vendredi 9 février 2018

Etienne Oehmichen, père oublié de l’hélicoptère et du drone


Le 4 mai 1924, le rêve de Léonard de Vinci devient réalité : Etienne Oehmichen réussit à voler 1 km en circuit fermé sur son prototype d'hélicoptère. Un exploit retentissant. Pourtant l'histoire a oublié ce précurseur, ingénieur remarquable, savant touche-à-tout, mais aussi naturaliste passionné. Etienne Oehmichen (1884-1955) est un visionnaire, il a révolutionné la science sans jamais compter son temps ni son argent, ignorant même le danger en pilotant lui-même ses extravagantes machines. A l'heure des drones, on réétudie ses prototypes, croisements entre insectes et hélicoptères.
Né à Châlons-sur-Marne en 1884, il suit sa mère à Lyon après le décès de son père. C’est là qu’un oncle lui offre son premier vol en ballon, lors de l’Exposition Internationale de 1894. Une révélation pour l’enfant. Plus tard, la famille s’installe dans la région de Montbéliard. Diplômé de l’Ecole Centrale de Paris en 1908, Etienne s’intéresse à l’aérodynamique, la cinématographie, la zoologie, la paléontologie. Premier poste à la Société alsacienne de constructions mécaniques de Belfort, puis sous-directeur à la société Peugeot, où il dépose une douzaine de brevets entre 1912 et 1914 (dynamo pour automobiles, démarrage de moteur à explosion). 

Mobilisé en 1914 dans l’artillerie, il travaille à l’amélioration des chars d’assaut, techniques qui seront utilisées ensuite dans la construction de machines agricoles. Après la guerre, les avions se sont imposés. Malgré tout, l'aéroclub de France lance un concours en 1919 : celui qui parviendra à faire voler un hélicoptère sur une distance d’un kilomètre en revenant à son point de départ recevra une prime de 10 000 francs. C’est le déclic pour Oehmichen. L’entreprise Peugeot Frères lui alloue un crédit de 180 000 francs. Oehmichen fait construire à Valentigney un atelier, un hangar et embauche une petite équipe constituée d’ingénieurs et de mécaniciens passionnés.
Il continue d’étudier le vol des insectes et des oiseaux pour tenter d’en percer le mystère. Met au point une caméra haute vitesse qui permet de comprendre la cinétique des mouvements d’ailes. Il réalise que les ailes battantes des insectes ont une fonction bien plus évoluée que l’aile fixe des avions, elles permettent simultanément la sustentation et la propulsion. Il décrypte aussi une troisième fonction, la stabilisation. En 1920, il publie « Nos maîtres les oiseaux », ouvrage où il étudie en détail, croquis à l’appui, le vol des oiseaux, des insectes. La suite consiste à transposer ces solutions biomécaniques à une machine conçue par ses soins.
En 1921, son hélicoptère numéro 1 se soulève en vol vertical à 3m, mais il faut l’aide d’un ballon pour le stabiliser. Plusieurs essais s’enchaînent, de plus en plus loin, il est toujours aux manettes. Le numéro 2 est opérationnel en 1923, premier vol de 5 min, puis vol en boucle, en ligne droite (525m), incidents multiples, Etienne Oehmichen s’en tire indemne. Le 4 mai 1924, date fondamentale, il réussit à voler 1 km en circuit fermé. Il gagne le concours et la notoriété.
1925: Fondation du laboratoire Oehmichen-Peugeot, avec homologation de nombreux brevets. Oehmichen améliore ses modèles d’hélicoptères, tout en produisant nombre d’engins divers, fruits de son esprit inventif, en radiologie, calibrage, pompage, cinématographie. Il multiplie les vols avec passagers, avec surcharge, poursuit ses études sur les hélices, sur la stabilisation par l’air, en étudiant le vol des hérons, des canards, des papillons. Les problèmes de stabilisation l'obligent à réintroduire un ballon stabilisateur, son Hélicostat a des allures de dirigeable, peu maniable. D'autres inventeurs rivaux travaillent sur un engin mixte avion-hélicoptère plus opérationnel. De plus, en 1936, les services officiels décrètent que l’hélicoptère n’a aucun avenir. Oehmichen jette l'éponge.
Il met alors ses connaissances sur le vol des engins mécaniques et des oiseaux au service de l’enseignement. Etienne Oehmichen est admis au Collège de France en 1939 à la chaire de Claude Bernard, sous le titre « Aérolocomotion mécanique et biologique », puis « Mécanique animale » qui préfigure la biomécanique. La Sorbonne devient son nouveau laboratoire, il continue ses études sur les espèces disparues, comme l’ichtyosaure. Nourrit ses cours de dessins prodigieusement expressifs. Il décède à Paris en juillet 1955, un mois après son dernier cours.

 Article complet dans le magazine Esprit Comtois n°11 (hiver 2017-18).


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