vendredi 25 novembre 2016

Chronique littéraire : L'étrangère, de Valérie Toranian

Aravni, grand-mère de Valérie Toranian, est une survivante du génocide arménien. En 1915, alors qu 'elle mène une vie bourgeoise, dans une famille aimante et cultivée, Aravni, 17 ans est obligée de fuir sa ville, Amassia. Villa pillée, réquisitionnée, famille décimée, Avrani volée, battue par les Turcs, doit abandonner tout pour se joindre aux convois envoyés vers la mort, en direction du désert syrien. Grâce à l'aide de sa marraine et à sa force de vie, elle survivra aux conditions dantesques, arrivera jusqu'à Alep, puis Constantinople, enfin émigrera en France en 1923.

Avrani n'a rien oublié, mais par la suite, elle n'a jamais voulu s'exprimer sur son passé. Elle a continué de vivre à sa manière, cultivant ses traditions, ne parlant qu'arménien, fréquentant seulement la diaspora. Et bien sûr, gavant ses petits-enfants de nourriture orientale, au grand dam de sa belle-fille, Française pure souche. Il faudra beaucoup de patience à Valérie la Parisienne pour obtenir quelques confidences. En vivant à ses côtés, en arrachant quelques anecdotes, peu à peu elle comprend l'enchaînement des faits, l'ampleur du génocide arménien, sur lequel il existe si peu de documents écrits, contrairement à la Shoah.
Le récit de Valérie Toranian fait alterner deux voix, l'histoire d'Aravni et la sienne, au fil des souvenirs partagés avec la grand-mère qu'elle adore. Dans un style limpide, direct, traitant avec humour les relations familiales, elle évoque les tribulations d'une famille d'Arméniens qui s'intègre à la France, s'adapte à la modernité, tout en conservant une vénération pour sa propre culture. Et pratique résolument le culte des ancêtres.

Valérie Toranian, journaliste, a été directrice de la rédaction de Elle, une intégration parfaitement réussie. Sa grand-mère serait fière d'elle!

L'étrangère est disponible en poche chez J'ai Lu.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 24 novembre 2016.

dimanche 20 novembre 2016

Le POPA : une nouvelle galerie d'art à Porrentruy

C’est dans le faste qu’a été inauguré ce superbe espace d’exposition, avec une prestigieuse collection de bronzes des sculpteurs Auguste Rodin et Edgar Degas. Une soixantaine de pièces fondues à la cire perdue d’après les plâtres authentiques, et qu’on peut acquérir moyennant plusieurs dizaines de milliers de francs. Mais qu’importe le prix, la simple vue de ces chefs d’œuvre, danseuses, chevaux, Eternel Printemps, est bouleversante de réalisme et de sensualité.
A l’étage, d’autres salles présentent ce qui est la vocation de la galerie : des œuvres contemporaines célébrant l’art optique. En modifiant sa position, on voit apparaître des choses différentes, c’est proprement bluffant. POPA est l’acronyme de Porrentruy Optical Art.

Le bâtiment qui abrite cette exposition mérite aussi le détour. Au bord de l’Allan, c’est un superbe hôtel particulier de la vieille ville datant du XVI ème siècle. Ce patrimoine typique de Porrentruy a été restauré par le célèbre cabinet d’architecture bâlois Herzog et De Meuron. En préservant boiseries, parquets et plafonds, en magnifiant  caves voûtées et escaliers en colimaçon,  la personnalité du bâtiment de 600 mètres-carrés s’impose à tous les étages.

Quant au propriétaire et mécène, s’il n’est pas connu en France, il fait partie des personnalités très en vue en Suisse, dans le Jura particulièrement. Pierre Kohler est un homme politique, ancien ministre et maire de Delémont. Avocat de profession et passionné d’art contemporain depuis 30 ans, il s’est constitué une belle collection, tout en suivant régulièrement des cours d’art contemporain à la Sorbonne. Il  a chargé le groupe de galéristes Bel-Air Fine Art  d'organiser les expositions temporaires.  Son projet est un atout pour le rayonnement culturel de Porrentruy, son défi, c’est de viser une renommée internationale pour son musée.

