Cette année de nombreuses expositions en France célèbrent le
deux-centième anniversaire du déchiffrage des hiéroglyphes par Jean-François
Champollion (1790-1832). Une découverte majeure, fruit d’un énorme travail de
recherches menées durant trente ans avec son frère Jacques-Joseph (1778-1867). Une
belle aventure humaine et scientifique que le musée rénové de Vif près de
Grenoble a parfaitement mise en valeur. L’occasion de découvrir la maison
familiale et la complicité fusionnelle entre les deux frères.
Dernier-né d’une famille pauvre de 7 enfants, à Figeac, Jean-François
se distingue par ses capacités intellectuelles, il apprend tout seul à lire
dans un missel dès l’âge de 5 ans. Son frère Jacques-Joseph, de douze ans son aîné,
a repéré ses qualités exceptionnelles. Et lorsqu’il obtient un modeste emploi de
bureau à Grenoble, en 1798, il décide de faire venir son petit frère chez lui
pour lui assurer une éducation sérieuse. Jean-François arrive à Grenoble en 1801,
il a juste 11 ans. Avec Jacques-Joseph, autodidacte de 23 ans, il partage
l’amour des textes anciens, de l’archéologie. Ensemble ils étudient le latin,
le grec, l’hébreu, l’arabe…
L’érudition de Jacques-Joseph lui permet de participer aux
salons littéraires de la ville, où il emmène son petit frère. A une soirée chez
le préfet de l’Isère, en 1802, les Champollion entendent parler de l’Egypte. Le
préfet Joseph Fourier, brillant mathématicien, a en effet participé à
l’expédition en Egypte menée par Bonaparte en 1798-1801. Jacques-Joseph et
Jean-François sont fascinés par cette civilisation antique si mystérieuse, dont
personne ne sait déchiffrer l’écriture, perdue depuis 15 siècles.
Jacques-Joseph se lie d’amitié avec Fourier, devient son secrétaire, chargé de
cataloguer les objets ramenés d’Egypte. En 1804 il présente un exposé sur la
pierre de Rosette, une stèle découverte en Egypte en 1799. Cette stèle pourrait
aider au déchiffrage des hiéroglyphes, puisqu’un même texte y est inscrit en 3
langues : grec, démotique (égyptien antique) et hiéroglyphes (écriture
sacrée). Pour l’instant, personne n’y parvient, car il y a 1400 signes
hiéroglyphiques pour 80 mots grecs... Jean-François est passionné par ce
mystère, il veut être le premier à déchiffrer cette écriture oubliée.
Au lycée impérial de Grenoble, il s’ennuie. Il entreprend seul
l’étude des langues orientales, araméen, chaldéen, syriaque, persan ... A 17
ans une bourse lui permet d’aller approfondir ses connaissances à Paris, au
Collège de France. Il découvre aussi le copte, langue populaire en ancienne
Egypte, fréquente les bibliothèques, écrit de nombreux opuscules. Visite les
collectionneurs d’objets égyptiens, recopie les inscriptions, étudie les
travaux des autres candidats au déchiffrage des hiéroglyphes… Car la
concurrence est rude, l’Europe entière se passionne pour l’Egypte et son
énigmatique écriture. De Paris, il communique par lettre chaque jour avec son
frère à Grenoble, livre ses hypothèses, demande conseil… Jacques-Joseph répond,
argumente, ajoute des remarques.
Jean-François est devenu à 18 ans professeur d’histoire
ancienne à l’université de Grenoble, il retrouve régulièrement son frère à Vif,
où ils poursuivent ensemble leurs recherches. Tous deux affichent des idées bonapartistes.
Mais en 1815, cette opinion les précipite dans les soubresauts de l’histoire :
Napoléon abdique, remplacé par Louis XVIII, les émeutes secouent la ville,
suivies par des purges. Les deux frères Champollion sont démis de leurs
fonctions, emprisonnés puis envoyés en exil à Figeac en 1816. Il faudra plus
d’un an pour qu’ils obtiennent leur libération. Jacques-Joseph retrouve un
emploi à Paris, Jean-François réintègre Grenoble et un poste de bibliothécaire.
Jusqu’en 1821, où de nouvelles échauffourées politiques l’obligent à quitter
Grenoble et se réfugier chez son frère à Paris.
Sans emploi, ses recherches s’amplifient encore, il rédige
des mémoires, met au point des correspondances entre langues orientales, publie
des études comparatives. Grâce au copte, il comprend que les hiéroglyphes,
contrairement aux théories en cours, ne sont pas simplement des idéogrammes,
mais aussi des sons. En 1821, il arrive à déchiffrer sur une copie de la pierre
de Rosette le cartouche de Ptolémée, puis celui de Cléopâtre, pharaons de
l’époque grecque. Et le 14 septembre 1822, il déchiffre celui de Ramsès, bien
antérieur, donc sans l’aide du grec. Son hypothèse se confirme, il peut
commencer à déchiffrer quelques mots.
La mise au point d’un dictionnaire complet et d’une
grammaire prendra encore des années, mais Jean-François Champollion est
désormais reconnu comme le grand spécialiste de l’Egypte. Il persuade le roi
Charles X d’acquérir une collection complète d’objets égyptiens, afin d’ouvrir en
France la première galerie égyptienne d’Europe. En 1827, au Louvre, l’exposition
dont il est nommé conservateur rencontre un succès retentissant. Il peut alors
réaliser son rêve : obtenir une subvention pour partir en Egypte étudier
les hiéroglyphes in situ.
Son expédition scientifique en 1828-1829 accumule les relevés,
les découvertes, collecte des documents qui permettent d’avancer dans le
décryptage des hiéroglyphes et jette les bases de l’égyptologie. A son retour en
1831, Jean-François est à la tête d’une multitude d’informations à exploiter.
Il obtient la chaire d’égyptologie au Collège de France. Mais épuisé par son
périple, affaibli par différentes maladies, surmené, il meurt en mars 1832, à
42 ans. C’est Jacques-Joseph qui se chargera de terminer et de publier ses
recherches.
L’élégante maison Champollion à Vif est restée propriété de
la famille jusqu’à son rachat par le département de l’Isère en 2001.
Entièrement réhabilitée, elle a été inaugurée en 2021 avec une belle
scénographie moderne autour des frères Champollion, de leurs travaux et de
l’égyptologie. La chambre de Jean-François, son bureau, ses écrits, sont
préservés. Tout immerge le visiteur dans la magie de l’Egypte. Un beau parc
fleuri permet ensuite de laisser vagabonder son esprit des rives de l’Isère à
celle du Nil…
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