lundi 30 novembre 2015

Festival Entrevues : Voyage à Tokyo

A l’occasion de la 30ème édition du festival international du film de Belfort, les organisateurs ont joué aux cadavres exquis. Ils ont demandé aux trente cinéastes qui ont fait la renommée d'Entrevues de choisir un film culte, à partir de la dernière image d’un autre film. Jafar Panahi a choisi « Voyage à Tokyo » de Yasujiro Uzo (1953).

Un film magnifique sur les liens familiaux, et leur évolution au fil des âges. Deux personnes âgées font le voyage depuis leur campagne jusqu’à la lointaine capitale, afin de revoir leurs enfants et petits-enfants qui y vivent depuis des années. Après la joie des retrouvailles, ils s’aperçoivent qu’aucun de leurs enfants, pris par leurs obligations, ne trouve le temps de s’occuper d’eux. La narration est maîtrisée, elle suggère, précise, mais ne juge pas.
Le Japon est alors en pleine mutation,  il se relève difficilement de la guerre . Précarité des emplois, logements minuscules, familles en deuil. Le couple âgé se sent perdu dans la métropole, le décalage est trop fort. Les rituels de politesse subsistent encore, mais le respect des anciens comme la soumission des femmes s’effacent progressivement. Une vie trépidante s’installe.

Ce qui surprend dans ce film, c’est la finesse de l’analyse des relations, et leur actualité. Malgré le décalage de société, d’époque, de lieu, les émotions passent. Le contexte japonais codifié, esthétique, leur laisse toute la place. Ce film de plus de deux heures, aux plans lents, permet de s’immerger totalement dans la culture japonaise. Et d’observer les réactions universelles d’une famille devant l’absence, la maladie, le travail, le deuil. Tout est dit sobrement, et  rien n’a changé depuis 1953. Du grand art.


jeudi 26 novembre 2015

Paola Pigani aux Petites Fugues

Vendredi 27 novembre, la Bibliothèque de Grandvillars accueille l'auteure Paola Pigani, dans le cadre des Petits Fugues de Franche-Comté.
Paola Pigani est née en 1963 de parents italiens émigrés en Charente. Domiciliée à Lyon, éducatrice de jeunes enfants, elle partage son temps entre le monde de l'enfance et l'écriture. Elle a publié plusieurs recueils de poésie et de nouvelles. Ses deux derniers romans collent à l’actualité, mais avec sensibilité et distance historique. 

N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures s’inspire de l’incarcération des Roms par Pétain, à travers le personnage d'Alba. Cette jeune fille de quatorze ans entre dans un camp d'internement  près d'Angoulême avec les siens, en 1940 , elle passera là six longues années, rythmées par l’appel du matin, la soupe bleue à force d’être claire, le retour des hommes après leur journée de travail…
Venus d’ailleurs suit le chemin d’exil de deux migrants, Mirko et sa soeur Simona, depuis le Kosovo en guerre. Passage clandestin des frontières,  mois d’attente dans un centre de transit avant d’obtenir le statut de réfugié, petits boulots pour survivre, solitude d’un foyer anonyme. En filigrane, la beauté de la ville, le hasard des rencontres, le goût amer de la nostalgie...

A partir de 18h30, la Bibliothèque de Grandvillars vous propose une heure d’échanges avec Paola Pigani, une lecture d'extraits, suivies d’un moment convivial. Et c’est gratuit !

N'entre pas dans mon âme avec tes chaussures et Venus d'ailleurs sont tous deux édités chez Liana Levi.

vendredi 20 novembre 2015

Chronique littéraire : La nuit de Maritzburg, de Gilbert Sinoué

Lire, c'est résister à la pensée unique.

Ce roman passionnant dévoile une partie de l'histoire d'un homme qui a bouleversé la vie de millions d'autres, par une théorie qui paraissait totalement inefficace : la non-violence. A-t-elle encore sa place dans notre monde ? Seul l'avenir le dira. Mais l'incroyable détermination de Gandhi en dépit des obstacles donne de l'espoir, et matière à réfléchir.