Exposition Rodin Degas, la modernité en mouvement, du 4/11 au 18/12/ 2016, à Porrentruy.

Pour tous renseignements : www.popa.ch

mardi 15 novembre 2016

Le Chemin de Croix de Romans-sur-Isère

Le Chemin de Croix dit « Le Grand Voyage » est un des plus anciens d’Europe.  Fondé en 1516 par Romanet Boffin, un riche et pieux marchand drapier, il est alors considéré comme un chemin de substitution au dangereux voyage en Terre Sainte. Cette année, le Chemin de Croix a été l’objet de nombreuses manifestations à Romans : colloques, expositions, visites, concerts, pour le 500ème anniversaire de sa fondation. Mais il n’est pas nécessaire d’attendre une occasion pour parcourir librement  le chemin de croix, grâce à la brochure éditée par l’office de tourisme.   

Constitué de 40 stations : vingt-et-une dispersées dans le centre historique et dix-neuf dans l’enclos du Calvaire des Récollets, il permet à travers ses sculptures de revivre la passion du Christ, de son arrestation à sa crucifixion.  Cet ensemble urbain unique en Europe, lieu de pèlerinage dès son édification, fut détruit  pendant les guerres de religion puis à la Révolution, mais chaque fois il fut relevé par les Romanais. Chaque année, plusieurs centaines de personnes viennent encore à Romans pour participer à la procession du Vendredi-saint depuis la première station, Côte Poids des Farines, jusqu’à la dernière, au calvaire des Récollets.


Le calvaire des Récollets fut transformé en cimetière communal après la Révolution. Puis de grandes familles romanaises achetèrent des concessions, et y firent édifier des chapelles majestueuses jusqu’à la fin du XIXème siècle. . Abandonné ensuite, dégradé, il fut l’objet de quelques restaurations d’urgence avant d’être classé « Monument historique » en 1986. Mais les intempéries ayant causé la chute de deux stations en 2008, le calvaire fut fermé au public pour des raisons de sécurité. Une prise en compte de son importance patrimoniale pour la ville a permis d’entamer en 2016 une vraie campagne de restauration qui permettra sa réouverture prochaine.

Pour découvrir les 21 stations du centre ville, c'est simple : un plan est mis à disposition par l’office du tourisme de Romans. Il ne reste qu'à retrouver au fil des rues les oratoires répertoriés. L’occasion de relire les noms pittoresques, côte Poids et Farines, rue Pêcherie, place aux Herbes ou Puits du Cheval. Quelquefois bien cachés, il faut lever la tête ou se pencher par terre, suivre des murs moussus ou écarter des buissons, pour découvrir derrière des grilles ouvragées, les superbes bas-reliefs  restaurés par le sculpteur Donzelli. Une promenade ludique et historique à conseiller à tous les amoureux du patrimoine.

Article publié dans le JTT du jeudi 10 novembre 2016.

mardi 8 novembre 2016

Kandinsky, Marc et le Cavalier Bleu (der Blaue Reiter)

Vassily Kandinsky est né à Moscou en 1866, on célèbre cette année le 150ème anniversaire de sa naissance par de nombreuses expositions à travers le monde. Le parti pris par  la Fondation Beyeler à Bâle est particulier, puisqu’il s’articule autour du Blaue Reiter, un almanach considéré comme le manifeste fondateur de l’art moderne, conçu en collaboration avec Franz Marc. Une explosion de couleurs ! 

Der Blaue Reiter , le Cavalier Bleu, d'après une toile peinte par Kandinsky, est devenu le nom du groupe d'artistes novateurs, parmi lesquels des femmes, constitué autour de Kandinsky et Franz Marc à Munich. (Les chevaux sont un sujet de prédilection pour Franz Marc, dont les peintures animalières sont éblouissantes). Der Blaue Reiter est aussi le titre de l'almanach publié par Kandinsky et Marc en 1912. L'ouvrage rassemble des textes et images d’artistes issus de cultures et d’époques différentes. Savant et populaire, ethnographique et même musical, ce n’est pas un manifeste théorique, mais une juxtaposition d’œuvres éclectiques, dont l’organisation prime sur la teneur.

