samedi 28 octobre 2017

Ganagobie, une halte spirituelle en Haute Provence

C'est un lieu magique, enfoui dans une forêt de chênes verts, posé sur un plateau calcaire qui domine la Durance. Une route escarpée grimpe parmi les pins d'Alep traversés de soleil. Parfois quelques murs de pierres sèches apparaissent au détour d'un virage, vestiges des terrasses cultivées d'antan. Car le site a été habité depuis la Préhistoire, ses hautes falaises (650 m) le protégeaient, ses sources lui permettaient l'autonomie. Tout en haut, le panorama sur la vallée de la Durance, le plateau de Valensole, la montagne de Lure est spectaculaire. Un sentier de lapiaz permet de faire le tour du plateau, varier les points de vue, et découvrir des carrières (anciennes meules taillées), des grottes, des fontaines, et même un ancien village fortifié en ruines.

Mais le site emblématique, c'est l'abbaye de Ganagobie. Un superbe ensemble conventuel, dont la pierre blonde est magnifiée par les rayons du soleil. Son histoire est complexe, construite au Xème siècle, embellie au XIIème, détruite à la Révolution, abandonnée, pillée. Depuis 1992, les bénédictins de l'abbaye de Hautecombe ont repris possession des lieux pour y vivre en communauté. Les murs ont été redressés, les forêts débroussaillées, les nécropoles mises à jour, et l'église Notre-Dame a bénéficié d'une mise en valeur exceptionnelle. L'élégant porche roman est parfaitement restauré, la décoration du tympan, du linteau, soulignés par colonnettes et chapiteaux, mêlant feuilles d'acanthes et scènes religieuses, est superbe. A l'intérieur, dans un état de conservation exceptionnel, une superbe mosaïque du XIIème siècle, en marbre blanc, grès rose et calcaire noir. Ce vaste tapis de 72 mètres-carrés, mettant en scène le Bien et le Mal, sous forme d'animaux fantastiques, de chevaliers armés, de savantes géométries, couvre le sol du chœur et du transept. 
Les vitraux brisés ont été remplacés par d'autres, délicatement colorés, d'inspiration abstraite, signés du Père Kim En Joong, artiste mondialement célèbre.

La règle de Saint Benoît : prière, travail et fraternité, est observée à la lettre, puisque le monastère, à côté de la vie liturgique, l'entretien des bâtiments et du domaine, organise l'accueil de retraitants et la production et vente, dans la boutique attenante, de baumes, miels et confitures réputés. L'immense bibliothèque, creusée dans la roche, contient un trésor de huit mille ouvrages anciens, dont un important fonds provençal accessible aux chercheurs. Et la nuit, nulle lumière ne trouble la contemplation du ciel et des étoiles.

Article publié dans le JTT du jeudi 26 octobre.


samedi 21 octobre 2017

Henri Mouhot, explorateur génial et méconnu


Nul n’est prophète en son pays. C’est particulièrement vrai pour Henri Mouhot, né à Montbéliard en 1828, explorateur et naturaliste de haute volée, que ses expéditions en Asie du sud-est ont conduit à redécouvrir notamment les temples d’Angkor. Grand voyageur et photographe très apprécié partout en Europe, il a aussi tissé en Indo-Chine des liens amicaux avec les rois de Siam, du Cambodge, du Laos, ainsi qu’avec leurs populations. Par ses expéditions, il a collecté une quantité importante de coquillages, insectes, papillons, serpents, laissé des carnets riches en descriptions géographiques, botaniques et ethnographiques, ainsi que de nombreux dessins et aquarelles. Ajoutons que ce touche-à-tout de génie était unanimement reconnu comme savant, modeste, chaleureux … Eh bien, cet homme exceptionnel, célèbre dans le monde anglo-saxon, n’est connu ni en France, ni même en Franche-Comté !
Dès l’adolescence, Henri Mouhot manifeste un goût pour les voyages lointains et aventureux. C’est ainsi qu’à 18 ans, il part enseigner le français à Saint Pétersbourg, comme de nombreux Montbéliardais de l’époque. Pourquoi ? Parce que la princesse Sophie-Dorothée de Montbéliard était devenue tsarine en épousant Paul Ier, et à la cour de Russie, on parlait français. Il y reste une dizaine d’années, enseignant à Saint-Pétersbourg, puis à Moscou, à Voronej sur le Don. Il en profite pour parcourir l’immense empire russe. Il observe, prend des notes, dessine et photographie, une science récente à laquelle il s’initie sous la houlette d’un élève de Daguerre.
Retour en France en 1854. Avec son frère Charles, il entreprend de sillonner l'Europe, photographiant, exposant les clichés, expliquant l’usage du matériel. Puis il se marie … avec une anglaise, Ann Park, liée à la famille de Mungo Park, célèbre explorateur britannique, et s’installe à Jersey. Mais le virus des voyages est le plus fort. Henri Mouhot, grand lecteur de récits exotiques, veut partir à la découverte des contrées mystérieuses de l’Asie du sud-est. Malgré ses demandes, le gouvernement de Napoléon III refuse de l’aider, il doit se financer lui-même, avec le soutien de la vénérable Royal Geographical Society de Londres.
Le 27 avril 1858 il s’embarque à Londres avec le projet d’explorer les royaumes de Siam, de Cambodge et de Laos et les tribus qui occupent le bassin du grand fleuve Mékong.  Il débarque à Bangkok, cité cosmopolite, est reçu par le roi qui lui donne l’autorisation d’explorer le pays. Et part sur une simple pirogue, en compagnie de deux rameurs et de son inséparable chien. L’aventure commence. Cette première exploration dans une région inviolée par l’homme blanc est l’occasion de se familiariser avec les populations, les usages, d’apprendre à se déplacer et à vivre dans une nature souvent hostile et d’accumuler une somme considérable de connaissances sur la faune et la flore, qu’il consigne dans ses carnets.

