lundi 30 mars 2015

Dis-moi dix mots … en russe : Скажи мне десять слов

Mon séjour à Saint-Pétersbourg coïncidant avec la semaine de la Francophonie, j'ai pris contact avec l'Institut Culturel Français de la ville et proposé d'animer un atelier d'écriture en français, sur le thème Dis-moi dix mots. C'est ainsi que je me suis retrouvée vendredi 20 mars devant l'école bilingue n°171, avenue Maïakovski. Une belle façade classique, derrière la porte cochère un concierge à son guichet, et un immense vestiaire bourdonnant d'élèves. Première surprise : tous portaient l'uniforme, costume noir, chemise blanche et cravate pour les garçons, jupe et veste noirs, chemisier blanc ou noir pour les filles. Plus loin, une cour intérieure, où plusieurs groupes de lycéens rangés sagement observaient l'éclipse de soleil. Un professeur nous a conduits au 4° étage, le temps d'apprécier l'attitude respectueuse des élèves, qui s'effaçaient pour nous laisser passer dans les escaliers, devant les portes.

Dans la salle une dizaine d'élèves de 15-16 ans et leur prof de français m'attendaient. J'ai distribué les plaquettes apportées de France. Les mots proposés étaient éclectiques, certains franchement inusités : amalgame, bravo, cibler, gris-gris, inuit, kermesse, kitsch, sérendipité, wi-fi, zénitude. Lecture à voix haute, explications détaillées de leur sens, avant d'utiliser ces mots. Comme dans toute classe, des élèves motivés, d'autres passifs. Devant eux une simple feuille de papier mais un beau smartphone ! Après un échauffement individuel, leur niveau de français étant hétérogène, j'ai proposé un jeu collectif autour des sons. Ils ont accroché, et se sont lancés dans la recherche de mots et l'écriture de phrases. Le temps a passé d'autant plus vite qu'en Russie les cours durent 45 minutes, suivis de 15 minutes de pause. Quand la sonnerie a retenti, les élèves se sont envolés comme une nuée de pies noires et blanches, après m'avoir remerciée.

Retour à l'Institut français, sur Nevski Prospekt, l'artère chic de la ville. Petit détail historique : c'est dans cet imposant bâtiment que Sacha Guitry est né en 1885, son père dirigeait alors la troupe de comédiens de la Cour Impériale. La responsable, qui avait participé avec plaisir à l'atelier, m'a proposé un cappucino au café voisin. L'occasion de bavarder en toute complicité, d'échanger nos points de vue, un plaisir du voyage. Dans ma quête de documents sur Quarenghi, je me suis renseignée sur la possibilité de visiter la Bibliothèque d'archives russes. Elle m'a alors raconté l'histoire extraordinaire du Fonds Voltaire …



mercredi 25 mars 2015

Saint-Pétersbourg, sur les traces de Giacomo Quarenghi

C'est une recherche généalogique passionnante, qui évolue au fil de rencontres de hasard. Lors d'un premier séjour dans cette belle capitale bâtie sur l'embouchure de la Neva, en visitant le palais de l'Ermitage, le guide mentionne l'architecte Quarenghi. C'est mon nom, je prête l'oreille. Apparemment très apprécié de Catherine II, cet architecte a effectué de nombreux travaux dans son Palais d'Hiver, lorsque la mode baroque a cédé place au classicisme dont il était féru. Entre autres l'aménagement des Loges de Raphaël, copiées sur celles de Rome.
Une recherche sur Wikipedia me fournit une biographie sommaire. Né dans la région de Bergame en 1744, dans une famille de petite noblesse, études d'art à Rome, architecte de la grande Catherine, spécialiste du néoclassicisme. Mort et enterré à Saint-Pétersbourg, en 1817. Quelques obscures publications italiennes anciennes sur lui. Je reste sur ma faim.

Quand je rencontre Elena, artiste venue de Saint-Pétersbourg, quelques années plus tard, et que je lui signale qu'un de mes ancêtres y a vécu, qu'il s'appelle Giacomo Quarenghi, elle s'enflamme. Mais il est très célèbre en Russie ! Elena connait bien les monuments de la ville, affirme qu' il a construit des dizaines de palais, bâtiments administratifs, églises, à Saint-Pétersbourg et ailleurs en Russie. A sa prochaine visite, elle me montrera des photos.

