dimanche 26 février 2017

Chronique littéraire : Les gens dans l'enveloppe, de Isabelle Monnin

Un jour, la journaliste Isabelle Monnin achète sur internet un lot de photos de famille, d’origine inconnue. Elle les examine d’abord sans penser à les utiliser. Mais peu à peu un projet d’écriture se dessine, prend forme, et aboutit à ce qui n’est pas un roman, mais un OVNI en trois parties. D’abord une histoire inventée de toutes pièces à partir des personnages, de ce qu’elle perçoit d’eux. Ensuite, le journal de son enquête pour essayer de retrouver les authentiques « gens de l’enveloppe » et leurs témoignages. Enfin, son ami le compositeur Alex Beaupain décide de mettre l’aventure en chansons, et réalise un CD où se mêlent toutes les voix des personnages.

Chaque étape est curieuse. La gestation du roman, où apparaît entre les lignes l’enfance de l’auteur, ses souvenirs, ce qui la perturbe, la disparition, la fragilité. Le déroulement de l’enquête, sous forme de journal intime, qui est surprenant, puisque, grâce à Google, Isabelle arrive jusqu’à Clerval, dans la Franche-Comté de son enfance. La partie chantée est tout aussi intéressante, mélangeant les voix d’Alex, Camélia Jordana, Clotilde Hesme, Françoise Fabian, mais aussi celles des « gens de l’enveloppe » retrouvés.
Car à la fin, une relation féconde se tisse entre les auteurs et « les gens de l’enveloppe ». Le roman-enquête-disque  en est le symbole, un OVNI improbable et réussi, qui ne ressemble à rien de connu mais dégage une véritable humanité.

Les gens dans l’enveloppe est disponible en Livre de poche.

Chronique publiée dans le JTT.

samedi 18 février 2017

Papier peint : Un héritage de Jackie K.

En 1961-1962, Jackie Kennedy a entrepris de rénover l’intérieur de la Maison Blanche, avec le souci de mettre en valeur l’histoire de l’Amérique. Elle a fait tapisser le salon de réception des diplomates avec un papier peint panoramique ancien représentant les ports de New York, Boston, et leurs activités, ainsi qu’une parade à West-Point et un paysage des chutes du Niagara. Ce papier peint panoramique, créé en en 1833, a nécessité 1650 planches gravées, dont la fabrication et la pose ont été assurées par la manufacture alsacienne Zuber, propriétaire du modèle. Intitulé « Scènes d’Amérique du Nord », il raconte l’histoire et la vie sur la côte Est des Etats-Unis au 19ème siècle.

Le public français peut lui aussi admirer ce somptueux ouvrage au Musée du Papier Peint de Rixheim (68). Un musée qui conserve précieusement la mémoire de cette technique, dont l’âge d’or fut le 19ème siècle. Il est situé dans les lieux mêmes de la manufacture Zuber, qui fabrique du papier peint
depuis 1797, et continue à produire des modèles historiques. Le panoramique est le nec plus ultra du papier peint : un paysage à 360 °, décomposé en plusieurs panneaux, qui décore une pièce entière. Très à la mode après les retours d’expéditions lointaines de Bougainville, Cook ou Lapérouse, il représentait des destinations exotiques : Brésil, Amérique du Nord, Egypte, Hindoustan, pays qui venaient d’être explorés et dont la description faisait rêver. Végétation luxuriante, scènes de la vie sauvage, monuments ou événements historiques se déployaient ainsi sur les murs des riches demeures. Le deuxième étage du musée de Rixheim est entièrement consacré à ces splendides spécimens.

Mais il n’y a pas que le panoramique ! Le papier peint est de retour sur les murs et dans les catalogues de décoration. Les designers contemporains ont totalement renouvelé le concept : Frises, décors muraux, photos, trompe-l’œil, le classique est revisité, l’industriel adouci, le choix déborde d’originalité. Toutes les grandes maisons ont leurs stylistes, leurs revêtements spéciaux, leurs thèmes de prédilection, et proposent des produits innovants, aux sources d’inspiration multiples, de Christian Lacroix à Star Wars, des estampes japonaises aux motifs Art Nouveau. Le premier étage du musée expose les dernières tendances.

