Elle s'appelait Sophie-Dorothée de Wurtemberg, avait passé
son enfance entre le château de Montbéliard et celui d'Etupes, dans l’actuel
Doubs. Une enfance princière, mais familiale, où l'on cultivait les arts, la
tendresse, la simplicité. Quelle force d'adaptation elle a dû montrer lorsque
l'impératrice Catherine II de Russie l'a choisie pour épouser son fils unique,
le futur Paul Ier, en 1776 ! Le conte de fée avait son revers.
D'abord, elle a dû se convertir à la religion orthodoxe,
changeant son nom pour devenir Maria Feodorovna. Ensuite, elle s’est adaptée à
une cour où les complots, les meurtres, les coups d’état étaient monnaie
courante, Catherine ayant elle-même fait tuer son mari le tsar Pierre II par
son amant pour régner à sa place. Bien sûr le grand-duc Paul, son époux,
détestait sa mère, qui le tenait à l’écart de toute décision. Enfin, dès que
Maria Feodorovna a donné naissance à un héritier mâle, le futur Alexandre I, en
1777, suivi d’un deuxième, Constantin, en 1779, Catherine les lui a enlevés
pour les éduquer elle-même. Bref, une belle-mère despotique, pas simplement sur
le plan politique ! Elles n’avaient qu’un point commun : toutes deux
princesses de souche prussienne, elles appréciaient les fastes de la cour et
respectaient à la lettre l'étiquette.
Catherine offrit le palais de Pavlovsk comme résidence à Paul
et Maria après la naissance d'Alexandre.
Maria Feodorovna a montré de la patience, de l’intelligence,
de la bonté et une conduite exemplaire. Une bonne santé aussi, en mettant au
monde dix enfants, quatre garçons et six filles, jusqu’en 1798. Elle était
dotée de nombreux talents : musicienne, aquarelliste, adorait aussi
fabriquer des objets de sa main, travaillait l'ambre et l'ivoire sur un tour.
Passionnée de jardins, elle s'est investie toute sa vie à embellir celui de sa
résidence de Pavlovsk. Un palais de style palladien, élégant et raffiné, aux
dimensions humaines, situé dans un superbe parc de 600 hectares de prairies,
bosquets, cascades, agrémenté de pavillons dédiés à l’amitié, la musique… Très
loin de l’ostentation des palais grandioses de Catherine, Peterhof ou Tsarskoïe
Selo.
Autre cadeau impérial : après la naissance du deuxième
prince, en 1781, Maria et Paul ont eu l'autorisation de faire un long tour
d'Europe, sous couvert d'anonymat. Le « Comte et la Comtesse du
Nord » ont pu ainsi visiter la Pologne, l'Autriche, la Hollande, la Belgique,
l'Italie, l'Allemagne et la France. Accueillis par Louis XVI et
Marie-Antoinette à Versailles, qui leur fit grande impression, ils profitèrent
de ces quatorze mois de voyage pour acheter des œuvres d'art afin de meubler
Pavlovsk. Porcelaines de Sèvres, tapisseries des Gobelins, tableaux,
marbres antiques et nombreuses horloges qu’ils collectionnaient.
A Pavlovsk, Maria Feodorovna s’occupait de sa nombreuse
famille, mais pas seulement : elle réunissait un cercle littéraire,
organisait des représentations théâtrales, des concerts. Déterminée et
énergique, appréciant la frugalité, elle fut la première à s'intéresser aux
malades et handicapés, créant des institutions d'éducation pour les aveugles,
les sourds-muets et aussi pour les filles. Tsarine en titre après la mort de
Catherine, en 1796, elle s’occupa des diverses autres résidences impériales,
organisant de superbes réceptions, tout en multipliant les œuvres de
bienfaisance et soutenant généreusement les arts. Après l’assassinat de Paul en
1801, devenue impératrice douairière sous les règnes de ses fils Alexandre I
puis Nicolas I, elle se retira à Pavlovsk jusqu’en 1828, éduquant ses plus
jeunes enfants, continuant ses œuvres de bienfaisance, et embellissant sans
cesse le palais et son parc.
Ce merveilleux palais fut en partie détruit pendant le siège
de Léningrad. Restauré à l’identique, il fait maintenant partie de l’ « anneau
d’or » des palais impériaux autour de Saint-Pétersbourg. C’est le plus
poétique, le plus romantique, le plus humain. Et le favori des touristes
français.
Article publié dans le JTT du jeudi 28 décembre 2017.