vendredi 29 janvier 2016

Chronique littéraire : S'abandonner à vivre, de Sylvain Tesson

Quand on a peu de temps à consacrer à la lecture, quoi de mieux qu'un recueil de nouvelles ? En quelques pages, un monde s'ouvre, une intrigue prend corps, se développe et  aboutit, ouvrant sur l'imaginaire. Les enfants ne sont pas les seuls à apprécier une petite histoire le soir !

Sylvain Tesson possède un vrai talent de conteur. Avec lui, on parcourt le monde loin des clichés, confronté à sa diversité ainsi qu’à celle des humains. Les descriptions sont brossées en quelques phrases efficaces. Une écriture sobre, mais une vision critique, pas d'angélisme. A chaque nouvelle, il nous plonge dans un univers exotique ou familier, hors des sentiers battus. De Bretagne en Sibérie, de Zermatt au Texas, de Paris à l’Afrique, il met en scène des personnages confrontés à l’absurdité de la vie. Ballottés ou déterminés, soumis ou fuyants, chacun doit trouver sa réponse aux difficultés. Son conseil, c’est de ne pas lutter, mais de s’abandonner à vivre, une philosophie acquise pendant son immersion de voyageur au long cours à travers la Russie.

Sylvain Tesson, écrivain, alpiniste, globe-trotter, né en 1972 à Paris, préfère les dangers de l’extrême au confort de la vie sédentaire, et la solitude aux mondanités. Capable de passer du cynisme à la fraternité, du glacial au tropical, rien de modéré, de convenu, chez lui. L’analyse du comportement humain, en groupe ou en solitaire, la précision des portraits au vitriol, l'émerveillement devant la nature, tout cela est soutenu par un style vif, ironique ou poétique. On sourit ou on grince devant la justesse des aphorismes, l’humour noir et un beau sens de la formule. 

S’abandonner à vivre est disponible en poche chez Folio.

Chronique publiée dans le JTT.

vendredi 15 janvier 2016

Grotte Chauvet, mode d'emploi

L'hiver est la meilleure saison pour visiter la Caverne du Pont d'Arc. Pas de problème météo, elle reste à température constante. Peu de touristes, pas de bus, on se gare facilement. Les vacances de Noël sont idéales, pas de groupes scolaires. Contrairement aux derniers mois, on peut même réserver sa visite la veille ! C'est le sésame obligatoire : il faut réserver par internet un créneau horaire. En effet, les visites de la Caverne sont guidées, un départ pour vingt personnes environ toutes les cinq minutes. Une fois cette formalité accomplie, il n'y a plus qu'à profiter du magnifique site inscrit au Patrimoine de l'Unesco depuis 2014.

Un site grandiose, où il n'y a pas que la Caverne à visiter. Il faut prévoir une demi-journée pour l'apprécier en entier. Plusieurs sentiers sillonnent le parc, une invitation à la promenade, ponctuée de belvédères, portiques d'information, coins pique-nique, ateliers, boutique et restaurant. Le site a été créé en pleine nature, dans un splendide environnement de chênes verts et de buis, tout près du fameux Pont d'Arc surplombant l'Ardèche, et de la falaise où se trouve la véritable Grotte Chauvet. Celle-ci, dissimulée aux regards par un éboulement pendant 21 000 ans, a été redécouverte en 1994. Un émerveillement ! Comment protéger et transmettre ce premier chef d'oeuvre de l'humanité, datant de 36 000 ans (à côté, Lascaux ne date que de 18 000 ans) ? En créant une réplique pour le public. Une prouesse technologique, scientifique et artistique, qui est devenue la Caverne du Pont d'Arc.

