vendredi 21 septembre 2012

Chronique littéraire : La Mer Noire, de Kéthévane Davrichewy


Un roman où les souvenirs nostalgiques d’une grand-mère se tricotent avec le regard actuel de sa petite-fille. L’amour, l’amitié, la famille, l’émigration sont évoquées en phrases simples par Tamouna, qui fête ses 90 ans à Paris, et se souvient de son passé à Batoumi, en Géorgie. Toute sa famille est invitée à la fête, elle espère même la venue de Tamaz, son amour de jeunesse, qu’elle n’a jamais revu depuis son départ forcé, à 15 ans. En contrepoint, la voix de sa petite fille, sa confidente, photographe parisienne bien intégrée.

En chapitres courts, phrases sobres, dans un style simple et moderne, toute la vie de la vieille femme défile : Enfance, ruptures, mariage, naissances, deuils… Difficultés et joies, acceptation du destin, Tamouna, malgré ses origines exotiques, est une femme comme les autres. Presque, car la diaspora géorgienne omniprésente veille au respect des traditions. Convivialité parfois étouffante, pour les jeunes qui se détournent de leurs racines.

Sans démonstration érudite, on approche l’histoire de la Géorgie, petit pays au bord de la Mer Noire, écrasé par le grand frère soviétique.  Et on comprend mieux les drames qui s’y perpétuent encore.  Une civilisation méridionale évanouie, à laquelle certains se raccrochent à Paris, par des chants, des danses, et des rêveries    politiques enflammées. 

Née en 1965 dans une famille géorgienne,  Kéthévane Davrichewy, après des études de lettres modernes à Paris, puis à New York, a débuté en publiant des Contes géorgiens à l'Ecole des Loisirs. Romancière, elle écrit également des scénarios de films d'animation, et des chansons.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 20 septembre 2012.

mardi 18 septembre 2012

Ardèche au coeur


L’Ardèche que j’aime, celle de mes aïeux, s’étend entre Tournon et Saint Félicien. Entre la vallée du Rhône animée, opulente, avec soleil, vignes, fruits, gastronomie raffinée, et les monts érodés, rudes, verts, paisibles, où la fraîcheur règne même en été. Empurany, Arlebosc, Colombier, villages trapus, compacts, aux maisons de pierres chaudes, marchés rustiques de fromages et charcuteries. Ah, le caillé doux de Saint Félicien… délice de chèvre crémeux, introuvable ailleurs.
Souvenirs d’enfance, les petites plages sablonneuses de la vallée du Doux, l’été. Les baignades avec les cousins, les compétitions pour escalader les rochers, sauter du barrage, traverser en apnée. Plus tard, j’ ai entraîné mari et enfants dans les marmites de granit et falaises abruptes des gorges du Duzon. Même le chien y a appris à nager !

Pourtant c’est l’automne qui sied le mieux à l’Ardèche. Bruyères mauves sur les coteaux, pommiers colorés de fruits dans les vergers, châtaigniers étoilés de bogues, forêts de cèdres majestueux, champignons odorants en sous-bois. Dans les gorges, la végétation flamboie, les rochers dénudés captent le soleil, le torrent gronde, la nature sauvage reprend le dessus.
Pendant des années, un petit train à vapeur, entre Tournon et Lamastre, permettait d’apprécier le site spectaculaire des Gorges du Doux. Mais les problèmes financiers ont eu raison de cette survivance nostalgique. Aujourd’hui, un autre mode de transport a pris la relève, dans un style actuel, ludique et écologique : le vélorail.

Dimanche matin, départ de Boucieu-le-Roi en famille. Les vélorails alignés sur la voie ressemblent à des pédalos bien rangés. Mon petit-fils est déçu, il n’est pas assez grand pour atteindre les pédales ! 12 km de trajet, dans la partie la plus pittoresque des gorges. Totalement immergés dans la nature, entre pâturages, buissons et chaos rocheux, enivrés de chants d’oiseaux et odeurs de serpolet. Sans effort physique, la pente est douce. Les petites gares désaffectées, aux rosiers  fleuris, sont restaurées en mignonnes habitations, les passages à niveau s'abaissent dans une sonnerie stridente, les automobilistes font signe, les poules s'affolent, mais les vaches restent impassibles.
Ponts de pierres, tunnel, viaduc, canal d’irrigation, nous avons le loisir d’admirer la splendeur des gorges, mais aussi d'apprécier la valeur de cette voie historique, édifiée par nos ancêtres, pour désenclaver le plateau ardéchois. Peut-être que mon grand-père en était ?
A la gare d’arrivée, le chemin de fer du Vivarais nous attend, pour remonter au point de départ, avec les vélorails accrochés derrière. L’aller-retour dure deux heures environ, c’est une façon très agréable de profiter des Gorges du Doux.


