jeudi 31 mars 2022

A vélo au printemps dans la vallée de l'Eyrieux

Entre Saint-Laurent-du-Pape et Saint-Sauveur-de Montagut, la Dolce Via, célèbre piste cyclable remonte l’Eyrieux sur une vingtaine de kilomètres, avec une pente faible. Pas besoin d’être un grand sportif pour tenter l’aventure avec son vélo ! La gare de Saint-Laurent-du Pape ( côté sud de l'Eyrieux), est l’endroit idéal pour le départ, puisque la piste a remplacé l’ancienne voie ferrée. On y trouve un vaste parking et un coin pique-nique aménagé. Là commence la traversée de la « vallée rose » ainsi nommée en raison de l’abondance des pêchers fleuris au printemps.

En automne, c’est une autre gamme de couleurs qui agrémente le paysage : sous le ciel bleu, les vignes dorées se détachent sur les forêts sombres. L’Eyrieux reflète le bleu du ciel et s’étale au soleil entre les rochers d’un blanc éblouissant, en formant des méandres qui irriguent vergers et terrasses. Jusqu’à Saint-Fortunat, la Dolce Via emprunte une trajectoire en balcon, mais à l’ombre, ce n’est qu’au pont des Dunières qu’elle rejoint la rive ensoleillée. Campings et aires de jeux, rappellent la vocation touristique de la vallée en été. Le village des Ollières en particulier est une base de loisirs bien équipée, avec location de vélos et de canoés, parcours acrobatique pour aventuriers et plus simplement plages aménagées où l’on peut déguster une glace artisanale locale.

Plus haut, la vallée se rétrécit, l’Eyrieux change d’aspect, c’est alors un torrent qui bouillonne entre rochers et falaises. Ici commence le pays de la soie, des magnaneries (où on élevait les vers à soie), filatures (on déroulait le fil), moulinages (on le tordait) … D’anciennes bâtisses imposantes, construites en pierre, reconnaissables à leur haute cheminée, jalonnent le parcours. Des panneaux explicatifs disposés régulièrement éclairent le passant sur cette industrie historique, ainsi que sur l’agriculture cévenole traditionnelle.

L’installation du chemin de fer départemental, dont la Dolce Via utilise actuellement la voie, fut au début du XXe siècle d’une importance cruciale pour acheminer travailleurs et productions. Avoir conservé ses anciennes structures rend un bel hommage aux responsables et constructeurs de la ligne. Une fresque murale peinte sur le site de l’ancienne gare de Saint-Sauveur-de-Montagut, désormais  collège, rappelle l’arrivée du train.

A la sortie du village, une autre curiosité force le respect. Un parcours en images résume toute l’Histoire de la France : 1500 ans sur 1500 m, soit une année par mètre. Il fallait y penser ! Ce sont les élèves des écoles de Saint-Sauveur et leurs enseignants qui l'ont élaboré. Ne pas hésiter à mettre pied à terre pour lire les panneaux en détail et redécouvrir ainsi notre histoire. Cette présentation géniale permet de visualiser et de réfléchir à la marche du temps. Et justement, après cette pause pédagogique, il est temps de faire demi-tour pour regagner la basse vallée, fiers d’avoir parcouru une quarantaine de kilomètres en pleine nature, et enrichis de l'histoire ardéchoise.

Article publié dans le JTT du jeudi 31 mars 2022.


jeudi 24 mars 2022

Peynet et le kiosque de Valence

On croit à tort que c’est le célèbre illustrateur Raymond Peynet qui a dessiné le kiosque des amoureux de Valence. En réalité, c’est un hasard de guerre qui est à l’origine de cette belle histoire ! Le kiosque de Valence, construit sur le Champ-de-Mars en 1862 puis rénové en 1890, n’a été baptisé kiosque Peynet qu’en 1966, après sa notoriété acquise grâce aux fameux Amoureux.

Né à Paris en 1908 dans une famille d’origine auvergnate, le jeune Raymond, après avoir suivi des études à l’école des arts appliqués, s’engage dans la voie de la publicité. Ses affiches ont du succès, son humour aussi, il collabore comme caricaturiste à plusieurs journaux satiriques. Il épouse en 1930 Denise Damour, au nom prédestiné, avec qui il formera un couple fusionnel. La guerre interrompt ses activités, il est fait prisonnier puis s’évade. Correspondant de guerre en 1943, il passe à Valence chargé d’un document confidentiel pour un autre correspondant. En l’attendant devant le kiosque, sa créativité se déploie. Il dessine le kiosque, imagine un jeune violoniste resté seul après le départ de l’orchestre, puis son amoureuse. Ainsi est né le premier dessin du kiosque des Amoureux de Peynet. Publié dans un célèbre journal de l’époque, Ric et Rac, c’est un succès qui va devenir le fil conducteur de sa carrière.

Des années 50 à la fin des années 70, le petit couple d’amoureux va apparaître partout, dans la presse bien sûr, mais aussi dans la création de porcelaines, médailles, soieries… et jusqu’aux fameuses poupées Peynet, qui inondent le marché bien avant la création des Barbies. Le succès est international, les Japonais en particulier, sensibles au trait graphique et poétique, vouent un culte à Peynet et à ses amoureux : deux musées Peynet lui sont consacrés au Japon. Et une statue des Amoureux a été érigée en 1995 devant le mémorial d’Hiroshima pour symboliser le 50è anniversaire de la paix.

