jeudi 28 février 2019

De la taxidermie à l'art contemporain


A côté de Delémont, au bout d’un vallon sauvage du Jura suisse, une exposition spectaculaire : L’Arche de Noé réunit plus de 3000 animaux, figés dans des postures troublantes de réalisme. L’œuvre d’un homme, d’une vie, celle de Christian Schneiter, taxidermiste.

Un métier de plus en plus rare (il reste une cinquantaine de taxidermistes en France), qui, à côté de la maitrise technique, exige de grandes connaissances en zoologie, des capacités d’observation ainsi qu’un regard artistique. Les étapes de naturalisation diffèrent suivant les animaux. Pour les oiseaux, c’est assez simple, la peau est soigneusement découpée, la chair et les os sont extraits et remplacés par une boule de paille avant de recoudre. Pour les grosses bêtes, une fois la peau retirée, il faut modeler la forme exacte de l’animal en mousse de synthèse, avant de l‘habiller de sa fourrure. Un travail de sculpteur. Quant à la position choisie, elle est le fruit d’une observation minutieuse des habitudes de chaque animal. De son enfance dans les bois, Christian Schneiter a gardé l’habitude d’observer les animaux, étudiant la démarche du blaireau, les expressions du renard ou le vol de la corneille. 
Christian Schneiter travaille pour les particuliers, les musées, les écoles. Il reçoit des animaux provenant du monde entier. Morts dans les zoos, les centres de soins, les élevages, tués à la chasse ou au bord des routes… Son impressionnante collection d’animaux naturalisés est issue de tous les continents, avec une exceptionnelle variété d’oiseaux exotiques, de félins, mais aussi de spécimens de nos régions, rongeurs, lynx, ours, loups … Aujourd'hui cette collection, la plus importante de Suisse, est un formidable outil pédagogique.

Mais l’exposition ne s’arrête pas là, car Christian Schneiter a décidé d’évoluer vers une dimension plus artistique. D’abord en mettant en scène les Fables de La Fontaine. Puis en créant des personnages fantastiques, mi-hommes, mi-bêtes : la salle “Manimal” compte une centaine de mannequins humains à tête d’animaux naturalisés, dans des situations cocasses, ainsi que chimères, yétis, licornes et autres centaures. Il est invité à exposer ses créatures à travers toute l’Europe.

Dernier tournant professionnel la réalisation de projets imposants, sculptures de résine ou de bronze, reprenant les animaux emblématiques des régions. Des commandes issues de responsables de tourisme qui les installent sur les places publiques ou ronds-points, où les visiteurs adorent se photographier. Chamois, aigles, ours, vaches, symboles de la montagne, du pays, ou destinés à décorer un jardin, Christian Schneiter fabrique ainsi n’importe quel animal dans n’importe quel format, à la demande. Une spécialité encore plus rare que la taxidermie.
Article publié dans le JTT du jeudi 28 février.

lundi 18 février 2019

La donation de Pierre Boncompain à Montélimar


Présentée au regard du public sous le titre « De Renoir à Picasso », l'exposition des œuvres offertes par l'artiste Pierre Boncompain au Musée d'Art Contemporain de Montélimar vient de se terminer. Mais que les amateurs se rassurent : la donation sera bientôt exposée à demeure dans un lieu dédié.

Pierre Boncompain est drômois, né à Valence en 1938 dans une famille éprise de littérature. Formé dès 1957 à Paris aux Arts Décoratifs puis aux Beaux-Arts, il est rapidement repéré comme peintre, et exposé en France, puis dans le monde entier. La lumière de la Drôme accompagne ses créations, c'est pour lui une source d'inspiration permanente. On retrouve dans ses toiles toutes les sensations offertes par sa nature généreuse : fleurs du jardin, fruits des vergers, jeux d'ombre dans les collines, végétation frissonnante sous le mistral.

Peintures, tapisseries, céramiques, et un exceptionnel ensemble de pastels illustrant le Cantique des Cantiques ont ainsi illuminé de leurs couleurs les cimaises du musée Saint-Martin et les salles du Château des Adhémar. En contrepoint des œuvres colorées du peintre, étaient exposées celles, plus graphiques, de grands artistes du XIXème et XXème siècle : dessins, gravures, de Renoir, Dufy, Matisse et surtout Picasso. Des œuvres issues de la collection personnelle du peintre, pour qui admirer un tableau, c'est une manière de pénétrer dans l'atelier du maître.

A 80 ans, Pierre Boncompain, figure majeure de l'art contemporain, a fait un très beau cadeau à Montélimar et à sa Drôme natale, vers laquelle il revient régulièrement. L'architecture épurée du centre Saint Martin et les voûtes historiques du Château des Adhémar ont constitué, chacun dans son style, un écrin idéal pour sa donation. On attend avec impatience de retrouver cette collection dans un cadre permanent.

Article publié dans le JTT du jeudi 14 février 2019.

dimanche 10 février 2019

Enigme généalogique, de Bergame à Saint-Pétersbourg



Mon carnet de voyages à travers l'Italie, la Suisse, la Russie vient d'être publié aux Editions du Lion.

