jeudi 31 juillet 2025

Les Voyageurs ont posé leurs bagages à Crest

Bruno Catalano est un sculpteur de renommée mondiale. Ses Voyageurs de bronze, aux corps traversés par une grande faille, décorent les capitales de nombreux pays. Et depuis peu, une de ses sculptures orne le parvis de la mairie de Valence. Mais c’est à Crest qu’il habite, et Crest lui rend hommage par une grande exposition de ses œuvres, dans les rues et au Centre d’Art.

Ces sculptures monumentales, des hommes chargés d’un bagage et largement fissurés, intriguent et interpellent le spectateur. Par leur réalisme, leur taille, mais aussi par l’alchimie entre le vide et le plein. Comment tout cela tient-il ? Johnny sur le quai de la gare de Crest, avec bandana et sac de voyage, un cadre cravaté allant au travail dans la rue, un touriste affalé qui attend l’embarquement, un migrant désemparé, chacun est à la fois attiré et interrogé sur ses propres fêlures, que ce soit un pays, une famille, un amour, un travail, des amis…

Bruno Catalano n’a pas toujours créé de tels personnages, c’est même le hasard d’une faille dans le processus de coulage de la fonte, qui lui a donné l’envie d’exploiter l’idée d’incomplétude de l’être humain. Lui aussi a connu des départs douloureux. D’origine franco-sicilienne, né au Maroc en 1960, il a suivi ses parents à Marseille en 1970. A 20 ans, il s’est embarqué comme mécanicien sur les bateaux, avant de découvrir la sculpture d’argile puis de bronze et de s’y consacrer dès 1991. Autodidacte, la sculpture est devenue son activité principale, au point d’être sollicité en 2001 par la mairie de Marseille pour exécuter un buste de Yves Montand. Mais ce sont les Voyageurs qui ont fait son succès depuis 2004.

Dans le Centre d’art de Crest, des petites figurines réalistes pleines côtoient harmonieusement les géants de bronze évidés. Bruno, qui se définit comme artisan sculpteur, a voulu que l’exposition « Traversée commune » mêle l’artistique au pédagogique. Et rende hommage aussi à ses équipes de fondeurs locales, en détaillant les diverses étapes du processus créatif. De l’argile au moule en élastomère, du moule au plâtre puis à la cire, qui est retravaillée, remoulée, jusqu’à sa réplique en bronze, ensuite soudée, poncée, ciselée, patinée. Ses sculptures sont le résultat d’un travail artisanal collectif et exigeant.

Lors du vernissage de l’exposition, vendredi 20 juin, Bruno Catalano, immense artiste dont la modestie et la gentillesse sont bien connues des Crestois, a reçu la décoration de Chevalier des Arts et Lettres de la main de Hervé Mariton, ancien ministre et maire de Crest. Une reconnaissance bien méritée. Dont la ville bénéficie largement, puisque grâce à lui, elle est devenue le pôle culturel de la vallée de la Drôme.

Exposition visible du 21 juin au 5 octobre, dans les rues et au centre d’Art de Crest. Des rendez-vous, rencontres, visites, sont organisées tout l’été. Tél : 0475766138.


Article publié dans le JTT du jeudi 31 juillet 2025.

samedi 26 juillet 2025

Vercors en lumières : Un parcours lumineux dans la forêt de Villard-de-Lans

 

Depuis le 28 juin et jusqu’au 28 septembre, à la tombée de la nuit, le site nordique de Bois Barbu à Villard-de-Lans se pare de lumières pour raconter l’histoire et l’âme du Vercors. Un sentier lumineux a été créé en plein cœur de la forêt communale, on le parcourt accompagné par la voix de Papito, un ancien du village et sa petite-fille...

Comment cela se passe-t-il concrètement ? La société grenobloise Orpheo, spécialisée en audioguides et mapping (images projetées sur les monuments) est à l’origine de ce projet original, un parcours pédestre en son et lumière. C’est donc équipé d’un casque qu’on part du chalet de Bois Barbu, pour découvrir la forêt autrement, mise en valeur par des lanternes en forme de pommes de pin, des éclairs de lumières bleues, vertes, rouges, blanches, des images de loup, d’ours, de Résistance, de charbonnières, tout en écoutant le récit de Papito.