La galerie Aurignacienne, en libre accès au centre du parc, est une excellente introduction à la visite de la Caverne. On apprend tout, par vidéo et bornes interactives, sur les conditions de vie de nos ancêtres Aurignaciens, il y a 36 000 ans. Ces Homo Sapiens (comme nous), étaient chasseurs-cueilleurs. Contrairement aux idées reçues, ils ne vivaient pas dans des cavernes, mais dans des huttes faciles à transporter, pour suivre le gibier et les ressources naturelles. Le climat était rude, subglaciaire. La steppe abritait des rhinocéros laineux, des mammouths, des mégacéros (grands cervidés), des bisons et des lions. Les hommes, vêtus de peaux de bêtes, fabriquaient armes et outils, maîtrisaient le feu, le langage, attachaient beaucoup d'importance à l'éducation des enfants, leur apprendre à survivre étant une nécessité. Bref, ils formaient une société développée.

A l'heure réservée, on pénètre dans la Caverne. Et dès l'entrée, avant même la confrontation avec l'art pariétal, on est ébloui par le réalisme avec lequel la grotte Chauvet a été reconstituée, on se sent vraiment dans une grotte. Stalactites, stalagmites, draperies rocheuses, concrétions, luisent alentour, des ossements d'ours parsèment le sol (ils occupaient la grotte pendant l'hiver, jusqu'à 200 crânes ont été identifiés). La guide précise que pour les Homo Sapiens, la caverne était certainement un lieu de culte, où seules quelques personnes désignées avaient le droit de pénétrer. On n'y trouve pas de représentation de la vie quotidienne, mais des scènes de chasse spectaculaires. Plus on progresse vers le fond de la grotte, plus les décors sont riches. Paumes tamponnées ou mains soufflées à l'hématite rouge, animaux gravés au silex ou dessinés au charbon, peintures à l'ocre argileux, les techniques étaient diverses et sophistiquées.

La Grotte Chauvet a permis de réaliser que les Homo Sapiens, il y a 36 000 ans, maîtrisaient la représentation artistique. Non seulement ils savaient peindre et s'exprimer, mais ils vivaient sainement, se nourrissaient de viande et de baies, jouissaient d'une bonne santé, éduquaient leurs enfants. Venus d'Afrique, ils avaient réussi à s'imposer en Europe face aux Neandertal, survivaient malgré un climat glaciaire. De quoi nous faire réfléchir sur nos capacités d'adaptation, et notre place dans la grande chaîne de l'évolution.
Une visite passionnante, à conseiller à tout âge.

La Caverne du Pont d'Arc est ouverte tous les jours,
réservations sur www.cavernedupontdarc.fr
Tarif adulte : 13€, enfant de 10 à 17 ans : 6,50€, moins de 10 ans : gratuit.

Article publié dans le JTT.

samedi 9 janvier 2016

Une entreprise romanaise relève le défi : fabriquer un jean 100% français, le 1083

Pourquoi 1083 ? Parce que c’est la distance qui sépare les deux villes les plus éloignées de France (Menton et Prosporder en Bretagne). Plutôt que de faire parcourir des milliers de kilomètres à nos jeans, depuis l’Asie, l’Afrique ou l’Amérique, Thomas Huriez a décidé, dans une optique éthique et environnementale, de concevoir des jeans, T-shirts et chaussures entièrement français. En s’appuyant sur une tradition nationale : le savoir-faire en matière d’industrie textile et fabrication de chaussures, deux filières régionales en voie de disparition.

L’activité chaussures rassemblait à Romans, il y a vingt ans, plus de 2000 emplois, contre 300 aujourd’hui. Les sneakers, ballerines et sandales, proposées par 1083, entièrement fabriquées à Romans, esthétiques, confortables et résistantes, ont redonné vie à un atelier local. Côté jeans, malgré l’invention bien française du tissu employé, le denim (= de Nîmes) au XVIIIème siècle, les jeans 1083 sont les premiers à être de nouveau entièrement teints, tissés et confectionnés en France !

