vendredi 30 décembre 2016

Gréoux : La passion des santons

C'est un artisanat emblématique en Provence, que la famille Truffier met un point d'honneur à préserver. Et pour cause : ils sont santonniers à Gréoux-les-Bains depuis 8 générations. L'argile de Moustiers, les moules de plâtre, le séchage des figurines au soleil, avant la cuisson au four, et la décoration, tout se fait à la main, et dans le respect de la tradition. L'atelier Truffier-Douzon a obtenu le label convoité d'Entreprise du Patrimoine Vivant.

A l'origine, les santons, symboles de la piété populaire, ne passaient pas au four, ils restaient crus. Chaque famille réalisait les siens, et ils ne duraient que le temps d'un Noël. Puis les modèles artistiques destinés à décorer les églises se sont démocratisés, l'artisanat des santons s'est développé en France autour de Marseille, au début du XIXème siècle. Les premières grandes foires spécialisées ont permis aux artisans de confronter leurs techniques, de stimuler leur créativité. Santons peints, santons habillés, crèches, villages, végétation, les santonniers ont développé toute une gamme autour de la Nativité, et des petits métiers traditionnels de la région méditerranéenne.

Les santons, d'abord commercialisés pour Noël uniquement, ont connu un grand essor avec le développement du tourisme. Puis l'engouement s'est tari, seuls les collectionneurs et les traditionalistes s'y intéressaient. Aujourd'hui, le regain d'intérêt pour le patrimoine les remet en lumière. La maison Truffier-Douzon s'inscrit dans la tradition et le savoir-faire. Point de sujets à la mode, mais de l’authentique, en habits neufs. Il faut voir la perfection des détails, dans les vêtements et accessoires du rémouleur, de la poissonnière, du ravi, de l'Arlésienne... ou du soldat de 1914.
Moi, le santon que je préfère, c'est le Pistachié, appelé ici Bartoumiou, un coureur de jupons un peu naïf, qui apporte à la crèche ses présents : fougasses, fruits secs, morue et chapelet de ... saucisses.

http://www.santons-truffier.fr/

Article publié dans le JTT du jeudi 29 décembre 2016.

mardi 27 décembre 2016

Le choeur des anges à Tournon

Le chœur féminin Rimski-Korsakov de Saint-Pétersbourg a enchanté le public nombreux venu assister au concert à la Collégiale Saint-Julien, samedi soir. Les choristes russes, en aube pourpre, longs cheveux lissés, ont donné en première partie un récital consacré à la liturgie orthodoxe de Noël. Des psaumes religieux, sans interruptions, beaucoup de gravité, une attention soutenue, chacun a pu apprécier la maîtrise vocale des chanteuses et de leur chef, Sergueï Ekimov.

En deuxième partie, changement de style, les choristes ont égayé leur tenue de châles fleuris traditionnels, et proposé des chants de Noël populaires, des ballades de Tchaïkovski, Rimski-Korsakov. Quelques déplacements en procession dans les contre-allées ont mis en valeur l’acoustique parfaite de la collégiale. Les solistes ont rivalisé d’aisance, leurs salutations gracieuses, d’un tournoiement de châle, ont enchanté le public.

Le final était prévu avec un chant emblématique de Noël, en français : « Il est né le divin enfant », qui fut repris en chœur par un public enthousiaste. Mais les applaudissements n’ont cessé qu’après l’interprétation du célèbre « Temps du muguet », parfaite symbiose  artistique franco-russe. 

Article publié dans le JTT du jeudi 22 décembre.

vendredi 23 décembre 2016

Chronique littéraire : Le Royaume, de Emmanuel Carrère

Un livre exceptionnel. Par la richesse de la documentation étudiée : diverses versions de la Bible, en diverses langues, mais aussi chroniques grecques et romaines des premiers siècles, et exégètes de toutes époques. Un colossal travail d’érudition, impossible à faire soi-même, qui nous est livré en abrégé, dans sa quintessence. Un régal de découvertes.
Exceptionnel aussi par l’audace de l’auteur, à l’écriture critique, émaillée de comparaisons hilarantes avec notre contexte moderne : Les références à Ben Laden ou Poutine, Staline ou Saddam Hussein, permettent en un clin d’oeil de comprendre toute la complexité d’une situation. Une transmission des informations réussie.

Car le Nouveau Testament, recueil de textes poétiques ou incantatoires, de lettres, récits de la vie de Jésus, de méditations, prières, écrits par différents disciples, dans les années 60 à 90 après JC, est une œuvre multiforme foisonnante, mais mystérieuse. Comparer les versions des uns et des autres, traquer à travers le style de chaque auteur la personnalité qui s’exprime, savoir ce qui s’est vraiment passé, devient une enquête jubilatoire pour E. Carrère. Luc a sa préférence, avec sa démarche d’historien précis, qui n’a rien vu de ses yeux, mais qui analyse les données. Alors que Paul, qui a rencontré Dieu, mais pas Jésus, Marc, qui a vu Jésus de loin, Jean et Matthieu, qui ont vécu avec Lui, se livrent à une forme de concurrence, chacun se croyant le dépositaire du message sacré, chacun racontant sa version.