Entre magie et pédagogie, chaque étape révèle une facette du territoire : sa géologie, sa faune, ses forêts, ses habitants d’hier et d’aujourd’hui. Le parcours dure environ une heure, une heure d’enchantement visuel dans un monde féérique. Une activité inédite de plus pour la station prisée par les vacanciers en été.

vercors-lumieres.com

Chalet de Bois Barbu  38250 Villard-de-Lans
Tarif : adulte 17.50 €, enfant de 6 à 15 ans : 10€. Prévoir de bonnes chaussures.

Article publié dans le JTT du jeudi 31 juillet 2025.

lundi 21 juillet 2025

Le charme retrouvé du château de Fontager

Après de nombreuses vicissitudes, ce bâtiment chargé d’histoire et son parc aux cèdres multiséculaires, a été repris par une équipe franco-danoise dynamique. Porté par de nombreux projets, il devient une adresse chic et charme incontournable de la région, dans une ambiance très nordique.

Le château, dans son aspect actuel mêle diverses époques de construction, datant des XIIe, XVIIe, XVIIIe siècles. Mais ses fondations sont d’époque romaine, en témoignent de nombreux vestiges retrouvés dans le domaine. La légende veut que Ponce-Pilate lui-même, alors gouverneur de la ville de Vienne, y ait vécu (d’où le nom du village de Ponsas) mais aucune archive ne le prouve. Au contraire, il est avéré que Diane de Poitiers, comtesse de Saint-Vallier, y a séjourné chez ses cousins les seigneurs de Vaucance.

Toujours est-il qu’au château de Fontager, l’accueil des clients est royal. Les hôtes peuvent profiter de 35 chambres luxueuses, d’accès à la grande piscine, à l’espace sauna, et de deux formules de restauration, gastronomique (le Chant de la source) ou bistrot, avec aux fourneaux un des meilleurs chefs danois, Nicolaj Skou Poulsen. 

Changement de gérance, changement de chef, et même une sévère inondation en septembre 2023, les difficultés n’ont pas été épargnées au domaine. Mais l’actuelle directrice relève le défi, en collaboration avec une équipe motivée. Le chef, amoureux de la cuisine française, mélange harmonieusement inspiration française et technique danoise. Les ingrédients locaux sont mis à l’honneur, grands crus de la vallée du Rhône, légumes des îles Féray, jusqu’aux ruches du parc qui assurent la production de miel pour le petit déjeuner !

Dernières innovations ouvertes à tout public, même non-résident : la Wine Hour, le vendredi entre 17 et 18h, une dégustation menée par l’éminent sommelier du domaine. Les White Night Pool Parties, en cette période caniculaire, organisées à partir de 18h, musique et boissons au bord de la piscine de 35 m. Le Sporting-club, caché dans la forêt de 26 ha qui entoure le château, avec courts de tennis et padel, salles de yoga et fitness.

Le Château de Fontager est à redécouvrir, un lieu chargé d’histoire, caché dans la verdure, parfait pour une pause de charme ou pour un événement d’exception.

Château de Fontager, renseignements sur Facebook; 8 RTE de Lyon - Nationale 7, 26600 Serves-Sur-Rhône · 04 51 26 08 86

Article publié dans le JTT du jeudi 31 juillet 2025.

dimanche 13 juillet 2025

Lalouvesc et le Carrefour des Arts

Le Carrefour des Arts a débuté le 8 mai par la présentation de la saison 2025 et le vernissage de l’exposition de photos hors les murs « Observations surnaturalistes » de Fany Morand,  visible jusqu’en octobre.

