéen, syriaque, persan ... A 17 ans une bourse lui permet d’aller approfondir ses connaissances à Paris, au Collège de France. Il découvre aussi le copte, langue populaire en ancienne Egypte, fréquente les bibliothèques, écrit de nombreux opuscules. Visite les collectionneurs d’objets égyptiens, recopie les inscriptions, étudie les travaux des autres candidats au déchiffrage des hiéroglyphes… Car la concurrence est rude, l’Europe entière se passionne pour l’Egypte et son énigmatique écriture. De Paris, il communique par lettre chaque jour avec son frère à Grenoble, livre ses hypothèses, demande conseil… Jacques-Joseph répond, argumente, ajoute des remarques.

Jean-François est devenu à 18 ans professeur d’histoire ancienne à l’université de Grenoble, il retrouve régulièrement son frère à Vif, où ils poursuivent ensemble leurs recherches. Tous deux affichent des idées bonapartistes. Mais en 1815, cette opinion les précipite dans les soubresauts de l’histoire : Napoléon abdique, remplacé par Louis XVIII, les émeutes secouent la ville, suivies par des purges. Les deux frères Champollion sont démis de leurs fonctions, emprisonnés puis envoyés en exil à Figeac en 1816. Il faudra plus d’un an pour qu’ils obtiennent leur libération. Jacques-Joseph retrouve un emploi à Paris, Jean-François réintègre Grenoble et un poste de bibliothécaire. Jusqu’en 1821, où de nouvelles échauffourées politiques l’obligent à quitter Grenoble et se réfugier chez son frère à Paris.

Sans emploi, ses recherches s’amplifient encore, il rédige des mémoires, met au point des correspondances entre langues orientales, publie des études comparatives. Grâce au copte, il comprend que les hiéroglyphes, contrairement aux théories en cours, ne sont pas simplement des idéogrammes, mais aussi des sons. En 1821, il arrive à déchiffrer sur une copie de la pierre de Rosette le cartouche de Ptolémée, puis celui de Cléopâtre, pharaons de l’époque grecque. Et le 14 septembre 1822, il déchiffre celui de Ramsès, bien antérieur, donc sans l’aide du grec. Son hypothèse se confirme, il peut commencer à déchiffrer quelques mots.

La mise au point d’un dictionnaire complet et d’une grammaire prendra encore des années, mais Jean-François Champollion est désormais reconnu comme le grand spécialiste de l’Egypte. Il persuade le roi Charles X d’acquérir une collection complète d’objets égyptiens, afin d’ouvrir en France la première galerie égyptienne d’Europe. En 1827, au Louvre, l’exposition dont il est nommé conservateur rencontre un succès retentissant. Il peut alors réaliser son rêve : obtenir une subvention pour partir en Egypte étudier les hiéroglyphes in situ.

Son expédition scientifique en 1828-1829 accumule les relevés, les découvertes, collecte des documents qui permettent d’avancer dans le décryptage des hiéroglyphes et jette les bases de l’égyptologie. A son retour en 1831, Jean-François est à la tête d’une multitude d’informations à exploiter. Il obtient la chaire d’égyptologie au Collège de France. Mais épuisé par son périple, affaibli par différentes maladies, surmené, il meurt en mars 1832, à 42 ans. C’est Jacques-Joseph qui se chargera de terminer et de publier ses recherches.

L’élégante maison Champollion à Vif est restée propriété de la famille jusqu’à son rachat par le département de l’Isère en 2001. Entièrement réhabilitée, elle a été inaugurée en 2021 avec une belle scénographie moderne autour des frères Champollion, de leurs travaux et de l’égyptologie. La chambre de Jean-François, son bureau, ses écrits, sont préservés. Tout immerge le visiteur dans la magie de l’Egypte. Un beau parc fleuri permet ensuite de laisser vagabonder son esprit des rives de l’Isère à celle du Nil…


Article publié dans le JTT du jeudi 3 novembre. 

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