Le jean est traditionnellement fabriqué en toile denim, autrefois « serge de Nîmes », un textile au tissage très serré, où trois fils de trame indigo s’entrelacent avec un fil de chaîne blanc, laissant apparaître des lignes diagonales caractéristiques. Ce tissu robuste, qui s’assouplit et se décolore avec le temps, fut utilisé à Nîmes par les bergers cévenols, avant d’être commercialisé à grande échelle en Amérique, notamment par Lévi-Strauss. La couleur bleu indigo provenait d’une teinture appelée bleu de Gênes, déformée en  « blue jean ». Mais comment le denim (de Nîmes) s’est-il retrouvé teinté en blue jean (de Gênes) ? Tout simplement à cause de la révocation de l’Edit de Nantes, en 1685 : la famille protestante André, à la tête des manufactures textiles de Nîmes, fuyant les persécutions, s’est réfugiée à Gênes. Et le blue jean denim a été commercialisé à l’international.

Tissé dans les Vosges, teint dans la Loire, coupé à Marseille, le jean bio 1083 s’est vendu en deux ans à 20 000 exemplaires dans les boutiques de Grenoble, Romans et sur Internet. Les chaussures entièrement confectionnées à Romans ont permis l’embauche de 17 employés.
D’autres boutiques s’ouvrent, les T-shirts et les ceintures (créés en Haute Savoie) viennent compléter la gamme. En 2014, l’équipe a même fait les 1083 km en vélo, de Menton à Prosporder, pour aller à la rencontre des clients et des ateliers. Une opération promotionnelle originale pour cette entreprise à financement participatif, qui utilise toutes les tribunes possibles, reportage sur France 2, présence au Salon Made in France, intervention à la COP 21, article de Arnaud Montebourg … pour soutenir son idéal de proximité.

Changez vos habitudes de consommation ! Relookalisez-vous ! Profitez des soldes pour vous habiller écologique et confortable, grâce à la gamme 1083, Borne (née) in France !

SARL Modetic, 49 avenue Gambetta, 26 100 Romans (en face de la galerie des Marques)
www.1083.fr

Article publié dans le JTT du jeudi 7 janvier 2016.

lundi 4 janvier 2016

Chronique littéraire : Le charme discret de l'intestin, de Giulia Enders

Après les agapes de fin d'année, voici un livre salutaire, à dévorer et digérer sans peine. Consacré à tout ce qui se passe dans notre système digestif, cet essai est devenu en quelques mois un best-seller international. Plusieurs raisons à cela : l’intérêt général pour les problèmes de santé, mais surtout la pertinence des informations et le ton décoiffant employé par l’auteur.

Giulia Enders est une jeune Allemande, doctorante en gastro-entérologie. Très professionnelle, mais avec humour et sans tabous, elle retrace le voyage de la nourriture, de notre bouche jusqu’à l’anus. L’occasion de redécouvrir notre tube digestif, plus de huit mètres de long, où une nombreuse population s’active : enzymes qui pulvérisent la nourriture, bactéries qui transforment le bol alimentaire, neurones qui échangent avec le cerveau… Ainsi que toutes les pathologies qui s’y rapportent, diabète, obésité, ballonnements, crises de foie, constipation…
Pour Giulia, l’intestin est notre deuxième cerveau, et nombre de problèmes apparemment sans lien avec la digestion sont la conséquence d’une souffrance de cet organe : mauvaise alimentation, excès, indifférence aux messages envoyés par le corps. Elle-même a souffert d’une maladie de peau récurrente, finalement vaincue par un régime. Et préconise diététique, consommation modérée de produits chimiques, écoute du corps, des émotions, en relation avec le cerveau « du haut ».

Il fallait oser décrire les consistances du caca, les causes du vomissement, la meilleure façon de déféquer ! Giulia a osé, elle explore avec simplicité et beaucoup d’humour toutes les  questions sur le sujet, et n’hésite ni à donner quelques trucs concrets, ni à faire part des dernières découvertes scientifiques. Lorsque les explications deviennent trop techniques, sa sœur Jill, graphiste, intervient pour traduire le propos en illustrations naïves et cocasses.
Enfin, pour la bonne bouche : savez-vous que l’intestin, cet organe mal connu et mal aimé, fabrique la sérotonine, hormone du bonheur ?

"Le charme discret de l’intestin" est publié chez Actes Sud.

Chronique publiée dans le JTT.