Il est question ici d'un Gandhi méconnu, celui d’avant la lutte pour l’autonomie de l’Inde. En 1893, jeune avocat diplômé de l’université de Londres, il est sollicité par une entreprise indienne pour défendre ses intérêts  en Afrique du Sud. C’est là qu’il découvre une situation sociale explosive. C’est là qu’il mûrit, développe et expérimente sa théorie de la non-violence, pendant un combat de plus de vingt ans.

A Johannesburg, comme dans toute l’Afrique du Sud, les travailleurs immigrés Indiens sont relégués à un statut d’esclaves par les Blancs, alors qu'ils sont considérés à l’égal des citoyens Anglais en Inde. Gandhi va l'expérimenter à ses dépens. Une nuit, à Maritzburg, il se fait expulser brutalement de la première classe du train, interdite aux gens de couleur. 
Commence alors une lutte par tous les moyens légaux contre les lois ségrégationnistes : grèves, pétitions, manifestations. Gandhi harcèle le gouvernement sud-africain, malgré les menaces, chantages, mensonges, emprisonnements, bastonnades. Acceptant les insultes et les coups, tout comme ses amis et disciples, en particulier Hermann Kallenbach, brillant architecte d’origine allemande, dont les lettres  témoignent d’une amitié fusionnelle avec lui. Gandhi évolue peu à peu, passant d’une vie bourgeoise à une vie ascétique, se transformant en gourou, capable de mobiliser les foules, mais aussi d’exiger la soumission totale de sa famille et de ses adeptes. Un personnage ambivalent, charismatique mais aussi tyrannique.

Gilbert Sinoué tisse à merveille les documents et lettres d’époque avec la fiction romanesque, révélant l’ambiguïté du grand homme, et les pans méconnus de son itinéraire.
Né en 1947 au Caire, cet écrivain, musicien  et scénariste français est l’auteur de nombreux romans historiques inspirés par l’Orient.

"La nuit de Maritzburg" est disponible en poche chez J’ai Lu.

Chronique publiée dans le JTT.


lundi 16 novembre 2015

Un dessin de Carlos Latuff (Brésil).



Et les paroles du pape François:
"... la voie de la violence et de la haine ne résout pas les problèmes de l'humanité et utiliser le nom de Dieu pour justifier ce chemin de violence est un blasphème"...

samedi 14 novembre 2015

La p'tite vache qui monte, qui monte...

Qui monte à Paris ... au très réputé Salon du Made in France de la Porte de Versailles, les 6/7/8 novembre. Pour faire son entrée dans le monde des métiers d'art, accueillie au pavillon de la Drôme, par le Département, qui a sélectionné la fine fleur des créateurs régionaux.

Qui est-elle ? C'est la vachette mascotte de la maroquinerie Faugier, à Tournon. Déclinée dans toutes les couleurs, du bleu électrique au rose bonbon, en cuir lisse ou à poils, unie ou tachetée, elle symbolise l'atelier tournonnais, où le savoir-faire de Florence, la maroquinière s'est allié à l'énergie créatrice de Maxime, l'homme du terroir.

Florence Faugier, formée dans les grandes entreprises du luxe, a conçu et réalisé une ligne complète d'accessoires de cuir, chics et contemporains. Porte-feuilles, sacs, ceintures, étuis, déclinés dans les coloris cerise, chocolat ou jean, avec priorité à la matière, la qualité du travail et le design. Elle réalise aussi des créations sur mesure, pour les particuliers comme les entreprises, avec le souci de l'innovation et de la personnalisation. Tout est fabriqué de façon artisanale, par Florence et Maxime, avec un matériau de qualité : le veau pleine fleur. D'où l'idée de la vachette comme mascotte de leur production haut de gamme. 

De toutes tailles, du porte-clé au siège, les p'tites vaches décorent avec humour un bureau, une poignée de sac, une entrée. C'est le cadeau idéal, qu'on peut acheter directement à l'atelier, ou envoyer par courrier à des amis lointains. Car les créateurs ont eu l'idée géniale de concevoir le modèle en kit : vous achetez la vachette prédécoupée dans le cuir de votre choix, avec une attache parisienne et le mode d'emploi, simplissime, du montage. Vous glissez le tout dans une enveloppe, et votre correspondant reçoit sa vachette à réaliser lui-même ! Un cadeau-gag original et décoratif. Et une vachement bonne idée, en période de fêtes ...

