jeudi 5 novembre 2020

Chronique littéraire : À son image, de Jérôme Ferrari

Nous vivons dans une époque d’images. Dans ce roman, il est question du rôle du photographe, en situation de guerre comme de paix. Des limites de l’image comme représentation du réel. Et des limites de l’homme, que pourtant Dieu a créé à son image.

Deux personnages principaux traversent le roman : Antonia, jeune photographe corse qui après avoir fait ses classes dans le journal local, fournissant des clichés d’attentats et concours divers, est partie couvrir la guerre en Bosnie en 1992. Un besoin d’être utile, d’être vraie. Elle est ensuite revenue au pays, se consacrant à la photo de mariage pour gagner sa vie et une certaine sérénité. Le deuxième personnage est un prêtre, son parrain, qui célèbre ses funérailles. Car Antonia est décédée accidentellement, sa voiture est tombée dans un ravin. Pour lui, qui a connu une vocation tardive, comment parler d’Antonia, de son itinéraire ? Il la connaît et l’aime depuis son enfance, c’est d’ailleurs lui qui lui a offert son premier appareil photo. Deux récits s’entremêlent, chaque chapitre correspondant à une phase de la messe d’obsèques, à une phase de la vie d’Antonia.

Le milieu dans lequel ils évoluent, c’est la Corse, avec son nationalisme exacerbé, ses tensions stériles qui n’aboutissent qu’à la mort d’hommes, au gâchis des énergies, à l’incapacité de fonctionner. Antonia découvre que la guerre en ex-Yougoslavie en est une variante extrême. Elle y perd toute croyance en l’homme. Pour son parrain, la foi aussi ne suffit pas, il ne supporte plus d’enterrer ses proches. Et surtout Antonia.

Une narration bien menée, des personnages vivants, et une analyse critique, désabusée, de la société corse. L’auteur interroge sur les limites de l’image, de l’action politique, de la foi. On retrouve ici les préoccupations mystiques de Jérôme Ferrari, professeur de philosophie en Corse, lauréat du prix Goncourt en 2012.

« À son image » est maintenant disponible en collection Babel chez Actes Sud.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 5 novembre.

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