Fany Morand, illustratrice drômoise, a disposé ses photos d’animaux fantastiques tout autour de la basilique Saint Régis. Accessible librement, cette exposition plonge le visiteur dans l’imaginaire des contes de l’enfance à partir de gravures naturalistes superbes. Les animaux dessinés à l’encre, revisités par des clins d’œil à la mythologie, la paléontologie, la science, sont interprétés avec les techniques numériques actuelles. Un subtil mélange de naturalisme et surréalisme, qui éclaire les murs de la basilique, provoquant étonnement et questionnement devant le monde qui nous entoure.

Mais ce n’est pas tout ! Une exposition de dix autres artistes est visible du 5 juillet au 31 août au Centre d’Animation Communal ainsi qu’à la chapelle Saint-Ignace, tandis que le jazz et la musique classique seront à l’honneur du 1er au 26 août dans différents lieux de la Haute Ardèche et du Val d’Ay.

Gratuité des expositions, gratuité des concerts pour les mineurs, qualité et diversité des œuvres exposées, le Carrefour des Arts de Lalouvesc accueille un public de plus en plus nombreux (15 000 visiteurs en 2024). L’ambition de l’association de bénévoles qui s’en occupe est de renouveler l’image de Lalouvesc, villégiature touristique et spirituelle. Leur dynamisme paie, puisque le village, à 1000 m d’altitude, est devenu une destination attractive et solidaire.

Article publié dans le JTT du jeudi 10 juillet 2025.

lundi 7 juillet 2025

Les innovations révolutionnaires des frères Seguin

Nous fêtons cette année le bicentenaire de la première passerelle installée sur le Rhône entre Tain et Tournon par Marc Seguin en 1825. De nombreuses manifestations sont organisées jusqu’en septembre sur le sujet. Mais l’influence de Marc Seguin et ses frères va bien au-delà des ponts ! Il faut se replonger dans l’époque pour comprendre la révolution que les Seguin ont impulsée en tous domaines pour toute la région.

Depuis le Moyen-Age, seuls 3 ponts permettaient de traverser le Rhône : celui de Lyon La Guillottière, celui de Pont-Saint-Esprit et le pont d’Avignon. Les bacs à traille permettaient ponctuellement de passer d’une rive à l’autre, sans donner satisfaction. Marc Seguin propose dès 1822 un modèle de pont plus facile et moins coûteux que les ponts de pierre, en s’inspirant et améliorant la technique des ponts suspendus par des chaînes et donc fragiles. Son invention est de remplacer les chaînes par des câbles solides formés de plusieurs fils de fer. Une idée empruntée à sa formation dans l’usine familiale de draps d’Annonay ? Il choisit de construire sa première passerelle entre Tain et Tournon, Tain étant le berceau familial. A 39 ans, en 1825, ce pont est achevé à ses frais. C’est un succès, et les frères Seguin se remboursent largement grâce au droit de péage.

Il n’en subsiste actuellement que deux éléments : à Tournon un petit balcon sur le Rhône au niveau du Château, à Tain un effleurement en face. Cette passerelle a été détruite une vingtaine d’années plus tard. Le temps de construire un autre pont, plus haut, plus large, (celui qu’on appelle passerelle aujourd’hui), terminé en 1849. Et généreusement, les frères Seguin reconstruisirent ensuite la première passerelle à côté, mais plus haute, pour les piétons. Pourquoi ? Parce que la navigation à vapeur sur le Rhône avait débuté, il fallait laisser passer des bateaux équipés de hautes cheminées.

Et qui construisait les bateaux à vapeur ? Les frères Seguin, dans leur atelier de fabrication à Andance. Encore une révolution à mettre à leur bénéfice. Les frères Seguin, dirigés par leur aîné Marc, rassemblaient toutes les qualités pour mener de grandes entreprises industrielles : ingénieur, chef de chantier, financier, administrateur, négociateur, chacun avait un rôle défini. Leur « consortium » symbolise la révolution industrielle, tant leurs activités étaient multiples. Et après les ponts, ils ont voulu remplacer la navigation traditionnelle par halage en utilisant des remorqueurs à vapeur.