Peynet s’installe à Antibes en 1976, et se consacre à la création d’affiches pour les festivités de la Côte d’azur, illustre des livres d’art. Sa notoriété grandit encore, et un projet de musée voit le jour. Peynet cède 300 œuvres à ce musée, inauguré à Antibes en 1989. Il accepte aussi de l’ouvrir aux grands noms de la caricature et de l’humour, et le musée prend le nom de Musée Peynet et du Dessin humoristique. C’est Plantu qui inaugure cette nouvelle orientation en 1995, peu avant le décès de Denise en 1996, puis de Raymond en 1999.

Le musée, maintenant doté de plus de 600 œuvres, propose un passionnant voyage dans le monde de Peynet et des dessinateurs de presse. Situé sur la place Nationale d’Antibes, il est annoncé par une statue en bronze des Amoureux. Et à l’entrée, les Drômois ne peuvent que s’extasier devant le modèle réduit du kiosque offert par la ville de Valence. Avec son cœur !

Article publié dans le JTT du jeudi 24 mars 2022.

mercredi 16 mars 2022

Chronique littéraire : Nature humaine, de Serge Joncour

L’homme et la nature sont indissociablement liés l’un à l’autre. C’est le thème du roman, qui raconte la vie d’une ferme du Lot entre 1976 et 1999, et celle de son propriétaire, Alexandre.

Pourquoi ces deux dates ? Parce qu’elles sonnent comme un avertissement des bouleversements climatiques qui nous sont maintenant familiers. 1976, la grande sécheresse ; 1999, la grande tempête. Entre ces deux dates, la région aura connu la lutte contre le camp du Larzac, les attentats contre les centrales nucléaires, Tchernobyl, la vache folle, l’arrivée des Mammouth écrasant non seulement les prix mais aussi les petits propriétaires… Tout ce qui a complètement perturbé l’équilibre des campagnes, les habitudes des paysans et toute la société.

Alexandre a grandi dans la ferme familiale, il ne s’imagine pas vivre sans sa campagne, ses champs, ses bêtes, et le rythme des saisons. Au contraire de ses sœurs qui ne pensent qu’à partir à la ville. Alors il va devoir endosser l’héritage familial et maintenir la ferme. Donc s’adapter, moderniser, s’endetter. S’éloigner de ses convictions profondes, tout en rêvant à Constanze, une jeune idéaliste allemande rencontrée à Toulouse lors de l’élection de 1981.

Personnages fouillés, analyse sociologique efficace, intrigue soutenue, tout cela dans un style fluide, Serge Joncour connaît bien son sujet, mieux, il en est issu. On sent toute sa compassion devant un monde en pleine mutation. Et tout son amour et son respect pour les êtres vivants.

Son roman a obtenu le Prix Femina en 2021. Une reconnaissance largement méritée pour Serge Joncour, auteur de nombreux romans sensibles, ancrés dans la vie quotidienne.

Nature humaine est disponible en poche chez J’ai Lu.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 17 mars 2022.

  

jeudi 3 mars 2022

Le sentier des Huguenots à travers la Drôme

Poët-Laval, sur son promontoire dominant le Jabron, est un des plus beaux villages de France, avec son donjon, sa chapelle, sa commanderie, et son musée, où est conservé un des premiers temples de France. Haut lieu du protestantisme, ce village aux ruelles fleuries est aussi le point de départ d’une randonnée qui raconte son histoire : le sentier des huguenots.

Dès le XVIe siècle, une communauté protestante importante s’était développée des Cévennes au Dauphiné. Les guerres de religion entre catholiques et protestants qui suivirent ont décimé villes et villages de ces régions, dont Poët-Laval. En 1598 Henri IV instaura l’Édit de Nantes, accordant la liberté de culte à tous, et la paix s’installa. Hélas un siècle plus tard, en 1685, Louis XIV révoqua cet Édit, et les persécutions envers les protestants reprirent. Nombreux furent ceux qui décidèrent alors de quitter la France plutôt qu’abjurer leur foi. Environ 200 000 huguenots partirent ainsi pour la Suisse et l’Allemagne, terres protestantes. Hommes déterminés, compétents et laborieux, ils contribuèrent au développement de ces pays, tandis que la France perdait une partie de ses forces vives.

Le sentier des Huguenots suit l’itinéraire historique de cette migration, à travers l’Ardèche, la Drôme et l’Isère. Sur 1800 km, fruit d’une coopération internationale, il rejoint l’Allemagne, via Grenoble, Genève, Zürich. Son logo est facilement identifiable sur les panneaux : c’est une petite silhouette bleue en costume d’époque. Un topoguide détaille toutes les étapes ce sentier européen, répertorié GR 965, qui peut se faire à pied, à cheval ou à vélo. La partie française compte environ 374 km et 29 étapes, Poët-Laval dans la Drôme est un des points de départ, d’où on gagne Dieulefit, Bourdeaux, la Chaudière, Pontaix, Die, les Nonières… On peut aussi partir de Mialet, cité martyre dans les Cévennes, puis rejoindre Poët-Laval par Vallon-Pont-d’Arc.

Ce chemin historique rappelle le plus important exil que la France ait connu. Un sentier de fuite, mais aussi d’espoir. Il est labellisé « itinéraire culturel du Conseil de l’Europe », car il illustre concrètement le lien entre les différents pays et cultures de l’Europe et l’enrichissement mutuel à travers les frontières. Un rappel salutaire, à l’heure où d’autres chemins sont parcourus par d’autres migrants.

Article publié dans le JTT du jeudi 3 mars.