Ce récit d’investigation est un régal d’intelligence et de culture. Mais dans quel but a-t-il été écrit ? La passion de la recherche historique, l’intérêt d’une minutieuse analyse des styles ? Pas seulement : comme toujours chez E.Carrère, c’est la partie personnelle, intime, vécue, qui fait la différence, et donne toute sa saveur au texte. Interrogations, critiques, hypothèses, errances (quelques pages érotiques incongrues), E.Carrère nous fait partager ses recherches, et expose son rapport ambivalent à la religion. Il se définit comme agnostique, après avoir traversé diverses phases, dont une crise mystique profonde. Son itinéraire spirituel est nourri par l’étude de la Bible. Ses doutes font écho aux balbutiements de l’histoire chrétienne.
Un péplum qui donne envie de se confronter aux textes fondateurs, pour en apprécier la richesse littéraire, historique et spirituelle. Ouvrez les pages du Royaume, et réjouissez-vous !

Le Royaume est disponible en poche chez Folio.

Chronique publiée dans le JTT.

mercredi 14 décembre 2016

Le Marché de Noël de Montbéliard

« Les Lumières de Noël », ce n’est pas seulement à Lyon que ça se passe ! A Montbéliard, pendant un mois, le Marché de Noël transforme la cité des Princes en un déferlement féerique de guirlandes, volutes et autres décorations. Les rues, les places, les façades, le château ruissellent de lumières. L’architecture germanique de la ville (possession des princes de Wurtemberg jusqu’à la Révolution), les gelées nocturnes, s’accordent parfaitement à l’ambiance nordique, petits chalets de bois, doudounes et vin chaud. Un succès phénoménal, puisque le Marché de Noël de Montbéliard est en train de dépasser en terme de fréquentation celui de Strasbourg : 500 000 visiteurs sont attendus entre le 26 novembre et le 24 décembre. Pourquoi cet engouement ? Parce que « Les Lumières de Noël », manifestation circonscrite à la vieille ville de Montbéliard, avec ses dimensions raisonnables, ses animations traditionnelles, conjuguent authenticité et exotisme.

Marché d’artisans de qualité, plus de 160 devant le temple Saint Martin, le plus vieux temple protestant de France. Marché gourmand, où l’on peut acheter et déguster les spécialités locales, saucisses et roestis, comté et vin blanc, mais aussi garnir la table de Noël de bien d’autres saveurs sucrées ou salées. Depuis trente ans d’existence, le programme des animations qui se succèdent au fil des jours est rôdé. Défilé des lumières, concours de décorations, déambulation de musiciens et de comédiens en ville. Village des enfants, patinoire, ateliers des lutins, avec la présence du Père Noël, accompagné ici par l’incontournable Tante Airie (dans la tradition montbéliarde, c’est elle qui offre les cadeaux).

L’originalité de Montbéliard réside dans l’accueil, chaque année, d’un pays différent, avec son folklore, ses artisans, sa gastronomie. Après le Canada, la Russie ou le Pérou, pour cette trentième édition, l’hôte d’honneur est l’Autriche. Les Tyroliens en culotte de cuir et dirndl, proposent leurs spécialités, Tartes Sacher et autres Apfelstrudel, et leur artisanat centré sur les matières naturelles, bois, laine, terre, cuir. Au théâtre, on peut écouter des concerts de musique viennoise, ou valser sur les notes de Johann Strauss. Des expositions sur l’Autriche, tableaux, photos, complètent l’offre culturelle au musée du château, à l’Hôtel de ville ou à la médiathèque. L’incontournable randonnée des lumières permet à tous de faire le tour de la ville illuminée sur 10km.  Nostalgie suprême : Le cinéma a mis à son programme « La mélodie du bonheur », célèbre comédie musicale de 1965 qui magnifie la vie en chansons dans les Alpes autrichiennes. Que demander de plus ? 

Marché de Noël de Montbéliard : Tous les jours, de 16h à 20h, le week-end de 10h jusqu'à 22h.