Au printemps dernier, je découvre sur ses clichés le Palais Youssoupov, le Manège de la Garde à cheval, le campanile de l'église Notre Dame de Vladimir, le marché couvert, la Bourse, l'Académie des Sciences, l'Institut Smolny... Elena explique qu'il a aussi travaillé dans les résidences d'été, à Peterhof, à Tsarskoie Selo, où le Palais Alexandre est considéré comme son chef d'oeuvre. Viens me voir, je te montrerai tout ça, il y a beaucoup de documents sur lui à Saint-Petersburg, je te servirai de guide et d'interprète...

Le livre qu'elle m'offre détaille toutes les réalisations, analyse l'oeuvre de Giacomo, inspirée par son maître Palladio. De mon côté, en traduisant Russipedia, grâce à Google, j'arrive à comprendre pourquoi cet artiste Italien réputé est si mal connu dans son pays. En 1812, les relations entre Napoléon et Alexandre n'étant pas au beau fixe, le gouvernement italien fait savoir à Quarenghi que s'il ne rentre pas au pays, il sera déchu de sa nationalité et condamné à mort. Le Chevalier de Quarenghi n'obtempère pas, il est dépouillé de ses biens et de son titre. Le tsar compense en l'anoblissant, il continue de travailler pour la Cour Impériale jusqu'à sa mort, à 73 ans.

Je suis retournée à Saint-Pétersbourg, j'ai admiré, depuis les quais de la Neva charriant les débris de glace, l'harmonie architecturale de la ville. Une cohérence classique dont la rigueur est adoucie par les couleurs vives, vert, jaune, rose, orange, bleu. J'ai longé les bâtiments construits par Giacomo, trouvé sa tombe, à la Laure Nevski, le cimetière des célébrités. Un monument sobre, au milieu des sépultures grandioses d'aristocrates, artistes et savants renommés. Apothéose de mon séjour, le spectacle de ballet dans l'intimité du théâtre de l'Ermitage. Ce théâtre de 250 places est un hommage de Giacomo à Palladio, il reprend le modèle du Teatro olimpico de Vicenza, en l'enrichissant des décors de la Cour Impériale. Un écrin merveilleux pour applaudir les Ballets Russes et l'orchestre de Saint-Pétersbourg interprétant la Belle au bois dormant de Tchaïkovski.


samedi 21 mars 2015

Chronique littéraire jeunesse : La trilogie Nina Volkovitch, de Carole Trébor

Une quête ? Un roman initiatique sur fond de Russie ? Cette  trilogie historique et fantastique, qui se déroule à la fin de la dictature de Staline, en 1953, fait mouche auprès des jeunes lecteurs, mais pas seulement. Impossible de résister à l'intrigue ébouriffante !

L’histoire : Envoyée à l'orphelinat de Karakievo parce que ses parents sont considérés comme des ennemis du peuple, Nina Volkovitch a fait le serment de s'enfuir et de retrouver sa mère, emprisonnée dans un goulag de Sibérie. Mais comment s'enfuir d'un tel lieu quand on a quinze ans, et qu'on en paraît douze ? Ce qu'elle ne sait pas, c'est que sa mère a pris soin de dissimuler de précieux indices pour l'aider à s'échapper, mais aussi pour lui révéler les dons particuliers qu'elle possède sans le savoir. Car Nina est la descendante des Volkovitch, une illustre famille qui détient des pouvoirs aussi prodigieux que terrifiants. Et c'est elle, Nina, qui représente le dernier espoir face à un ennemi plus menaçant que la dictature soviétique...

L’auteur : Carole Trébor est historienne, écrivaine et réalisatrice. Bien connue à Tournon, elle travaille pour de nombreux festivals, dont celui des Humoristes. Pendant sa thèse de doctorat consacrée aux échanges artistiques entre la France et l’URSS (1945-1985), Carole s’est rendue aux archives de Moscou. Tenir entre ses mains des lettres de dénonciation et les décrets de liquidation du musée d'art occidental de Moscou, inconnu car censuré, a été pour elle une expérience déterminante, aussi romanesque que bouleversante.

La trilogie Nina Volkovitch (tome 1 : la lignée, tome 2 : le souffle, tome 3 : le combat) a reçu a reçu de nombreux prix littéraires. Sa parution en poche chez Gulf Stream est aussi une réussite esthétique, les illustrations sont superbes, la tranche des livres est dorée. Un beau symbole de l’art (l’âme) russe.


lundi 16 mars 2015

Chronique littéraire : Mali, ô Mali, de Erik Orsenna

Un conte africain, à l’écriture légère, mais qui révèle avec lucidité tous les problèmes du Mali,  et leur gravité : djihadistes et trafiquants en tous genres dans le désert, police et armée locale corrompues et incompétentes, misère, chômage, violence. La population prise en otage n’a d’autre solution qu’obéir aux rebelles armés ou fuir dans des camps de réfugiés, le Mali est en ruines, son passé dévasté.

