jeudi 21 janvier 2021

Chronique littéraire : Le consentement, de Vanessa Springora

A l’heure où Camille Kouchner dénonce l'inceste dans sa célèbre famille de l’élite politico-universitaire parisienne, la lecture du livre de Vanessa Springora, sorti l’an dernier, et maintenant disponible en Livre de poche, est éclairante. L’abus d’enfants concerne tous les milieux. Le point de départ commun à ces actes pédophiles ? La présence d’un enfant fragile face à un prédateur qui a de l’ascendant sur lui.

Vanessa Springora raconte sa descente aux enfers, connue et tolérée alors par le milieu artistique. Un constat accablant pour notre société : dans les années 1990, on pratiquait une bienveillance décomplexée par rapport aux prédateurs sexuels, consommateurs de jeunes adolescents. Le photographe David Hamilton, le peintre Balthus, le cinéaste R. Polanski … et dans ce livre l’auteur Gabriel Matzneff, mettaient en scène leur goût pour les nymphettes sous les applaudissements des critiques.

Vanessa fut une de ces proies. Dans sa famille désunie, père absent, violent et volage, mère dépassée multipliant les amants, elle ne comptait pas. Petite adolescente introvertie, elle se sentait rejetée, différente et surtout laide, jusqu’au jour où G. posa ses yeux sur elle. Un regard d’homme, des déclarations d’amour passionnées, signées d’une célébrité, elle se sentit exister, se sentit désirée, et céda à ses avances. Elle consentit. Chaque jour G. l’attendait devant le collège et l’emmenait à l’hôtel. Mais elle avait 14 ans et lui 50. La mère laissait faire, le père avait disparu.

Au début, cette relation a comblé V., introduite dans les salons parisiens, accompagnant même G. lors de ses prestations télévisées. Elle se sentait importante, belle, côtoyait des gens intéressants. Et puis elle découvrit peu à peu que G. menait plusieurs relations à la fois, que d’autres fillettes couchaient avec lui. De plus il voyageait régulièrement en Indonésie pour se payer les services sexuels de jeunes garçons. Tout cela, il le décrivait dans ses livres, sans que personne n’y trouve rien à redire, au contraire, on lui décernait des prix. V. déstabilisée, malheureuse, s’interrogeait, mais à qui confier l’indicible ? Elle n’avait plus d’amis à elle. Elle voulait rompre, mais G. refusait de lâcher sa proie.

Honteuse de ses actes, complètement sous influence, il lui faudra des années de galère, d’errance, de psychothérapie, avant de comprendre qu’elle n’était pas coupable, mais victime. C’est par l’écriture qu’elle pourra enfin se reconstruire. Libérer ce secret qui l’étouffait et l’empêchait de vivre depuis des années.

Un témoignage nécessaire, écrit sans pathos, mais avec l’espoir de démonter le processus, d’empêcher qu’il se reproduise. Et que les paroles se libèrent enfin.


Chronique publiée dans le JTT.

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