Retour à Bangkok, étiquetage, conditionnement, classement des collections de papillons, mise au propre des notes, envoi des caisses par bateau à Londres. Puis il repart le 23 décembre 1858 pour une deuxième expédition. A bord d’une barque de pêcheur il explore les archipels du golfe du Siam, au prix de réels dangers (naufrage, présence de pirates), puis aborde le rivage cambodgien à Kampot. Fort de l’appui du roi, il part reconnaître des territoires des « sauvages Stiengs », dont il étudiera les mœurs, montrant ses qualités d’ethnologue. Puis il se dirige vers l’ouest du pays, attiré par des rumeurs selon lesquelles un immense palais, oublié et englouti dans la jungle, a pu servir de capitale à un « grand empire khmer ». Accompagné par un missionnaire français, il se met en route vers la cité mythique.

Après trois jours de marche dans la jungle, c’est le choc. Le 4 avril 1860, Angkor apparaît. Son enthousiasme est sans bornes. Pendant plus d’un mois, il relève les moindres détails du monument, arpente, mesure, dessine, décrit. Et quand ses travaux parviennent en Europe, c’est l’émerveillement
La troisième expédition dure 4 mois au Siam, l’occasion de récolter serpents, coléoptères, de laisser son nom à certaines espèces de coquillages. La quatrième le conduit encore plus loin, au Laos, en traversant à dos d’éléphant la jungle jusqu’à Luang Prabang. 
En septembre 1861, épuisé, il s’arrête près de Na Lè, au bord du Nam Kam. Atteint par la fièvre jaune, il meurt le 10 novembre 1861, à 35 ans. Ses serviteurs l’enterrent et rapportent ses bagages au consulat français.
Son frère et sa veuve feront publier ses carnets et donneront ses collections à différents musées.

Henri Mouhot fut un homme et un explorateur exceptionnel. Ses renseignements précis et complets ont permis de connaître et de comprendre l’Asie du sud-est. Ses carnets ont connu un succès mondial. Ses collections ont enrichi les musées anglais. A l’heure où il n’y a plus de terres inconnues à découvrir, c’est la vie et l’œuvre d’Henri Mouhot, qui méritent d’être explorées !

Article publié dans l'Esprit Comtois.

jeudi 12 octobre 2017

Chronique littéraire : Maman, de Sylvie Vartan

On connait tous Sylvie, vedette de la chanson française depuis la période yéyé. Avec ses shows à l’américaine, elle a fait une carrière internationale, est devenue pour le public l’icône d’un monde de paillettes. Mais si sa vie actuelle ressemble à un conte de fées, il n’en a pas toujours été ainsi.

Dans cette biographie rédigée à l’aide de Lionel Duroy, Sylvie Vartan raconte son enfance en Bulgarie, sa fuite de la dictature communiste à l’âge de huit ans, son arrivée en famille à Paris, avec une malle en osier pour tout bagage. Le père, la mère, Sylvie et son frère Eddie, ont vécu tous les quatre dans une unique chambre d’hôtel pendant quatre ans. Les enfants ont dû apprendre le français, s’intégrer à l’école. Grâce au travail des parents, au soutien des amis, leur situation de réfugiés miséreux s’est peu à peu améliorée. Une salle de bains au bout de deux ans, puis un appartement en cité. Jusqu’à l’émergence d’Eddie, puis de Sylvie, dans la musique et le showbiz.
Une telle enfance vous marque pour toujours. Sylvie a voué toute sa vie un attachement fusionnel à sa mère qui lui a sauvé la vie et appris à se réjouir du moindre petit bonheur. Une mère qui, elle aussi, avait connu quelques décennies avant le même destin d’émigrée, fuyant la Hongrie à l’âge de 8 ans avec ses parents, pour se réfugier à Sofia en Bulgarie. Eddie lui ne s’est jamais remis de son adolescence fracassée par la misère et le rejet, traînant son mal de vivre. 