Après l’aventure, une halte gourmande s’impose : A Pailharès, l’Auberge Buissonnière nous accueille. Au cœur de l'Ardèche. A l'écart du village, une terrasse panoramique encore inondée de soleil s'ouvre sur les monts du Vivarais. Au loin, les sommets ourlés de blanc des Alpes. Au menu : jambon de pays, caillettes, fromages de chèvre et délices à la crème de marrons. Le tout arrosé de Chatus en robe pourpre. Détente totale, l'Ardèche au ventre.

dimanche 16 septembre 2012

Chronique littéraire : Marie-Blanche, de Jim Fergus


Dans cette superbe saga familiale, Jim Fergus revient sur l’itinéraire de sa mère, Marie-Blanche, une Française fragile et malade, dont l’existence a été brisée par l’égoïsme de Renée, la grand-mère, aristocrate décadente et manipulatrice perverse. Entre France et Égypte, Suisse et États-Unis, Jim Fergus suit les traces de la vie de bohème des deux femmes. Son récit intime revisite la grande histoire du XXème siècle, et même la petite histoire, comme la rencontre avec Brigitte Bardot...

Aventure, action, amour, jeu, les péripéties s’enchaînent. Les deux héroïnes, bien que nanties financièrement, sont maltraitées par la vie, et paient cher leurs manquements à la morale. L’oncle Gabriel, personnage satanique hors normes, tisse le fil conducteur du malheur, empoisonnant plusieurs générations. Entre passions et désamours, intrigues flamboyantes et descriptions froides, on se laisse embarquer dans ce roman palpitant. Avec l’espoir que l’auteur, rongé par son passé, puisse enfin trouver la paix intérieure, grâce à l’écriture de cette autobiographie douloureuse.

Jim Fergus est né en 1950 à Chicago, d’une mère française et d’un père américain. Journaliste, romancier, il vit dans le Colorado. Son premier roman « Mille Femmes blanches » (1994) a obtenu un énorme succès en France et dans le monde, auprès des amateurs de grands espaces. Un splendide western littéraire, qui évoque l’intégration des mille femmes accordées comme monnaie d’échange aux Cheyennes, par un traité de paix officiel du Président Grant en 1875. Un régal de littérature indienne épique.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 13 septembre 2012.

vendredi 7 septembre 2012

Rolex for ever


Non, je ne suis pas devenue subitement bling-bling. Rien de nouveau à mon poignet.
Oui, il s’agit bien de Rolex, le must de l’horlogerie … Alors ?
Alors, je suis allée visiter le Rolex Learning Center à Lausanne, hier. Et c’est époustouflant.
Le Rolex Center est la toute nouvelle Bibliothèque Universitaire de L’Ecole Polytechnique Fédérale. Le fleuron des bibliothèques, un idéal de technologie, d’efficacité, et de beauté intemporelle. Un modèle de pure science fiction. 

D’abord, l’architecture, tout en lumière et courbes. Comme si les architectes japonais du groupe SANAA (lauréats du prestigieux Prix Pritzker) avaient voulu recréer l’intérieur d’une montre, ses rouages, lames, ressorts, engrenages. Rien n’est rectiligne. Le toit est ondulé et alvéolé, les puits de lumière sont aménagés en patios. Des galeries de verre circulaires distribuent les différents lieux, bureaux, bibliothèque, salles de travail, cafeterias, librairie, et même une banque (on est en Suisse !).

Les couloirs sont courbes, leur sol ondule aussi, un peu comme si on déambulait sur des collines. On domine, puis on longe des salles rondes transparentes : bulles de silence (pour conférences), bulles d’expositions de manuscrits anciens (avec codage pour smartphone ). Une apologie du cercle : tables rondes, bureaux d’accueil et étagères hémisphériques, bulles de lecture foetales. Partout, des horloges Rolex rutilantes, des sièges Vitra. Et pour égayer la symphonie de blanc et gris, des poufs de couleur à disposition le long des galeries.

Côté bibliothèque, c’est grandiose. 400 000 volumes, une majorité d'ouvrages de sciences et techniques, 860 places de lecture, 100 ouvrages empruntables par personne, inscription gratuite pour toute la Suisse. Une simple carte numérique pour entrer, des bornes de prêt électroniques, des ordinateurs portables à disposition, un scanneur de livres en libre service (livre posé à l’endroit, avec réglage en hauteur de la tranche, je suis épatée). Encore plus fort au sous-sol, où la gestion des lourdes étagères d’archives coulissantes  (appelés ici compactus) se fait électroniquement : il suffit de presser sur le bouton de l’étagère choisie, et elles se mettent toutes en branle, dans un ballet de robots silencieux, pour dégager l’accès.
Le plus étonnant, pour nous autres bibliothécaires : aucun livre n’est couvert (ici on dit « fourré »). On mise sur le civisme des  citoyens. Et l'ouverture des lieux : tous les jours de 7h à 24h ! 

Le Rolex Learning Center est non seulement un lieu d’apprentissage, d’information, mais un lieu de vie. Le marquage au sol pour non voyants, les accès handicapés, sont évidents. Les abonnements numériques sont au top. On y parle toutes les langues. L’aménagement de petites unités pour se reposer, bavarder, est agréable. 30 quotidiens sont à disposition. La restauration est variée et excellente.

 Pour tout dire, j’y passerais volontiers mes dimanches !