samedi 28 mai 2022

Haïnots, la petite Arménie de Valence

A Valence et dans l‘aire urbaine, 10% de la population est d’origine arménienne, soit environ 15 000 personnes. Les premiers émigrés sont arrivés dans les années 1920, rescapés du génocide perpétré par les Turcs en 1915. Ils se sont rapidement intégrés, tout en conservant leur identité, et la ville de Valence s’est ainsi enrichie d’une culture singulière encore bien présente aujourd’hui.

L’Arménie fut au Ier siècle un grand état qui s’étendait de la Méditerranée à la Mer Caspienne. Après diverses guerres, invasions, elle fut démantelée et annexée par l’empire ottoman. Pour étouffer les velléités indépendantistes de l’Arménie, chrétienne, le gouvernement turc, musulman, a profité de la première guerre mondiale. Il a entrepris le premier génocide de l’histoire, faisant environ un million et demi de victimes. Ceux qui réussirent à s’échapper arrivèrent par bateau à Marseille et remontèrent la vallée du Rhône au fil des embauches possibles. La France avait besoin de main d’œuvre pour compenser les morts de la guerre. Près d’un millier d’Arméniens s’installèrent dans la vieille ville de Valence, un quartier déshérité, pour travailler dans les usines locales.

La crise économique et financière de 1929 entraînant en France un chômage massif, la loi Laval décréta que les entreprises devaient embaucher en priorité les Français. Les Arméniens se reconvertirent alors en artisans et commerçants. Dans la rue Bouffier, on trouve encore la trace des épiceries, boulangeries, cordonneries arméniennes … Hélas le quartier appelé La Petite Arménie fut victime du bombardement américain du 15 août 1944 qui visait le pont sur le Rhône. 80 victimes, de nombreuses maisons détruites, en particulier l’église Saint-Grégoire l’Illuminateur, située en basse ville. Reconstruite, décorée de fresques par Dante Donzelli, elle honore toujours Saint Grégoire, qui à la fin du 3è siècle, évangélisa l’Arménie, le premier état chrétien du monde.

Des personnalités arméniennes sont commémorées à Valence, grâce aux œuvres expressives et puissantes du sculpteur Toros, lui-même arménien. La souffrance de l’humanité, place Manouchian, témoigne de l’engagement contre le nazisme de Missak Manouchian et de son groupe de 23 résistants, tous immigrés, exécutés en février 1944. Un parterre de grenadiers emblématiques de l’Arménie l’entoure. Le monument en mémoire du génocide, square Stépanian (figure marquante de de la municipalité valentinoise), financé par la communauté arménienne, a précédé la reconnaissance officielle par l’Etat français du génocide du 24 avril 1915. L’impasse Kasparian, honore le souvenir d’un autre résistant. Le square Aznavourian rappelle la fidélité du célèbre chanteur à ses origines.

En face, le CPA, centre du patrimoine arménien, raconte l’histoire du peuple arménien et propose de nombreuses animations qui éclairent l’actualité en regard de l’histoire. Actuellement, l'exposition temporaire est consacrée à la mémoire des Italiens venus s'installer en France. D'une émigration à l'autre, d'une guerre à l'autre, l'histoire se répète. Une visite incontournable.

Article publié dans le JTT du jeudi 26 mai.

jeudi 19 mai 2022

Résister à Saint-Donat

Saint-Donat-sur-l’Herbasse, en Drôme des collines, est un village au riche patrimoine, actif et accueillant. Mais on ignore souvent qu’il est aussi un village martyr. Le 15 juin 1944, il fut la proie de terribles représailles de la part des nazis, parce qu’il était un haut-lieu de la Résistance.

En juin 1940, les Allemands envahissent toute la France, et donc Saint-Donat. Un premier coup de semonce, effrayant mais assez court puisqu’ils se replient ensuite au nord, dans la zone occupée. Saint-Donat était alors un village d’environ 2000 habitants, en partie déserté pour cause d’exode rural. De nombreuses maisons étaient vides. Des réfugiés y furent donc accueillis, juifs, Italiens déplacés, populations du nord fuyant la zone occupée. Un esprit d’entraide favorisé par les notables du village, le pharmacien Chancel, l’abbé Lemonon, son frère médecin et bien d’autres.

En juin 1940, l’appel à résister du général de Gaulle marque le début de l’organisation de la Résistance. Autour de Saint-Donat, des maquis se constituent, comme à Saint-Christophe et le Laris, mais aussi toute une organisation clandestine, formée de messagers, de fabricants de faux-papiers, de radios, de porteurs de vivres, d’hébergeurs. Le Parti communiste, très puissant à l’époque, envoie Louis Aragon et Elsa Triolet, couple de militants et écrivains célèbres, se cacher à Saint-Donat, pour y poursuivre leurs activités de réseau autour de Lyon. En novembre 1942, l’invasion de la zone libre, puis en février 1943, l’instauration du STO, gonflent encore les effectifs des maquis. Les hommes se cachent, les organisations clandestines doivent gérer la logistique, tout en se méfiant des collaborateurs. Le débarquement en Sicile en mai 1943, qui marque le début de la retraite pour les nazis, voit les actions de la Résistance se multiplier. Les Alliés larguent des munitions par avion, il faut organiser la réception des parachutes de nuit. Saint-Donat devient un relais important de la Résistance.

En représailles, le 15 juin 1944, les avions nazis survolent Saint-Donat et mitraillent tout ce qui bouge. Puis 2 000 soldats nazis se déploient dans le village, prenant la population, de 3 à 80 ans, en otage. Pendant une journée, humiliés, battus, affamés, ils resteront debout, tenus en joue. Parmi eux, 8 seront exécutés. Les soldats nazis qui mènent cette expédition viennent d’Asie, on les appelle les Mongols, célèbres pour la terreur qu’ils sèment. A Saint-Donat, ils pillent les maisons, violent les femmes, plus d’une soixantaine, dont la fille Chancel, 13 ans, qui ne survivra pas.

