La pointe Helbronner est un sommet franco-italien du
Massif du Mont-Blanc qui culmine à 3462 m, juste en face de l’Aiguille du Midi,
à laquelle elle est reliée par une télécabine. C’est la destination phare des
touristes qui séjournent à Courmayeur, depuis la création en 2015 du Skyway, un
téléphérique révolutionnaire aux cabines tournant à 360°. Mais qui connaît Paul
Helbronner ? Contrairement aux apparences, il n’est pas un alpiniste germanique
ou italien, mais un scientifique français ! Un savant passionné et obstiné
qui a établi les premières cartes topographiques détaillées des Alpes au début
du XXe siècle, quand les instruments de mesure étaient sommaires.
Paul
Helbronner (1871-1938), orphelin de père, est initié dès l’âge de 10 ans à la
montagne par son oncle le géologue Auguste Michel-Lévy.
A 20 ans,
élève à Polytechnique, il multiplie les courses dans les Alpes pendant l’été.
Encouragé par Joseph et Henri Vallot*, il se joint à un groupe de topographes et alpinistes
français, insatisfaits des cartes officielles de la haute montagne, trop peu
détaillées.
Helbronner
se lance dans cette aventure qui lui parait fondamentale, avec au départ ses
seuls moyens financiers puis, au terme de quelques années, avec un soutien de
l'armée. Il faut dire qu’il a épousé entre temps Hélène Fould, dont la fortune
lui permet de vivre sa passion. Les deux premières campagnes de relevés se
déroulent lors des étés 1903 et 1904, dans le massif de Belledonne. En 1906, il entreprend
une triangulation reliant le massif des Écrins à la triangulation
du massif du Mont-Blanc faite par Henri
Vallot. Pour cela, il gravit le Grand Pic de la Meije, accompagné de 5 guides et
porteurs, chargés d'appareils photographiques, de théodolites et autres instruments de mesure.
Car
mesurer les Alpes est une opération d’envergure, en équipe, qui nécessite
préparation et logistique. Le procédé de triangulation part du principe
trigonométrique qu’avec un angle et deux côtés ou deux angles et un côté, on
peut déterminer les dimensions manquantes de n’importe quel triangle. Il faut
donc recouvrir les Alpes de triangles virtuels, dont les angles sont mesurés avec
un théodolite. Pour cela, mettre en place des repères visibles de loin, souvent
des pyramides de pierres, que les porteurs érigent à des points culminants.
Jusqu’en 1928, Paul Helbronner cartographie ainsi les Alpes méthodiquement. Le
bilan est titanesque pour un homme seul : il gravit, installe son camp, vise
et calcule 8500 points de géodésie* couvrant 18 500 km2 en
utilisant des triangulations à partir de 1 818 stations, dont 151 au-dessus
de 3 000 m d'altitude.
Les
autres passions de Paul Helbronner sont la photographie et l’aquarelle, et à
partir des 15 500 clichés photographiques pris lors de ses mesures, il
réalise une série d'aquarelles et panoramas des Alpes avec une remarquable
recherche du détail et de la couleur. De 1903 à 1928, il mène donc vingt-deux
campagnes de relevés aboutissant à une modélisation géodésique de l'ensemble
des Alpes françaises et de la Corse. Sous le titre Description
géométrique détaillée des Alpes françaises, il publie ce travail monumental
à compte d’auteur en douze tomes et deux albums annexes entre 1910 et
1939.
Paul
Helbronner est élu membre de l'Académie
des sciences en 1927 et membre du Bureau des
longitudes.
Excellent dessinateur, il profite des séances à l’Académie pour
« croquer » ses collègues ! À son décès, après une maladie
invalidante, il lègue à l’Institut de France la totalité des archives
concernant son activité de géodésien, ses notes de calcul, des milliers de
photos et son matériel de campement. Ce legs est maintenant réparti pour
l'essentiel au Musée Dauphinois à Grenoble.
*Les cousins Vallot sont deux scientifiques et
alpinistes qui ont largement contribué à la connaissance des Alpes. Joseph,
astronome, botaniste, géographe a fait construire le refuge qui porte son nom.
Henri, ingénieur, cartographe, a initié et encouragé son cadet Helbronner dans
ses travaux.
*la géodésie est la science qui étudie la forme et la
mesure des dimensions de la Terre.
Article publié dans le Jtt du jeudi 4 janvier 2024.