Madame Bâ est une sorte de Jeanne d’Arc africaine. Ses voix lui dictent de faire quelque chose pour son pays. Elle décide de partir vers Tombouctou, au Nord, aux mains des Touaregs, pour lancer sa croisade : rouvrir les écoles, enseigner les moyens de contraception, donner de l’espoir aux femmes. Cette forte tête au charisme généreux est accompagnée de son neveu, qui lui sert de griot, pour consigner l’épopée. Les péripéties du voyage sont narrées avec un optimisme et un franc-parler jubilatoire.

Erik Orsenna a choisi de traduire par écrit la verve des conteurs africains, sous une forme à la fois poétique, philosophique et sociologique. Comme Madame Bâ, il ne mâche pas ses mots ! Le bilan est terrible, l’intervention des Français totalement illusoire contre l’immensité du Sahara et de ses dangers. Les habitants du Mali survivent grâce à la solidarité, la musique et l’espoir.

Erik Orsenna, né en 1947 à Paris, a reçu le Prix Goncourt en 1988 pour l’Exposition Coloniale. Romancier prolifique, après avoir été enseignant et chercheur en économie, conseiller culturel et plume de F. Mitterrand, il est entré à l’Académie Française en 1998. Grand voyageur, il est impliqué dans de nombreux programmes humanitaires et patrimoniaux. Son site : http://www.erik-orsenna.com/ est déjà une invitation au voyage.

Mali, ô Mali est maintenant disponible en Livre de Poche.

Chronique publiée dans le JTT.

jeudi 12 mars 2015

Quand les bijoux racontent l'histoire de Taïwan

Un titre intrigant, pour une exposition à la Bibliothèque historique du Lycée Gabriel Faure. En réalité une belle histoire de rencontres, d'amitié et ... de pédagogie.
C'est en l'honneur d'Alain Bresson, ancien élève, surveillant, puis professeur au lycée, décédé en 2014, que cette exposition a été conçue. Et comme Alain Bresson était alors professeur d'Arts Appliqués au lycée Amblard de Valence, c'est tout naturellement les travaux de ses élèves qui sont exposés.
Et quels travaux ! Les élèves de la section bijouterie-joaillerie du lycée Amblard sont des artistes, qui manient aussi bien le crayon, la gouache, que la matière, pierres et métaux. Alain Bresson leur avait donné comme sujet d'étude la création d'un bijou de tête symbolisant les différentes cultures constitutives de l'identité d'un pays du bout du monde : Taïwan.

Mais pourquoi Taïwan ? Par le biais d'une rencontre de hasard, judicieusement utilisée. Un jour, une prof de français du lycée Amblard sympathise avec une jeune artiste Taïwanaise, dans un cours ... d'arabe. La jeune femme, Li-Chin Lin, auteure de bandes dessinées, accepte d'intervenir au lycée pour faire connaître aux élèves son pays, dans le cadre de l'ouverture sur les autres cultures. Li-Chin Lin leur raconte l'histoire épique de l'île, jadis appelée Formose. Peuplée d'austronésiens, elle a été successivement envahie par les Portugais, les Hollandais, les Japonais, les Chinois, avant une relative indépendance.
Elle dessine, ils dessinent ... De ce langage artistique commun, naît un projet interdisciplinaire plus complet, avec pour thème Taïwan. Alain Bresson propose donc à ses élèves comme sujet d'étude de créer un bijou de tête représentatif de Taïwan. La consigne est d'utiliser les éléments symboliques des diverses civilisations qui s'y sont succédé : chrysanthème japonais, tulipe hollandaise, pivoine chinoise, orchidée aborigène et lys révolutionnaire, sans oublier l'émeraude portugaise.

Les études préliminaires, les gouaches, les maquettes exécutées par les élèves sont splendides de créativité, de finesse, d'harmonie, quelques appréciations détaillées soulignent le rôle éminent d'Alain Bresson à leurs côtés. L'exposition met parfaitement en valeur la formation qualifiante de ces futurs professionnels du bijou.En parallèle, les dessins de Li-Chin Lin, eux, racontent avec humour l'évolution de son pays à travers sa propre vie.
Artistique, sociologique, et mémorielle, cette exposition a mobilisé professeurs et élèves valentinois, venus en foule au vernissage, chaleureusement accueillis par leurs homologues tournonnais. Une belle histoire, dans un lieu chargé d'histoire.