Article publié dans le JTT du jeudi 15 décembre 2016.

mardi 6 décembre 2016

Le safran : De l'or dans l'assiette

Le mois d’octobre est celui de la récolte du safran. Le safran appartient à la famille des crocus, sa fleur mauve en automne est semblable à celle du colchique (qui, elle, est toxique). La plante fleurit après une période de dormance estivale. Une croissance inversée : En hiver, les bulbes se développent alors que la nature est figée et l’été, la plante dort, alors que la nature explose.
Le safran est une épice rare, issue d’une fleur, dont on exploite les vertus culinaires ou médicinales depuis l’Antiquité. Originaire du Moyen-Orient, il est maintenant cultivé sur une large bande allant de la Méditerranée au Cachemire. La France (Val de Loire, Aquitaine, Provence, Alsace), l’Espagne et l’Italie sont producteurs. Antioxydant, régénérant, protecteur du foie, il donne aux plats une couleur éclatante, mais présente néanmoins quelques effets indésirables s’il est consommé en grande quantité. Cela ne risque pas de vous arriver ! Avec un prix de vente de 20€ environ pour un gramme, c’est une des denrées les plus chères au monde, on l’appelle d’ailleurs l’or rouge.

Les feuilles de safran sortent de terre en septembre, les premières fleurs apparaissent en octobre, la floraison dure environ un mois. Une pousse blanche le matin annonce la fleur du lendemain. Chaque fleur comporte 6 pétales violets, 3 étamines jaunes et un pistil rouge. C'est ce fameux pistil composé de trois stigmates (filaments) qui, une fois séché, donne l'épice safran. Les fleurs sont récoltées à la main avant le lever du soleil parce que dès que la luminosité est plus forte, elles s’ouvrent et la récolte est plus difficile. Puis les pistils sont extraits à la pince à épiler, juste après la cueillette, avant d’être mis à sécher sur un tamis, à une température d’environ 40°, et enfermés dans un bocal hermétique. Il faut compter environ 200 fleurs pour obtenir un gramme de safran. Tout le processus est exécuté minutieusement. 

Cultiver du safran n’est pas simple, la plante dépend entièrement du geste de l'homme, puisque son pollen est stérile. Elle se reproduit par multiplication de cormes (bulbes) dans le sol.  Un terrain léger, charrué, drainé, fumé et bien ensoleillé est nécessaire. Mais surtout, il en faut beaucoup : les bulbes ont besoin d’espace, on doit les changer de place chaque année. Ils sont très sensibles aux maladies, à chaque changement de place, il faut les plonger dans un bain fongicide avant de les replanter, à une quinzaine de centimètres de profondeur. Il faut aussi les protéger des prédateurs : mulots, lapins, taupes, hérissons ; sangliers… qui en sont friands. Après, on laisse pousser l’herbe sur la safranière jusqu’en septembre, pour protéger la pousse des bulbes.

En cuisine, le safran est l’ingrédient qui donne une belle couleur jaune-orangé à la bouillabaisse, la paëlla valenciana et au risotto alla milanese. Il est aussi employé en pharmacologie, et pour colorer les vêtements, ceux des moines bouddhistes notamment. A cause de sa valeur, il est souvent remplacé par d’autres épices, ou carrément falsifié : on va jusqu’à mélanger la poudre de safran à de la brique pilée ! Soyez attentifs, on peut le trouver sous deux conditionnements : le petit bocal de 1g, ou les dosettes de 0.1mg. Mais, même en infime quantité, quelle saveur …

Article publié dans le JTT du jeudi 1 décembre.

jeudi 1 décembre 2016

Maso et Miso vont en bateau

Coup de cœur au Festival Entrevues cette année : un documentaire féministe de 1975, qui détourne et démonte une émission spéciale avec Bernard Pivot, diffusée le 30 décembre 1975 sur Antenne 2.
Intitulée « Encore un jour et l’Année de la femme, ouf ! c’est fini », l’émission consistait à faire défiler des personnalités publiques connues pour être de « fieffés misos » (A. Sanguinetti, J. Martin, F. Bellemare...) et à demander sa réaction à Françoise Giroud, secrétaire d’État à la condition féminine.
Stupeur : Françoise Giroud, par ailleurs si critique, dénie la misogynie évidente, et joue la séduction, la complaisance, le consensus (maso). Elle enterre le débat avant qu’il ne commence, dans une langue de bois caractéristique du monde politique. Bernard Pivot s’en sort mieux, jouant de sa candeur bonhomme pour la déstabiliser, mais les réponses restent lisses.

Le documentaire présenté est extraordinairement efficace malgré la simple technique utilisée : quatre féministes radicales (Nadja Ringart, Carole Roussopoulos, Delphine Seyrig et Ioana Wieder) répondent à ce déni en interrompant le déroulement de l’émission pour intégrer leurs commentaires caustiques, écrits à la main. Elles parasitent l’image et le son, jouant du comique de répétition et d'une musique décalée, et transforment un document affligeant de mièvrerie en un film comique, où la franchise et la pertinence des réparties sont jubilatoires.

Le sujet reste d’actualité, la misogynie  des politiques et des patrons n’est pas un vieux souvenir d’il y a quarante ans ! Heureusement, on peut retrouver "Maso et Miso vont en bateau" sur Internet.

Et tous les renseignements sur le festival : www.festival-entrevues.com/