Kandinsky a connu une enfance aisée, ouverte sur les arts, les cultures, les voyages. Diplômé en droit à Moscou, poète, dramaturge, il abandonne l’enseignement pour la peinture à 30 ans,fasciné par la couleur. Intellectuel érudit,il est non seulement un artiste mais un théoricien de l’art. Pour lui c'est l’expression d’un désir spirituel qu’il appelle « nécessité intérieure ».
Installé à Munich, dont le climat culturel libéral attire alors de nombreux artistes de toutes nationalités, entre 1908 et 1914, il entreprend une réforme fondamentale des règles de l’art, pour affranchir la couleur de l’obligation de représentation. Avec Franz Marc dont il fait la connaissance en 1911, il ne peint plus  la réalité visible, mais les contenus spirituels, malgré l’hostilité  de ses contemporains.

De retour en Russie de 1914 à 1921, Kandinsky s’occupe de politique culturelle jusqu’à ce que les soviétiques jugent l’art abstrait nocif pour leur idéal. Il gagne alors Weimar et le Bauhaus, école d’art et d’architecture avant-gardiste, où il donne des cours sur la théorie des couleurs jusqu’à sa dissolution en 1933. Kandinsky quitte l'Allemagne et s’installe à Paris, où son art géométrique abstrait n’est guère reconnu, les impressionnistes et cubistes étant à la mode. Il acquiert néanmoins la nationalité française, et entreprend une synthèse générale de sa théorie. Il meurt en 1944, laissant une œuvre abondante. Il est considéré comme un des artistes les plus importants du XXème siècle.

Dimanche 4 décembre, pour célébrer l'anniversaire de Kandinsky, un programme festif est organisé avec performances, ateliers, visites spéciales et conférences.

Renseignements: www.fondationbeyeler.ch/fr

vendredi 4 novembre 2016

La technique du moulage en bronze

Au château de Tournon, l'exposition consacrée à l'art du portrait, par Marcel Gimond, présente de nombreux bustes réalisés par l'artiste, souvent en deux versions, plâtre et bronze. Le visiteur se pose naturellement la question : mais comment passe-t-on de l'un à l'autre ? Mercredi, Maurice Adobati, fondeur d'art bien connu dans la région, animait au premier étage du château une démonstration de moulage, pour expliquer la fabrication des sculptures en métal. En prenant comme exemple la réalisation de statuettes emblématiques de sa production : les "Bocuse d'Or"décernés chaque année aux meilleurs chefs de la gastronomie internationale, à l'issue du SIRHA de Lyon.
Tout d'abord l'artiste sculpte un modèle en plâtre, bois ou autre matériau. Ce modèle sert à fabriquer un premier moule. Il faut pour cela recouvrir l'objet d'une couche d'élastomère, de manière a obtenir en chauffant une empreinte, qui en refroidissant devient une sorte de moule mou, facilement détachable. Ce moule est l'empreinte parfaite du modèle original qu'on peut alors mettre de côté. Ensuite, le moule mou est enduit intérieurement de cire rouge, pour obtenir un deuxième modèle en cire, mais creux celui-là. Troisième étape : on recouvre le modèle de cire avec du plâtre réfractaire, pour obtenir une nouvelle empreinte, solide et susceptible de supporter les hautes températures du métal en fusion. Le bronze est ensuite introduit dans le modèle de cire, il prend la forme voulue, tandis que la cire fond sous la chaleur et s'évacue par des trous prévus (technique de la cire perdue). Il ne reste ensuite, après refroidissement, qu'à extraire la statue de sa gangue de plâtre, avant d'exécuter les finitions, nettoyer, ébarber, polir. Et une statuette rutilante émerge.

Le public passionné a apprécié les explications de M. Adobati et de son collaborateur. La présentation pédagogique des différentes étapes du moulage, au premier étage du château, est complétée par un rappel de techniques plus anciennes, dont les moules de sable qui étaient utilisés avant les matières plastiques. Remontons encore plus loin dans le temps, puisque l'invention de la fonderie date de l'âge du cuivre, entre -2500 et -1800 ans ! Les moyens rudimentaires utilisés alors par les hommes préhistoriques en disent long sur les capacités d'invention de l'être humain.

Article publié dans le JTT du jeudi 3 novembre.