Exposition visible à la Bibliothèque historique du lycée Gabriel Faure, tous les jeudis de 14h30 à 17h30 jusqu'au 4 mai, hors vacances scolaires.

Article publié dans le JTT du jeudi 12 mars 2015.

dimanche 8 mars 2015

La Dictée des Femmes

A l’occasion de la Journée internationale de la Femme, et de la Semaine de la langue française, le club féminin et féministe Soroptimist et le club d’orthographe BelfOrtho ont proposé au public une dictée dans la superbe salle d’honneur de la Mairie de Belfort.
Une cinquantaine de mordu(e)s de la langue française ont ainsi exercé leurs neurones, sous la houlette de Philippe Dessouliers, éminent lexicographe. La dictée concoctée par ses soins, sur le thème femme et flore, était émaillée de pièges perfides. Dès le titre : « Ce qu’elles sont chou… », l’ébullition du cerveau commençait : faut-il accorder « chou » et comment ?

Faux-amis, accords improbables, tirets, il fallait jouer serré. Le pire étant la présence d’alysse, aneth et charlotte, alors que tout portait à croire qu’il s’agissait d’Alice, Annette et Charlotte. Ah, les majuscules ! C’est ce qui m’a pénalisée, je n’arrive pas à mettre les accents sur les majuscules, c’est ainsi que j’ai appris l’orthographe jadis sur les bancs de l’école. Éden, Ève, Élysée m’ont coûté la première place. Mais je ne me suis pas laissée berner par la conclusion : « ce que le président considère comme une belle plante et qui se nomme… gaillet »
Déjouer les pièges à mots, c’est jubilatoire !

mercredi 4 mars 2015

La truffe noire en Drôme des Collines ... et à la Cave de Tain

Savez-vous que 80 % de la production française de truffes est assurée par la Drôme et la Provence ?
Ce terroir agricole particulier, sol calcaire, perméable à l'eau et au soleil, favorise la croissance de la plus prisée d'entre elles, tuber melanosporum. Sur 400 producteurs, 150 récoltent ce diamant de la cuisine française ( dixit Brillat-Savarin) en Drôme des Collines, au pied de chênes truffiers, mais aussi d'autres végétaux indigènes, pins, noisetiers, tilleuls.
Personne ne connaît la recette qui permet de cultiver la truffe, pourtant c'est une production qui a traversé l'histoire. Utilisée par les Grecs et les Romains, puis diabolisée au Moyen-âge, elle est revenue en force dans les préparations culinaires dès la Renaissance. La production française, environ 2000 tonnes à son apogée en 1905, est tombée à 25 tonnes quelques décennies plus tard, par suite des guerres, de l'industrialisation, de la pollution. En 2010, elle s'est stabilisée autour de 50 tonnes.

Le cycle de la truffe commence en avril, elle se développe mais n'est pas mûre avant novembre-décembre. Le cavage, recherche des truffes par des chiens soigneusement dressés, commence alors.
Sur les marchés, les truffes se négocient de Noël jusqu'à mi-mars, à des tarifs variables. Ex: 1300€ le kilo aux Halles de Lyon. Mais il suffit d'une truffe de quelques grammes, environ 15 €, pour régaler vos amis. Attention, la melanosporum ne supporte pas une forte cuisson, le plus simple est de confectionner un beurre de truffe, idéal pour rehausser ensuite n'importe quel plat.

Tout cela, c'est la Noble Confrérie de la Truffe Noire en Drôme des Collines qui l'a exposé, lors d'un atelier de dégustation Truffes et Vins, organisé par la Cave de Tain l'Hermitage au Fief de Gambert.
Sandrine Revollon, experte sommelière, avait concocté un parfait accord entre crus de la Cave et mets aux truffes, cuisinés par Alain Berne, MOF et chef de l'Ecole de gastronomie Terre gourmande à Hostun. Saint-Péray, Crozes-Hermitage Blanc, Saint-Joseph Terre d'Ivoire puis biologique rouge, Cornas Arênes Sauvages, ont sublimé les saveurs des plats truffés, Saint-Jacques, lotte, risotto et civet de pigeon, en contraste, ou en accord. Le summum des arômes étant atteint avec la cuvée Epsilon Hermitage accompagnant le Chocomélano, une truffe au chocolat, au goût de ... truffe melanosporum !

D'autres ateliers de dégustation sont organisés par la Cave de Tain : www.cavedetain.com
Syndicat des trufficulteurs de la Drôme des collines : mairie de Charmes sur l'Herbasse
Alain Berne : www.terregourmande.com

Article publié dans le JTT du jeudi 5 mars 2015.