Pour cela Seguin achète en Angleterre deux machines à vapeur, avec lesquelles il équipe deux embarcations : un remorqueur (toueur) pouvant traîner 3 péniches, mû par l’enroulement d’un câble tendu depuis un point fixe par un deuxième bateau plus petit, le voltigeur. Il fallait répéter ensuite la manœuvre tout au long du trajet. La navigation à vapeur s’est développée ensuite à grande vitesse, sous l’impulsion de nombreuses compagnies concurrentes. Des bateaux ont rapidement navigué sans avoir besoin de câbles. Les Seguin sont même les premiers à remonter le Rhône en bateau à vapeur, de Arles jusqu’à Lyon en 1828.

Toujours à cette époque, Marc Seguin a amélioré la conception de la machine à vapeur de Stephenson, avec cette fois, le projet de faire construire le premier chemin de fer de France. La demande venait des mines de charbon de Saint-Etienne, désireuses de livrer leur minerai aux industries de Lyon. Un travail colossal a commencé, il fallait construire une voie ferrée en pente régulière, entre Lyon et Saint-Etienne, en traversant la montagne par des tunnels. Malgré les difficultés techniques et financières, en 1833 la première ligne de train a ouvert, d’abord au transport du charbon puis à celui des voyageurs, entre Saint-Etienne et Lyon. Le modèle fut repris ensuite à Paris puis partout en France.

Marc Seguin et ses frères ont donc véritablement révolutionné les moyens de communication par leurs ponts, leurs bateaux, leurs trains, et tout cela entre 1825 et 1833. Leur travail, leur inventivité, leurs initiatives ne sont guère connues en regard de l’héritage laissé. Les avancées techniques qu’ils ont proposées sont devenus par la suite des standards de construction. Ainsi en quelques années, dans les années 1850, une dizaine de ponts du type Seguin ont été construits sur le Rhône, et jusqu’à 450 partout en France, en Europe, aux Etats-Unis (Golden Gate, Brooklyn Bridge).

Cette histoire extraordinaire d’innovations portées par une fratrie d’industriels géniaux, c’est Michel Cotte, professeur d’université expert en histoire du patrimoine industriel qui la partage par ses écrits, ses cours ses conférences. Un homme de grande culture, au service de la (re)connaissance de Marc Seguin, qui le premier a voulu unir Tain à Tournon. Un programme toujours d’actualité !

Article publié dans Regard Magazine de avril 2025.

jeudi 3 juillet 2025

Chronique littéraire : Le passeport de Monsieur Nansen, de Alexis Jenni

Une biographie hors du commun, celle d’un explorateur polaire qui sauva des milliers de vies.

Fridtjof Nansen (1861-1930) était doué en tout. Champion norvégien de ski et de patinage, scientifique reconnu pour ses travaux en neurologie, dessinateur et écrivain de talent, il n’avait qu’un défaut : incapable de rester en place. Sans cesse attiré par l’aventure sous toutes ses formes, il fut le premier à traverser le Groenland à ski en 1888. Il acquit une renommée internationale en organisant de 1893 à 1896 une approche du pôle Nord, en laissant son bateau dériver dans les glaces jusqu’à la latitude de 86°13'. Ses innovations et ses techniques furent reprises ensuite par toutes les expéditions polaires.

Reconnu comme un des plus éminents citoyens de son pays, devenu diplomate, il négocia l’indépendance de la Norvège (1906-1908) puis s’occupa du rapatriement des soldats russes et allemands déplacés après le bouleversement des frontières en 1918. Réalisant que de nombreux apatrides n’avaient plus de papiers, il mit au point le passeport qui leur permettrait une nouvelle vie, reconnu par une cinquantaine de pays. Prix Nobel de la paix en 1922, Il se consacra à la Société des Nations de 1921 jusqu’à sa mort.

Cette vie pleine d’aventures, de dangers, succession de succès et d’échecs, c’est Alexis Jenni, né à Lyon en 1963 agrégé de sciences naturelles, Prix Goncourt en 2011, qui la met en scène avec brio. Une captivante leçon de vie, disponible en poche aux éditions Paulsen.

Chronique publiée dans le JTT du jeudi 17 juillet 2025.