Atelier-Boutique Florence Faugier, 7 Grande Rue, 07300 Tournon sur Rhône.
www.faugierfrance.com

On peut aussi commander sa vachette sur Internet, et visionner le montage, sur le site : www.mavachette.com.

Article publié dans le JTT.

lundi 9 novembre 2015

Le bicentenaire du Traité de Vienne (1815 ) : La Suisse redessinée

En 1814, après la défaite de Napoléon, les grandes puissances victorieuses se réunirent en congrès à Vienne pour réorganiser les frontières de l’Europe. Fêtes somptueuses et négociations secrètes se succédèrent pendant des mois, Metternich et Talleyrand s'y distinguèrent, un nouvel équilibre de l’Europe se dessina. Et s’il est un pays pour lequel le Congrès fut déterminant, c’est la Suisse.
A Bienne, l’exposition "La Suisse redessinée" au Nouveau Musée explore ce chapitre décisif de l’histoire suisse. En insistant sur la situation très particulière de la ville, ballottée de l'Evéché de Bâle à la république Rauracienne en 1792, du département français du Mont Terrible, créé par Bonaparte en 1793, à celui du Haut-Rhin en 1800, avant d'être intégrée au canton de Berne en 1815.

La confédération suisse n’a pas été épargnée par l’épopée napoléonienne. Envahie par les armées, ingérable car en proie à de permanentes dissensions, elle fut annexée par Bonaparte en 1798, qui instaura une république helvétique sous protectorat français. Il réforma les lois administratives, juridiques, en profita pour lever des troupes (12 000 à 15 000 Suisses dans la Grande Armée). Et imposa un gouvernement  fédéral, le seul compatible avec la rivalité des cantons. Il signa en février 1803 l’Acte de Médiation, qui  réunit  pour la première fois dix-neuf cantons.

Après la défaite de Napoléon, l'invasion par les troupes autrichiennes, les querelles entre cantons resurgirent, et la Suisse laissa les grandes puissances décider de son destin. Sauf qu’elle bénéficiait d’un atout de poids : le Vaudois Frédéric-César de la Harpe, précepteur puis secrétaire du tsar Alexandre Ier, participait aux débats. Il négocia le ralliement des cantons de Vaud, Argovie et Tessin aux autres cantons. L’organisation fédérale et la neutralité officielle de la Suisse furent établies dans l’acte final du Congrès de Vienne, en juin 1815.

1815 fut une année riche en bouleversements, et pas seulement politiques. L'exposition rappelle un événement (d)étonnant, en écho à nos préoccupations actuelles : l’éruption du volcan indonésien Tambora, à l'origine d'un terrible changement climatique. L’éruption, les raz de marée, détruisirent en partie l’Indonésie, tandis que l'énorme nuage de cendres fit baisser la température de la planète entière pendant plusieurs années, ruinant les récoltes, provoquant disettes, épidémies et révoltes en Europe. Une tragédie d'une ampleur comparable  à l'éruption de Santorin, qui entraîna la fin de la civilisation minoenne en 1650 avant J.-C..
Les soubresauts de de la planète entraînant des bouleversements politiques... De quoi s'interroger.

Pour les passionnés d'histoire globale :
"La Suisse redessinée", au Nouveau Musée de Bienne, jusqu’au 10/01/2016.
http://www.nmbienne.ch/

Sur le même sujet, mais d'un point de vue local : "Le Jura en Berne", au Musée de l'Hôtel-Dieu de Porrentruy, jusqu'au 27/03/2016.
http://www.mhdp.ch

Article publié dans le JTT.

jeudi 5 novembre 2015

Le transport fluvial : une alternative éco-logistique


De nombreux riverains ont profité du soleil et des vacances, pour visiter les deux péniches amarrées vendredi et samedi, quai Defer à Tain. Banderoles, drapeaux, affiches sérigraphiées, chapiteau, impossible d'ignorer qu'il se passait quelque chose à bord. Mais quoi ? Une promotion du transport fluvial à l'échelle régionale. L'expérimentation d'une pratique écologique, à la fois dans l'air du temps et dans la continuité de la tradition marinière.

