Parcourir le Rhône entre Lyon et Gervans, sur la péniche de
Steve, c’est une merveilleuse approche du métier de batelier. Tout commence par
une entrée filtrée au port Edouard Herriot. Immense domaine de 187 ha qui
accueille plus de 70 entreprises, ce lieu d’échange et de distribution est le
premier port intérieur français pour le trafic des conteneurs. Géré par la CNR,
relié à l’autoroute et aux voies ferrées, il est formé de plusieurs darses qui
accueillent des bateaux de toutes tailles. Sur les quais, encombrés de hangars,
grues, chariots, camions, conteneurs, règne une activité contrôlée.
La péniche Condor est amarrée quai de Beaucaire, l’énorme
portique de chargement est en train d’y déposer avec son bras articulé le
dernier conteneur. Un conteneur pesant environ 30 tonnes, et le Condor
transportant 3 000 tonnes, il y en a une centaine, bien alignés sur le pont,
sur deux hauteurs, comme un gigantesque jeu de construction. La péniche, à fond
plat, peut s’enfoncer dans l’eau de 1m à 3 m maximum suivant la charge.
La cabine de pilotage, appelée timonerie, est un espace
surélevé, très vaste, entièrement vitré, où Steve commande la manœuvre de
départ. 6 écrans permettent de visualiser par caméra la position de cet immense
monstre d’acier de 110 m de long, 11 m de large. Le moteur est à l’arrière, un
petit moteur annexe à l’avant est utilisé dans les écluses, et 4 propulseurs
d’eau aux quatre coins aident à l’orientation du bateau.
Après une manœuvre
rapide, la péniche sort du port et arrive immédiatement sur l’écluse de
Pierre-Bénite. C’est très impressionnant. La péniche s’engage dans le
chenal, il ne reste que 30 cm entre chaque bord et le mur. Puis l’énorme porte
métallique arrière se ferme, le matelot arrime la péniche aux piliers avec des
cordes, car il faut se méfier des courants et du vent. Et l’eau descend, le
niveau baisse de 10 m ! Puis la porte avant s’ouvre, la péniche sort du
chenal. Grand ciel bleu, soleil, le gigantesque chargement coloré s’engage sur
les eaux vertes du Rhône à une vitesse d’environ 20 km/h.
Givors, premier passage sous un pont, on a l’impression
qu’on ne passera pas, c’est impressionnant.
Loire-sur-Rhône, siège de la société de fret CFT, la plus
importante sur le Rhône, concurrente de VNF. Des péniches attendent leur
chargement, Steve salue les bateliers, il les connaît tous.
Vienne : le pont étant très bas, il faut abaisser la
timonerie, c’est spectaculaire. Elle se rétracte doucement, jusqu’à laisser
juste 40 cm entre le pont et le toit. Un deuxième pont suspendu, très bas
aussi. Puis une superbe vue sur la ville, ses façades, ses églises,
Saint-André, Saint Maurice, Saint-Pierre. Et sur l’autre rive, la tour de
Valois, puis les vignobles de Côte-Rôtie.
Reventin-Vaugris, deuxième écluse. Une dizaine de mètres de
dénivelé encore. Steve précise que la plus impressionnante est celle de
Bollène, avec 23 m de dénivelé ! Le plus étonnant, c’est de réaliser
qu’il n’y a personne aux écluses, elles sont toutes gérées par une dizaine de caméras
et un guidage téléphonique depuis le centre CNR de Châteauneuf-du-Rhône.
Le Rhône est un fleuve maîtrisé, tout au long de son cours,
il se sépare en deux bras, dont un canalisé, puis les bras se rassemblent, se
séparent à nouveau un peu plus loin, ménageant des îlots sauvages. Baigneurs et
pêcheurs profitent des berges du vieux Rhône, tandis que les péniches suivent
la partie canalisée, qui peut compter jusqu’à 13 m de profondeur.
A Condrieu, un petit port de plaisance évoque déjà le
littoral méditerranéen avec ses bateaux blancs amarrés, ses terrasses égayées
de parasols. Tout autour les vignes s’étalent sous le soleil, , dans un dégradé
de vert et bleu, un véritable paysage de carte postale.
Port de Salaise : c’est là que les cargos
fluvio-maritimes comme « la Guêpe » viennent s’approvisionner en
ferraille, qu’ils acheminent ensuite jusqu’en Italie, par le fleuve puis la
mer. Plus petits que les péniches, ils ont un fond bombé pour naviguer en mer.
Sablons : troisième écluse. Un accident spectaculaire
s’est produit ici en début d’année. La porte de l’écluse a cédé alors que la
péniche était dans le chenal, l’eau s’est engouffrée violemment, la péniche a
piqué du nez. Heureusement, l’équipage a pu sauter à l’eau, mais le chargement
en gaz liquide s’est répandu. L’écluse a été fermée deux mois, occasionnant un
grave préjudice au trafic. Un petit frisson en passant devant l’épave qui est
amarrée en aval.
Voilà Andance et Andancette, reliées par un pont suspendu
qui ressemble furieusement à celui de Tain-Tournon. Normal, il a été construit
2 ans après. Puis Saint-Vallier et ses maisons sagement alignées sur le quai.
L’écluse de Gervans est en vue. Depuis Lyon, nous avons
parcouru 80 km en 5 h, soit une moyenne de 16 km/h (à la remontée, la péniche
chargée ne dépasse pas 5 km/h). Il est 21h, Steve décide de passer l’écluse,
puis de s’amarrer pour la nuit aux gros pilotis métalliques installés en aval,
qui portent le nom étrange de « ducs d’Albe ». La manœuvre est faite
avec précision, l’immense péniche s’immobilise. Il est temps pour l’équipage de
se reposer, de préparer un repas. Le pilote n’a pas quitté son poste depuis 5
h. Naviguer sur le Rhône est un régal pour les yeux, mais exige une vigilance
constante.
Cette navigation, on peut la partager avec Steve en
réservant une semaine en chambre d’hôtes sur sa péniche, le Condor. L’occasion
de découvrir un métier, et aussi de voir le Rhône et ses berges autrement. Car
les villes, vues depuis le fleuve, dévoilent un aspect paisible et authentique.
Quant au superbe paysage naturel qui se déroule sous les yeux, le savourer à
petite vitesse est un moment de pur bonheur.
Article publié dans le JTT du jeudi 13 août.