Vanessa Springora raconte sa descente aux enfers, connue et
tolérée alors par le milieu artistique. Un constat accablant pour notre société :
dans les années 1990, on pratiquait une bienveillance décomplexée par rapport
aux prédateurs sexuels, consommateurs de jeunes adolescents. Le photographe
David Hamilton, le peintre Balthus, le cinéaste R. Polanski … et dans ce livre
l’auteur Gabriel Matzneff, mettaient en scène leur goût pour les nymphettes
sous les applaudissements des critiques.
Vanessa fut une de ces proies. Dans sa famille désunie, père
absent, violent et volage, mère dépassée multipliant les amants, elle ne
comptait pas. Petite adolescente introvertie, elle se sentait rejetée,
différente et surtout laide, jusqu’au jour où G. posa ses yeux sur elle. Un
regard d’homme, des déclarations d’amour passionnées, signées d’une célébrité,
elle se sentit exister, se sentit désirée, et céda à ses avances. Elle consentit.
Chaque jour G. l’attendait devant le collège et l’emmenait à l’hôtel. Mais elle
avait 14 ans et lui 50. La mère laissait faire, le père avait disparu.
Au début, cette relation a comblé V., introduite dans les
salons parisiens, accompagnant même G. lors de ses prestations télévisées. Elle
se sentait importante, belle, côtoyait des gens intéressants. Et puis elle
découvrit peu à peu que G. menait plusieurs relations à la fois, que d’autres
fillettes couchaient avec lui. De plus il voyageait régulièrement en Indonésie
pour se payer les services sexuels de jeunes garçons. Tout cela, il le décrivait
dans ses livres, sans que personne n’y trouve rien à redire, au contraire, on
lui décernait des prix. V. déstabilisée, malheureuse, s’interrogeait, mais à
qui confier l’indicible ? Elle n’avait plus d’amis à elle. Elle voulait
rompre, mais G. refusait de lâcher sa proie.
Honteuse de ses actes, complètement sous influence, il lui
faudra des années de galère, d’errance, de psychothérapie, avant de comprendre
qu’elle n’était pas coupable, mais victime. C’est par l’écriture qu’elle pourra
enfin se reconstruire. Libérer ce secret qui l’étouffait et l’empêchait de
vivre depuis des années.
Un témoignage nécessaire, écrit sans pathos, mais avec
l’espoir de démonter le processus, d’empêcher qu’il se reproduise. Et que les
paroles se libèrent enfin.
Chronique publiée dans le JTT.
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