Sous forme d'une enquête généalogique, il met en scène les rencontres, les anecdotes, mes impressions lors de séjours dans ces pays. Et fait découvrir l'œuvre de Giacomo Quarenghi, né à Bergame en 1744 et devenu l'architecte favori de la tsarine Catherine II et de ses successeurs, jusqu'à sa mort en 1817 à Saint-Pétersbourg.

Le prétexte du livre : Cet architecte était-il lié à mon grand-père, Giacinto Querenghi (1896-1978), dont j'ai raconté la vie aventureuse dans mon précédent ouvrage "O mia Patria" ?

La réponse se dévoile au fil des pages. Comme avec les poupées russes, une piste en cache un autre, qui en cache encore une autre… Bonne lecture !


samedi 2 février 2019

Le passage du Saint Suaire à Saint-Hippolyte (25)

Le Saint Suaire est un drap de lin jauni de 4.36 m sur 1.10m qui a servi à envelopper le corps d’un crucifié, considéré depuis des siècles comme celui du Christ. Il est vénéré comme une relique par les chrétiens. Est-ce vraiment le linceul du Christ ? La question reste posée, malgré les innombrables analyses entreprises depuis plus d'un siècle.

Transporté en 1453 à Chambéry, puis à Turin, le Saint Suaire est conservé depuis 1578 dans une chapelle construite spécialement pour l’accueillir, à l’intérieur de la cathédrale San Giovanni. C'est un important lieu de pèlerinage. Mais à part de très rares ostensions, le Saint Suaire n’est pas visible. Il est enfermé dans un coffre blindé rempli d’un gaz inerte et doté d’un équipement de sécurité maximal : température, pression et humidité contrôlées. Les fidèles n’en aperçoivent qu’une reproduction mystérieuse. L’exposition publique du Saint Suaire en 2015 a attiré 2 millions de pèlerins à Turin. 


Le Suaire fut vénéré jusqu’au VIIème siècle à Jérusalem, puis on a perdu sa trace. On l’évoque comme prise de guerre par les Ottomans, avec d’autres reliques de la Passion, à Constantinople au XIIème siècle. La première mention du linceul en France provient de Lirey, en Champagne, en 1357. Il aurait été donné par Othon de la Roche à la famille de Charny, après la prise de Constantinople par les Croisés en 1204. L’abbaye de Lirey attire alors des foules innombrables venues vénérer la relique. En 1418, le Saint Suaire est transporté en Franche-Comté, à Saint-Hippolyte, par Marguerite de Charny, épouse de Humbert de la Roche-en-Montagne. Il y restera 34 ans ! Une copie du suaire, dans la collégiale atteste sa présence, ainsi qu’un vitrail de la même époque représentant Humbert tenant le suaire. Mais c’est à l’église de Terres de Chaux, village voisin, qu’on retrouve les plus anciens témoignages du passage du suaire : des fresques du XVème représentant le linceul tenu par des anges. 
C’est à l’essor de la photographie qu’on doit la suite de l’histoire. En 1898, à Turin, un photographe, Secondo Pia, obtient l’autorisation de photographier le linceul. Surprise : quasiment invisible à l’oeil nu, l’image apparaît avec précision en négatif : un homme et ses blessures sont clairement imprimés sur le linge : couronne d’épines, flagellation, coup de lance dans la poitrine, clous dans les mains.
Suscitant d'âpres débats sur son authenticité et sa datation, le Suaire de Turin devient alors l'objet le plus étudié de l'histoire. Toutes les techniques modernes d'analyse, tous les pays, s’y confrontent. En 1988, la datation par le carbone 14 démontre l'origine médiévale du suaire (XIIIe – XIVe siècle), qui ne peut donc pas être considéré comme une relique authentique. Dès leur publication, ces résultats sont acceptés par le pape Jean-Paul II. En 1998, celui-ci invite les scientifiques à poursuivre leurs recherches (néanmoins l'Église catholique, propriétaire du linceul depuis 1983, ne s'est jamais prononcée officiellement sur son authenticité). Peu après, on décèle des traces de pollen provenant de Palestine. Récemment, l’université de Padoue a prouvé que la datation au Carbone 14 ne pouvait donner aucun résultat fiable, car de nombreux facteurs ont modifié la teneur du C 14 de la relique (expositions à l'air, voyages divers, fumées des bougies, et surtout les incendies qui l’avaient endommagée aux 13ème et 15ème siècles). Le mystère reste entier.

Saint-Hippolyte et la Franche-Comté peuvent s'enorgueillir d'avoir conservé le Saint Suaire, et pas seulement pendant 34 ans ! A Besançon, la vénération du Suaire a  subsisté jusqu'à la Révolution, occasionnant d'abondantes retombées financières. Qu'on soit croyant ou non, la visite de Saint-Hippolyte et Terre-de-Chaux mérite le détour pour mieux comprendre l'histoire.

Plus de détails dans le numéro 14 de L'Esprit Comtois.