Résister ensuite aux exactions, aux vengeances, en 1945, fut aussi un challenge, mené par Jean Chancel. Objectif : faire cohabiter les résistants, les collabos et les autres, essayer de se tourner vers l’avenir. Favoriser la paix et la fraternité. Pour cela, quoi de mieux que la musique ? Un orgue est installé dans la collégiale en 1962, un festival voit le jour… Et on y invite des musiciens de tous les pays, même des Allemands ! Le jumelage a suivi, une belle leçon d’humanité et de tolérance donnée par Saint-Donat.

L’association du Patrimoine du Pays de l’Herbasse a collecté les témoignages des habitants ayant vécu la terrible journée du 15 juin 1944. Un recueil de textes a été édité, et des promenades littéraires sont régulièrement organisées, dans le village et alentour, pour faire vivre l’histoire de la Résistance à Saint-Donat, à travers ces textes et ceux de Louis Aragon et Elsa Triolet.

Prochaines visites commentées : samedi 28 mai, samedi 4 juin.

Contact : patrimoine-herbasse@gmail.com ou office du tourisme 04 75 45 15 32

 Article publié dans le JTT.

jeudi 12 mai 2022

Chronique littéraire : Dans les geôles de Sibérie, de Yoann Barbereau

La guerre avec l’Ukraine révèle au grand public les exactions et l’incompétence de l’administration russe. Mais ce n’est pas une nouveauté ! Déjà en 2018 un fait divers a défrayé la chronique et perturbé les relations franco-russes : le directeur de l’Alliance Française d’Irkoutsk a été arrêté sans motif apparent par les services secrets russes, tabassé, mis à l’isolement puis emprisonné pendant des mois. Il raconte ici sa descente aux enfers et l’immersion réelle dans ce que lui, fervent lecteur des auteurs russes, connaissait par la littérature.

Yoann Barbereau proteste de son innocence, veut savoir ce qu’on lui reproche, mais se heurte au mur de la paperasserie, de la rivalité entre services et du secret. Il a peut-être déplu par sa liberté de mœurs, de ton, à une personnalité qui se venge, alors pour le neutraliser, on l’accuse de pédophilie sur sa propre fille. Une accusation encore plus infâme que l’arrestation. Emprisonné, il décrit par le menu les turpitudes, les conflits d’intérêts, les manipulations, les fausses expertises, les aveux extorqués par une administration omniprésente, opaque et finalement incompétente.  Ainsi que la promiscuité dans les cellules, les sévices, la violence, y compris celle des matons. Rien n’a changé dans les prisons russes depuis le Goulag !

Côté ambassade de France, le tableau n’est pas joli non plus. Barbereau est un problème dans une situation politique fragile, il faut manœuvrer en douceur. D’abord, se taire. Puis ne rien faire. Il semble que les priorités des diplomates sont, dans l’ordre :  se protéger, profiter personnellement de leur situation, et en dernier servir son pays. Alors, mettre les pieds dans un problème confus … Au bout de deux ans d’interrogatoires, de séjours en prison, en hôpital psychiatrique, au secret à l’ambassade, Yoann Barbereau décide de s’évader. Un récit picaresque, qui reprend à l’envers le trajet de Michel Strogoff.

Ce récit passionnant est autant un document sur l’administration russe qu’une œuvre littéraire réussie. Car c’est en partageant la poésie que Yoann réussit à endurer toutes ses souffrances.

Ce roman est disponible en poche chez Folio.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 12 mai 2022.

jeudi 5 mai 2022

Carnets de voyage à Suze-la-Rousse

 Chaque année, Suze-la-Rousse en Drôme provençale accueille un festival qui fait rêver : celui du carnet de voyage, organisé par l’association locale Vent Debout. Ce festival d’un niveau national attire les passionnés de voyages, de dessins et d’écriture, mais pas seulement : tous les curieux attirés par l’évasion, la rencontre, le partage s’y retrouvent. On y parle toutes les langues, on y déguste toutes les saveurs du monde…

Durant deux jours, des artistes talentueux exposent leurs carnets, dessinés sur des supports aussi divers qu’eux, parfois bricolés, en papier, carton, rouleaux, fiches, ribambelles… Ils ont pris le temps de croquer ce qu’ils voyaient, au bout du monde ou dans le métro, chez eux ou dans la rue. Un travail d’observation subjectif, qui traduit une émotion vécue, et touche donc aussi le spectateur. Qu’ils aient passé des années au Cambodge, parcouru l’Afrique en vélo, enseigné en Haïti ou simplement posé leur valise sur une plage grecque ou dans le Vercors, tous ces artistes racontent à leur manière la rencontre avec un lieu, une histoire et des hommes.

Les 30 avril et 1 mai à Suze-la-Rousse, on pourra donc rencontrer 35 carnettistes internationaux. Le festival propose, en plus de l’exposition, des conférences, des lectures, des ateliers d’écriture, de dessin, de reliure. Une invitation à voyager aussi dans l’imaginaire. « Ailleurs est plus beau que demain » écrivait déjà Paul Morand.

Le salon du Carnet de voyage existe depuis 2017. En complément, l’association Vent Debout, implantée à Suze-la-Rousse, propose des ateliers mensuels d’écriture et de création artistique, ainsi que des stages ("Carnets de voyage aux quatre vents", "Vin et voyage », ...).

Renseignements : https://vent-debout.wixsite.com/accueil ou 06 42 61 24 51

Samedi 30 avril de 12 à 19h, dimanche 1 mai de 10h à 18h. Entrée libre.

Article publié dans le JTT.