C’est en Amérique que Sylvie a refait sa vie. Qu’elle a adopté une petite fille bulgare, reproduisant ainsi à sa façon le destin des émigrés, déplacés de génération en génération. Mais avec l’amour comme viatique, on peut soulever des montagnes. C’est la belle morale de ce récit émouvant, qui tord le cou aux idées reçues.

« Maman » est disponible en poche chez J’ai lu.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 5 octobre 2017.

jeudi 5 octobre 2017

La découverte des gorges du Verdon

En un siècle, la région du Verdon a subi un bouleversement total. Terre isolée, aride, peu peuplée, où la survie était difficile, elle n'était guère chantée que par les poètes comme Giono. L'exploration complète des gorges du Verdon, les travaux hydrauliques qui ont suivi, la création d'infrastructures touristiques, ont transformé cette partie ingrate de la Haute Provence en une région bénie des dieux.

Le Verdon est une rivière tumultueuse qui prend sa source à 2819 m près du col d'Allos et se jette dans la Durance 175 km plus bas, à Vinon, près de Manosque. Il a creusé un canyon vertigineux, le plus grand d'Europe, avec des falaises hautes de 700 m. Curieusement, celui-ci n'a pas connu la notoriété précoce de son grand frère étatsunien, déjà Parc national en 1919. La faute à l'enclavement de la Haute Provence, sa pauvreté, l'absence d'infrastructures routières. Et le danger à pénétrer dans les gorges, aux crues redoutables. Seuls les locaux connaissaient quelques accès au torrent, depuis leurs villages perchés, ainsi que la présence de grottes habitées dès le paléolithique (60 sites préhistoriques découverts, dont le musée de la Préhistoire de Quinson conserve les collections).

A la fin du 19ème siècle, le Touring Club de France et le Club Alpin commencent à promouvoir le site sauvage et spectaculaire des gorges : aménagement d'un sentier d'accès au Verdon, d'une route en corniche, avec belvédères, et d'un refuge. Mais le cours du Verdon reste inaccessible. Par ailleurs un problème plus global se pose : assurer l'approvisionnement en eau potable des villes comme Aix, Toulon et Marseille, dont la population explose. Solution : Capter les eaux abondantes du Verdon et donc entreprendre des travaux hydrauliques. Des tunnels de dérivation, des canaux sont construits à la pioche par des centaines d'ouvriers piémontais.

En août 1905, l'exploration complète des gorges du Verdon est tentée par le spéléologue, géographe et hydraulicien Edouard-Alfred Martel. C'est une aventure dangereuse, mais parfaitement préparée. Une quinzaine d'hommes, dirigés par Martel et guidés par Isidore Blanc, l'instituteur du pays, fin connaisseur des lieux, arrivent en 4 jours à descendre le canyon du Verdon de bout en bout. Leurs lourdes embarcations sont endommagées dans les remous, portées dans les chaos rocheux, les bains forcés sont nombreux, le matériel éparpillé. Le ravitaillement n'est pas toujours assuré depuis les falaises, mais tout le monde s'en sort vivant. Le Verdon a été vaincu, toute la presse relate l'exploit.
Les relevés de Martel puis d'autres scientifiques servent à élaborer de nouveaux travaux hydrauliques. Cinq barrages et autant de retenues d'eau sont édifiés entre 1929 et 1975. Les terres agricoles voisines bénéficient alors d'une irrigation bienvenue, l'eau potable est acheminée en ville. Les routes d'accès se multiplient et le tourisme se développe rapidement.

Depuis les lacs de Sainte-Croix et d'Esparron, on peut maintenant pénétrer dans les gorges jadis infranchissables, se promener en pédalo ou en paddle dans une partie du canyon. On peut aussi randonner sur l'aérien sentier Blanc-Martel, long d'une vingtaine de km environ. La région du Verdon est devenue en 1997 un Parc Naturel Régional. Actuellement ses 188 000 hectares accueillent plus d'un million de touristes chaque année. Lacs et torrent aux eaux turquoise, sentiers de randonnées, routes en corniche, points de vue sublimes, c'est le lieu privilégié de tous les amateurs de nature, de sport, de faune et flore sauvages.

A voir :
Le film Verdon Secret, qui retrace l'épopée Blanc- Martel avec des images spectaculaires.

Article publié dans le JTT du jeudi 28 septembre 2017.