Quant au rez-de- chaussée, il est consacré à la technique. Le papier peint a été le témoin de la vie des 18ème et 19ème siècles. Décliné en diverses qualités : du plus ordinaire, avec une seule couleur pour les gens modestes, au plus luxueux, nécessitant jusqu’à 80 planches, il est passé d’une production artisanale (peint à la main) à une production
industrielle, grâce à l’avènement des machines. La première a permis d’imprimer à la main sur un rouleau de papier continu, puis la suivante a  utilisé des cylindres gravés pour reproduire le motif, une autre a permis d’appliquer vingt-quatre couleurs successives ... Au départ, un artiste peignait un motif, un assistant décomposait le motif en plusieurs calques correspondant à chaque couleur. Des graveurs sculptaient ensuite des planches de bois suivant les calques, un travail qui pouvait prendre des mois. Enfin seulement venait la phase d’impression : enduire les planches de couleur, les tamponner sur le rouleau de papier, en suivant des repères, avant de les faire sécher.

Le panoramique de la Maison Blanche est aussi un petit clin d’œil à la culture française de Jackie Kennedy. Espérons que Mister Trump ne va pas exiger d’en changer !

Article publié dans le JTT du jeudi 16 février 2017.

dimanche 12 février 2017

Chronique littéraire : Check-point, de Jean-Christophe Rufin

Notre académicien a un talent exceptionnel. Chacun de ses livres plonge le lecteur dans un univers différent, passionnant, dont il dévoile peu à peu la complexité. Une intrigue palpitante, des personnages qui révèlent leurs ambiguïtés, et les idées reçues volent en éclats.

Cette fois, le roman traite de l’humanitaire et de ses limites. Deux camions d’aide internationale partent pour la Bosnie en guerre, chargés de médicaments, nourriture, vêtements. Cinq personnes se relaient au volant. Sont-ils seulement animés par un esprit de charité ? Non. Chacun a, derrière une façade polie, des motivations secrètes. Lionel, chef de convoi, essaie de s’imposer pour séduire Maud, une fille qui cherche l’aventure. Les deux anciens soldats, Marc et Alex, ont l’expérience de la guerre en Bosnie, ils y ont lié des affections fortes, et y retournent chargés d’une autre mission : apporter des munitions. Et puis il y a un barbouze antipathique, qui espionne tout le monde, mais pour le compte de qui ? Au cours du voyage, l’ambiance se modifie, l’angélisme disparaît derrière les intérêts de chacun. Les passages de check-points mettent les nerfs à vif, et la belle unité se défait.

Jean-Christophe Rufin décrit sobrement la guerre, les différentes factions, serbes, croates, bosniaques, qui se partagent le territoire tandis que l’ONU reste passive, en observation. En quelques mots, il brosse un tableau réaliste de la détresse des populations. L’évolution politique comme celle des âmes humaines n’a pas de secret pour lui. Et de sa plume alerte, il nous plonge dans un passé proche, celui des années 1990, mais occulté. L’art de faire réfléchir sur les sujets de société contemporains.

Check-Point est disponible en poche chez Folio.

Chronique publiée dans le JTT.

samedi 4 février 2017

On a marché sur les eaux ... du Doubs !

Le froid glacial persistant permet de petites folies, comme patiner ou simplement marcher sur les étangs, les lacs et les rivières gelés. En Franche-Comté, c’est une détente très attendue par les amateurs de nature hivernale.

Le lieu le plus spectaculaire pour marcher sur les eaux se situe dans les gorges du Doubs, entre Villers-le-lac et le Saut du Doubs. Un itinéraire sauvage entre vertigineuses falaises calcaires et forêts touffues, inaccessible sauf en bateau-mouche pendant la belle saison. La couche de glace atteint plus de 10 cm, les méandres du Doubs ne sont guère profonds, et malgré quelques craquements en surface quand le soleil chauffe, on peut s’engager sans danger dans la profonde vallée creusée par le fleuve. Quelques kilomètres sinueux dans un monde totalement sauvage, où les chamois gambadent sur les pentes. 

La promenade est cosmopolite, car le Doubs est la frontière naturelle entre France et Suisse, aussi des dizaines de promeneurs y descendent des deux côtés, dans un savoureux mélange d’accents. Un public varié : Familles traînant les enfants en luge, patineurs, hockeyeurs, attirés par cette immense patinoire à ciel ouvert, qui donne au Haut-Doubs des airs de Canada, et randonneurs  parcourant tranquillement toute la partie navigable, jusqu’à la cascade prise par les glaces. Émerveillés par la beauté de la nature et par la magie éphémère de la météo, les photographes se régalent.  Jeux de lumière entre fleuve gelé et roches polies. Forêt sombre pailletée de neige, bateaux pris dans la glace, vols d’oiseaux criards en quête de miettes de pique-nique… Et sous le ciel bleu pur, des humains joyeux.


Article publié dans le JTT du jeudi 2 février 2017.