Barcelonnette est une petite ville entourée de hautes
montagnes, dans la vallée de l'Ubaye, à 1160m d'altitude. On y trouve une forme
d' habitat qui dénote avec la rudesse générale des maisons du pays : un
nombre considérable de villas et châteaux, tous plus opulents les uns que les
autres. Comment cela s'explique-t-il ? Par une émigration massive et
réussie des « Barcelonnettes » vers le Mexique, au milieu du XIXème
siècle, puis leur retour en gloire après avoir fait fortune.
Barcelonnette, retirée du monde pendant les longs hivers alpins, a développé très tôt un artisanat de tissage, laine, chanvre et soie. Les hommes qui n'étaient pas bergers devenaient alors colporteurs de tissu. Mais tous avaient reçu une solide éducation, valeur transmise et privilégiée par la communauté : au milieu du 19ème siècle, on comptait 90% d'alphabétisés à Barcelonnette, quand la moyenne provençale était de 40%. Ce savoir et cette ouverture d'esprit permirent aux plus audacieux d'oser quitter leur montagne, de tenter leur chance ailleurs, en France, en Europe, et même jusqu'en Amérique, avec un ballot de textiles pour tout bagage.
Jacques Arnaud partit en 1805, à 24 ans, s'installer en
Louisiane. Il ouvrit un commerce de tissus qui devint florissant, fit venir ses
deux frères. En 1818, tous trois décidèrent de franchir la frontière du
Mexique, nouvellement indépendant, et installèrent à Mexico un premier magasin
de tissus, puis une filature, une autre, appelant à la rescousse leurs camarades
de Barcelonnette. L'accueil des nouveaux arrivants, leur formation, leur
hébergement, étaient assurés par les anciens sur un mode communautaire et
rigoureux. Les succursales se multiplièrent, le réseau prit de l'ampleur, les
« Barcelonnettes » s'assurèrent la suprématie du marché textile,
conjuguant production, distribution et services de banque. Au bout de quelques
années, quelques-uns rentrèrent cousus d'or au pays, suscitant une autre vague d'émigration vers le Mexique.
Parmi eux, Victor Gassier. En 1850, il ouvrit un magasin de
vêtements à Mexico, fit fortune, puis
s'associa avec A. Reynaud pour construire le premier grand magasin du pays : Le Palacio de Hierro. Cette immense structure en fer et
acier, avec de grandes verrières, telle le Bon Marché à Paris ou Harrods à
Londres, ouvrit ses portes en 1891.
Revenu richissime au pays, Gassier épousa une demoiselle de la région de
Digne et acheta le Château-Laval de Gréoux, belle bâtisse classique dans un
parc immense, qui avait vu passer de nombreuses célébrités, dont Pauline
Bonaparte. La rénovation fut grandiose, l' intérieur confié aux plus grands
artistes Art déco, une dizaine de jardiniers créèrent un jardin superbe avec
cascades, serre exotique, tunnel de buis et fausse grotte. Tout le village de
Gréoux était employé comme personnel lorsque la famille Gassier venait pour
les vacances avec armes et bagages.
A Barcelonnette comme à Gréoux, les « Mexicains » montraient leur
opulence jusque dans la mort : au cimetière, leurs tombeaux rivalisent de
grandeur. Conséquence positive : ils ont ainsi soutenu une autre forme
d'émigration, celle des tailleurs de pierre et sculpteurs italiens, venus en
nombre pour travailler au début du XXème siècle, qui acquirent ainsi une grande renommée.
Article publié dans le JTT du jeudi 13 décembre.
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