Sur la péniche Alizarine, le capitaine Raphaël et son matelot Cécile accueillaient les curieux, ravis de franchir la passerelle. A côté, sur la Tourmente, capitaine Sam et matelot Denis faisaient de même. Dans leurs cales, un stock de marchandises régionales en transit, vins et conserves d'Ardèche, miel et riz de Camargue, huile et confitures, potirons, transportés de Sète à Paris pour l'une, de Sète à Bordeaux pour l'autre, soit 1500 km par fleuves, rivières et canaux. Pas question, pour ces péniches des années 1930, bien restaurées, de vitesse performante : il faut compter 21 jours pour faire le trajet de Sète à Paris, avec une escale chaque soir, pour charger ou décharger les produits, informer le public, faire de la publicité, contacter les producteurs.
Au bout du voyage, la participation à la COP 21 à Paris, la fameuse conférence internationale sur le climat. Les Voies Navigables de France organisent l'accueil de l'Alizarine, espèrent la présence de la ministre de l’Écologie, pour soutenir ce projet de ligne régulière fluviale empruntant la plus ancienne "route des vins". Un potage avec les potirons transportés sera concoté par Cécile, porteuse du message : si on ne peut pas changer le climat, changeons nos pratiques!

En France, le transport fluvial bénéficie du meilleur réseau d'Europe, mais il a été abandonné au profit du transport routier. Pourtant il faut une colonne de camions pour transporter autant de frêt qu'une seule péniche (les plus gros gabarits transportent jusqu'à l'équivalent de 200 camions). En Allemagne, le transport fluvial est incessant, on compte un bateau de commerce sur le Rhin toutes les 5 secondes, contre un toutes les 5 heures sur le Rhône.
A l'heure des économies d'énergie, des routes embouteillées, des accidents multiples, un transport qui réduit la consommation d'énergie, ce n'est pas une idée ... barge !

En savoir plus : http://bateau-alizarine.fr/

Article publié dans le JTT.

dimanche 1 novembre 2015

Chronique littéraire : La dernière séance, de Chahdortt Djavann

Pas question de cinéma ici, malgré une suite de péripéties digne d’un grand film, mais de psychanalyse. Le roman alterne la progression des séances chez un psy parisien, une rare immersion dans cette thérapie mystérieuse, avec la relation du parcours de Donya, jeune étudiante iranienne obligée de fuir son pays.

Une enfance brisée, une adolescence dans l’Iran déchiré où sévissent la terreur, la violence, la répression sous le régime des mollahs. Un viol collectif par ces gardiens de l’ordre moral.  La fuite à Istanbul, à vingt ans, où il faut survivre, entre danse orientale, job dans une clinique et études. L’obligation de se rendre en Bulgarie pour renouveler le permis de séjour, tous les trois mois, dans des conditions apocalyptiques. Jusqu’à l’arrivée comme réfugiée à Paris, pour recommencer une autre vie, apprendre une nouvelle langue, de nouveaux codes.
Donya survit difficilement, elle est détruite intérieurement, aussi, dès qu’elle manie correctement le français, elle entreprend une psychanalyse. Mais la psychanalyse ne règle rien, la vie personnelle désastreuse du psychanalyste en illustre les limites. Quant au monde occidental, ce paradis idéalisé, quelle déception ! Des gens libres qui ne savent pas en profiter. Personne n’écoute la douleur de Donya.
Finalement, l’écriture se révèle la vraie thérapie. En abandonnant le persan, langue de son enfance et de son malheur, pour le français, elle pourra enfin exprimer sa révolte.

Chahdortt Djavann s’est largement inspirée de son propre parcours pour écrire "Je ne suis pas celle que je suis", puis "La dernière séance". Arrivée en France en 1993, elle a mis toute son énergie à assimiler au plus vite la langue française, multipliant les petits boulots pour payer ses études de littérature et psychologie. Critique de l’intégrisme musulman, elle a écrit de nombreux articles, romans et essais exprimant sa révolte, et sa lutte pour l'émancipation des femmes, dont le très remarqué "Bas les voiles !"

"Je ne suis pas celle que je suis" et "La dernière séance" sont disponibles en Livre de poche.

Chronique publiée dans le JTT.